Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci
Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci
2018
Vincent Jourdan
Sergio Corbucci, réalisateur de comédies. On le découvrirait presque, et c'est bien là l'une des qualités primordiales du livre de Vincent Jourdan de nous le rappeler. Installé depuis maintenant bien longtemps dans nos coeurs de cinéphiles amateurs, Sergio Corbucci est le réalisateur désormais culte du Grand Silence, de Django et d'Il Mercenario. On le sait, et on sait que Corbucci a sa place dans le cinéma populaire mondial. On se souvient qu'il a tourné quelques péplums avant, comme tous les réalisateurs de westerns italiens, on se doute bien qu'il a dû toucher au giallo ensuite, ou au Politzei, ou aux deux. On sait qu'il a réalisé un ou deux films du duo Terence Hill et Bud Spencer, on ne sait plus lesquels tant ils sont interchangeables. Ce qui constitue d'ailleurs une raison suffisante pour jeter un a priori négatif sur toute sa carrière post-western.
Vincent Jourdan nous emmène dans un voyage aux sonorités chantantes, un voyage qui se lit d'une traite, dans une filmographie où la plupart des titres ne sont jamais sortis en France et restent donc en langue italienne. Dans la période années 60, des titres aussi évocateurs que Romulus et Rémus, Maciste contro il Vampiro et Le Fils de Spartacus donnent envie de se replonger direct dans le péplum. Côté comédie, on y découvre le légendaire acteur Totò "Il Principe" avec lequel Corbucci tournera de nombreux films, dont des titres incroyables comme Totò, Peppino e... la dolce vita ou Il giorno più corto. Dans les années 70 et 80, on aimerait connaître Il bestione, avec Michel Constantin; on voudrait jeter un oeil curieux au film à sketches Di che segno sei, découvrir Bluff, ce décalque de l'Arnaque, voir ce que donne Il signor Robinson, vision comique contemporaine de Robinson Crusoé où Vendredi serait une femme noire, on voudrait connaitre le Milan des années 70 dans Ecco noi per esempio. Côté giallo, Corbucci semble avoir fait les choses à sa manière dans La mazzetta et Giallo napoletano, cette fois dans les rues de Naples. L'auteur nous apprend l'existence d'un type de comédie des années 30 surnommées "telefoni bianchi" (téléphones blancs) que Corbucci remettra au goût du jour en 1980 avec Non ti conosco più, amore. Corbucci enchaîne les comédies comme A tu per tu ou Rimini Rimini, jusqu'à Night Club enfin, film plus personnel, en 1988, qui semble bien être une de ces pépites qu'on aime à découvrir de temps en temps.
Au delà d'une filmographie forcément mystérieuse car inconnue chez nous, Vincent Jourdan dresse un portrait détaillé du cinéma populaire italien des années 50 à 80, un monde où tout le monde se connaît, se renvoie l'ascenseur, se partage le boulot. L'auteur parsème littéralement son ouvrage de noms qui résonnent dans l'oreille de l'amateur, Giovanni Grimaldi, Enzo Barboni, Benito Stefanelli, Vittori De Sica, Antonio Margheriti, Franco Nero, Mario Bava, Giuliano Gemma, Lucio Fulci, Ugo Tognazzi, Fabio Testi, Ornella Muti et d'autres qui deviennent familiers au fil de la lecture du livre: Totò, Castellano e Pipolo, Steno, Adriano Celentano, Sal Borgese, Barbara Bach, Renato Pozetto, Nino Manfredi, Laura Antonelli et tant d'autres. On assiste à la lente agonie - quoique nuancée - du cinéma italien, aux années difficiles de l'Italie des années de plomb, aux expériences américaines du réalisateur, qui toujours, parviendra à maintenir son succès à travers les époques.
Tout cela est décrit dans la première partie du livre, où Vincent Jourdan écrit de manière limpide et précise, encore plus que dans son blog Inisfree, sans tirer la couverture à lui, s'en tenant dans la plupart des cas aux faits, sans chercher à en donner une analyse qui serait déformée par une vision forcément partielle et contemporaine. Mais dans cet enchaînement vertigineux de lieux, de dates, de noms et de titres, l'auteur parvient malgré tout à susciter un engouement assez incroyable pour le réalisateur, son époque et pour ses méthodes de travail. L'auteur provoque une envie assez folle de lancer immédiatement la machine à télécharger pour découvrir ce monde inconnu et disparu. On comprend tout de suite que l'on n'en aura jamais le temps, et c'est à ce moment que la somme de travail représentée par ce type d'ouvrage apparaît dans toute son ampleur, encore plus pour un réalisateur dont il y a si peu de matière bibliographique existante.
La deuxième partie propose une analyse du cinéma de Corbucci, qui m'a semblé moins passionnante, peut-être parce que beaucoup des éléments abordés apparaissaient déjà en creux dans la première partie, et peut-être aussi parce qu'il manque pour moi une dimension plus critique envers le cinéma de Corbucci et ses faiblesses, qui m'apparaissent, en ce qui me concerne, toujours aussi criantes. Mais on ne va pas reprocher à l'auteur d'aimer le cinéma de son sujet...
Je suis de plus en plus éloigné du petit monde du western, comme on peut le constater à la raréfaction de mes textes sur ce blog. Quand on m'a proposé d'être contributeur au projet de Vincent, c'est plus par amitié (même si on ne se connaît pas personnellement) et soutien à ce type de projet que j'ai accepté de mettre la main à la poche, et non pas pour avoir le marque page spécial et mon nom en police 8 en fin d'ouvrage. Aujourd'hui que j'ai fini de dévorer ce livre, je n'ai aucun regret. J'ai à peine survolé les années western que je connaissais déjà un peu, pour me plonger avec délice dans tout le reste de la filmographie de "l'autre Sergio", de l'Italie des années 50 à 90 et du petit microcosme du cinéma populaire italien. Merci Vincent pour cette découverte!
Désolé d'avoir mis un peu de temps à te répondre ici, je suis très touché de ton texte d'autant que l'idée de ce bouquin trouve son origine dans nos échanges d'il y a quelques années, de blog à blog. Je suis ravi que tu ais envie d'aller jeter un œil sur cette filmographie "invisible " de l'autre Sergio et j'espère que tu ne seras trop déçu par certains titres. En effet, je pense être aussi conscient des limites de notre homme en tant que cinéaste. Il est irrégulier non seulement d'un film à l'autre mais aussi à l'intérieur d'un même film. Mais après tout ça lui permet d'être intéressant même dans ses œuvres plus faibles, encore que pour moi, je ne l'ai jamais trouvé vraiment mauvais. J’étais content d'avoir trouvé cette phrase de Truffaut sur les défauts des films, même s'il ne pensait certainement pas à Corbucci quand il l'a écrite :), ça s'adapte aussi pour les westerns des années trente avec John Wayne jeune ! Alors merci encore et je vais méditer sur le troisième Sergio.
RépondreSupprimerAh tu vas méditer sur le troisième Sergio, voilà une info interessante! A une époque j'avais médité sur William S. Hart qui exerçait une sorte de facination sur moi, mais j'ai laissé tombé l'idée.
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