mercredi 24 juin 2009

La dernière chasse


The Last Hunt
1956
Richard Brooks
Avec Robert Taylor, Stewart Granger, Debra Paget

Deux hommes se haïssent et n’en décident pas moins de travailler ensembles pour chasser le bison. L’histoire prend place alors que les bisons, qui étaient des millions avant l’arrivée des blancs, ont déjà presque tous disparus, ainsi que ceux qui en dépendaient : les indiens. Ils sont accompagnés par un vieux skinner (l’homme qui découpe les peaux des bêtes abattues) et par un métis.
Charlie Gilson (Robert Taylor) déteste les indiens. Il aime tuer, et personne ne l’aime. Lorsqu’il épargne la femme indienne (Debra Paget) qui accompagne ceux qui lui ont volé ses mules, ce n’est pas par compassion humaine, mais pour en faire une esclave sexuelle. Taylor excelle dans ce rôle très fort, un brin halluciné, toujours détestable, parfois pitoyable, bien que sans réelles nuances.
Sandy McKenzie (Stewart Granger) est un ancien chasseur de bison écœuré par les conséquences de ses actes. Plus ou moins forcé de recommencer, il ne va pas tarder à s’opposer à Charlie. C’est le bon de l’histoire, son rôle est également taillé sur mesure, mais avec quelques nuances appréciables.
L’opposition entre les deux va se cristalliser autour d’une peau de bison blanc, sacré pour les indiens, et autour du traitement réservé à l’indienne. L’affrontement psychologique est magnifique et fait toute la force du film. On ressort chamboulé du portrait de cet homme qui a besoin de tuer pour vivre, mais qui quémande néanmoins de l’affection aux autres ; et de sa confrontation avec le chasseur désabusé aux prises avec sa conscience. Deux scènes ressortent particulièrement, le meurtre du vieux gouailleur (Lloyd Nolan), qui lance un ironique « bang bang » à son meurtrier, et la scène finale, inoubliable, qui fait froid dans le dos (ha ha). Absence du duel attendu, comme l’a dit un forumeur sur Western movies, ce n’est pas Sandy que Charlie combattait, mais les bisons, les indiens, leurs croyances, toutes ces choses qu’il refusait même d’essayer de comprendre.
Le discours en arrière plan est sans concession. Le massacre des bisons évoque non seulement indirectement le massacre des indiens eux-mêmes, mais aussi de façon non détournée ce moyen très discutable utilisé pour les affamer (what’s wrong with that ? demande Charlie). La mort du bison blanc évoque la destruction culturelle du peuple indien. Les indiens dans les réserves, à mille lieues de l’imagerie habituelle, mourant de faim et dignes. L’image n’est pas sans rappeler les déportés des camps de concentrations. Le jeune métis qui finit par choisir son camp montre qu’il est trop tard, les tentatives pour ces peuples de vivre en paix ont échoué. Même lorsque c’est la fin, même lorsque le peuple indien est décimé, il est impossible d’appartenir aux deux camps. Pas étonnant qu’un tel film n’ait pas eu de succès aux Etats-Unis, tant il met peuple et gouvernements face à leurs responsabilités, quand La flèche brisée délivrait un message d’espoir qui dédouanait la collectivité. Pas étonnant non plus que ce film ait une aura super respectable en France, tant on aime bien par chez nous dénoncer les pêchés originels des autres sans mettre le nez dans les nôtres. Ce qui ne doit pas vous empêcher d’apprécier ce film pour ce qu’il est, un bon moment de cinéma, une plongée dans l’inconscient collectif américain, qui n’a pas pris une ride.
Capture: Western Movies

vendredi 19 juin 2009

La chevauchée sauvage



Bite the bullet

1975

Richard Brooks

Avec James Coburn, Gene Hackman, Ben Johnson, Candice Bergen


Le titre français paraît mauvais
, il évoque les titres de l’âge d’or alors que le film date de 1975. La chevauchée fantastique, La charge héroïque et maintenant La chevauchée sauvage. Le titre anglais (mords la balle) est plus grinçant. Il fleure bon l’absence de concessions des années 70. Il fait penser aux films américains de ces années là qui n’avaient peur de rien. Mordre la poussière, aurait peut-être fait une bonne traduction, bien en phase avec le thème de l’intrigue. Ou pourquoi pas On achève bien les chevaux, film avec lequel Bite the bullet partage une compétition sportive idiote. Une course dont le caractère principal est de broyer les laissés pour compte qui espèrent vainement gagner le pactole.

