Sergio Leone
Il Colossi di Rodi
1961
Avec Rory Calhoun, Lea Massari, Georges Marchal, Conrado San Martin, Angel Aranda, Mabel Karr, Georges Rigaud
Un héros grec nommé Dario arrive en visiteur à Rhodes. Rhodes est sous la coupe d’un tyran qui compte sur la fameuse merveille du monde - une immense statue de colosse qui enjambe l’entrée du port - pour défendre l’île. Des rebelles tentent d’intéresser Dario à leur cause, mais celui-ci préfère courir le jupon. Entraîné petit à petit malgré lui dans des histoires de complot, Dario finit par prendre parti. Mais de tout cela il ne faut guère se soucier, car un tremblement de terre va mettre tout le monde d’accord.
Dans ses conversations avec Noël Simsolo, Leone présente Le Colosse de Rhodes comme un autodafé, une tentative de déconstruction du péplum. Il cite La mort aux trousses, indique avoir fait le contraire de tout ce qu’il faut faire en matière de péplum, tout en ayant respecté les éléments de base du genre (complots, cirque, tremblement de terre).
Ces éléments sont repris dans à peu près tous les textes que l’on peut lire sur le film, pourtant sans jamais que les auteurs ne citent d’autres références au péplum pour étayer le propos. J’avais pourtant le souvenir concernant ce film d’un « banal » péplum comme les autres, et de l’avoir revu récemment ne me convainc pas vraiment du caractère particulier de ce film ci. Bien sûr, je suis encore moins un spécialiste du péplum que je ne le suis du western, mais j’en ai néanmoins vu quelques uns (principalement pour le plaisir, je l'avoue, de voir des acteurs de western spaghetti en jupon, par exemple Mario Girotti alias Terence Hill dans Carthage en flammes (1960) de Carmine Gallone). Ces quelqes péplums que j’ai pu voir confirment pour l’instant mes craintes : ne serions nous pas tentés a posteri de donner un sens nouveau au Colosse de Rhodes, en croyant voir l’ébauche de ce que Sergio Leone réussit à faire au genre western, appliqué ici au genre péplum? Car par exemple, le film Hercule à la conquête de l'Atlantide (1961) (Vittorio Cottafavi), me semble aller beaucoup plus loin en terme de déconstruction du genre, ou en terme de « choses à ne pas faire » selon votre inclination. La bagarre initiale pleine d’humour, le monstre en plastique, les surhommes sans sourcils et le lien avec Pierre Benoit me paraissent plus retourner le péplum que ne le fait Le Colosse de Rhodes (et en plus dans cet Hercule, il y a Gian Maria Volonte qui joue de la lance…). Mais je m’arrêterai là en termes de références sous peine d’assécher rapidement ma pauvre culture péplumique et d’en arriver à citer Ben Hur ou Gladiator.
Le Guide des films sous la direction de Jean Tullard, à propos du Colosse de Rhodes.
La citation ci-dessus constitue en fait la phrase principale de la critique du Colosse de Rhodes dans LE GUIDE DES FILMS. Elle laisse rêveur et mérite qu’on s’y attarde. En effet, quand on tente de rattacher à tout prix Le Colosse de Rhodes à la filmographie ultérieure de Sergio Leone, on n’a à sa disposition que deux directions possibles : soit on considère que Le Colosse de Rhodes est un western ; ce qui est simple car cela ne fait qu’un seul film à analyser, soit on considère que tous les westerns de Sergio Leone sont des péplums, ce qui suppose une analyse un peu pus longue que le temps d’une pause café.
Néanmoins rien ne nous empêche d’essayer :
Néanmoins rien ne nous empêche d’essayer :
En effet, toute la séquence où Dario chevauche la nuit suivi par une femme mystérieuse rappelle Clint Eastwood qui court-circuite les Rodos dans la montagne, dans Pour une poignée de dollars. Dario qui découvre les rebelles massacrés évoque furieusement Frank qui retrouve ses hommes tués près du train dans Il était une fois dans l’Ouest. Enfin le sadisme des jeux du cirque ou autres tortures se retrouve dans bon nombre de westerns spaghetti.
En fait l’analyse n’est pas plus longue : les duels ont lieu dans des arènes, il y a des motifs grecs sur le poncho de l’homme sans nom, l’espèce de gant du manchot ressemble à un accessoire de gladiateur, heu…
Où l’on s’aperçoit donc qu’il est facile de balancer une phrase du style « Leone n’a fait que des péplums » ou « Le Colosse de Rhodes est un western » pour faire le mariolle, mais qu’il est beaucoup plus difficile de l’accréditer avec sérieux. Qu’il y ait des chevaux dans la plupart des péplums n’en fait pas des westerns, que la violence et le sadisme aient été très présents dans le cinéma populaire italien, du péplum au polar urbain, ne veut pas dire que tout se ressemble. D’autre part, les références au western classique sont si nombreuses dans les westerns de Sergio Leone qu’il semble vraiment vain de dire avec aplomb « Leone n’a fait que des péplums ».
Toute cette trop longue digression pour dire qu’il serait temps d’arrêter de vouloir plâtrer d’une façon ou d’une autre Le Colosse de Rhodes dans la continuité westernienne de l’œuvre de Sergio Leone et de se pencher un peu sur le film.
Il s’agit donc d’un péplum, genre où les acteurs doivent avoir de gros bras et de grosses jambes pour être crédibles, ce qui conduisit d’ailleurs Alain Delon à n’en tourner aucun. Ce qui frappe avant tout, c’est l’ampleur des moyens dont disposait Sergio Leone pour son premier film : figurants par milliers, pieds et torse du colosse grandeur nature, tremblement de terre très impressionnant. La crédibilité de l’entreprise est parfaite, de l’inauguration du colosse au « twist » des esclaves qui se trouvent en fait être des guerriers ennemis en infiltration. Les combats sont tous très maîtrisés à l’exception d’un ou deux passages sur le colosse. Tous les poncifs ou presque sont réunis (il ne manque que la vallée avec des victimes du choléra) sans que l’on ne ressente d’ennui ni non plus d’exaltation particulière. Les acteurs sont bons et aiment à sourire de manière virile. Comme le dit Leone, Rory Calhoun a une présence nonchalante qui tire vers la comédie. Pendant environ la moitié du film il est un anti-héros qui navigue à vue avant d’être rejoint par l’Histoire. Le scénario ne manque pas de rebondissements qui n’ont rien d’artificiels mais qui paraissent presque surannés, tout comme la plupart des dialogues (voir les déclamations du vieil architecte sur l’utilisation mauvaise qui est faite de ses machines). Au lieu d’être un autodafé, Le Colosse de Rhodes me semble être au contraire un parfait représentant du genre, à mi-distance entre les méga-productions américaines et les petits films fauchés et mal foutus. Avec suffisamment de rythme et de fraîcheur pour tenir la distance encore aujourd’hui, mais avec un manque évident d’audace et d’inventivité pour en faire un grand film. A peine sorti d’une très longue période d’assistanat avec les plus grands, ayant tout juste fait ses armes de réalisateur sur Les derniers jours de Pompei de Mario Bonnard, Sergio Leone ne révolutionne rien avec son premier film mais signe une première œuvre très maîtrisée, étant donnée l’ampleur du budget et du grand spectacle à assurer. Comme une manière de dire : « Regardez, ce que les plus grands font, je peux le faire aussi. Si on passait à autre chose ? »
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