Attention spoilers...
Les deux premiers Jason Bourne, finalement, étaient de formidables films d’action parce qu’ils relevaient du fantasme. La Mémoire dans la peau ressassait ce vieux fantasme de l’homme normal qui se révèle être un tueur indestructible. Ce thème a été exploité de très nombreuses fois, sous les formes les plus différentes, de la BD XIII (déjà pompée ailleurs par Van Hamme) au héros de A History of Violence. Ce qui marchait bien, finalement, c’était de s’identifier à ce type, au début presque comme monsieur tout le monde, et de réaliser avec joie qu’on disposait des moyens physiques, intellectuels, techniques et technologiques pour foutre la pâtée à tous nos ennemis. Ajoutez à ça une romance plutôt bien vue (malgré cette stupide scène de sexe totalement stéréotypée) et le suspens de l’intrigue (qui, quoi, comment, pourquoi, un réservoir de fuel explose t il réellement si on tire dessus avec un fusil de chasse ?) tout à fait conventionnelle mais bien menée, et vous passiez un agréable moment. Le petit plus, la valeur ajoutée par rapport à ce qui aurait donné un film d’action classique, c’est d’une part, l’acteur Matt Damon, vraiment bon et crédible, et d’autre part, un certain retour à plus de réalisme dans les scènes d’action et dans le déroulement des péripéties, ce réalisme allant également se nicher dans cet étonnant éventail de lieux européens où l’action se déploie. Un film d’action américain qui ose vraiment voyager en nous évitant les clichés, c’était agréable à voir. La mémoire dans la peau fut vraiment une bonne surprise, un divertissement calibré et efficace. Certains auraient peut-être voulu y voir plus que ça, mais les bonus du DVD les détrompaient bien vite. On y apprenait, si ma mémoire est bonne, que deux fins légèrement différentes ont été tournées, une par sensibilité présumée de l’opinion publique américaine vis-à-vis des assassinats secrets de la CIA après les attentats du 11 septembre 2001. Si le public avait réagi contre (« bouhhh, les salauds, ils exécutent des gens à l’étranger, sans procès et sans contrôle : pas bien ! ») on mettait la fin montrant que bouh c’est pas bien. Si le public avait dit « Ouais, faut tous les buter un par un, on s’en fout du droit international ! », alors on mettait la fin montrant que ouais c’est pas si grave, l’intérêt de la nation passe avant tout, bla bla bla… Quelque soit votre opinion et la fin finalement choisie (la différence est de toute façon assez subtile), ce genre de « prévoyance » montre bien les limites du cinéma de divertissement qui cherche à faire passer le message en vogue du moment plutôt que celui des auteurs (scénaristes, réalisateur).
Dans le deuxième film, La mort dans la peau, fini le fantasme du monsieur tout le monde indestructible, puisque on sait désormais que Jason Bourne est un tueur méthodique, calculateur, opportuniste, sur-entraîné et sur-intelligent. Paul Greengrass va alors combler ce manque par un deuxième fantasme : celui de la toute puissance technologique et de l’omnipotence intellectuelle. Bourne maîtrise tout, entre partout, perce tout et déjoue tout le monde. Son amnésie, qui devrait à chaque fois le jeter dans la gueule du loup devient au contraire son principal avantage, ses adversaires ne sachant jamais quel va être son prochain lieu de déplacement (alors que justement, connaissant son handicap, ils devraient pouvoir deviner facilement ce qu’il va faire, mais bon…). Avec un simple téléphone portable, Bourne remonte la piste vers ses adversaires tout en ouvrant une voiture. Les caméras sont ses alliées, et plus les lieux sont enchevêtrés et complexes, plus il maîtrise (la poursuite à pied qui se finit dans le métro). C’est le fantasme de rêve pour tous ceux qui n’osent pas passer une porte sans se demander si c’est privé ou interdit au public, pour tous ceux qui ne trouvent jamais ce qu’ils cherchent sur Internet : allez voir La mort dans la peau, vous maîtrisez la complexité technologique de ce monde. Bien sûr, le réalisme du premier volet en prend pour son grade, bien que les combats et les poursuites gardent un minimum de vraisemblance.
Coté scénario, finie la romance, on se concentre sur l’action pure. Malheureusement, le cœur de l’intrigue a peu d’importance. Le pourquoi du comment Jason Bourne est à nouveau menacé, et la question de savoir qui est le traître à la CIA n’offrent pas une trame suffisamment riche pour faire un grand film, ce qui se constate en regardant le film plusieurs fois : il n’y a finalement guère que les excellentes scènes d’action pour retenir l’attention, avec cette fois un méchant tueur de taille (celui qui tue la fiancée de Bourne) et une adversaire/alliée bureaucratique assez complexe : Pam Landis. L’exploration du coté humain de Jason Bourne suit son petit bonhomme de chemin, sans vraiment d’éclat (Jason Bourne continue à être le robot monolithique du début), mais la scène finale face à la fille de son premier contrat montrait tout de même une certaine émotion. Au final, La mort dans la peau était donc une bonne suite, rattrapant la faiblesse d’un scénario ne révélant pas grand-chose par un fantasme technico-délirant laissant le spectateur fatigué par tant de prodiges Bourniens. Bourne le super-héros commençait légèrement à manquer de crédibilité, mais on en redemandait encore.
