Des westerns partagés par un amateur, sans prétention journalistique, sans rigueur historique et sans faux col. N'utilisez pas ces articles pour votre thèse sur le western.
jeudi 27 mars 2014
Le Convoi des Braves
Wagon Master
1950
John Ford
Avec : Ben Jonhson, Harry Carey Jr., Ward Bond
C'est un film où il ne se passe rien. Pas de péripéties, pas de suspense. Trois quarts d'heure après le début du film, il ne s'est toujours rien passé, à peine de ci de là un début de tension, un hypothétique drame qui se révèle à chaque fois un pétard mouillé. Et vas-y que je chantonne, et vas-y que je suis toujours de bonne humeur. Voir ça après le spagh Chacun pour soi donne l'impression de se retrouver dans une pub Ricoré, mais en noir et blanc, oui parce que tant qu'à faire, il n'y a pas de couleur non plus. Au bout de trois quarts d'heure, on attend toujours que le film démarre, et on se rend compte qu'il n'y a pas de stars non plus. Ben Jonhson, Harry Carey Jr. et Ward Bond, c'est génial pour les fans de Papy Ford, mais pour les autres qui s'attendent chaque minute à voir débouler John Wayne ou Henry Fonda, il y a comme tromperie sur la marchandise. J'ai peut-être loupé des trucs parce que j'avoue que j'ai regardé le début du film en faisant du repassage (oui j'essaye vainement d'être un mâle 3.0, donc des fois je repasse), mais une rapide lecture de critiques alentour confirme que c'est bien un film nonchalant de John Ford.
A 45 minutes du début, entre une chemise Tissaia et mon jean troué, j'étais en train de me dire que Ford avait anticipé le principe des Bijoux de la Castafiore d'Hergé et pris le parti de ne rien raconter du tout, quand soudain, des bandits rentrent dans le champ, en plein milieu d'un bal endiablé. Ford nous jette une série de gros plans sur les trognes des outlaws et les gueules inquiètes des Mormons. Impressionnant! On se rend compte alors que ce noir et blanc est magnifique.
Le soufflé monte d'un coup mais retombe bien vite. Les bandits se tiennent correctement, et tout le monde redevient joyeux et repart ensemble l'âme sereine. Et c'est reparti pour un peu de parlotte, une touche d'humour Fordien, un poil de flirt par ci par là. Des indiens menacent soudain, mais en fait ils sont pacifiques, ouf, on s'en voudrait de gâcher cette bonne humeur. Les hommes du Marshall à la poursuite des bandits interviennent également dans une classique scène où les bandits menacent les otages de l'intérieur d'un véhicule pendant que les forces de l'ordre n'y voient que du feu. Malgré tout, petit à petit, on pressent l'inéluctable. L'un des bandits s'est fait fouetter pendant la soirée chez les Navajos, et l'on sait bien que ça ne va pas demeurer impuni. On est cette fois, bien dans le film, le dénouement ne tarde pas, violent et incisif.
Mais ce qui demeure dans ma mémoire, c'est cette légèreté, cette inébranlable foi en l'être humain, ce refus du drame pour présenter un film simple, sympathique et ma foi très agréable à suivre...
samedi 22 mars 2014
Chacun pour soi
1967
Ognuno per se
Giorgio Capitani
Avec : Van Heflin, George Hilton, Klaus Kinski, Gilbert Roland
Réussite formelle autant qu'artistique, Chacun pour soi allie le meilleur du western européen et du western américain. Au premier, il emprunte les sales gueules, la noirceur et le nihilisme, au second un sens de la mesure et un soin particulier à la réalisation qui donne de la profondeur au scénario. On assiste aux habituels coups fourrés du spaghetti, mais ce n'est pas un jeu car tous les personnages sont fouillés et ambivalents. On assiste aux habituelles fusillades, mais on ne s'amuse pas à compter les morts comme d'habitude. On reconnaît, comme à chaque fois, les décors d'Almeria, mais ils sont si bien mis en valeur qu'on y croit sans peine, y compris cette fameuse dune filmée dans tous les sens. Tout est maîtrisé, cadré, sans que jamais Giorgio Capitani - dont c'est le seul western - ne perde de vue son histoire, sans jamais que le manque de moyens ne vienne le faire dévier de son objectif. Capitani porte une attention extrême aux détails, ici un revolver caché sous une pierre, là un flacon de quinine qui aura son importance, sans oublier ces deux tueurs du début qu'on retrouvera à la fin. Des détails toujours, comme Van Heflin encourageant son cheval, comme cette marmite qui se remplit d'eau au milieu de la mine, comme ce petit pas de danse de Gilbert Roland avant une fusillade, des détails donc, qui placent Chacun pour soi sans peine au-dessus du tout venant.
