Des westerns partagés par un amateur, sans prétention journalistique, sans rigueur historique et sans faux col. N'utilisez pas ces articles pour votre thèse sur le western.
samedi 13 octobre 2018
Les Frères Sisters
Les Frères Sisters
2018
Jacques Audiard
J'avais un peu peur que le réalisateur ait peur. Qu'il ait peur, petit Frenchie, de réaliser un vrai western. On peut facilement s'imaginer qu'il est intimidant de s'atteler à un western, quand on est français, qu'on parle mal l'anglais et qu'on sait qu'on va se mesurer à John Ford, Howard Hawks et Sam Peckinpah. Il peut alors être tentant de "faire différent". "Regardez, je ne fais pas vraiment un western, je me contente de rendre hommage au western, d'en utiliser les codes, j'en livre une version revisitée. Parce que je n'ai pas la carrure!"
Si Jacques Audiard s'est retrouvé face à ce type d'angoisses, ça ne transparaît que très peu. Tout juste peut-on regretter un manque de souffle, voire de rythme par moment. Mais Les Frères Sisters est un vrai western, qui ne cherche pas toutes les cinq minutes à raconter autre chose que son histoire. C'est bien.
Le film permet de se poser une question existentielle. Peut-on avaler une tarentule la nuit sans que ça vous réveille ? Surtout si elle vous mord. Si oui, j'aimerais savoir combien d'araignées j'ai avalé dans ma vie. Cette scène, dans sa façon d'être filmée, est déjà à la limite du fantastique. Et dans un même genre, le rêve/cauchemar familial, bien qu'un peu raté, éveille toutes sortes d'angoisses diffuses et malsaines. Quand vers la fin, on découvre les effets cutanés ignobles de la formule toxique chimique du chercheur d'or, on découvre finalement que le film a une petite tendance à lorgner vers l'horreur. Le surnaturel est d'ailleurs quelque peu renforcé par l'invincibilité ahurissante des deux frangins, qui bourrés ou en chaussettes, en solo ou en binôme, contre trois ou dix personnes, s'en sortent toujours.
Audiard fait donc là un vrai western, avec des fusillades, des pistoleros plus rapides que leurs ombres, un notable corrompu et tout puissant qui emploie toutes sortes de malfrats et des chercheurs d'or partout.
Pour le reste, pas vraiment spécialiste de la filmographie d'Audiard, je ne sais pas comment son film s'inscrit dans le reste de son oeuvre. J'ai aimé les expérimentations sur la musique, la tonalité assez sombre du film, et le jeu des acteurs. Au bout d'un moment, on oublie que c'est un film français, on est bien dans un western, moderne mais pour une fois pas trop mélancolique, ni trop introspectif. Une petite réussite en somme...
Image: Marchand sur western movies
lundi 10 septembre 2018
Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci
Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci
2018
Vincent Jourdan
Sergio Corbucci, réalisateur de comédies. On le découvrirait presque, et c'est bien là l'une des qualités primordiales du livre de Vincent Jourdan de nous le rappeler. Installé depuis maintenant bien longtemps dans nos coeurs de cinéphiles amateurs, Sergio Corbucci est le réalisateur désormais culte du Grand Silence, de Django et d'Il Mercenario. On le sait, et on sait que Corbucci a sa place dans le cinéma populaire mondial. On se souvient qu'il a tourné quelques péplums avant, comme tous les réalisateurs de westerns italiens, on se doute bien qu'il a dû toucher au giallo ensuite, ou au Politzei, ou aux deux. On sait qu'il a réalisé un ou deux films du duo Terence Hill et Bud Spencer, on ne sait plus lesquels tant ils sont interchangeables. Ce qui constitue d'ailleurs une raison suffisante pour jeter un a priori négatif sur toute sa carrière post-western.
