Foin d’introduction longue et prétentieuse. J’ai envie de parler un petit peu de tous ces petits détails que j’adore dans Le Bon La brute et le truand. Il ne s’agit pas ici d’évoquer les scènes cultes du genre « Quand on tire on raconte pas sa vie », les pendaisons à la corde coupée, les soldats bleus devenus gris de poussière ou encore le montage exotique du revolver de Tuco. Non, je veux exposer ici tous ces petits détails sans importance, souvent vraiment sans importance - d’où un article totalement inutile - mais qui font généralement le sel des grands films.
Le cabot qui traverse
C’est un des tous premiers plans. Un chien errant traverse, au loin, pendant que deux cavaliers approchent d’encore plus loin (prévoyez un grand écran !). Le chien errant évoque les pays pauvres, il rappelle l’Espagne des années 60 ou l’Italie du Voleur de bicyclettes. En temps de guerre, le chien errant pullule. Il incarne également la destinée des trois personnages principaux du film : des vagabonds qui errent à la recherche de la bonne occasion. A l’aide de cette seule pauvre bête, Sergio Leone plante donc son décor et ses personnages ! On retrouve un autre chien errant dans les pattes de Tuco, à la fin, dans le cimetière, ainsi qu’un autre dans le fort dévasté visité par Lee van Cleef dans une des scènes ajoutée dans la nouvelle édition DVD.
Tuco qui passe à travers la fenêtre
Tuco a descendu les trois rascals qui voulaient sa peau lors de la scène d’ouverture. Il pourrait finir son bout de viande tranquille et sortir par la porte. Non, il fracasse la fenêtre, révolver d’une main, bout de bidoche de l’autre. Il passe par la fenêtre parce qu’il se doute que d’autres chasseurs de prime pourraient être dehors en embuscade (il a peut être vu La horde sauvage), il cherche donc à créer un effet de surprise. Mais il garde sa barbaque à la main, parce que sa condition de bandit errant doit lui procurer des repas maigres et rares. En une scène, Sergio Leone introduit la technicité et la condition de fuyard permanent de Tuco.
L’âne qui continue tout seul
Quand le petit garçon (déjà vu dans Et Pour Quelques Dollars de plus) voit Sentenza (Lee Van Cleef) approcher, au loin, il saute de son âne pour prévenir son père. L’âne continue sa course, seul, autour de la noria. Puis il s’arrête quelques pas plus tard, parce que quand même, faut pas déconner, il va pas travailler pour rien l’âne. Pour ça, je l’aime bien cet âne. Un âne c’est moins stupide que ça en a l’air.
Sentenza qui mange
Sentenza vient tuer sa proie à l’heure du déjeuner. Sa proie lui offre vainement de partager sa table. Les ustensiles sont rustiques : terre cuite, bois, mais la bouffe en a l’air plus bonne encore. Chez Sergio Leone, on ne mange pas dans du Guy Degrenne, et c’est tant mieux. Sentenza mange sans savourer. Lui n’est pas seulement un excellent technicien du meurtre. Il est devenu une machine. Remarquons que plus tard, il tue son commanditaire à l’heure où l’on dort, et que encore plus tard, il fait aussi torturer Tuco après un plantureux repas. Quel salaud quand même ce Sentenza !
La première ligne de dialogue à 10 minutes 20
Oui, 10 minutes avant d’entendre Baker parler. Pas de doute, il s’agit bien d’un film de Sergio Leone. Dix minutes où le temps est interminable, étiré, distendu, et pourtant, on ne s’y ennuie point ! Soit on aime, soit on aime ! Enfin en tout cas, quand on aime, on aime !
Sentenza qui maltraite une dame
Lee Van Cleef baffe copieusement Maria pour lui soutirer des informations. Dans tout western italien qui se respecte, ou même dans n’importe quelle bisserie de cette époque, il y aurait au moins eu tentative de viol pour satisfaire les pics de testostérone du spectateur mâle alpha. Mais pas chez Sergio Leone, Sentenza est une machine donc, dénuée de toute pulsion de domination sexuelle. Seule l’information l’intéresse. Sentenza, c’est en fait Terminator. Une scène coupée explique comment Sentenza a été envoyé en 1984 pour tuer Sarah Connors, mais à la suite d’une erreur de programmation il se retrouve en 1862. Du coup il passe le temps jusqu’à ce que Sarah Connor naisse.
