Comanche Station
1960
Budd Boetticher
Avec: Randolph Scott, Nancy Gates, Claude Akins, Skip Homeier
Ce petit western de série B est le dernier d'une collaboration de sept films entre le réalisateur Budd Boetticher et l'acteur Randolph Scott, collaboration dont la renommée n'a fait que s'accroître avec les ans dans le cœur des fans de western. Ces films, si l'on en croit Wikipedia, se hissent à la hauteur des films de John Ford et d'Anthony Mann et sont de véritables petits bijoux cinématographiques.
Fort de cette réputation, il peut être tentant, à la vision de ce film, de pousser un "bruh" de déception comme le fait mon ado de fils quand il découvre qu'il y a du chou-fleur au dîner. Il faut bien le dire, on est loin de La Prisonnière du désert de John Ford ou de L'homme de l'Ouest d'Anthony Mann, pour ne citer que deux chefs-d’œuvre qui se rapprochent plus ou moins, par certaines thématiques développées, de ce Comanche Station. Budd Boetticher n'a en effet pas la même ambition, pas le même cahier des charges et ne peut se payer ni John Wayne, ni Gary Cooper. Pourtant c'est justement de cette sécheresse de moyen et de son format ramassé que naît l'intérêt de son film. Budd Boetticher et son scénariste Burt Kennedy visent l'efficacité narrative et la simplicité avant tout.
Le premier thème est celui de la femme blanche enlevée par les Indiens. Celle-ci, jouée par Nancy Gates, est échangée par Jefferson Cody (Randolph Scott) contre quelques couvertures et une Winchester. Pleine de gratitude pour son sauveur, la femme échange quelques mots avec lui sur son avenir. Son mari voudra-t-il toujours d'elle? On admire toujours cette manière de dire les choses dans les films de cette époque sans les expliciter totalement. En gros, son mari risquait-il d'infliger à sa femme une double peine, à savoir la répudier, sachant qu'elle avait été très probablement violée par une partie de la tribu? Moins élaborée et tranchée que dans La Prisonnière du désert qui pointe plutôt le risque d'acculturation totale de ces femmes, dès lors qu'elles passaient plusieurs années loin de la civilisation blanche, la thématique prend une autre ampleur lorsqu'on découvre que le personnage interprété par Randolph Scott n'a pas délivré la femme pour toucher la récompense de 5000 dollars promise par son mari à qui la lui ramènerait, mais parce qu'il est lui même à la recherche de sa femme enlevée par les indiens voilà 10 ans. Ainsi, découvre-t-on que notre héros est un de ces fantômes errants, parcourant sans relâche les vastes plaines à la recherche d'une chimère, une femme très probablement morte, mais bien qu'il en soit parfaitement conscient, il ne peut s'empêcher de la chercher, probablement jusqu'à sa propre mort. Tout cela n'est pas détaillé dans le temps très court que dure le film, mais transparaît parfaitement dans le visage buriné et figé de Randolph Scott. Évidemment, on n'atteint pas la force et la finesse des sentiments ambivalents d'un Ethan Edwards joué par John Wayne dans La Prisonnière du Désert, mais on dépasse tout de même en émotion la série B lambda tournée à la chaine.
La deuxième thématique, qui m'a rappelée L'Homme de l'Ouest d'Anthony Mann, est celle d'un couple forcé de cohabiter avec des gens mal intentionnés. Après l'échange inaugural, Jefferson Cody et sa protégée sont rejoints par trois bandits plutôt patibulaires. Le chef de la bande fomente rapidement le plan de se débarrasser de Jefferson Cody pour toucher la prime de 5000 dollars à sa place. Et comme la femme risquerait de témoigner contre eux, il prévoit également de supprimer la femme, puisque le mari offre 5000 dollars même si on lui ramène sa femme morte. La tension monte rapidement dans le petit groupe qui doit d'abord réussir à retourner à la civilisation sans se faire éliminer par les indiens qui rodent. Pas de scène de strip tease forcé ici comme dans L'Homme de l'Ouest, mais de nombreuses remarques du chef des bandits sur la beauté de la femme, sur la lâcheté de son mari qui préfère offrir une récompense plutôt que de partir à sa recherche lui-même, sur le fait qu'elle lui donne envie de se poser et de fonder une famille. "C'est une sacré épreuve de devoir choisir entre 5000$ et vous" dit-il presque menaçant. Mais on n'est qu'au début des années 60. Les méchants à cette époque, savent se tenir et ne sont pas encore les psychopathes à sens unique toujours plus sadiques des films d'aujourd'hui. L'un des bandits exprime même ses doutes et son désir de revenir sur le droit chemin. Le chef lui-même sauvera le héros d'un mauvais pas lors d'une attaque d'indiens. La psychologie de l'ensemble du casting en sort renforcé, et en 74 minutes, le film dresse le portrait d'un groupe humain bien plus riche que certains films ne parviennent à le faire en 2h40 aujourd'hui.
Et quand, après une explication finale qui cette fois ne sort pas des sentiers balisés de la série B pan pan dans les rochers, la scène finale tout à fait inattendue viendra également souligner la force morale de cette femme qui n'a jamais cherché à défendre son mari en expliquant pourquoi il préfère payer 5000$ pour qu'on lui ramène sa femme plutôt que d'aller la chercher lui même, on se dit qu'effectivement, ce petit film vaut beaucoup plus que le simple qualificatif de Série B qu'on est tenté de lui accoler de prime abord.
Captures: https://forum.westernmovies.fr
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