Vincent Jourdan nous emmène dans un voyage aux sonorités chantantes, un voyage qui se lit d'une traite, dans une filmographie où la plupart des titres ne sont jamais sortis en France et restent donc en langue italienne. Dans la période années 60, des titres aussi évocateurs que Romulus et Rémus, Maciste contro il Vampiro et Le Fils de Spartacus donnent envie de se replonger direct dans le péplum. Côté comédie, on y découvre le légendaire acteur Totò "Il Principe" avec lequel Corbucci tournera de nombreux films, dont des titres incroyables comme Totò, Peppino e... la dolce vita ou Il giorno più corto. Dans les années 70 et 80, on aimerait connaître Il bestione, avec Michel Constantin; on voudrait jeter un oeil curieux au film à sketches Di che segno sei, découvrir Bluff, ce décalque de l'Arnaque, voir ce que donne Il signor Robinson, vision comique contemporaine de Robinson Crusoé où Vendredi serait une femme noire, on voudrait connaitre le Milan des années 70 dans Ecco noi per esempio. Côté giallo, Corbucci semble avoir fait les choses à sa manière dans La mazzetta et Giallo napoletano, cette fois dans les rues de Naples. L'auteur nous apprend l'existence d'un type de comédie des années 30 surnommées "telefoni bianchi" (téléphones blancs) que Corbucci remettra au goût du jour en 1980 avec Non ti conosco più, amore. Corbucci enchaîne les comédies comme A tu per tu ou Rimini Rimini, jusqu'à Night Club enfin, film plus personnel, en 1988, qui semble bien être une de ces pépites qu'on aime à découvrir de temps en temps.
Au delà d'une filmographie forcément mystérieuse car inconnue chez nous, Vincent Jourdan dresse un portrait détaillé du cinéma populaire italien des années 50 à 80, un monde où tout le monde se connaît, se renvoie l'ascenseur, se partage le boulot. L'auteur parsème littéralement son ouvrage de noms qui résonnent dans l'oreille de l'amateur, Giovanni Grimaldi, Enzo Barboni, Benito Stefanelli, Vittori De Sica, Antonio Margheriti, Franco Nero, Mario Bava, Giuliano Gemma, Lucio Fulci, Ugo Tognazzi, Fabio Testi, Ornella Muti et d'autres qui deviennent familiers au fil de la lecture du livre: Totò, Castellano e Pipolo, Steno, Adriano Celentano, Sal Borgese, Barbara Bach, Renato Pozetto, Nino Manfredi, Laura Antonelli et tant d'autres. On assiste à la lente agonie - quoique nuancée - du cinéma italien, aux années difficiles de l'Italie des années de plomb, aux expériences américaines du réalisateur, qui toujours, parviendra à maintenir son succès à travers les époques.
Tout cela est décrit dans la première partie du livre, où Vincent Jourdan écrit de manière limpide et précise, encore plus que dans son blog Inisfree, sans tirer la couverture à lui, s'en tenant dans la plupart des cas aux faits, sans chercher à en donner une analyse qui serait déformée par une vision forcément partielle et contemporaine. Mais dans cet enchaînement vertigineux de lieux, de dates, de noms et de titres, l'auteur parvient malgré tout à susciter un engouement assez incroyable pour le réalisateur, son époque et pour ses méthodes de travail. L'auteur provoque une envie assez folle de lancer immédiatement la machine à télécharger pour découvrir ce monde inconnu et disparu. On comprend tout de suite que l'on n'en aura jamais le temps, et c'est à ce moment que la somme de travail représentée par ce type d'ouvrage apparaît dans toute son ampleur, encore plus pour un réalisateur dont il y a si peu de matière bibliographique existante.
La deuxième partie propose une analyse du cinéma de Corbucci, qui m'a semblé moins passionnante, peut-être parce que beaucoup des éléments abordés apparaissaient déjà en creux dans la première partie, et peut-être aussi parce qu'il manque pour moi une dimension plus critique envers le cinéma de Corbucci et ses faiblesses, qui m'apparaissent, en ce qui me concerne, toujours aussi criantes. Mais on ne va pas reprocher à l'auteur d'aimer le cinéma de son sujet...