Le brin d’herbe dans la bouche
Trois types patibulaires capturent Tuco. Blondin les provoque en duel et les décime grâce à la sale tricherie de la poche trouée. D’emblée on sait que « Le Bon » n’est pas vraiment bon. L’une des trois trognes a un brin d’herbe dans le bec (Manuel Bermundez d’après le site Shobary’s Spaghetti Westerns - http://spaghettiwesterns.1g.fi/). On peut imaginer que le comédien avait mis lui-même ce brin d’herbe dans sa bouche et que Leone lui a demandé de le garder pour rajouter un détail pittoresque. Allez savoir ce qu’est devenu ce brin d’herbe aujourd’hui. En tout cas, pour moi, le brin d’herbe est la star de cette scène.
Viol d’une jeune fille de race blanche
C’est l’un des méfaits reprochés à Tuco avant sa pendaison. Pour insister sur le fait que si Tuco peut paraître très sympathique comme ça avec ses airs ahuris de bouffon, il est loin d’être un ange, et que contrairement à Sentenza, il n’est pas une machine non plus. La mention « de race blanche » est intéressante par son authenticité. A l’époque, le viol d’une indienne ou d’une noire était un méfait de si peu d’importance qu’il fallait préciser « de race blanche » pour que ça soit pris un peu au sérieux.
Tuco qui saute en croupe derrière Blondin
Quand Blondin coupe la corde de Tuco, il part immédiatement au galop, sans se retourner. Tuco court derrière et saute en croupe. Naturellement, les deux hommes n’ont pas besoin de communiquer entre eux pour réaliser cette manœuvre, Blondin modère l’allure de son cheval juste assez pour permettre à Tuco de sauter à l’arrière, Tuco sait exactement à quel moment il devra s’agripper, car ce sont des hommes de l’Ouest, des vrais. Ils n’ont pas lu Rousseau, ils ne se demandent pas si les fayots forment un repas équilibré où non, et ils connaissent bien leur boulot.
Tuco qui boit à l’abreuvoir
Après une traversée du désert un peu sèche et une traversée de pont un peu branlante, Tuco se jette dans l’abreuvoir d’un patelin quelconque. Ou plutôt non justement, il ne se jette pas. Un mauvais réalisateur aurait montré Tuco se vautrant littéralement dans l’abreuvoir. Sergio Leone montre un gars expérimenté dans la course à la survie, un homme qui sait qu’il ne faut pas boire trop vite quand on est déshydraté à 99%. Ce sont de petits détails comme ça qui permettent de revoir un film mille fois sans se lasser!
Tuco fait son show et démâte les trois cibles du petit vieux en six coups de six-coups en kit. En dehors de la réussite de la scène elle-même, on remarque que les trois cibles représentent des guerriers indiens. Les indiens sont totalement absents des westerns de Leone, et cette représentation factice d’un des codes le plus connu du monde du western crée une étrange mise en abyme à l’intérieur même du film. Les indiens dessinés sur les cibles renvoient au mythe, comme si les indiens étaient déjà une légende abstraite dans l’Ouest de Leone. Une autre façon de démystifier le western.
C’est la chambre 4
Sous la menace, le tenancier huileux indique à Tuco et ses hommes que Blondin se trouve dans la chambre 4. Tuco répète à ses trois acolytes, au cas où ils n’auraient pas entendu : « C’est au 4 ». Pourquoi répéter cette information ? Pour jouer au chef ? Pour donner l’ordre indirect de monter le descendre ? En tout cas je le remarque à chaque fois.
Les bouteilles de gnôle
Dans tout le film, les bouteilles d’alcool sont protégées par une nasse en osier – ou quelque chose d’approchant – qui permet de faire la guerre avec ou de les faire rouler du haut d’une dune jusqu’à la tête de Blondin sans risquer de les casser ! On voit que dans ce monde de fureur et de violence, on gardait curieusement le sens des priorités. Les populations civiles n’étaient pas protégées contre la destruction, l’alcool si…
Blondin à quatre pattes
Juste avant la bouteille qui roule du haut de la dune, Blondin est parti à quatre pattes de l’endroit où Tuco se lave les pieds, puis il titube et trébuche jusqu’en bas de la dune. Mais avant de se mettre en route à quatre pattes, Blondin jette un regard de mépris presque désintéressé vers Tuco, en peu comme un chat regarde les gens dont il n’a que faire avant d’aller se coucher sur le radiateur. Le regard c’est ce qui reste à l’homme quand il n’est presque plus rien. Blondin part à quatre pattes parce qu’il est à bout de forces, mais son regard indique qu’il est encore un homme, car Tuco n’a pas réussi à le briser et à lui enlever sa dignité.
Tuco qui arrête une carriole emballée
Observez juste la façon dont il s’y prend pour stopper l’attelage fourbu. Il se cramponne à l’un des chevaux en lançant ses jambes en avant, puis une fois les chevaux à l’arrêt, il les calme un à un avec des petites tapes réconfortantes. Désolé, mais dans les blockbusters actuels, on ne voit pas ce genre de petites choses qui font « vrai », on met des millions de dollars dans des détails SFX, mais on oublie un peu de se creuser la tête pour faire en sorte que les personnages vivent réellement dans le monde factice qui est crée.
