Un pistolet pour Ringo
1965
D. Tessari
Avec G. Gemma, F. Sancho
Prototype parfait du western spaghetti familial, machine à propulser le mythe Ringo tout en propulsant la star Giuliano Gemma, immense succès populaire, Un pistolet pour Ringo est loin de n’être qu’un petit film rigolo où Giuliano Gemma passe son temps à réclamer un pistolet en VF alors que c’est bien un révolver qu’il voudrait (le titre étant lui correct, puisque c’est bien un pistolet qu’il obtient au final). Propulseur de mythe donc, puisqu’une ribambelle de spagh’ avec Ringo dans le titre suivront après 1965, ce nom aux sonorités si latines – à l’instar de Django d’ailleurs – proposant immédiatement une reconnaissance de style, une version dérivative du western où l’on accentue le caractère espagnol du Grand Ouest plutôt que son essence anglaise. Certes, il y avait bien un Ringo chez John Ford, mais tout de même, intituler un film « Un pistolet pour Ringo », c’est clairement affirmer aux spectateurs qu’ils vont voir autre chose qu’une chevauchée fantastique.
Et c’est bien le cas.
Rupture phénoménale avec le western américain, le nombre impressionnant de morts que Shobary évalue à 59 force l’admiration (au sens artistique évidemment). Car il s’agit de 59 morts réelles, montrées et dramatisées, c'est-à-dire qu’aucune mitrailleuse ne vient renforcer le bodycount en taillant dans l’armée mexicaine, aucune explosion ne vient démolir un escadron entier en quelques secondes. Un mort toutes les deux minutes en moyenne, les péons tombent comme des mouches, les administrés tombent comme des mouches, les bandits tombent comme des mouches. C’est un vrai carnage qui ne marquera pas l’histoire, tant ces morts sont insignifiants. A peine voit-on les larmes d’un enfant brièvement lorsque décidément, il faut bien montrer la méchanceté des méchants. Les autres victimes sont oubliées instantanément dans la bonne humeur, ce qui permet de faire passer cette violence hallucinante pour un spectacle bon enfant que vous pourrez montrer aux jeunes de 7 à 77 ans, la mort devenant ainsi un motif purement divertissant quasiment dénué de toute arrière-pensée négative.
Cette bonne humeur communicative envahit tout le film, malgré le thème pourtant tragique de la prise d’otage. Fernando Sancho sourit, Giuliano Gemma sourit, tout le monde sourit alors que la gravité de la situation et les cadavres qui s’amoncellent devraient au minimum alarmer la veille sanitaire. Le personnage du Shérif (George Martin) qui lui semble s’inquiéter des otages et de la vie des gens semble d’ailleurs totalement décalé : qu’est ce que c’est que ce type qui stresse tout le temps alors qu’il suffit de sourire pour être heureux ? Ces sourcils qui se froncent toutefois de temps en temps quand les mises à morts sont un peu trop cruelles sont vite remplacés par des bons mots, des tournures d’esprit et des astuces de scénarios feuilletonesques. La tentative de viol obligatoire du genre est par exemple préalablement désamorcée par une phrase de Ringo (« Ne vous inquiétez pas, elle est entre de bonnes mains »), tout comme la façon dont le chef est tué à la fin désamorce toute sensation de libération d’une angoisse qui n’a de toute façon jamais vraiment été construite.
Giuliano Gemma impose son personnage de beau gosse athlétique, toujours en mouvement, toujours en action, en témoigne son arrivée galopante dans le ranch des otages, qui se termine par une descente de son cheval en pleine course suivie d’une petite grimpette sur le muret comme le ferait un gosse de quatre ans. Sapé impeccablement, le personnage de Ringo est en effet un gosse qui joue à la marelle et s’amuse de ses adversaires tout en affichant un cynisme et un pragmatisme imperturbable. Son fameux « question de principe » ahané à tout propos en fait au fond un être antipathique qui descend tous ceux qui sont un peu plus antipathiques que lui dans le cadre souvent limite de la légitime défense. Bien sûr on finit par comprendre que Ringo a bon fond et qu’il n’est pas le Judas – style homme sans nom - qui se vend au plus offrant pour 30%, néanmoins, malgré son air propret et son futal qui lui moule avantageusement le postérieur, Ringo est bel et bien un héros de western spaghetti. Cette suspicion d’antipathie ne se retrouve pas dans les autres rôles de Gemma, dans les Wanted, Dollar troué, et autre Retour de Ringo.
Aussi bien que Giuliano Gemma fait Giuliano Gemma, Fernando Sancho fait Fernando Sancho. Grosse bedaine et grande gueule au rire déployé, il descend avec son long colt toute personne amie ou ennemie ayant l’audace de s’opposer à lui. Poncif à lui tout seul du bandido mexicain, Fernando Sancho est le principe même du film, son huile essentielle, sa substantifique moelle. Autour de lui gravitent l’action, la violence et les jeux de dupe. Un peu bête, mais rusé, inquiétant tout en étant jovial en permanence, antipathique tout en étant charismatique, le gros bourru se fait le film à lui tout seul, ou presque. Les rôles féminins sont secondaires mais loin d’être anecdotiques, la confrontation entre Nieves Navarro et Lorella de Luca, la menace permanente qui pèse sur Lorella de Luca et la séduction de Nieves Navarro par Antonio Casas offrent de belles scènes rarement vues dans des westerns spaghetti.
Pour le reste, le réalisateur fait ce qu’il peut avec un budget assez serré, qui sans être ridicule montre clairement ses limites dans les scènes citadines. Sans réelle ampleur, la mise en scène est toutefois de grande qualité et le film se suit avec grand plaisir. La musique signée Ennio Morricone ne fait pas malheureusement partie des grands classiques du maître. Dirigée par Bruno Nicolai, on retrouve bizarrement parfois des sonorités et des ruptures de rythme qui rappellent plutôt le style de musique proposé habituellement par Luis Bacalov. Toutefois la chanson du générique qui se déploie pendant que la bande de Fernando Sancho traverse le Rio Bravo fait le petit effet attendu. Alors que Sancho porte sur son visage un sourire heureux de bonheur qui fait plaisir à voir, bien qu’il vienne tout juste de tuer deux soldats, la scène résume parfaitement le film : un bon petit moment de détente au sein d’un environnement de violence extrême, mais factice.
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