Je suis de plus en plus éloigné du petit monde du western, comme on peut le constater à la raréfaction de mes textes sur ce blog. Quand on m'a proposé d'être contributeur au projet de Vincent, c'est plus par amitié (même si on ne se connaît pas personnellement) et soutien à ce type de projet que j'ai accepté de mettre la main à la poche, et non pas pour avoir le marque page spécial et mon nom en police 8 en fin d'ouvrage. Aujourd'hui que j'ai fini de dévorer ce livre, je n'ai aucun regret. J'ai à peine survolé les années western que je connaissais déjà un peu, pour me plonger avec délice dans tout le reste de la filmographie de "l'autre Sergio", de l'Italie des années 50 à 90 et du petit microcosme du cinéma populaire italien. Merci Vincent pour cette découverte!
samedi 14 avril 2018
Hostiles
2018
Scott Cooper
Avec: Christian Bale, Rosamund Pike
Hostiles est plutôt un bon western, bien réalisé et prenant, bien que louchant largement trop vers le western contemplatif, le western qui prend son temps, le western qui fait des plans fixes pour bien montrer l'âme torturée de ses personnages. Le tout parsemé d'explosions de violence régulières pour nous réveiller. On suit un capitaine de cavalerie, qui a cassé de l'indien toute sa vie, qui escorte un vieux chef indien qui souhaite mourir sur ses terres natales. Ordre de Washington, on est en 1892 et l'opinion publique commence à se préoccuper du sort des sauvages dont les terres ont été confisquées depuis deux siècles. Le film tient un discours curieux, bancal, apparemment à dessein, de brouiller les pistes, de ne pas faire dans le politiquement correct. La démarche de Washington est vue comme une manoeuvre politicarde, le journaliste qui accuse le capitaine d'être aussi sauvage que les indiens semble être un vil manipulateur. Les indiens, montrés dans leur plus pure tradition de mal absolu dans une scène inaugurale d'une violence à couper le souffle, ne sont pas ces héros new-age en symbiose avec la nature. Mais le réalisateur coupe immédiatement sur la violence exercée envers les indiens, sans transition, pour appuyer - de façon certes un peu démonstrative - là où ça fait mal. On dirait qu'il veut couper court à la question des guerres indiennes, pas de bons, pas de méchants, il y a eu beaucoup de morts des deux côtés, de la sauvagerie égale par ailleurs, et puis c'était il y a si longtemps... C'est sans doute d'ailleurs le sens du dialogue final entre le vieux chef et le capitaine.
Quand une femme de Colonel prend la défense des indiens face au Capitaine qui a perdu deux hommes et à la fermière qui a perdu toute sa famille à cause des Commanches, on ne peut que compatir avec ces deux-là, qui vivent le "problème indien" de l'intérieur, quand les bourgeois font de belles phrases utopiques dans leurs salons. Et puis hop, le réalisateur contrebalance ça avec pêle mêle un soldat dont la haine des indiens n'a pas de limite, des trappeurs ignobles qui violent l'ensemble du casting féminin sans distinction de race, des propriétaires terriens qui tirent d'abord et posent des questions après, et un soldat qui, semble-t-il inspiré par la pluie, vient demander pardon au vieux chef pour tout le mal que les blancs ont causé à son peuple. Au bout du compte, ça fait beaucoup d'appels du pieds pour dire "Voyez comme mon film est profond en fait!"
Dans les cadrages aussi, on entend un peu trop le réalisateur penser. En intérieur il essaye de reproduire des peintures du XIXe siècle, avec l'air de quémander notre approbation à chaque plan. En extérieur, plus classiquement il met en valeur les magnifiques paysages américains. Les personnages aussi sont soignés. Christian Bale a bricolé sa mâchoire inférieure pour qu'elle avance et se donner un air un peu rustre. Il arbore une moustache magnifique. Rosamund Pike reste très crédible en femme de l'ouest, sauf quand elle décide de poursuivre l'aventure alors que le scénario ne le demande pas. Les indiens ont vraiment l'air d'indien, les seconds rôles sont soignés.