Capitani s'appuie sur une distribution solide, Van Heflin en tête, formidable en vieux chercheur d'or fatigué mais lucide, et George Hilton à contre-emploi, dont on regrette d'ailleurs que la relation père fils avec Van Heflin soit un peu oubliée quand le duo se transforme en quatuor. Les rôles de Kinski et Roland sont plus convenus mais tout aussi maîtrisés. Curd Ridel insiste dans la présentation du DVD (très bien, mais quelque peu noyée par la profusion de références) sur l'homosexualité entre Kinski et Hilton. Je n'ai pas trouvé cette relation si évidente que ça, mais cela semble faire consensus partout. [Edit suite à discussion en commentaires] Sachant que le personnage de Kinski à pris le rôle du père du personnage de Hilton, j'y vois plutôt une relation incestueuse pédophile qui aurait perduré une fois l'âge adulte atteint. On voit d'ailleurs Hilton les yeux plongés dans le décolleté d'une serveuse, ce qui semblerait bien indiquer que sa relation avec Kinski est subie. Son désarroi lorsque celui-ci meurt serait donc plutôt lié à la perte du père, et non pas à la perte de l'amant.
Quoi qu'il en soit, le film, par son thème et ses personnages, m'a quelque peu fait penser au double album des Monts de la Superstition de Charlier et Giraud. Même si le déroulement de l'histoire et les péripéties sont totalement différents entre les deux oeuvres, c'est cette minutie dans la réalisation, la richesse des situations qui tirent à chaque fois pleinement parti de tous les éléments disponibles (aridité, relief, manque d'eau, folie lancinante) qui emportent l'adhésion pleine et totale du lecteur/spectateur. L'un comme l'autre forment une réussite du genre, et si vous avez aimé l'un, je ne saurais trop vous conseiller de vous procurer l'autre.
Capture: DVD Artus
mercredi 19 mars 2014
The Darkening Trail
1915
William S. Hart
Avec: William S. Hart, George Fisher, Enid Markey, Louise Glaum
The Darkening Trail est un film remarquable à plus d'un titre. D'abord parce qu'il intervient tôt dans la filmographie de William S. Hart et qu'il tranche pourtant énormément avec les productions de ses débuts. Ensuite parce que la star, déjà énormément populaire, n'y tient qu'un rôle certes majeur, mais secondaire malgré tout. Enfin parce que le film se déroule petit à petit, devant les yeux du spectateur d'abord curieux, puis littéralement happé par l'intrigue pour finir enthousiasmé par le dénouement tragique et sordide de l'affaire.
Plus drame que western à proprement parler, l'histoire se déroule à une époque visiblement contemporaine du film. On y découvre un jeune homme (Jack Sturgess), fils de riche mais inconséquent, qui visiblement a séduit une jeune fille pour mieux la quitter ensuite. Son père lui laisse le choix, soit de se marier avec elle, soit de partir pour le Yukon. Celui-ci préfère partir pour le Yukon. Cette introduction, très longue, et dans un cadre totalement hors western, aiguise la curiosité du spectateur qui se demande comment William S. Hart va bien pouvoir apparaître dans ce cadre. Le drame qui se noue est fort bien mené, avec de nombreux rôles secondaires (dont Louise Glaum que l'on remarque toujours) et on est presque déçu finalement de ne pas savoir ce qu'il adviendra de la femme délaissée.
L'acte deux se déroule en Alaska, dans une ville nommé ironiquement Hope City, et c'est là bien sûr que l'on rencontre enfin William S. Hart, amoureux éternellement éconduit d'une femme qui elle, tombera éperdument amoureuse du pied tendre fils de riche fraîchement arrivé. Drame des sentiments et de l'amour fou, The Darkening Trail désigne la piste vers la mort, piste qui s'assombrit à chaque fois que le pied tendre prouve son ignominie. Le dénouement, glaçant, dans une chambre mortuaire battue par la pluie est de ceux qu'on garde dans un coin de sa mémoire et que l'on ressort quand on a l'âme triste. L'épilogue, sur un plan de William S. Hart mélancolique, est d'autant plus fort que la violence de la scène précédente était hors-champ. Il n'y a pas de chevauchées dans ce film, pas d'ode au bandit qui trouve sa révélation, juste une tragédie, un destin inéluctable, sans prise de position particulière. Attention, je ne crie pas au chef-d'oeuvre, mais malgré tout, The Darkening Trail est un film surprenant dans la filmographie de William S. Hart qui vaut largement le détour. Je vous le recommande chaudement.
