Un Genio, due compari, un pollo
1975
Damiano Damiani
Un génie, deux associés, une cloche est un film associé à l’enfance et qui aurait dû y rester.
L’histoire aurait du avoir une certaine importance, car lorsqu’on se penche dessus attentivement, on se rend compte qu’elle est narrativement assez structurée. Le problème bien sûr, c’est que cela ne se ressent nullement à la vision du film, qui donne l’impression d’assister à une succession de scènes plus ou moins drôles, plus ou moins efficaces, mais totalement décorellées les unes des autres.
Pourtant essayons d’y voir plus clair : un général à barbe rousse enquête sur le détournement de 300 000 dollars réservés aux affaires indiennes. Des bandits veulent récupérer le magot bien sûr, ainsi que Joe Merci (Terence Hill) qui s’associe à Locomotive (Robert Charlebois) qui a l’avantage d’avoir une fausse barbe rousse (!) qui le fait ressembler au général. Après de multiples rebondissements, Joe Merci se débrouille finalement pour restituer leurs terres et l’argent aux indiens.
Sur le papier, cela fonctionne à peu près. Sur pellicule, le trop grand nombre d’invraisemblances, le je m’enfoutisme général perdent le spectateur le plus attentif. Exemple, Terence Hill, avec son habituelle agilité athlétique s’échappe du fort après un numéro de barres parallèles, ce qui en soit est marrant. Mais il réapparaît deux secondes plus tard avec un canon et un cigare allumé, pour faire la quête et à nouveau disparaître. Hein, allo, kekospasse ? Plus loin, Terence Hill et Robert Charlebois se courent après, se battent, parcourent des kilomètres, se retrouve au lieu de construction du chemin de fer, se retrouvent à l’endroit pile où ça doit sauter (prévu par Joe Merci à l’avance), puis on doit comprendre que cette explosion est censé faire croire aux soldats que les 300 000 dollars se sont volatilisés, puis après un timing parfait, les indiens arrivent pour récupérer l’argent. Joe Merci omniscient a tout prévu, les retournements de situation s’enchaînent, et non seulement on perd le fil, mais en plus on n’accorde plus aucune importance à l’intrigue qui se voulait pourtant une sorte d’hommage à L’Arnaque. Mais quand tout est possible, quand plus rien n’a d’importance, quand les repères temporels, spatiaux et le principe de causalité ne sont plus respectés, à quoi bon faire attention à l’histoire ?
Le problème de crédibilité dans un film comique n’est pourtant pas à négliger. Mon nom est Personne réussissait ce tour de force de proposer une véritable histoire, une intrigue assez vraisemblable pour que les facéties surnaturelles de Personne demeurent de simples parenthèses divertissantes. Bien sûr les invraisemblances pullulent dans Mon nom est Personne, mais jamais au point d’atténuer la force de l’histoire. Les facéties surnaturelles de Un génie deux associés une cloche prennent le pas sur l’intrigue et l’émotion au point de faire perdre prise au spectateur, ce que même un film comme On l’appelle Trinita avait su éviter.
L’hommage à Jules et Jim est un peu plus réussi, mais réellement trop superficiel. Les confrontations du trio et leurs rabibochages sont survolés, le personnage de Miou Miou réussit à être touchant sans toutefois créer de véritable émotion, de même que les origines indiennes de Locomotive peinent à prendre l’importance qu’elles devraient. Malgré tout, on s’attache assez rapidement à cet improbable trio pour suivre leurs (fausses) aventures avec un certain plaisir. Car pour le spaghettophile moyen, il y a de la matière : un humour lourd qui fait souvent mouche, de gros moyens, une musique de Ennio Morricone qu’on a toujours en tête trois jours après comme il se doit, et une galerie de trognes qui fait toujours plaisir à voir.
Au rayon humour, il y a bien sûr de brillantes pièces pour peu que vous goûtiez à l’humour de Mon Nom est Personne et On l’appelle Trinita. L’arrivée de Terence Hill en ville qui ne prend pas la peine de se réveiller quand on le sort de la diligence ou quand les poules viennent lui picorer le nez suffit notamment à mettre immédiatement un spectateur moyen tel que moi dans une transe joyeuse qui ne le quittera toujours pas trois jours après (le temps que la musique de Morricone vous sorte de la tête en fait !). La chute de l’excellent Klaus Kinski sur son cheval, le tour de carte, la course à la sacoche type rugby, ne sont que des exemples de moments forts qui devraient amuser (et qui amusent) petits et grand. De ce coté, le contrat est rempli !
La musique de Morricone, calquée sur celle de
Mon Nom est Personne, produit le même effet entraînant, mais a été expurgée de tous ses effets dramatiques qui faisaient de
Mon Nom est Personne bien plus qu’un film comique. Seule la course en diligence, où Morricone a tenté de reproduire en moins bien son « coup » de
la Chevauchée des Walkyries en utilisant
la Lettre à Elise parvient à produire une certaine beauté,
Charlebois et
Miou Miou se débarrassant de leurs déguisement, comme une délivrance, pendant que la diligence est lancée à pleine vitesse, puis Locomotive sautant de cheval en cheval comme dans un vrai western, toujours accompagné de la musique tonitruante ! Un de ces bons moments, trop rares dans
Un génie, deux associés, une cloche, et surtout handicapé par cette volonté trop voyante de répéter les mêmes recettes gagnantes de
Mon Nom est Personne.
Coté trognes, outre Klaus Kinski qui fait une apparition hilarante, on retrouve avec plaisir la présence de Raimund Harmstorf, qui jouera deux ans plus tard l’inquiétant et classieux chef des chasseurs de prime dans Adios California. Harmstorf est ici ridiculisé par Terence Hill, mais on retrouve pourtant une partie de son charisme dans ce personnage de sergent capable de parler indien. Outre le casting iconoclaste et joyeux de Robert Charlebois et Miou Miou, on note aussi le rôle important de Patrick McGoohan en major plus rusé que Locomotive, mais qui se fera quand même ridiculiser par Terence Hill. Enfin Mario Brega est le conducteur de la diligence, mais il a du maigrir car je ne l’ai pas reconnu.
Tourné dans Monument Valley, avec un budget confortable, le film est réalisé par le talentueux Damiano Damiani, le réalisateur du formidable Quien Sabe ? (El Chuncho), et produit par Sergio Leone. Celui-ci prétendra s’être trompé en engageant Damiani, plus à son aise dans le registre dramatique. Pourtant si l’on parcourt la filmographie de Tonino Valerii, le réalisateur de Mon nom est Personne, on trouve surtout des films sérieux, pas de comédies. L’échec relatif du film vient sans doute d’autre chose, un soin moins important apporté au scénario, ou peut-être du fait que les négatifs du film furent volés par on ne sait qui en Italie et jamais retouvés, et que le film dut être remonté à l’aide de rushs et autres prises de sécurité.
Quoi qu’il en soit, Un génie, deux associés, une cloche demeure un film raté, mais raté dans le sens où il est beaucoup moins réussi que Mon nom est personne, auquel il se réfère directement dans la scène avec Klaus Kinski. Par contre, en tant que western fayot, Un génie, deux associés, une cloche fait sans mal parti des fleurons du genre et est tout à fait recommandable, au point que s’il se décide un jour à sortir en DVD avec VF, je l’achèterai volontiers.