On pourrait croire que l'essentiel du film tient à montrer l'évolution du capitaine, qui de brute indifférente au sort des indiens finit par devenir leur défenseur au péril de sa vie. Mais c'est surtout le titre du film -Hostiles - qui résonne tout au long du film. Dès lors qu'ils quittent la civilisation, tout l'environnement devient hostile, chaque rencontre est une mauvaise rencontre, tout ce qui peut mal tourner tourne mal. Scott Cooper dépeint un monde qui n'est que violence, où le petit capitaine navigue en terre connue, mais au péril de sa santé mentale. Christian Bale joue alors un de ces héros de western déterminé, prêt à tout pour mener à bien sa mission, envers et contre tout, affrontant les épreuves les unes après les autres sans jamais rechigner. Cet état d'esprit, ce nihilisme permanent m'a rappelé les plus radicaux des westerns spaghetti, ça m'a rappelé également le livre The Son de Philipp Meyer avec sa radicalité dans la violence, ainsi que, j'ose à peine le dire, l'espèce d'ovni cinématographique qu'est le John Rambo de Sylvester Stallone, avec une scène finale similaire, montrant le regard féroce de la machine de guerre juste après le carnage. L'épilogue est une des plus belles scènes de cinéma qui m'ait été donné de voir depuis longtemps, Christian Bale, un peu gauche dans ses vêtements, hésite, puis monte dans un train qui est en train de démarrer. Je n'en dis pas plus pour ne pas trop spoiler, mais j'ai trouvé ça magnifique.
samedi 7 avril 2018
Croc-Blanc
2018
Alexandre Espigares
Avec : Virginie Efira, Dominique Pinon, Raphaël Personnaz
Croc-Blanc est un film d'animation français qui suit assez fidèlement le roman de Jack London. L'histoire est celle d'un chien semi-sauvage, qui deviendra chien de traineau au sein d'une famille de gentils indiens, puis chien de combat parmi de méchants hommes blancs, puis toutou domestique d'une famille de gentils blancs avant de retrouver une liberté bien méritée au sein des immenses forêts du Yukon.
Le film est donc destiné à un public jeune, bien que le ton en soit relativement dur. Et le film n'est pas seulement dur pour les enfants à cause des coups du sort et de la violence qui s'abattent sur ce pauvre canidé. Il est dur parce que Croc-Blanc n'a pas de side-kick marrant qui fait le con dans la neige à ses côtés. Il n'y a pas non plus d'armée de Minions Crétins pour faire des prouts au fond du canoë. Le Marshall ne passe pas son temps à faire des vannes à double sens pour distraire les parents qui ont accompagné leur progéniture dans les salles obscures. Les animaux ne parlent pas dans ce film, ils geignent, glapissent grognent et mordent comme des vrais chiens, tout en ayant dans le regard un fond d'humanité suffisant pour permettre l'identification. Alors c'est vrai que les enfants sont déconcertés, surtout que le réalisateur Alexandre Espigares se permet un montage non linéaire, ose faire un film pour enfants sans chanson idiote et met à la place de la vraie musique avec des chtouingues de guitare qui vont bien, le tout dans une histoire à prendre au premier degré du début à la fin.
Pire, on ne retrouve pas une animation 3D toute lisse et moche avec des personnages verts, rouges, bleus à gros yeux! Il y a des textures, des beaux paysages, des aplats. Alors bien sûr, c'est parfois maladroit, anguleux, raté. Les humains en particulier ont souvent des mouvements assez peu naturels malgré le motion capture. Les traits taillés à la serpe passent assez bien pour les visages burinés, ceux des indiens et des méchants. Mais pour le gentil couple moderne ça fait assez bizarre. Malgré tout, ça fait tellement du bien après 20 ans de graphismes inter-changeables des Pixar/Minions/Age de Glace/Shrek qu'on en redemanderait presque.
