Des westerns partagés par un amateur, sans prétention journalistique, sans rigueur historique et sans faux col. N'utilisez pas ces articles pour votre thèse sur le western.
mardi 20 octobre 2015
American Sniper
American Beauty, American Psycho, American History X, American Nightmare et maintenant American Sniper. De ce côté ci de l'atlantique, on trouve ça classe quand on rajoute le mot "American" devant un titre, ça rajoute tout de suite une espèce d'aura au film, liée sans doute à notre admiration sans cesse refoulée pour le pays de l'oncle Sam.
En l’occurrence, il s'agit bien ici d'un sniper américain qui dégomme des irakiens à distance. Vertige de la distance à la cible qui pose bien souvent la question de la responsabilité morale face à ses actes. Si le sniper de ce film a une réelle envie d'en découdre et n'hésite pas à aller au front avec ses camarades, qu'en est-il de ceux qui tirent à distance de très loin, sans être jamais en danger? Et si le maniement d'une telle arme requiert au moins d'être sur le terrain, au quotidien avec les hommes, qu'en est-il des pilotes de drone qui tuent à 10 000 km de leur "lieu de travail"?
Car s'il est une chose qui transparaît nettement dans ce film, comme dans la plupart des films de guerre américains récents, c'est la disproportionnalité des forces en présence. Les américains ont un équipement sophistiqué, des armes de pointe et un appui aérien. Les insurgés roulent en R12, n'ont pas de casques et ont une tactique de guerre ignoble: envoyer des enfants faire sauter les convois et tuer les collabos à la perceuse. Difficile de faire le tri dans tout ça, entre une guerre illégitime d'une part, des dictateurs sanguinaires d'autre part, des fanatiques religieux inhumains à droite, du pétrole à gauche. Ce serait bon de pouvoir choisir son camp naturel sans se poser de question (surtout quand lesdits fanatiques assassinent flics, juifs et humoristes chez nous), mais voilà, le cerveau humain se pose toujours des questions, et il est bien emmerdé quand il n'y a pas de réponse claire.
Clint Eastwood n'en a absolument rien à faire de tout ça. Il veut, apparemment, montrer les effets de la guerre sur l'être humain, sujet qui, au passage, a déjà été traité des centaines de fois (je me reverrais bien un Cimino moi tiens...). Il prend un cas cinégénique, un sniper légendaire qui a tué au moins 160 irakiens. Celui-ci semble sûr de son coup, ne tremble légèrement que quand il doit tuer un gosse, a ce regard absent des vétérans quand il rentre chez lui. Pas parce qu'il est traumatisé, mais parce qu'il veut y retourner sans plus attendre. Autour de lui, il y a beaucoup de gens qui doutent, mais pas lui. Au final, il réussit à raccrocher en s'occupant de gueules cassées et en retrouvant ses bottes de cowboy dans un placard. Eastwood a édulcoré le personnage de la vraie vie, qui était bien plus radical que dans le film. Il lui a adjoint un adversaire à sa mesure, un sniper irakien redoutable, histoire d'avoir une vraie histoire. Le fait que cet irakien n'ait jamais eu en réalité le rôle décrit dans ce film, est le symptôme même d'une guerre moderne non télégénique. Comment filmer une guerre sans méchant réellement identifié, à la réalité complexe, insaisissable, et forcément décevante: pas de victoire à fêter, pas de batailles rangées au dénouement clair et net, juste du chaos interminable. Le sniper irakien personnifie l'ennemi, donne un but au héros alors qu'en réalité il n'en avait pas.
Il procure une péripétie cinématographique au film, mais quitte à se divertir avec un combat de sniper, Stalingrad de Jean-Jacques Annaud était bien plus rigolo. C'est que l'affrontement entre snipers n'est pas l'enjeu de American Sniper. Quel est cet enjeu alors? Je suis bien en peine d'en trouver un. Eastwood filme son histoire sans juger, montre les effets de la guerre sur le vétéran, sur son couple, qui finit par s'en remettre plus ou moins. Quel est le message? Il n'y en a pas, Eastwood est juste un témoin. Il montre, sans prendre parti, et c'est déjà une force en soi. Mais ce n'est pas suffisant. Je ne comprends pas bien pourquoi American Sniper est devenu le plus grand succès de son auteur. Comme d'habitude avec Eastwood, c'est bien filmé, net, lisible, pas tape à l’œil pour un sou, on ne s'ennuie pas, mais il manque son humour et son ironie habituels. De ce point de vue, je réfère largement Gran Torino, auquel Eastwood apporte son jeu d'acteur bougon et sympathique. Bradley Cooper n'exprime pas grand chose, on a du mal à s'identifier à lui. Son caractère buté et sûr de son droit en font un personnage de cinéma proche d'un Burt Sullivan qui veut apporter la justice coûte que coûte. Mais un tel personnage, avec une conception de la justice simpliste dans une réalité aussi complexe pose question, remue et dérange, et on ne peut pas adhérer au personnage. On devient alors juste témoin du destin d'un soldat, qui certes tire très bien, mais dont Eastwood n'a pas su révéler grand chose d'autre que cette faculté balistique supérieure!
Moi j'ai vraiment aimé ce film. Pas au microscope, mais globalement. Bien en sécurité dans mon fauteuil je me disais que c'était assez réaliste et très neutre. Il y a des gens qui font ça. Sniper. Je trouve qu'Eastwood réussit assez bien à rendre compréhensible le point de vue du mec. Quand il rentre à la maison, comme lui on s'emmerde et on a hâte qu'il reparte en opérations... Son adversaire ne me paraît pas juste être un méchant. Je ne pense même pas que ce soit un méchant. Il défend sa ville, sa famille, en plus il est beau et bien plus classe que le héros. Quand il se fait tuer, j'ai trouvé ça peu crédible et injuste, comme pour tous ces indiens qui tombaient de la falaise dans La rivière sans retour.
RépondreSupprimerJe trouvais le film assez subtil. J'en parlais avec une connaissance, une étatsunnienne... qui elle était sortie bouleversée mais sur un registre d'exaltation patriotique (il faut bien dire que le générique final incite à cette interprétation). Je constatais une nouvelle fois à quel point les films d'Eastwood pouvaient donner lieu à diverses d'interprétations. Pour moi on était loin de la glorification : le mec qui fuit sa vie de couple est un type à tendances asociales qui lorsqu'il cherche une idée pour aider des traumatisés de la guerre ne pense qu'à un seul truc : leur apprendre à tirer ! C'est tout de même d'une ironiemordante ! Mais non, mon interlocutrice avait vu autre chose... Le portrait d'un héros, un type qui s'était sacrifié pour nous tous, pour nous défendre des fous.
Bon j'arrête là sans conclure. Eastwood est toujours un auteur duplice, qui arrive à séduire des spectateurs pourtant très différents, presque opposés.
Merci à toi d'écrire encore en me laissant le temps de réagir.