Josey Wales hors-la-loi
1976
Clint Eastwood
Avec : Clint Eastwood, Sondra Locke
En 1976, qu’il le veuille ou non, Clint Eastwood a encore bien du mal à se défaire de l’image de l’homme au poncho. Quand les gens vont voir un western de Clint Eastwood, que ce soit Pendez-les haut et court, Joe Kidd, Sierra Torride ou L’homme des hautes plaines, c’est un plaisir Leonien qu’ils cherchent à prolonger. Crac, avec Josey Wales hors-la-loi, Eastwood instaure une rupture, encore toute relative, mais une rupture propre à décevoir les fanatiques du maître transalpin (dont je suis). Pour ne pas perdre son spectateur lambda, Eastwood récite néanmoins ses gammes : tac tac tac, la mitrailleuse surgit d’un chariot, telle celle de Ramon, et fait le ménage chez les nordistes, bang bang bang les énormes colts Walker font chuter tour à tour un nombre impressionnant de victimes avec une précision délicieuse d’invraisemblance. A ces conventions somme toute spaghettienne, le réalisateur ajoute des conventions propres aux deux genres : le drame inaugural, l’errance, la vengeance.
La rupture est cependant montré dès le prologue, qui associé au générique contient suffisamment de "matériau" pour remplir tout un film: la vie simple et rustique, la mort des proches, l'anéantissement de toute une vie, puis l'enrôlement dans une bande qui fait peu ou prou la même chose que ceux qui ont tué les siens. En développant, le film pourrait s'arrêter à la fin de la guerre, on aurait déjà eu un grand vrai putain de film avec des tripes et des boyaux.
Et Eastwood raconte tout cela à l'aide de scènes de pure convention: les cris de l'enfant dans les flammes, le viol suggéré, la mort du personnage avec grosse visualisation du méchant pour la vengeance future, puis sa résurrection avec une cicatrice (comme dans Pendez-les haut et court). Puis l'enterrement de la famille avec bien sûr la main calcinée qui sort du linceul de fortune et la petite croix de bois. Puis c'est tout naturel, on ressort un vieux flingue des cendres et on s'entraîne jusqu'à ce que l'habileté revienne. Et pour finir, comme par hasard une milice passe par là pour l'enrôler et faire d'autres pillages!
Admirable condensé de cinéma en dix minutes, on ne sait pas trop d'ailleurs s'il faut comprendre la séquence comme du temps vécu ou s'il y a des ellipses entre l'enterrement, le déterrement du flingue, l’entraînement et l'arrivée de la milice. La seule scène qui fasse tâche dans cette enchaînement conventionnel, c'est Eastwood s'écroulant de douleur sur la croix qu'il vient de planter, la croix se tasse, s'affaisse, et à aucun moment le personnage ne songe à la remettre d'aplomb (on la voit, toujours couchée quelques images plus loin). Eastwood condense donc toute une frange du western en dix minutes comme pour passer à autre chose (première rupture), tout en donnant à son personnage une histoire et un vécu (il est fermier, a une famille, deuxième rupture) et en inscrivant l’histoire dans un contexte historique américain très précis (troisième rupture). La reddition des sudistes est également un moment de pure convention. Fletcher commence par poser la légende du grand Clint verbalement, avec des phrases ré-entendues depuis dans Rambo, genre "il vous faudra une armée pour l'avoir, c'est un spécialiste, un pro qui vous en fera baver et qui se battra jusqu'au bout!", puis c'est le mitraillage des sudistes qu’Eastwood retourne contre les nordistes et termine avec ses deux flingues, qu'il tient, à plusieurs reprises dans le film, exactement comme William Hart, the Two-Gun Man, hé oui, quoi qu'il arrive, on croit toujours voir ses fétiches partout.
Et finalement la vraie rupture, cinématographique celle-ci et non pas scénaristique, n'intervient qu'à 25 minutes du début, avec l'apparition du Dr. Doxey, qui, s'il est une figure classique du western, est traité ici de manière drolatique et décalée, tout comme l'épisode du bac fait basculer le film vers un autre chose mystérieux et le sort de la convention (même si Eastwood se débrouille malgré tout pour placer une référence ironique à son passé en tirant sur une corde). Suivent ensuite les chasseurs de prime grotesques, la première faille de Clint qui se fait surprendre, et le chef Dan George qui accentue la rupture en donnant au métrage un ton bavard, humoristique, incongru, pour tout dire très seventies. Josey Wales est le film où Eastwood trouve son style, son rythme propre et parvient à s'affranchir de ce qu'on attend de lui, tout en commençant déjà à se moquer de lui-même. Le film se rapproche beaucoup plus d'un classicisme à la John Ford ou à la Anthony Mann que Pendez-les hauts et courts, Sierra Torride, ou Joe Kidd avec en plus cette impression de manque d'unité, de road movie un peu nonchalant et un peu longuet. Curieusement et sûrement sans s’en rendre compte, Eastwood reprend des thèmes qui ont été servis des dizaines de fois dans le western italien, à savoir le traitement parfois très dur réservé aux sudistes vaincus et la constitution d’une sorte de micro-société constituée de faibles et d’exclus. Au final, le film n’oublie pas d’être représentatif de son époque en présentant une sorte d’anti-héros, qui malgré la victoire apparente, s’en va blessé au soleil couchant, sans qu’on sache bien s’il s’en va retourner sauter sa donzelle ou mourir comme un chien, l’ouest et le soleil couchant représentant bien sûr le crépuscule de la vie. Si cette deuxième vision vous sied, Josey Wales est alors à classer dans la liste de tous ces westerns des années soixante-dix où le héros meurt à la fin, de John McCabe à Cable Hogue en passant par le moins renommé Du sang dans la poussière.
PS : ne pas manquer la scène où Eastwood décharge rageusement ses deux flingues vides sur le red leg responsable de la mort des siens, en notant qu’il réitérera dix ans plus tard, cette fois avec des flingues chargés dans Pale Rider.