Je regrette cependant une histoire totalement lisse. Alexandre Espigares ne prend pas les enfants pour des idiots, mais il succombe malgré tout au happy end de rigueur, au manichéisme exacerbé de ce type d'histoire. Le méchant, interprété par Dominique Pinon est très très méchant. On aurait aimé voir sa part d'humainité, voir qu'il était lui aussi capable d'aimer son chien. Le Marshall est bien sûr honnête droit et sans faille (doublé par Raphaël Personnaz, j'aurais juré pendant la projection que c'était Tcheky Karyo qui s'y collait!) et sa femme (Virginie Efira) est naturellement moderne, pragmatique et indépendante (mais au moins, elle ne chante pas). Si j'en crois Allocine, Alexandre Espigares cite Le Grand Silence et le Django de Sergio Corbucci parmi ses sources d'inspiration. J'ai bien du mal à voir le lien, sauf quand on retrouve le regard de Franco Nero dans celui de Croc-Blanc juste avant ses combats, sauf quand on sent poindre la mélancolie et le poids du destin quand il regarde la lune. Croc-Blanc a en effet la force et la résignation des pistoleros taciturnes, les personnages ont tous des gueules typées, ravagées par le temps et la vie. Le film porte une attention extrême aux détails, à la neige qui tombe des branches, aux mouvements des chiens, aux mille dangers de la nature, aux vêtements et aux détails architecturaux, avec une belle reconstitution d'une ville d'Alaska gagnée par la fièvre de l'or. Et c'est là que moi, ça m'a plu.
Bref, c'est réaliste, bien foutu, beau, et pas trop gnangnan quand même. Si vous êtes devenus allergiques au style Pixar et à l'avalanche de gags obligatoires de ce type de production, emmenez vos enfants voir Croc-Blanc. Et puisque Alexandre Espigares cite Corbucci, je vais lui faire plaisir et classer ça dans 'Western Européen'.
samedi 24 mars 2018
Jonathan des ours
1993
Jonathan Degli Orsi
Enzo G. Castellari
Avec: Franco Nero
Le film est dédié à Sergio Corbucci, et ça m'a fait un bien fou de voir ça, affiché sur l'écran en préambule. Imaginez, en 1993, quand tout le monde a oublié le western spaghetti à l'exception des Sergio Leone, Enzo G. Castellari et son pote Franco Nero remettent le couvert, et en plus ils dédient leur film à Sergio Corbucci. Pas à Sergio Leone qui mettait déjà tout le monde d'accord à l'époque, mais à Sergio Corbucci, le rejeton un peu moins glorieux de la famille. C'est dire que Castellari et Nero ne renient rien. On présente souvent ce film comme un western post-spaghetti, avec son message écolo, sa défense des indiens et sa philosophie de la nature. C'est pas faux. Mais moi j'ai surtout vu la violence implacable, les impacts de balle dans les corps qui sursautent, les ralentis ad nauseam sur les cascadeurs qui se vautrent avec application dans la boue. J'ai vu le regard bleu acier de l'inaltérable Franco Nero qui se fait crucifier comme du temps de Keoma, j'ai vu le méchant vociférer et mettre les fers au patelin du coin comme à la belle époque. Comme si rien n'avait changé en vingt ans, Castellari nous refait des cadrages spectaculaires et nous ressert les flashbacks en insert direct (avec le héros qui regarde le flashback à l'intérieur de la scène même) de Keoma. Seuls ont changés les décors (le film est tourné en Russie) et la musique, qui bien que peu avare en mélopées à la trompette, reste assez loin des standards spaghettien. Mais pour le reste Castellari et Nero s'en tiennent à ce qu'ils savent faire, défauts compris. On note toujours des plans foireux, ratés, voire ridicules quand les truqueurs veulent nous faire croire que Nero est une pointure en tir à l'arc. Les indiens manquent de crédibilité, je crois même avoir vu une squaw en pull, et Castellari n'oublie pas les délires les plus improbables du genre, avec cette bande de méchants en blouson de cuir type post-apocalyptique.
