Du bon spaghetti, comme ça paf, j’ai eu envie de me refaire du bon spaghetti, pour changer… Attention aux spoilers, même si l’issue du film ne fait pas de doutes !
…E Dio Disse a Caino
1969
Antonio Margheriti
Avec Klaus Kinski, Peter Carsten, Antonio Cantafora
Gary Hamilton (Klaus Kinski) est gracié. Libéré de son bagne, il s’achète un cheval et un fusil. Alors qu’une tornade se prépare, il se dirige vers la ville où règne en maître Acombar, celui qui l’avait fait injustement condamner aux travaux forcés.
Revoir Et le vent apporta la violence aujourd’hui fut une bonne occasion pour moi de constater les dégâts occasionnés par une trop grande exposition aux mauvais westerns spaghetti, à savoir un décalage vers le bas des échelles de valeur. J’avais en effet vu ce film en video-cassette (sous le titre Un homme, un cheval, un fusil) avant que ne déferle la vague DVD spaghetti des Seven 7 et Wilde Side, et avant le cycle western européen de la cinémathèque en 2001. J’avais trouvé le film agréable, intéressant par les idées abordées (la tempête, la cloche qui sonne sans arrêt, la violence qui n’éclate que très tard…) et assez bien troussé, comme dirait Giré. Mais j’avais également trouvé le film assez vain : c’est finalement une histoire de vengeance classique, qui joue beaucoup sur les effets de réalisation sans réussir à créer une émotivité quelconque à l’encontre des personnages, sans parvenir à rendre captivant le destin des personnages. Il y a aussi cette idée de galeries souterraines sous la ville qui est un peu ridicule (comment Hamilton peut-il être le seul ou presque à en connaître l’existence ?) et Kinski lui-même, un brin décalé dans ce rôle de justicier, qui plus est vêtu d’un haut de pyjama rouge pendant la totalité du film. En deux mots : un western italien moyen, sans plus, loin des frissons de Leone…
Je constate aujourd’hui qu’il s’agissait d’un jugement "normal" d’amateur de cinéma "normal". Le jugement que je portai alors n’a pas à être renié, il est tout à fait valable dans le cadre d’une comparaison inscrite dans le cinéma global, mais c’est ailleurs qu’il faut voir l’intérêt du film. Je me suis rendu compte en revoyant Et le vent apporta la violence à quel point le film est maîtrisé, à quel point chaque détail de réalisation, chaque distorsion sonore, chaque idée incongrue est voulu ! La crédibilité des galeries sous la ville est certes discutable, mais l’effet recherché n’est pas là : il s’agit plus de montrer de façon pseudo-rationnelle comment Hamilton parvient à être partout et nulle part à la fois, en se faisant passer pour un fantôme. Et cet aspect improbable de ces galeries renforce au contraire l’idée qu'Hamilton est peut-être devenu une sorte de fantôme, au sens figuré, usé par dix ans de bagne. Et si Hamilton y rentre par le territoire des morts des indiens, où aucun blanc ne se risque, c’est également pour accréditer cette idée. La dominante fantastique du film ne se résume donc pas aux effets sonores et à la tension croissante au sein de la famille Acombar, elle est inscrite dans le personnage central. Dans ce contexte, le "pyjama" rouge a aussi son importance : Hamilton n’est plus conduit que par son but de vengeance ultime, il n’est plus concerné par les contingences matérielles, il reste donc habillé tel qu’il se trouve au sortir du bagne, ses seules préoccupations liées au monde réel sont un cheval et une winchester (En ce sens, le titre d’exploitation en VHS n’est pour une fois pas trop idiot : Un homme, un cheval, un fusil). Le "pyjama" rouge reste donc sur ses épaules pour souligner que Hamilton est devenu hors de lui, un homme qui a légèrement perdu la raison, au point d’aller se venger sans prendre le temps d'ôter ses vêtements de bagnard. La folie habituelle de Kinski est bien présente ici, bien que de façon moins démonstrative que d’habitude. Il y a la mort fulgurante du serpent à sonnettes au début dans le bagne, il y a la destruction de la girouette du vieil homme et, il y a surtout l’explication avec Dick, le fils Acombar, où Kinski, tout en retenue, bouillonne à l’intérieur. Et force est de constater que pour un « héros », Hamilton n’hésite pas à tuer ses opposants de loin, en sniper, ni à les éliminer de façon assez sadique : l’un pendu à la corde de la cloche, l’autre écrasé par cette omniprésente cloche en chute libre (malheureusement, l’acteur qui se fait écraser n’est pas très convaincant). Par moments, le film fantastique rejoint le film d’horreur, et le casting de Kinski sert admirablement le propos, ce n’est pas tant un « héros » charismatique qui est montré qu’un ange exterminateur qui n'est pas venu pour séduire son monde.
Le scénario, quant à lui, manque sans doute d’éléments propres à rendre attachants les personnages, mais là aussi c’est a priori voulu, ou du moins cela sert le propos : Hamilton n’est pas attachant car il n’est presque plus humain. Son calvaire au bagne ne peut pas nous affecter ni nous apitoyer, il n’est plus de notre monde. Acombar représente, lui, toute la lâcheté du scélérat pris au dépourvu : l’Acombar triomphant du début finit par perdre la tête, descendre son propre fils, mourir dans les flammes. La femme d’Acombar, ex-femme d’Hamilton, elle aussi coupable, tente bien de séduire Hamilton à coup de cuisses dénudées, mais ça ne marche pas sur les vengeurs désincarnés. Il n’y a que le fils Acombar, ignorant des turpitudes passées de son père, qui se rapproche un peu du spectateur, mais quand il rejoint son destin, il devient tout aussi transparent que les autres, une marionnette qui se doit de jouer son rôle. Comme une tragédie où tout est écrit à l’avance, les personnages font ce que leur rôle leur dicte de faire, et ce que Sergio Leone dit d’Il était une fois dans l’Ouest s’applique à merveille ici: « Tous les personnages du film […] sont conscients du fait qu’ils n’en sortiront pas vivants. ». Et comme toujours dans le western spaghetti, notre ange blond se fait aider par les boîteux et les exclus du lieu, qui trouvent eux aussi, à travers la mort, l’expression de leurs destins.
Antonio Margheriti, déjà auteur d’un Avec Django la mort est là intéressant mais moins réussi, signe ici un western spaghetti que tout amateur doit rechercher, pour se remettre des Justicier du Sud, Triomphe des sept desperadas et autres Pistolets pour un massacre dont il doit se contenter la plupart du temps… Crépitement du vent, bois qui grince salement, coups de feux qui font sursauter le père Acombar, la cloche qui sonne sans arrêt au loin, le prêtre qui fait chanter son orgue presque au-delà de la mort, Dick, le fils Acombar, qui fait remarquer, incisif et lucide, « on dirait ce soir que l’ivresse est contagieuse », l’indien trahi par une goutte d’eau qui cesse de tomber : en plus d’être très réussi formellement, Et le vent apporta la violence n’est pas avare de ces pépites que l’on trouve dans tous les westerns spaghetti.
J’attends une édition DVD française pour remplacer ma VHS chérie qui peine, qui peine…d’autant que la VF est très réussie!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire