samedi 13 janvier 2007

Go West - Ma Vache et Moi

Buster Keaton,
1925
NB
muet
67 minutes

Certains traversent la vie en se faisant des amis, où qu’ils aillent, d’autres ne font que traverser la vie. Buster n’a pas le sou, et surtout, c’est un sans ami, car même les chiens le fuient. Pour cette raison, il décide de partir tenter sa chance vers l’Ouest. Débarqué d’un train par erreur, il va travailler dans un ranch où son inaptitude à socialiser avec son prochain va s’aggraver. Mais en ce lieu, il va rencontrer une vache qui curieusement s’attache à lui. Buster a enfin trouvé une amie ! Le hic, c’est que dans les ranchs, les vaches c’est promis à l’abattoir…

Avec Go West, Buster Keaton livre un film comique qui exploite intelligemment plusieurs niveaux de comédies. La comédie burlesque d’abord, avec son lot de chutes et de poursuites, donne à Go West son niveau de lecture le plus immédiatement accessible. La scène dans la grande ville ou Buster ne parvient pas à faire un seul pas en avant dans une foule à contre-courant en est l’exemple le plus intéressant, car l’humour permet ici une critique caustique de la modernité déshumanisée. Le final qui montre un troupeau entier en roue libre dans le Los Angeles civilisé n’est pas mal non plus, et très crédible par l'ampleur des moyens accordés au projet. Buster, déguisé en diablotin rouge pour attirer le bétail, devient le trublion de la civilisation et incarne la revanche de tous les mal-aimés du monde. Mais cet humour très premier degré n’est pas l’aspect le plus réjouissant du film. Buster Keaton distille aussi un certain nombre de situations cocasses, poétiques et émouvantes. On rit, mais on rit un peu jaune, car c’est du malheur d’un homme que Buster Keaton nous contraint à rire : comment Buster perd tout son argent en quelques secondes, la scène drôle mais terrible où un chien ignore ses caresses, les scènes de repas où Buster n’est jamais présent au bon moment. Qui ne s'est pas retrouvé un jour dans ce genre de situation embarrassante  en total déphasage avec tout le monde? Keaton parle ici à chacun de nous, car même les personnes les plus populaires ont ressenti un jour le désagrément de ce que l'expression à la mode nomme "un grand moment de solitude". La poésie naît également des effets spéciaux, comme ces voyages en train où le baluchon contenant les vivres de Buster qui fond à vue d’œil comme neige au soleil suggère le passage du temps, ou cette apparition de la fameuse statue invitant notre héros à partir vers l'Ouest. Enfin, Go West est une enthousiasmante parodie de western. En 1925, le western était déjà un genre florissant, et beaucoup de scènes « classiques » sont tournées en dérision : Buster se force à arquer ses jambes pour se faire passer pour un authentique cowboy, mais il porte un minuscule petit révolver tout à fait ridicule. Incapable de monter à cheval, il grimpe sur son mulet avec une échelle portative, et pour épargner à son amie la vache la douleur du marquage au fer rouge, il reproduit le motif distinctif du ranch au rasoir! La partie de poker également, où Buster se défend très bien, mais perd quand même au final est assez inattendue et drôle. On note au passage un gag qui fait référence à la réputation d’homme « qui ne sourit jamais » de l’acteur. Enfin, l’attaque du train constitue une bonne scène d’action tout à fait représentative du genre.
Au delà de la comédie, Go West est l’émouvante histoire d’un homme totalement inadapté à l’espèce humaine. Son attachement irrationnel pour ce bovidé qui est le seul être au monde à avoir remarqué son existence devient la principale surprise de ce scénario, car ce postulat de départ à priori peu porteur pour un scénario de film fonctionne pourtant parfaitement, et donne une touche de modernité surprenante à cette œuvre singulière. Dommage que Keaton n’aille pas jusqu’au bout de son personnage et propose un happy end plutôt convenu et sans saveur. Mais que cela ne gâche pas votre plaisir de découvrir un excellent film muet qui comme quasiment tous les films de Keaton, va bien au-delà de la simple comédie burlesque.

Où le trouver :DVD mk2 éditions.

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