Les grands poncifs du western spaghetti sont donc bien en place et malheureusement personne à la production n'a cherché à sublimer ces poncifs qui restent à l'état de poncif, comme si Castellari et Nero se rendaient hommage à eux-même sans chercher le moins du monde à tester de nouvelles choses.
Heureusement, le film montre une autre ambition dans ses aspects plus dans l'air du temps des années 90. Le réalisateur parvient à concilier plusieurs thèmes, dont la défense des indiens, l'écologie, une histoire avec des ours, des flash-backs bien montés, tout en enrobant le tout dans un genre de ballade contée avec un Bob Dylan local qui accompagne l'action à la guitare. Le film n'est pas avare en phrases pompeuses à la mode indienne sur la Nature nourricière, suis ta voie, c'est ton destin, la Terre n'appartient pas aux hommes, c'est les hommes qui appartiennent à la Terre. La belle indienne (Melody Robertson) est quand même vachement belle, bien que assez typée caucasienne malgré ses tresses.
Avec tout ça, on passe au final tout de même un bon moment, même si on aurait aimé plus d'audace formelle et d'inventivité dans les scènes d'action, plutôt qu'une resucée de ce qu'on a vu déjà mille fois, agrémenté de thèmes certes hors du cadre habituel du western spaghetti, mais déjà traités ailleurs en mieux (Pale Rider, Danse avec les loups). Mais bon, on ne va pas faire la fine bouche, c'est un western européen à voir et qui aurait mérité d'être un peu plus connu au-delà du cercle des amateurs du genre.
Captures: western movies et western maniacs
mercredi 14 mars 2018
Joe l'implacable
1967
Joe l'implacabile
Antonio Margheriti
Avec : Rik Van Nutter, Halina Zalewska, Mercedes Castro
Antonio Margheriti est le réalisateur du correct Avec Django la mort est là (et son titre français idiot) et de l'excellent Et le vent apporta la violence avec Klaus Kinsky. On est loin, très loin de la réussite de ces deux œuvres avec Joe l'implacable. Le héros est un blondin argenté totalement inconnu, totalement fadasse, largement pire que Richard Harisson qui devient pour le coup une sorte de Daniel Day Lewis en comparaison. La réalisation est sans génie, sans recherche particulière, pas de cadrage tarabiscoté, pas d'utilisation particulièrement intéressante des décors espagnols. Le scénario tourne comme d'habitude autour d'une histoire d'or convoité par le plus grand nombre, avec des péripéties en veux-tu en voilà et des retournements de situation à n'en plus finir. J'avoue, à un moment, j'ai arrêté de suivre. Il y a des femmes aussi, au milieu de tout ça, un comparse comique et beaucoup d'explosions.
Car la grande originalité du film tient en ce que son héros préfère largement l'usage de la dynamite à l'usage des révolvers. Toujours habillé avec soin, le pli impeccable, il est une sorte de James Bond qui s'en sort toujours en faisant sauter ses adversaires au moment où l'on s'y attend le moins. L'explosion laisse à chaque fois en grand trou dans lequel ne reste qu'un chapeau ou une botte. C'est ce genre de petits détails finalement qui fait la saveur du film. On est là dans le western comédie, sans prise de tête, sans ambition artistique. Curieusement, quelque part au milieu du film, Joe fait sauter une montagne entière, suivie d'une inondation cataclysmique qui fout en l'air une partie des décors du film. Bien que cette scène ne fasse plus illusion aujourd'hui, il faut quand même reconnaitre que le tout est bien maitrisé et reste relativement spectaculaire. De même, toutes les soirées mondaines dans l'aristocratie locale étonnent par la richesse des décors et de la figuration (on pourrait se croire à certains moments dans Le Guépard), en totale opposition avec l'aridité et le dénuement habituel des canyons arides d'Almeria. Une relative profusion de moyens donc, pour un film banal, sans âme, sans grand intérêt, mais qui saura satisfaire les plus accros au genre.