Sentenza, Tuco et Blondin se connaissent
Tuco reconnaît Sentenza dans le camp Nordiste, Blondin semble le connaître aussi, encore qu’avec son visage impassible, il soit difficile de se prononcer avec certitude. Sentenza évoque le bon vieux temps et les vieux amis avec Tuco. Mais quand diable se sont ils rencontrés ? Dans les scènes perdues à jamais ? Quand Blondin rencontre Tuco au début du film, il est clair que les deux loustics ne se connaissent pas. Alors, quand ont-ils connu Sentenza ? Mystère !
Tuco qui attend un train
Pour se débarrasser de la chaîne qui le lie au défunt Mario Brega, Tuco attend qu’un train passe et coupe la chaîne. Il est amusant de constater que juste avant le passage du train, Tuco prend la peine de bien positionner la chaîne en l’aplatissant bien sur le rail, comme si cela allait améliorer la surface d’impact. C’est tout à fait remarquable du jeu constamment expressif d’Eli Wallach sur ce film. Encore une fois, remarquons le professionalisme du bandit qui profite doublement du train en sautant dedans plutôt que de continuer à pied. Moi je n'y aurais pas pensé! A noter que dans cette scène, le comédien a failli mourir à cause du marchepied du train qui n’est pas passé loin de sa tête.
Tuco qui prend un bain
Tuco ne doit pas souvent prendre de bain, alors quand il le fait, il vide tous les pots de savon et de trucs moussants dans la baignoire, sans distinction. Habile cavalier, fin tireur, mais pas très au courant des normes en haute société. Et dans le fond il fait un peu envie. Ça doit être marrant de vider toutes les fioles de parfum et autres fanfreluches dans une baignoire !
Blondin qui caresse un chat
On apprend quelque part, dans les bonus ou ailleurs, que cette micro-scène où Blondin caresse un petit chat a été réalisée pour humaniser un petit peu le personnage de Clint Eastwood, au même titre que la scène ou il assiste un soldat dans ses derniers instants. Sauf que à bien y regarder, Blondin n’en a rien à secouer de son chat, il le balance au bout de trois secondes, et le soldat sudiste ne lui inspire pas plus de pitié. Il le couvre et lui file son cigare parce que c’est des trucs qui se font, mais il fait ça mécaniquement, sans âme et sans conscience humaine. Le soldat pourtant, est irréprochable de pathos et de tremblements tire larmes.
Blondin qui reconnaît le bruit de l’arme de Tuco
C’est une erreur connue du film. Blondin reconnaît le bruit du revolver de Tuco alors que celui-ci vient de s’évader en envoyant Mario Brega ad patres sous les roues d’un train. Il est donc tout à fait improbable qu’il ait réussi à retrouver exactement la même arme avec exactement la même sonorité, d’autant plus que son revolver était un mix de Colt, de Remington, de Navy etc… En même temps, malgré l’erreur, il aurait été dommage de se priver de cette idée : les aventuriers de l’ouest sauvage se reconnaissent entre eux au bruit que font leurs armes, comme les chiens se reconnaissent à l’odeur.
Blondin est artificier
Quand Blondin tire au canon sur Tuco, il a la chance de trouver un canon non seulement chargé, mais en plus dont la hausse est correctement calculée pour toucher Tuco au plus prés. Blondin recharge en un temps record, et de nouveau la hausse est parfaite. C’est pas grave, la scène est chouette, le film est magnifique !
Le doigt coupé de Lee Van Cleef
Pendant la scène du duel final, on a des gros plans à répétition sur le majeur de Lee Van Cleef, dont une articulation manque. Rien à dire de plus. Là où certains auraient pris la peine de camoufler ce léger défaut, Leone sait l’utiliser à son avantage, comme il sait utiliser le physique des figurants et gueules cassées pour créer le spectacle.
Et voilà c'est tout. Juste des petites choses, rien de transcendant! Mais ça ne fait pas de mal de partager ces petits trucs qui continuent à assurer le spectacle quand on a vu un film de si nombreuses fois.
Bel article, je suis tout à fait d'accord : les tout petits détails font les très grands films.
RépondreSupprimerEt bravo pour ton blog, très agréable à lire !
oui bon article, ça fait du bien de savoir que l'on n'est pas le seul à avoir remarqué toutes ces petites choses.
RépondreSupprimerbravo et merci pour ce review du film .
Le monde se divise en deux catégories : il y a les gens qui ont vu ce film et qui en sont fans à vie, et il y a les petits, les médiocres...
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