Des westerns partagés par un amateur, sans prétention journalistique, sans rigueur historique et sans faux col. N'utilisez pas ces articles pour votre thèse sur le western.
samedi 21 janvier 2017
Tous à l'Ouest
2008,
Olivier Jean-Marie Jean-François Henry
C'est un film que j'ai subi plutôt que choisi. Il n'est pas à moi, il est à mes enfants. C'est un film qu'ils ont beaucoup aimé et beaucoup regardé, ils se ressassent leurs gags préférés en permanence (Averell: "Hé Joe, ils sont bêtes, ils n'ont pas compris qu'on était les Daltons!" Rantanplan "Je vole, je vole, comme les vaches!"). Ils tentent également de reproduire les jurons d'Ugly Barrow, dont les onomatopées graphiques que l'on peut voir dans l'album La Caravane sont retranscrites ici en onomatopées sonores. Ils ne savent pas que c'est Lambert Wilson qui fait la voix de Lucky Luke, ni que Clovis Cornillac prête sa voix au colérique Joe, et encore moins que c'est François Morel qui se cache derrière Rantanplan. Ils se foutent totalement de savoir si le film est fidèle à l’œuvre de Morris. Ils se marrent, et ça leur suffit.
Pour ma part, je ne pense pas encore avoir vu le film entier. J'en ai vu des passages plus ou moins longs, suffisamment longs pour reconnaître les voix de Lambert Wilson, Clovis Cornillac et François Morel, suffisamment longs également pour m'apercevoir que si le film ne manque pas d'inventivité, l'intouchable œuvre de Morris est tripatouillée avec quelques touches de jeunismes, un peu de portnawak et une frénésie qui n'a plus grand chose à voir avec Lucky Luke!
Et puis, la dernière fois qu'ils ont mis le DVD dans le lecteur (Pour nos futurs lecteurs, le DVD est une espèce de galette qu'on utilisait pour regarder des films dans les années 2000-2010), je me suis laissé emporté. J'ai éclaté de rire à certains gags (Averell qui sculpte en prison un faux revolver dans du savon, en prenant pour modèle un vrai revolver), et me voyant rire, les minots en riaient de plus belle. J'ai aimé les pétages de plombs de Joe Dalton, purs moments de folie destructrice, j'ai aimé sa violence déchaînée envers son frère Averell, qui rappelle le running gag permanent du Léonard de Turk et de Groot, sa mauvaise humeur permanente ("je déteste les chiens!"), j'ai aimé le burlesque improbable de certaines situations qui se rapprochent de certains des meilleurs Tex Avery, j'ai aimé la course poursuite dans la mine, le jusqu'au-boutisme 'splastick' des gags, ce travelling qui révèle une montagne de caisses de dynamite proprement ahurissante alors que Rantanplan vient de rapporter un bâton de dynamite allumé, le réalisme soudain de certains plans, par exemple ce plan large sur le panache de fumée provoquée par une explosion déclenchée par Averell alors que Joe venait de crier "Et que ça saute!". Bref, c'est pas vraiment Lucky Luke, c'est frénétique, déjanté et hystérique au point d'en être fatiguant, mais au final, c'est drôle, frais, bien réalisé. Un dessin animé que je recommande même aux grands, en plusieurs fois si vous vous choppez un mal de tête au bout de vingt minutes!
dimanche 8 janvier 2017
L'art de Morris
2016
Stéphane Beaujean, Jean-Pierre Mercier, Gaëtan Akyüz, Vladimir Lecointre
Très bel ouvrage paru l'an dernier, L'art de Morris s'est rappelé à mon souvenir après la diffusion récente sur Arte d'un documentaire sur le même sujet et qui fait intervenir entre autres la même équipe de passionnés. Ce livre, très richement documenté, avec moultes crayonnés, explore toutes les facettes du dessin de Morris, ainsi que les liens entre Lucky Luke et le Western, les rapports entre Morris et Goscinny, les influences américaines de Morris, le tout écrit de façon limpide et plus que correcte. Par contre, il s'agit véritablement d'un catalogue de l'exposition Lucky Luke de début 2016, il a donc cette saveur particulière des ouvrages collectifs, collage parfois plus ou moins heureux de contributions diverses.
Plusieurs aspects m'ont frappé à la lecture du livre, des points que je n'avais jamais remarqué avant, en tant que lecteur depuis ma plus verte jeunesse (à l'époque où on trouvait encore des Lucky Luke "mous", c'est à dire à couverture souple). Le principal est le désintérêt qui semble profond de Morris pour le dessin lui-même. Pour Morris, le dessin paraît purement fonctionnel, au service de l'action. Il doit être avant tout lisible, compréhensible et correctement mis en scène. Morris y parvient si bien que je n'avais jamais remarqué que de nombreuses vignettes dans Lucky Luke sont parfois simplement esquissées, en particulier dans les plans larges, où en quelques traits simplistes, un décor est mis en place. Ayant délégué le scénario à Goscinny qui fera véritablement s'envoler la série, ayant trouvé un style de dessin rapide et fonctionnel, Morris est alors sur des rails pour continuer sa série pendant des années et des années. Stéphane Beaujean se demande dans le documentaire quel pouvait bien être alors le moteur de Morris pour continuer à faire Lucky Luke pendant aussi longtemps. "La mise en scène" finit-il par conclure. "A posteriori, je crois que ce qui l'intéressait c'était la mise en scène". Pourtant, dans le livre, une comparaison cruelle entre une planche de Franquin et une planche similaire de Morris montre également à quel point Franquin avait le souci de la composition et de la vitesse quand Morris se contente de montrer une action lisible sans varier les points de vue.
Alors, Morris, simple exécutant talentueux ? Sans doute pas, comme le démontre le livre, Morris était bien le maître à bord, essayait tout de même de placer des plans audacieux, plongées, contre-jours, jeux de symétrie, décomposition du mouvement et expérimentations sur les couleurs (que là aussi, je n'avais jamais vraiment remarquées).
Une chose est sûre, il était temps, alors que Lucky Luke, comme Astérix, vit désormais sa vie en l'absence de ses créateurs d'origine, qu'un ouvrage se penche sérieusement sur cet aspect de l'oeuvre. Et ce avant que le nombre de Lucky Luke 'post-Morris' dépasse le nombre de Lucky Luke 'par Morris' (On y est déjà pour Les Schtroumphs, bientôt sans doûte pour Blake et Mortimer), ou avant qu'un scénariste fasse intervenir un voyage dans le temps ou des extra-terrestres, ce qui signerait, comme l'indique malicieusement Hugues Dayez dans le documentaire, la fin effective de la série.