Broken Arrow
1950
Delmer Daves
Avec James Stewart, Jeff Chandler
La flèche brisée est le film du mois sur Western Movies, l’occasion pour moi de redécouvrir ce western mythique. Pourquoi mythique ? Parce qu’il est considéré comme le premier western « pro-indien », le premier western à dépeindre les indiens non pas comme des hordes sanguinaires et cruelles, ou comme un simple danger rôdant, mais comme un peuple, avec ses coutumes, ses traditions, son sens de la parole et de l’honneur. Succès retentissant à l’époque de sa sortie, La flèche brisée est désormais le jalon à partir duquel les WASP prennent soudain conscience que les indiens sont human after all, arrêtent de produire des serials où les apaches tournent autour des chariots en criant wouhou et commencent à se flageller consciencieusement en produisant des films comme Soldat Bleu ou Little Big Man dans lesquels le blanc est une ordure raciste et les Tuniques bleues d’immondes monstres qui massacrent squaw et papoose comme on massacre des bébés phoques, tout en évoquant par ce biais, une autre guerre, plus contemporaine des années 60 et 70.
Mais comme on a déjà pu le dire ici, cette vision est largement caricaturale, les américains n’ayant pas attendu si longtemps pour s’émouvoir de la disparition de tout un peuple. Ce qui fait que non seulement la réputation du film est usurpée, mais en outre, les belles intentions du réalisateur tombent un peu à plat. En effet, se poser en bon moralisateur et en défenseur de la cause indienne 60 ans après Wounded Knee, en faisant jouer tous les rôles indiens par des blancs, c’est mieux que rien mais ça a dû quand même froisser quelque peu les rescapés de l’autre camp. Avoir une approche pédagogique en nous montrant toutes les étapes du mariage, le conseil de guerre ainsi que les tortures dans un souci louable de ne pas faire passer les Apaches pour des enfants de cœur, fort bien, mais avec presque 60 ans supplémentaires qui sont passés depuis la sortie du film, la théâtralité surannée, la solennité de leurs poses, leur communication basée sur des métaphores visuelles, le tout associé à une fâcheuse tendance à l’exotisme font que malgré tous les efforts de l’équipe, la représentation des indiens ressemble plus désormais à un foutage de gueule généralisé qu’à un hommage sérieux rendu au peuple indien. Pour ainsi dire, quelqu’un de non préparé qui regarderait ce film après Danse avec les loups risquerait bien de se marrer un bon coup tant les costumes des indiens manquent de crédibilité.
Pour autant, le film - bien que largement parasité par le message plein de bonnes intentions du film, les dialogues prévisibles sur le mode "De quel coté es-tu?" et la découverte pataude aux visibles ficelles que les indiens sont cools et civilisés – n’est pas complètement mauvais. Les vingt premières minutes sont très prenantes, en fait tant que les indiens sont encore une menace imprécise, tant que Jeff Chandler en Cochise conserve une aura inquiétante. Les efforts authentiquement historiques de Jeffords (James Stewart) pour faire passer le courrier ainsi que la rébellion de Geronimo sont autant de moments forts et bien rendus.
L'embuscade finale également, est non seulement inattendue, mais plutôt bien menée : on constate d'abord que Cochise est le héros du film à égalité avec Jeffords, puisque le principal de l'action est porté sur lui, tuant au couteau et à la flèche. J'aime le regard du blanc qui regarde son fils tomber une flèche dans le ventre, la caméra qui s'attarde sur le père, tué au couteau, charrié par les eaux, le tireur embusqué qui hurle qu'il ne peut pas tirer parce que ses potes sont dans la ligne de tir (ce petit coté "humain" dans les fusillades, où même les salauds sont attentifs à la sécurité des leurs est malheureusement trop absent du western italien où l'humanité des victimes et des tireurs est totalement niée au profit du seul esthétisme de la scène), ce joli plan en contrejour et contreplongée de l'un des tireurs, ce petit cri de Sunsiareeh quand Jeffords se prend sa deuxième balle, ce petit cri qui dit tout, et bien sûr Jeffords qui réalise la mort de sa belle, et le discours de Cochise, étonnant de bon sens malgré l'excellente répartie de Jeffords "Speak to her!", tout cela me touche.
Mais tout cela ne fait pas un très bon film non plus. L’attaque des chariots, poussive, datée alors que certaines attaques que j’ai pu voir dans les serials des années 30 paraissent plus inventives, l’attaque de la diligence avec les flèches misérables qui volent mollement avant de faire ploc par terre sont déjà le signe que le film a très mal vieilli. Et surtout, l’idylle entre Jeffords et Sunsiareeh (Debra Paget) plombe totalement le film, chiante au possible, noyée dans une mélasse de violons insupportables, sans qu’à aucun réel moment on n’ait envie de s’intéresser au devenir de ce couple dont l'enjeu interracial ne fait plus mouche aujourd'hui. Comme ces deux là ont environ un bon tiers du film ensemble à blablater sans se toucher, c’est un tiers du film sans intérêt, un tiers du film à regarder sa montre. Un tiers du film pesant qui casse le rythme d’une intrigue déjà largement parasitée par les signaux verts clignotant de la bonne conscience américaine en action, ça en devient presque un miracle que La flèche brisée puisse malgré tout être encore vu comme un western correct qui se suit sans déplaisir.