1968
Prepara tri la barra
Ferdinando Baldi
Avec: Terence Hill, Horst Frank, George Eastman, José Torres
J'aime bien George Eastman, il est grand, il est classe, bien sapé, et il y a un quelque chose dans sa dentition quand il sourit, des dents longues presque cartoonesques, qui le rendent immediatemment attachant, en même temps qu'inquiétant. Quelque part au début du film, il frappe un de ses hommes, comme le font tous les chefs de bande dans les westerns à chaque fois qu'ils doivent asseoir leur autorité. Plus tard, Terence Hill fait de même avec l'un de ses propres hommes, manière de montrer qu'il ne vaut pas beaucoup mieux. C'est le principe ironique du western spaghetti à l'oeuvre. Le héros tue tout un tas de monde, parfois sans raison valable (trois des hommes qu'il vient de sauver), il viole allègrement la loi (les condamnés à mort astucieusement sauvés et enrôlés), se fait tabasser quand il n'a plus trop le choix, et planque des mitrailleuses dans les cimetières au cas où. Bien sûr, le bodycount est tout simplement effarant.
Ferdinand Baldi est le réalisateur d'un paquet de bons westerns italiens, le jusqu'auboutiste Texas Addio, le tragico-lyrique Dernier des salauds et le cinglé Blindman. Celui-ci est peut-être un poil en dessous, mais à peine. Il y a une musique efficace, il y a un scénario habile malgré l'ultra-rabachage du thème de la vengeance, il y a de bonnes idées visuelles autour du thème de la pendaison, et il y a le mythe Django, puisque pour une fois ce Django là est considéré comme un vrai Django, le film pouvant être vu comme une préquelle à celui de Corbucci. Mais il manque pourtant une identité comparable aux films sus-cités. Même si on serait en peine de définir ce que c'est qu'un grand Baldi, tant ses films peuvent être différents les uns des autres, ce western là n'est définitivement pas un grand Baldi. Certaines scènes sont longuettes, voire poussives (le vieux avec son perroquet). Le meurtre de la femme de Django est expédié fissa comme une formalité douanière. Hop, le plan suivant, Django enterre sa moitié, il a revêtu sa légendaire vareuse, signe qu'il est devenu un homme sombre et tourmenté, et zou on passe à autre chose. Comme meurtre fondateur d'un traumatisme qui justifie le carnage des 75 minutes suivantes, c'est un peu léger.
Terence Hill parvient à faire oublier à nos anachroniques mémoires qu'il sera Trinita plus tard. Enfin, il ne parvient à rien du tout puisque quand il jouait le rôle, il ne savait pas qu'il serait Trinita plus tard, et justement, ça a dû en décevoir quelques uns quand ils découvrirent le film stupidement retitré Trinita prépare ton cercueil. En tout cas, au bout d'un moment, ce n'est plus Terence Hill que l'on voit, mais bien Django, un poil fantômatique comme s'il était réellement mort suite à l'attaque, un brin têtu quand il refuse à plusieurs reprises l'argent de Horst Frank et naturellement totalement taciturne. José Torres lui, interprète un de ces seconds rôles savoureux chez Baldi, où en quelques traits, il parvient à exprimer une fêlure enfouie, ici celle de l'homme pauvre qui n'en peut plus de trimer sans jamais pouvoir échapper à la pauvreté. Sa femme, jouée par Barbara Simon, est également un personnage intéressant, excusant les faiblesses de son mari, tout en faisant totalement confiance à Django. Tous ces rôles bien écrits participent à la cohésion de ce film de bonne tenue. Parfois un peu léger, parasité par les habituels défauts du genre - en particulier cette incapacité qu'ont tous les réalisateurs de western spaghetti à laisser du champ à la musique, à l'exception bien sûr de Sergio Leone - manquant un peu de moyens malgré une bonne utilisation de tous les décors habituels, Django prépare ton cercueil risque de décevoir ceux qui voudraient découvrir le genre, tandis qu'il laissera un goût d'inachevé aux amateurs, qui trouveront que tous les thèmes habituels - fantastique, politique - sont tout juste ébauchés. Certes Horst Frank joue une crapule corrompue de première, mais ce n'est ne le premier ni le dernier homme politique corrompu que l'on verra dans le monde décadant du western italien. Les aspects fantastiques, en particulier celui des morts qui reviennent sur Terre, sont finalement assez peu exploités pour laisser la place au déroulement un peu plan plan d'une intrigue terre à terre. Malgré toutes ses qualités et sa bonne réputation, ce film reste donc assez mineur en ce qui me concerne.