Dans le troisième, on allait donc voir ce qu’on allait voir, la fin du cycle, la résolution du mystère (heu… quel mystère au fait ?). Jason Bourne is back home. Il commence plutôt bien ce troisième volet, puisque plutôt que d’inventer une troisième raison bancale pour justifier le retour aux affaires de Jason Bournes, La vengeance dans la peau reprend à peu près là ou La Mort dans la peau se terminait. On pourrait même dire d’emblée que le film se termine bien également, puisqu’en sortant de la salle, vous avez exactement la même attitude qu’en sortant des deux premiers : vous marchez vite et droit, vous repérez les mobylettes qui passent, vous rentrez par un autre chemin pour tromper l’ennemi et vous serrez les poings dans vos poches, prêt à en découdre avec le premier qui fait mine de vous suivre. Mais une fois l’adrénaline retombée, il faut bien se rendre compte de l’évidence : Paul Greengrass n’a pas su créer de troisième réservoir à fantasme avec ce troisième volet : le fantasme du monsieur tout le monde indestructible opère évidemment encore moins que dans le deuxième volet, le fantasme de la toute puissance technologique commence à faire bâiller, et c’est à peine si on est surpris à deux reprises : le repérage par Echelon du mot clé qui déclenche tout, et le pourquoi donc Jason Bournes pique du linge sur les toits de Tanger alors qu’il est poursuivi par la police. A ces deux exceptions près, la surenchère technologique et les prouesses de Bourne ne font même plus hausser un sourcil. Depuis 24 heures chrono, on est habitué à voir des salles de machine contrôler l’ensemble des caméras et des satellites du monde entier. Depuis La mort dans la peau, on est habitué à voir Jason Bourne entrer n’importe où, et quand il ressort du bureau du traître (tiens putain ce qu’il y a comme traîtres à la CIA, ça fait plaisir de revoir Scott Glenn (le chef du traître), mais il a bien vieilli, faudra pas compter sur lui pour un Silverado 2), c’est à peine si on a fait attention à la manière dont il s’y est pris. Bourne est désormais en God-mode, il passe à travers les murs, il réchappe aux pires accidents de voiture indemne, il fait des chutes de 300 m dans l’eau avec une balle dans le dos et s’en va tranquillement en apnée vers sa quatrième aventure (peut-être). Les scènes d’action sont aussi époustouflantes que dans le deuxième volet dans la mesure où elles sont quasiment identiques : même baston avec un tueur, même course poursuite qui se finit de façon identique. Bref, on ne s’ennuie pas, mais c’est loin d’être l’extase primitive et brute des deux premiers opus.
Les fameuses révélations sur son passé auraient pu être le nœud de l’histoire, elles auraient pu recentrer l’attention sur un personnage largement déshumanisé au cours des trois films, mais il n’en est rien. La révélation que Jason Bourne avait lui-même choisi sa carrière de tueur ne font finalement ni chaud ni froid au spectateur, tant les tourments intérieurs du personnage sont ignorés au cours du film. La révélation de la relation passée avec Nicky aurait pu, elle, donner une dimension autre au film, un aspect tragique et désespéré, Bourne réalisant que son passé ne lui reviendrait jamais et qu’il n’aurait jamais une vie normale. Mais les scénaristes préfèrent se débarrasser de Nicky, alors que sa présence donnait du piment au film. Dommage. Vraiment dommage. La vengeance dans la peau reste un très bon divertissement, mais la série s’essouffle. Si un deuxième cycle devait être tourné, il faudrait freiner la surenchère, recentrer l’intrigue sur l’humain, ne pas mettre à nouveau un complot qui englobe tout (en fait Blackfriar englobait Treadstone, et puis quoi ensuite, un complot par le chef de la CIA, puis un complot par le président des Etats-Unis ?) et penser à renouveler la grammaire des scènes d’action. Mais quoi qu’il en soit, j’irai de toute façon, malgré toutes ces faiblesses, j'ai Bourne dans la peau…
Synchronicité. Un site de SF me renvoie à cette analyse (en anglais):
RépondreSupprimerhttp://www.davidlouisedelman.com/blog/index.php/2007/10/04/bourne-paranoia/
Breccio
Très belle analyse et surtout très,très, bon blog.
RépondreSupprimerJe ne savais pas que toi aussi tu avais une double vie.
On se connaît, "golgoth67" ?
RépondreSupprimerToujours Breccio
Non, mais salut à toi.
RépondreSupprimerJe connais Tepepa de DvdRama.