[HW] - Bienvenue chez les Ch'ti
Allant très rarement au cinéma - je veux dire au vrai, celui avec l'image qui crachotte et le pop corn qui craquotte - j'aurais quand même pu aller voir autre chose que Bienvenue chez les Ch'ti - par exemple 3h10 pour Yuma que je ne désespère pas d'aller voir un jour - mais voilà, la vie sociale est ainsi faite qu'on arrive rarement à convaincre quelqu'un d'aller voir un western, fut il avec Russel Crow.
Et puis pas la peine de faire le snob élitiste pleurnichard qui ne se soigne pas: le film est bon, drôle, sympa, marrant, rigolo, humaniste, amusant, bref un bon moment, pas la peine de tortiller du cul de gêne, de faire remarquer qu'à l'instar d'Amélie Poulain ou des Choristes- autres phénomènes de foire en terme de remplissage de salle - c'est le retour en grâce de la franchouillardise, de faire remarquer que le cinéma français n'a pas évolué depuis La Grande Vadrouille, pas la peine de tirer sur l'ambulance, le seul truc vraiment bizarre finalement, c'est que ce film là fasse 12, 15 ou 20 millions d'entrées, plutôt que 1 ou 2 millions comme il eut paru logique qu'il fit.
Ben non, le film est sympa, mais on a vraiment du mal à trouver quoi que ce soit qui justifie un tel mouvement de masse. Rien, nada, zéro, pouêt pouêt! Pourquoi grand dieu, pourquoi tout le monde va-t-il voir ce film? Si l'on regarde quelques autres grands succès populaires, on a -parfois - des éléments de réponse. Amélie Poulain était vraiment novateur et vraiment en opposition totale avec le cynisme ambiant et la branchitude sclérosée. Le dîner de cons était vraiment drôle. Les Visiteurs aussi était vraiment drôle - du moins à la première vision - et en tout cas plus drôle que les Ch'ti. Astérix et Cléopâtre n'était pas vraiment hilarant mais réussissait le tour de force d'allier la bonne grosse rigolade populaire à l'esprit Canal, le tout couplé avec une campagne promo efficace, son score ne surprenait pas complètement. Quant à Titanic, ben c'était tout simplement un bon film, un succès critique, et une osmose amoureuse toute particulière qui toucha tout le monde.
Mais les Ch'ti? Il se passe quoi là? Les gens sont en fait tous secrètement téléphates et ils se sont dit: tiens on va prendre un film au hasard et on va tous aller le voir? La réalité n'est pas très loin. La télé-apathie ambiante qui ammène tout le monde dans les salles s'appelle "média". Dès la première semaine, tous les journaux annonçaient que le film de Dany Boon allait peut-être dépasser La Grande Vadrouille, et allez y que le coefficient de satisfaction est exceptionnel, c'est énorme, allez-y avec les explications pseudo-sociologiques comme quoi le film s'adresse à tout le monde, que c'est la revanche de la France d'en bas sur le crotale parisien. On n'avait pas vu ça depuis Titanic, et ça fait du bien une petit mouvement de foule comme ça, avec son petit suspense sur le nombre final d'entrées - va-t-il ou ne va-t-il pas dépasser La grande vadrouille - youhou, vous savez qu'on s'en branle au fond, mais le résultat est là: les médias démultiplient le phénomène qui s'auto-entretient lui-même. On ne va pas voir Les Ch'ti parce qu'on a envie de le voir, on va voir Les Ch'ti parce que les médias n'arrêtent pas de dire que tout le monde y va, que les voisins y vont et qu'il disent que "oui, le film est drôle, il permet d'oublier les soucis de la vie quotidienne" et que donc au pire, on aura de toute façon passé un bon moment. Et en plus si on résiste pour ne pas y aller, on passe pour un affreux qui se la joue intello et qui n'a pas d'humour.
Cela semble donc simple, prenez un film comique qui tient la route, et si jamais le film cartonne au départ, vous pouvez en faire un des plus grands succès du cinéma français rien qu'en ne parlant que du fait que ça risque d'être un carton historique. Le reste n'a pas d'importance.
Vraiment pas d'importance? La Grande Vadrouille est devenue un incontournable de la culture française. Amélie reste dans toutes les mémoires. Le dîner de cons reste drôle à chaque fois qu'il passe à la télé. Mais les Ch'ti? Le film a-t-il les épaules assez solides pour mériter ce succès dans la durée? L'exemple qui fait mal, c'est Les bidasses en folie qui fit 7 460 911 entrées en 1972. Qui se souvient encore de ce film aujourd'hui ? Qui est capable d'en réciter des répliques? Qui l'a vu récemment en prime time sur les télés Hertzienennes? A mon avis pas grand monde, car les gros succès ne laissent des traces que si une certaine qualité d'écriture est présente - on va dire que c'est le cas pour le film de Dany Boon - et que les thèmes et accroches du film savent survivre à l'aire d'autoroute du temps. Et là, pas sûr que ce film là fasse vraiment recette dans nos mémoires.