Le Grand Silence
Il Grande Silenzio
1968
Sergio Corbucci
Avec : Jean-Louis Trintignant, Klaus Kinski, Frank Wolff
Un cavalier avance péniblement dans l’hiver, le cheval s’empêtre dans la neige et finit par succomber. L’homme doit continuer à pied. Les chasseurs de prime protègent leurs armes du gel dans des couvertures; ils sont cruels et sans pitié. Silence (Jean Louis Trintignant) n’est pas un chasseur de prime mais il ne vaut pas beaucoup mieux, car il provoque systématiquement des cas de légitime défense pour abattre les hommes qui jadis, lui ont coupé ses cordes vocales. Bienvenue dans Le Grand Silence!
Sergio Corbucci pousse son concept entamé avec Django en 1966 jusqu’au bout du nihilisme. Aucun autre western ne va aussi loin dans la noirceur et le désespoir (enfin de ceux que j’ai vu). Inutile de prévenir des spoilers ici, tout le monde sait que dans ce film le héros meurt à la fin, et même en le sachant, le film est d’autant plus noir, comme une tragédie où le destin de chacun est fixé à l’avance. Même en le sachant, vous espérerez un ultime retournement de situation final, mais non, cela n’arrivera pas, la déception sera à la hauteur à chaque fois. Klaus Kinski est tout simplement effrayant en chasseur de prime abject et cupide, Jean-Louis Trintignant, tout fluet, dans son rôle muet inspire la pitié, mais aussi la défiance et l’antipathie, car finalement son mode opératoire pour tuer (provoquer l’adversaire jusqu’à être en droit de l’abattre en état de légitime défense) en fait un être ambigu peu éloigné des être immondes qu’il pourchasse. Silence n’est pas un bon, c’est surtout une victime.
Corbucci ne nous épargne rien de la violence des hommes, il cherche à choquer parfois gratuitement, parfois de façon perverse (la scène d’amour d’un blanc avec une femme noire, qui à l’époque était impensable). La musique poisseuse et lancinante d'Ennio Morricone colle aux basques comme la poudreuse aux pieds des chevaux. La neige et la rigueur de l’hiver accentuent le désespoir affreux qui domine l’ensemble du film, comme dans un huis clos à ciel ouvert où les autorités ne peuvent rien ; le côté comique du shérif, loin d’apporter un peu d’humanité et de chaleur à ce monde glacial, renforce au contraire le désenchantement ambiant. Le shérif, seul être bon de cette tragique histoire, est malheureusement complètement inadapté au monde hors du temps où il vient d’échouer. Les faibles sont faibles et restent faibles, les forts sont bien les plus forts, et ils vont jusqu’au bout. Inutile de faire remarquer les défauts de doublage ou quelques détails un peu bâclés (Corbucci tournait beaucoup, et vite), Le Grand Silence est parfait dans son genre, tout à fait différent d’un Sergio Leone. Le Grand Silence est si réussi dans sa démonstration pessimiste de la noirceur humaine que personnellement j’ai du mal à vraiment l’aimer, à l’aimer comme un film que l’on aime revoir souvent. Non, Le Grand Silence est si réussi qu’on préfèrerait presque oublier l’avoir vu. Et en effet, si vous êtes foncièrement optimiste et que vous aimez les westerns avec John Wayne qui descend la rue principale en souriant à la fin, ce film ne vous plaira pas. Mais si vous êtes prêts à voir un western radicalement différent, dans sa forme, dans son scénario, dans ses défauts même, ne passez pas à coté du Grand Silence.
Le DVD Studio Canal
Version intégrale. Bonus intéressants même s’ils ne sont pas très fournis pour une œuvre de cette envergure. Le plus mémorable reste la fin alternative « heureuse » malheureusement sans bande son. Si vous la voyez juste après le film, cela ressemble à une deuxième fin fantomatique, irréelle grâce à l’absence de son, comme si Silence, juste avant de mourir, voyait défiler son histoire telle qu’il aurait voulu qu’elle finisse en réalité.