Et pourtant, ce titre français est bien trouvé. A Western Classic in the tradition of 'Shane' and 'High Noon' disait l’accroche, et en effet l’histoire est émouvante, l’histoire est belle. Elle met en valeur, le courage, l’abnégation, et même un peu le panache militaire (quoique démystifié lors du long monologue de Hackman). Tout en critiquant l’esprit winner à tout prix et le goût de la gloire pour la gloire. Richard Brooks a vraiment essayé de retrouver l’esprit de ces films là, sans trop céder aux sirènes du désenchantement réalistico-craspec. Il traite du thème en vogue de la fin de l’Ouest et de sa nostalgie corollaire, mais sans forcer le trait ni l’outrance dans l’ultra-violence. « On y va à la sauvage » demande Hackman à Coburn avant de rosser le jeunot. Coburn pourrait acquiescer, pour céder au jeunisme, mais il répond non comme pour dire : ceci est encore un film à l’ancienne ! Ben Jonhson, le héros Fordien, meurt trempé et sans louanges et on pleure. Pas de plus belle déclaration d’amour au classicisme que de faire mourir l’une de ses figures emblématiques comme un vieillard digne.


C’est une histoire de course de chevaux à 2000 dollars, c’est aussi une déclaration d’amour pour les chevaux. Gene Hackman aime les chevaux. J’avais complètement oublié que j’avais vu ce film, mais je n’avais pas oublié Gene Hackman forçant un jeune freluquet à enterrer le cheval qu’il a épuisé en course. Je n’avais pas oublié non plus le final, avec ces chevaux plein d’écumes, à bout de souffle. Je n’avais pas remarqué à l’époque que le film souffre d’un certain nombre de défauts narratifs. Les chevaux écumant de fatigue tombent comme un cheveu sur la soupe alors qu’ils ont l’air fringuant pendant tout le reste du film. Le personnage de Gene Hackman se retrouve soudain devant tout le monde alors qu’il est derrière pendant tout le film. La progression de la course est confuse, désordonnée. L’intermède loufoque avec les forçats est presque incompréhensible. Pour autant le final est magnifique.


A cause d’Eastwood, on avait oublié que Hackman avait joué autrefois autre chose que des brutes meurtrières. A cause de la belle performance de Hackman en amoureux des chevaux, on en oublierait presque que James Coburn joue dans le film. Pas de sourire immense, pas d’étincelle dans les yeux. C’est un Coburn des petits jours. Tant pis. Candice Bergen a la silhouette anachronique d’une participante anachronique à la course. C’était la mode. Elle parvient dans son jean anachroniquement moulant à transcender l’incongruité de son propre rôle pour incarner une femme paumée, légèrement à la dérive malgré un objectif précis, un hidden agenda assez savoureux. Ben Johnson on l’a dit, meurt, et c’est beau. Et il y a Mario Arteaga, le mexicain. Il joue le mexicain, qui a une rage de dent et qui se heurte au racisme de la société américaine. Bien sûr Gene Hackman n’est pas de ceux-là, il s’en fout de la course et il aime les chevaux. Quand on préfère les chevaux aux hommes, on peut aimer les mexicains qui ne sont presque pas des hommes. Ça doit être comme ça qu’il faut comprendre cet anti-racisme anachronique ? Mario Arteaga n’a rien fait d’autre ou presque de cinématographique dans sa vie. Quelques doublures non créditées dans L’Homme qui tua Liberty Valance et dans L’Homme des hautes plaines, c’est tout. Dommage, il est touchant le mexicain, il fait la course pour sa famille, pas pour la renommée.


Et pour le reste, bien sûr il y a les paysages, magnifiques, variés, le soleil cruel, des péripéties en veux-tu en voilà, une motocyclette pour un peu plus d’anachronisme, mais volontaire cette fois, un beau train... Du bon western à l’ancienne, un brin nostalgique avec une touche de modernité, et une super scène technique où le cheval de gauche court au ralenti alors que celui de droite court en accéléré! Cela ne se refuse pas.