Capture: http://blog.dvdpascher.net
The Revenant
2016
Alejandro Gonzales Iñàrritu
Avec: Leonardo Di Caprio, Tom Hardy
J'avoue que l'attaque de l'ours est plutôt bien foutue. L'ours ressemble vraiment à un ours. Il ressemble un peu moins à un ours qu'un vrai ours comme Bart dans L'Ours de Jean-Jacques Annaud, mais les graphistes ont semble-t-il été bridés dans leur expression artistique. Je ne crois pas qu'il ait été question de savoir combien de poils il a été nécessaire de modéliser séparément pour rendre crédible le pelage de l'animal. Il n'y a pas de gros plan sur la gueule de l'animal dans lequel chaque goutte de bave brillerait dans la lumière cristalline du petit matin. L'ours a un comportement d'ours, il ne suit pas une logique anthropomorphique dans son attaque, il ne réagit pas comme un personnage de chez Pixar, mais bien comme une bête. En bref, il y a du progrès dans les effets spéciaux numériques depuis Jurassik Park (dans de trop rares films cependant, par exemple les scènes de batailles que j'ai vues dans la bande annonce de La Grande Muraille sont toujours d'une laideur visuelle sans nom).
Mais à part cette scène de l'ours, il n'y a pas grand chose qui ait attiré mon attention. Les images sont belles, la nature se déploie dans la lumière cristalline du petit matin (sauf la bave dans la gueule de l'ours, donc...), et le souffle de Di Caprio a la pureté d'un nuage de lait dans une eau déminéralisée. Di Caprio morfle, puis il se remet, puis il morfle, puis il se remet. Le problème de ce genre de film, c'est que quand on connaît la trame narrative parce qu'on a vu Le Convoi Sauvage, on s'ennuie un peu. A la fin du film, on ne sait pas si Di Caprio s'en sort ou pas. Il est (une fois de plus) salement blessé en pleine nature. Je n'aime pas ces films sans fin. Dès qu'un cinéaste veut faire un film "d'auteur", il met une fin ouverte et nous laisse comme deux ronds de flan sans savoir ce qu'il advient du personnage. Di Caprio est très bon dans le rôle, il a le regard déterminé et dur, mais ça n'a pas suffi pour que je me passionne pour sa destinée.
Mais je ne veux pas cracher dans la soupe. Si vous ne savez rien de l'histoire et que vous n'avez pas lu le premier paragraphe de cet article, vous verrez un excellent film survival, avec pas mal d'action, des indiens, des morts, de la violence, bien filmé et assez jusqu'au-boutiste dans sa peinture de la folie meurtrière des hommes. Moi, je suis de toute façon de moins en moins réceptif aux grandes folies médiatiques, aux films du moment qu'il faut voir absolument, aux films multi-oscarisés et calibrés pour être multi-oscarisés. Je m'efforce d'ailleurs de les voir après. Mais que ça ne vous empêche pas d'y prendre du plaisir...
lundi 12 mars 2018
Un train pour Durango
Un treno per Durango
Mario Caiano
1968
Un
train pour Durango est un de ces westerns zapata qui n'a pas encore
totalement basculé dans la parodie la plus pure de la fin du genre,
mais qui est déjà très loin des chevauchées taciturnes des grands héros
meurtris des spagh classiques des années 65-67. C’est un
représentant du genre relativement médiocre, sans toutefois réussir
à être totalement mauvais ou déplaisant.
Au crédit du film on trouve déjà une certaine ambition de moyens, un soin de réalisation assez évident et une bonne tenue générale qui sauve le film de justesse. Il faut dire qu’il y a du beau monde à apporter sa touche à cette sympathique course au trésor : Mario Caiano, Enzo Barboni, à la réalisation et à la photographie, Anthony Steffen, Enrico Maria Salerno, Mark Damon, José Bódalo, Roberto Camardiel et Aldo Sambrell à la distribution, une palanquée de noms qui nous emmènent, sinon sur les terres d'un chef d'oeuvre, au moins en terrain connu, balisé et rassurant. Quelques blagues tournant la Révolution en dérision font mouche, par exemple sur la propension à promouvoir à peu près n’importe qui au grade de général ou de colonel. « Le colonel sera content de toi ! » « Lequel ? ».