Scan: The Complete Films of William S. Hart
dimanche 16 mars 2014
Bad Buck of Santa Inez
Bad Buck of Santa Inez
1916
William S. Hart
Avec: William S. Hart, Fanny Midgley, Thelma Salter
On célèbre cette année, le centenaire du début de la Grande Guerre, qui causa la mort de millions de personnes. Mais il y a cent ans également, de l'autre côté de l'Atlantique, l'acteur William S. Hart accédait à la renommée en présentant son premier western, qui tentait alors d'offrir une représentation plus juste de l'Ouest américain que les centaines de westerns fantaisistes tournés jusqu'alors.
Pour fêter ça, je m'en suis remis un petit, un pur, de 1915, en pleine période Incienne, dont le titre seul est une réussite poétique. Bad Buck of Santa Inez, pour nous autres français, ça ne veut rien dire, ça sonne comme Bad Day at Black Rock, mais c'est Bad Buck, le surnom du héros, et Santa Inez, une bourgade où il sévit et ridiculise le Shérif. Bad Buck, bien sûr c'est William S. Hart, mâchoire serrée et regard dur. Sa confrontation avec le Shérif dans le saloon est un modèle de tension exacerbée dans la plus pure tradition Hartienne, avec réparties cinglantes, gestes calculés et armes pointées à bout portant.
La suite est de la même veine. Le film est inspiré d'une nouvelle de Bret Harte, un auteur américain de la seconde moitié du XIXe siècle, dont les nouvelles The Outcast of Poker Flat et The Luck of Roaring Camp ont servi de trame au western spaghetti Les Quatre de l'Apocalypse. On n'est donc pas surpris de trouver une certaine rugosité dans le scénario de ce Bad Buck of Santa Inez. En fuite, poursuivi par le posse, Hart tombe nez à nez avec une pionnière et sa petite fille dont le mari/père vient de succomber de la fièvre. Bien sûr, il refuse de les aider vu qu'il n'a pas le temps, mais il finit par céder au charme suppliant de la petite fille. Toujours ce poncif du revirement du bandit dans la filmographie Hartienne. Mais ça ne s'arrête pas là, plus tard la petite fille est mordue par un rattle snake lors d'une scène bien insignifiante aujourd'hui, mais qui a marqué le critique de Moving Picture World du 22 mai 1915 qui déclare que la scène pourrait bien être repoussante pour certains, bien qu'elle forme un bel exemple de réalisme dans le Western. Bad Buck va tout faire pour trouver un médecin, sachant qu'il est attendu par le Shérif en ville. Je vous spolie de la fin: la petite fille va survivre, mais Bad Buck, mortellement blessé, succombera au chevet de la gamine. Hop, en vingt minutes, deux bobines, crac c'est terminé. Et c'est tant mieux, on y gagne en intensité. Si vous avez déjà exploré la partie "Années 1910" de ce blog, vous savez que William S. Hart est un acteur un peu à part dans le western muet, et que certains de ses films valent le détour. Bad Buck of Santa Inez, sans atteindre la saveur des meilleurs, contient tous les ingrédients de la recette habituelle et peut former une belle introduction à sa filmographie.
Sources: The Complete Films of William S. Hart. A Guide of Silent Westerns
Scan: The Complete Films of William S. Hart
Où le voir: DVD Alpha Home Entertainment. Attention, c'est du vieux matériau, flou et décadré, dont la qualité est loin d'atteindre la capture ci-dessus.
En bonus dans le DVD on a:
- The Uncovered Wagons, 1923, de Jay A. Howe, une parodie burlesque du fameux Covered Wagon de James Cruze. Les chariots sont remplacés par des automobiles et les indiens attaquent à bicyclette. Franchement, ça ne vole pas haut, mais l'acteur James Parrot, crédité ici sous le nom de Paul Parrot, porte une moustache comme Charlot et deviendra plus tard réalisateur d'un certain nombres de Laurel et Hardy. On note une scène assez drôle où l'acteur, au fond d'une rivière, remet son chapeau et redémarre sa voiture à la manivelle, avec des poissons qui nagent autour de lui.
- Pals of the Prairie: un western parlant de 1934 sans intérêt immédiat, si ce n'est qu'il a pour vedette Buffalo Bill Jr., qui avait cette particularité de n'avoir aucun lien de descendance avec le vrai Buffalo Bill.