vendredi 12 juin 2009

La flèche brisée


Broken Arrow
1950
Delmer Daves
Avec James Stewart, Jeff Chandler

La flèche brisée est le film du mois sur Western Movies, l’occasion pour moi de redécouvrir ce western mythique. Pourquoi mythique ? Parce qu’il est considéré comme le premier western « pro-indien », le premier western à dépeindre les indiens non pas comme des hordes sanguinaires et cruelles, ou comme un simple danger rôdant, mais comme un peuple, avec ses coutumes, ses traditions, son sens de la parole et de l’honneur. Succès retentissant à l’époque de sa sortie, La flèche brisée est désormais le jalon à partir duquel les WASP prennent soudain conscience que les indiens sont human after all, arrêtent de produire des serials où les apaches tournent autour des chariots en criant wouhou et commencent à se flageller consciencieusement en produisant des films comme Soldat Bleu ou Little Big Man dans lesquels le blanc est une ordure raciste et les Tuniques bleues d’immondes monstres qui massacrent squaw et papoose comme on massacre des bébés phoques, tout en évoquant par ce biais, une autre guerre, plus contemporaine des années 60 et 70.
Mais comme on a déjà pu le dire ici, cette vision est largement caricaturale, les américains n’ayant pas attendu si longtemps pour s’émouvoir de la disparition de tout un peuple. Ce qui fait que non seulement la réputation du film est usurpée, mais en outre, les belles intentions du réalisateur tombent un peu à plat. En effet, se poser en bon moralisateur et en défenseur de la cause indienne 60 ans après Wounded Knee, en faisant jouer tous les rôles indiens par des blancs, c’est mieux que rien mais ça a dû quand même froisser quelque peu les rescapés de l’autre camp. Avoir une approche pédagogique en nous montrant toutes les étapes du mariage, le conseil de guerre ainsi que les tortures dans un souci louable de ne pas faire passer les Apaches pour des enfants de cœur, fort bien, mais avec presque 60 ans supplémentaires qui sont passés depuis la sortie du film, la théâtralité surannée, la solennité de leurs poses, leur communication basée sur des métaphores visuelles, le tout associé à une fâcheuse tendance à l’exotisme font que malgré tous les efforts de l’équipe, la représentation des indiens ressemble plus désormais à un foutage de gueule généralisé qu’à un hommage sérieux rendu au peuple indien. Pour ainsi dire, quelqu’un de non préparé qui regarderait ce film après Danse avec les loups risquerait bien de se marrer un bon coup tant les costumes des indiens manquent de crédibilité.
Pour autant, le film - bien que largement parasité par le message plein de bonnes intentions du film, les dialogues prévisibles sur le mode "De quel coté es-tu?" et la découverte pataude aux visibles ficelles que les indiens sont cools et civilisés – n’est pas complètement mauvais. Les vingt premières minutes sont très prenantes, en fait tant que les indiens sont encore une menace imprécise, tant que Jeff Chandler en Cochise conserve une aura inquiétante. Les efforts authentiquement historiques de Jeffords (James Stewart) pour faire passer le courrier ainsi que la rébellion de Geronimo sont autant de moments forts et bien rendus.
L'embuscade finale également, est non seulement inattendue, mais plutôt bien menée : on constate d'abord que Cochise est le héros du film à égalité avec Jeffords, puisque le principal de l'action est porté sur lui, tuant au couteau et à la flèche. J'aime le regard du blanc qui regarde son fils tomber une flèche dans le ventre, la caméra qui s'attarde sur le père, tué au couteau, charrié par les eaux, le tireur embusqué qui hurle qu'il ne peut pas tirer parce que ses potes sont dans la ligne de tir (ce petit coté "humain" dans les fusillades, où même les salauds sont attentifs à la sécurité des leurs est malheureusement trop absent du western italien où l'humanité des victimes et des tireurs est totalement niée au profit du seul esthétisme de la scène), ce joli plan en contrejour et contreplongée de l'un des tireurs, ce petit cri de Sunsiareeh quand Jeffords se prend sa deuxième balle, ce petit cri qui dit tout, et bien sûr Jeffords qui réalise la mort de sa belle, et le discours de Cochise, étonnant de bon sens malgré l'excellente répartie de Jeffords "
Speak to her!", tout cela me touche.

Mais tout cela ne fait pas un très bon film non plus. L’attaque des chariots, poussive, datée alors que certaines attaques que j’ai pu voir dans les serials des années 30 paraissent plus inventives, l’attaque de la diligence avec les flèches misérables qui volent mollement avant de faire ploc par terre sont déjà le signe que le film a très mal vieilli. Et surtout, l’idylle entre Jeffords et Sunsiareeh (Debra Paget) plombe totalement le film, chiante au possible, noyée dans une mélasse de violons insupportables, sans qu’à aucun réel moment on n’ait envie de s’intéresser au devenir de ce couple dont l'enjeu interracial ne fait plus mouche aujourd'hui. Comme ces deux là ont environ un bon tiers du film ensemble à blablater sans se toucher, c’est un tiers du film sans intérêt, un tiers du film à regarder sa montre. Un tiers du film pesant qui casse le rythme d’une intrigue déjà largement parasitée par les signaux verts clignotant de la bonne conscience américaine en action, ça en devient presque un miracle que La flèche brisée puisse malgré tout être encore vu comme un western correct qui se suit sans déplaisir.