Gunfight at the O.K. Corral
John Sturges
1957
Avec : Burt Lancaster, Kirk Douglas, Rhonda Fleming, Jo Van Fleet, John Ireland, Dennis Hopper, Lee Van Cleef, Jack Elam
Edouard Thorpe, accompagné de John Holliday, retrouve ses frères Paul Thorpe, Vincent Thorpe et Jim Thorpe à Tombstone pour un règlement de compte à OK Corral contre Alex Clanton et ses frères et Jimmy Ringo.
Si ce résumé vous dit vaguement quelque chose mais avec un je ne sais quoi de factice, c’est qu’il s’agit là d’un énoncé établi à l’aide des noms francisés des légendes de l’Ouest Wyatt Earp, Morgan Earp, Virgil Earp, James Earp et Ike Clanton qui s’affrontèrent effectivement à l’aube du 26 octobre 1881 à Tombstone. Cette peur des prénoms américains trop durs à prononcer n’est pas la seule surprise de cette VF si vous prenez la peine de l’écouter avec des sous titres anglais : vous obtenez moultes approximations, des inversions de phrases voire des erreurs niveau troisième (par exemple « we are pretty much alike actually » traduit « nous sommes presque pareils à l’heure actuelle »). Bref les retrouvailles nostalgiques avec cette œuvre immortelle du western américain en prennent un coup direct lorsqu’on met le DVD acheté 2€99 en kiosque dans le lecteur.
Car de retrouvailles nostalgiques il s’agit, et si vous ne supportez pas les gens qui s’épanchent lyriquement sur leur enfance, je vous conseille de sauter ce paragraphe sans hésiter. Règlement de comptes à O.K. Corral, de John Sturges est sans doute le western le plus multi-diffusé en prime time à la télévision dans les années 80, avec Les sept mercenaires, de John Sturges. Cette affirmation ne repose sur aucune vérification du nombre réel de diffusions, mais sur mon souvenir forcément incertain. Quoi qu’il en soit, je me souviens que ces deux films passaient régulièrement au moins une fois par an et qu’il était tout simplement impensable dans la famille de rater une seule diffusion. Heureuse époque ou la télé n’avait pas peur de passer des westerns à la télé, blablabla, fin de la parenthèse nostalgico-râleuse.
Mais il y a un double problème. Premier problème, si quasiment chaque scène des Sept Mercenaires est restée gravée dans ma mémoire, seul le fameux règlement de compte final de ce Règlement de comptes à O.K. Corral m’a aujourd’hui rappelé quelque chose. Heureuse occasion de redécouvrir un film avec des yeux d’adultes diront certains. Mais le deuxième problème se pose là, comme une échéance d’imposition qu’on retrouve sous une pile le 16 février : la première partie du film est très chiante, la deuxième partie du film est moins chiante, mais chiante quand même. Que j’ai pu subir ce film à sept ans, à huit ans, à neuf ans, à dix ans, à onze ans avec toujours le même plaisir dépasse mon entendement. Il y a bien un peu d’action de temps en temps, ne nous trompons pas, il est même possible que le film soit plaisant, mais comparé à l’image mythique forgée dans ma mémoire, c’est de la pisse de chat. On a d’abord droit à Earp (Burt Lancaster) qui tombe amoureux et cherche à raccrocher ses armes avant de faire ce que tout vrai homme fait toujours : laisser les gonzesses à leurs rêves de paix ridicule et aller trucider du méchant. C’est navrant et totalement artificiel dans la mesure où cette histoire avec Rhonda Flemings a été rajoutée pour rassurer le spectateur sur la virilité de Wyatt Earp, au cas où il se l’imaginerait en train de se taper Doc Holliday dans l’arrière salle. Car outre cette ridicule histoire d’amour qui est vite oubliée mais nous assure son inévitable lot de papotages stériles sous les arbres, la grande affaire psychologique de film est l’amitié virile qui unit Earp et Holliday, le grand duo de grandes stars Burt Lancaster et Kirk Douglas. Entre ces deux là, c’est l’attraction/répulsion entre la droiture de la loi et le vice du joueur, mais John Sturges semble incapable de provoquer des étincelles entre les deux stars, incapable de rendre leur relation réellement humaine et intéressante, et seul le charisme naturel des deux stars (enfin Kirk Douglas surtout) parvient à rendre l’ensemble regardable sans trop de déplaisir.
La seule surprise vient finalement de la relation ouvertement sado-masochiste entre Kirk Douglas et Jo Van Fleet, avec des scènes étonnantes de la part de l’actrice qui passe de la dominatrice moqueuse à la femme soumise et implorante. Mais au fond, c’est assez peu, et on finit par trouver le temps long à entendre Doc Holliday tousser.
La deuxième heure passe un peu mieux, d’abord parce qu’on arrive enfin à Tombstone et qu’on sent venir le fameux duel, ensuite parce qu’on se régale de reconnaître les situations vues dans les autres films (Wyatt Earp, Tombstone, My Darling Clementine…). On est en terrain connu et on prend plaisir à voir cette lente montée de la tension avant la violence, montrée d’une nouvelle façon, comme un souvenir diffus qui varie d’une personne à l’autre, comme une évolution de la mémoire commune, un peu de la manière dont les auteurs de comics à travers les âges ont su raconter la mort des parents de Batman avec à chaque fois une approche nouvelle. La multiplicité des films et des versions de ces évènements participe à la mémoire collective d’une légende dont l’historicité sera du coup à jamais incertaine.
Le fameux règlement de compte arrive enfin, et il est intact, comme si cela s’était vraiment passé comme ça, le petit pont, à couvert ! Roulé boulé derrière un muret qui se désagrège lentement sous les balles, bon dieu ils ne sont que six ils devraient être sept ! Là, le rascal planqué dans le chariot, les sonorités des doubles canons, les balles qui sifflent. Burt Lancaster les prend à revers, l’un des baddies flambe et peu à peu, comme dans une guerre d’usure, les méchants meurent les uns après les autres, tandis que les gentils sont blessés, tu es salement touché ? Non ça ira je crois ! Et après tout ça, la chanson du générique, forcément inoubliable, forcément inoubliée. Le charme a fini par opérer, mais Dieu que ce fut long à venir, et ce n’est pas la chasse aux têtes connues (Lee Van Cleef, Jack Elam, John Ireland, Dennis Hopper), ni la chasse aux détails curieux (le long révolver du Colonel Mortimer aperçu brièvement – Sergio Leone a-t-il inventé quoi que ce soit ?) qui suffisent à relever l’intérêt d’un film globalement moyen et qui aurait peut-être dû rester dans nos souvenirs.