Quelques moments comiques dans le train semblent issues d’une veine chaplinesque assumée (Enrico Maria Salerno qui vole de la nourriture dans le train, la séquence de destruction du coffre au canon), certaines séquences distillent une étrangeté et un cynisme assez savoureux (le jeu macabre avec le revolver autour d'une table, les deux chefs de bande qui s'entretuent et qui réalisent qu'ils se sont fait avoir), d’autres lieux communs du western zapata, enfin - l’automobile, les soldats qui se font décimer - feront plaisir aux aficionados du genre dont je fais partie.
Au crédit du film on trouve déjà une certaine ambition de moyens, un soin de réalisation assez évident et une bonne tenue générale qui sauve le film de justesse. Il faut dire qu’il y a du beau monde à apporter sa touche à cette sympathique course au trésor : Mario Caiano, Enzo Barboni, à la réalisation et à la photographie, Anthony Steffen, Enrico Maria Salerno, Mark Damon, José Bódalo, Roberto Camardiel et Aldo Sambrell à la distribution, une palanquée de noms qui nous emmènent, sinon sur les terres d'un chef d'oeuvre, au moins en terrain connu, balisé et rassurant. Quelques blagues tournant la Révolution en dérision font mouche, par exemple sur la propension à promouvoir à peu près n’importe qui au grade de général ou de colonel. « Le colonel sera content de toi ! » « Lequel ? ».
Quelques moments comiques dans le train semblent issues d’une veine chaplinesque assumée (Enrico Maria Salerno qui vole de la nourriture dans le train, la séquence de destruction du coffre au canon), certaines séquences distillent une étrangeté et un cynisme assez savoureux (le jeu macabre avec le revolver autour d'une table, les deux chefs de bande qui s'entretuent et qui réalisent qu'ils se sont fait avoir), d’autres lieux communs du western zapata, enfin - l’automobile, les soldats qui se font décimer - feront plaisir aux aficionados du genre dont je fais partie.
Ce
qui fonctionne moins bien, c’est l’humour poussif et prévisible
de situations comiques dont on devine la chute des kilomètres à
l’avance. Qui n’a pas vu venir que nos deux lascars allaient se
faire totalement dépouiller par le vendeur de billets avant de
monter dans le train ? Qui n’a pas étouffé un bâillement
devant le manège des peones qui baladent nos deux héros d’indic en
indic ? Qui n'a pas ressenti une impression de déjà vu à chaque fois que Mark Damon apparaît de nulle part pour retourner la situation? Et qui n’avait pas deviné que la femme (Dominique Boschero) était plus
intéressée par l’or que par n’importe quel mâle qui lui tourne
autour ? ET surtout, au-delà de ça, le duo principal censé porter le film
est légèrement boiteux. Si Enrico Maria Salerno fait le job, sans toutefois
provoquer de sympathie débordante, on n’en dira pas autant
d’Anthony Steffen, mauvais de bout en bout. Habituellement
inexpressif dans le rôle de pistolero ténébreux, il est ici
contraint de forcer son talent, de sortir de ses gonds et de tenter
de faire rire. Entendons-nous bien, j’aime cet acteur, mais je
défie quiconque de rire quand il fait semblant de se défoncer les
papilles avec un piment local. On peut au moins lui reconnaître
d’aller au bout du bout du ridicule et de l’autodérision, allant
jusqu’à se déguiser avec des vêtements de péon deux fois trop
petits pour lui. Mais ça ne suffit pas pour emporter l'adhésion, et malheureusement, j’ai peur que ce soit cette
image, et cette image seule, qui me reste en mémoire quand j’aurai
totalement oublié le film dans six mois…
Oui, c'est bien Anthony Steffen, à gauche