Il pistolero dell’Ave Maria
Ferdinando Baldi
1969
Avec : Leonard Mann, Peter Martell
« A quoi penses-tu ? » - On vient de voir un gros plan sur les yeux de Sebastian (Leonard Mann), suivi d’un gros plan sur des cloches qui tintent, suivi d’un re-gros plan sur les yeux fixes de Sebastian, saupoudrée de la musique ad-hoc, la scène est assez belle et commence à bien fonctionner, car on comprend fissa que le Sebastian, il lui est arrivé des trucs méchants dans sa jeunesse. C’est outré et c’est tant mieux ! C’est pompé sur Leone et c’est re-tant mieux ! Et puis Rafael (Peter Martell) gâche tout d’un nanardesque « A quoi penses-tu ?» auquel Sebastian répond d’un également nanardesque et renfrogné « Rien », histoire de détruire par le verbe inepte ce que la force des images ampoulées avaient si bien commencé à faire passer. C’est le propre du genre, capable de nous transporter bien haut à l’aide de trucs opératiques frissonnants, pour nous faire retomber la seconde d’après avec du mauvais cinéma, comme lorsque Anna (Luciana Paluzzi) tente d’en coller une au vil Tomas (Alberto de Mendoza) et que celui-ci lui bloque le bras et lui rétorque un puéril « Attention Anna, je te préviens, ne recommence jamais ça, sans ça… », ou encore lorsque Rafael fait semblant d’être mort et se relève tout joyeux en interpellant ses poursuivants avant de les descendre, comme s’il leur faisait une bonne farce.
Heureusement, Ferdinando Baldi nous en donne peu, de ce mauvais cinéma là dans ce tragique western spaghetti, tragique au sens antique grec, puisque ce film reprend assez lisiblement la trame de l’Orestie. Et il compense ces défauts par un sens du pathos bien appuyé sans frôler le ridicule. Tout le monde s’agite, tout le monde se hait. Ceux qui aiment, aiment la mauvaise personne, le carnage peut commencer, le feu purifiera tout.
Il ne manque vraiment pas grand-chose à ce film pour être un petit bijou parfait, il manque principalement deux comédiens qui sachent porter tout le poids de leurs destins brisés sur leurs épaules. A la rigueur, Peter Martell est capable d’une certaine expressivité, mais beaucoup trop désinvolte pour un mec qui s’est fait émasculer et qui est amoureux pour toujours d’Isabel qu’il ne pourra jamais avoir. En un seul regard résigné, Luciano Rossi, qui joue lui le mari officiel – mais chaste – de la belle Isabel, parvient à créer plus de profondeur et de sensibilité à son personnage que le pauvre Martell en 1h30 de pellicule. Mais Baldi est là pour compenser, une belle scène de beuverie désabusée, avec une danseuse inatteignable qui joue de la guibolle derrière lui, une musique mélancolique, et le tour est joué, on y croit, on est dedans, le personnage est raccord.
Isabel, c’est la belle Pilar Velasquez, et elle aussi, parvient avec relativement peu de temps d’antenne à composer un personnage extrêmement riche, qui va de l’innocente vierge asexuée, emplie de haine envers sa mère à la femme qui craque et qui sombre dans la folie à l’heurt des révélations en passant par la garce soudainement affriolante lorsqu’elle joue la maitresse du vil Tomas. Tous les autres seconds rôles sont impeccables, Luciana Paluzzi, rongée par le remord, Alberto de Mendoza, vil sans loi et bien sûr Piero Lulli, vicieux et méchant comme on l’attend.
Reste alors le cas Leonard Mann, fluet, l’air timide, les yeux doux, qui a bien du mal à se faire passer pour le ténébreux Sebastian, c'est-à-dire le gars arraché à sa mère, dont le père a été tué, élevé par sa vieille nourrice. Il devrait être inflexible, il est transparent, il devrait suer la haine, il est calme, il devrait inspirer la passion au spectateur, le spectateur n’est toujours pas bien sûr que c’est lui le héros après trois quarts d’heure de film! Une telle erreur de casting, associée avec la demi-erreur constituée par Peter Martell, alors que tout le reste est impeccable, c’est vraiment dommage.
Là aussi, Ferdinando Baldi compense. Il plaque la belle musique de Roberto Pregadio à chaque fois qu’il le peut, il filme ses magnifiques décors, riches et colorés, à foison, étale son budget, segmente la violence et fait monter la sauce avec brio. Comme l’indique Jean-François Giré, ce western là est le western latin par excellence, la musique, le décor baroque, le rôle des femmes, les figurants, les thèmes, les prénoms, le scénario antédiluvien, tout transpire la latinité. Adieu veaux, vaches, frontière, civilisation en marche, idéologie, ce western là n’a plus rien du vrai western, et c’est tant mieux.
Le DVD français : très bonne qualité d’image. VF seulement, et c’est dommage, les quelques dialogues nanardesques passent peut-être mieux en italien. L’arrière de la jaquette n’a rien à voir avec le film, bravo les gars ! Il paraît qu’il manque quelques scènes, dont un ultime flashback final et une scène avec Piero Lulli, mais sans que cela nuise trop au film.
Capture: Shobary