Mort ou vif
En 1995, le western est mort depuis longtemps, personne ne songe à le réanimer, et surtout pas Sam Raimi qui nous présente là un pastiche fort bien léché mais dénué de la moindre petite touche d’émotion, d’affectivité, d’humanisme ou d’héroïsme.
Comme une mécanique bien réglée, Sam Raimi applique le manuel du parfait petit fan et oublie de faire un film. Alors d’accord, point de vue divertissement, on a tout, des ralentis sur des éperons qui font cling, des tenues crasseuses surmontées de gueules crasseuses farcies de dents cariées ou absentes, des zooms avant arrières, circulaires, zoom travelling ou travelling zoomés, plongées, contre-plongées et contre-contre plongées, tourbillons d’images parfaites et scintillantes. Quand il pleut, chaque goutte brille de mille feux comme un flingue astiqué de près, quand il y a des nuages, c’est du Turner puissance mille, quand il fait beau, le monde est ocre pastel magnifico caramba ! La caméra se promène comme une pro omnisciente toujours là pour capturer chaque détail important, soigner l’entrée des personnages, des éperons au visage, animée de mouvements fluides puis brusques avec bruitages qui percutent toutes les trente secondes à chaque fois qu’un percuteur fait clic, qu’une allumette fait scratch, qu’une porte fait bang, qu’un glaviot fait spioutch ou qu’un verre fait bling en tombant, clac clac boum, tu es mort, il est mort, nous sommes morts, hein qui est mort ? Ha c’est lui qui est mort ! Hooo le beau trou trou dans la tête qu’on voit le paysage à travers !
Coté fringues c’est un défilé de mode, des cache poussière, des vareuses noires, des costumes rutilants, aucune faute de goût, Raimi a bien bossé, ses scénaristes se sont décarcassés aussi pour trouver toutes les variantes possibles et imaginables à un duel, de face, de coté, en courant, en tuant, avec une pétoire rouillée, avec un indien immortel, oui rien à dire, c’est de la belle ouvrage !
Rien à reprocher non plus au sempiternel thème de la vengeance, c’est propre, c’est net, sans anicroche douteuse, tout comme la ville terrorisée par le dictateur sadique et ses sbires armés. Yep, les acteurs sont aussi tous aussi super-pro, Sharon Stone en tête qui fait très bien oublier l’incongruité d’une tireuse d’élite dans l’Ouest (mais quand même elle est mal peignée la Sharon !), Gene Hackman qui nous refait son Little Bill sans un accroc, Russell Crowe pas encore empâté et Leonardo Di Caprio carrément juvénile, et boudiou, y a même un cameo de Woody Strode!
Mais alors pourquoi on n’accroche pas, pourquoi on prend ça juste comme un respectable divertissement, pourquoi avec un tel savoir faire se contenter de décliner l’intégralité des poncifs possibles plutôt que d’essayer de scotcher le spectateur avec une vraie histoire, une tension qui grimpe, une tragédie au premier degré assumé pour faire larmoyer les ménagères, une empathie pour les personnages plutôt qu’un survol net et minimaliste de leurs motivations? Il aurait fallu nous montrer les faiblesses et l’humanisme de Herod, le coté sombre de Cort, les véritables blessures de l’héroïne, dépeindre des êtres vivants humains et touchants et non pas des mécaniques inertes qui ne parviennent pas à s’exprimer au sein d’un montage taillé à la serpe. Trois minutes dans le film, lorsque Hackman se bat contre Di Caprio, trois minutes où l’humain l’emporte sur le cynisme, où la tragédie commence enfin à s’exprimer, pourquoi tout le film n’est il pas comme ça ?
On va me dire, Sam Raimi a juste voulu se faire plaisir et nous faire plaisir avec un exercice de style totalement maîtrisé. Je le conçois, mais c’est juste très très dommage quand on a toutes les cartes en mains de miser petit quand on pourrait faire tapis.
PS : on note aussi certains plans de Sharon Stone, la clope au bec, qui de nos jours, font carrément subversifs !