Captures: Rex Lee sur Western Maniac.
Des westerns partagés par un amateur, sans prétention journalistique, sans rigueur historique et sans faux col. N'utilisez pas ces articles pour votre thèse sur le western.
samedi 25 août 2012
lundi 20 août 2012
Texas
1969
Il Prezzo del Potere
Tonino Valerii
Avec: Giuliano Gemma, Warren Wanders, Ray Saunders, Antonio Casas, Benito Stefanelli
J'ai vu ce film une première fois il y a dix ans à la cinémathèque et je n'avais rien compris. L'organisateur de la séance nous avait prévenu, il avait fait comme il avait pu, avec les moyens du bord, le film était incomplet. Je l'ai revu aujourd'hui en version plus complète, mais en italien sans sous-titres. Je n'ai donc toujours rien compris aux détails de cette intrigue qui transpose l'assassinat de JFK dans l'Ouest au lendemain de la guerre de Sécession. Vouloir regarder du western spaghetti est un chemin de croix, jonché de mauvais films que l'on regarde malgré tout pour voir la scène à sauver du film (il y en a toujours une), et parsemé de très bons films que l'on a souvent du mal à voir dans de bonnes conditions.
Texas est de la deuxième espèce. À vrai dire cela se sent curieusement dès le générique, qui n'est pourtant qu'un plan fixe sur une carte des États-Unis. C'est bizarre, hein, mais tout de suite on le sait: ça va être un bon film! La musique langoureuse de Luis Bacalov s'élève et comme les chiens de Pavlov, on salive d'avance. Le fait de ne pas comprendre très bien l'italien permet de se concentrer sur la technique de Valerii. Contrairement a Castellari, Tonino Valerii ne cherche pas à épater la galerie, et pourtant on sent une maîtrise de la mise en plan et de la dramaturgie tout entière au service de l'intrigue, une fluidité dans les mouvements de caméra qui n'est pas là pour en mettre plein la vue, mais bien pour s'effacer devant les personnages. Tout cela produit un film qui se suit parfaitement bien, avec le plaisir d'une mise en scène intelligente. Les moyens sont relativement conséquents en terme de figuration et de décor, même si les puristes de la vraisemblance trouveront naturellement à redire sur la crédibilité visuelle d'un film aussi ambitieux du point de vue scénaristique et historique. En effet, même si on ne comprend qu'un mot sur dix de l'italien et que sa vision de la VF remonte à dix ans, la tonalité générale du film se comprend très bien, les thèmes du traitement des noirs et du conflit d'un certain progressisme face aux vieilles traditions du Sud sont les pierres angulaires du récit, ainsi que la corruption, le pouvoir de la presse, l'importance de l'Etat, l'histoire du Texas. Et malheureusement, tout cela se ressent très peu au niveau des décors et de la figuration: très peu de noirs sont employés, les décors, la vestimentation sont ceux d'un western spaghetti classique, rien ne cherche à faire "vrai" par rapport à la richesse des thèmes abordés. Gageons qu'avec les mêmes moyens que Valerii obtiendra plus tard pour Mon Nom est Personne, il aurait réussi un film autrement plus beau et cohérent.
La distribution comme d'habitude, ravira les amateurs de western italien, on retrouve le barbu chevelu qui se fait sans cesse martyriser par Terence Hill dans Trinita, subissant ici un sort tout aussi peu enviable, Antonio Casas, qui disparaît bien vite, et bien d'autres encore. Mais certaines têtes secondaires de western spaghetti ont des rôles particulièrement bien écrits par rapport à la norme du genre, en particulier Benito Stefanelli en Shérif corrompu, montrant de véritables talents de comédien, Joaquin Parra (photo ci-dessus) le meurtrier sacrifié qui réussit en peu de plans à construire un personnage. Dans la catégorie des non-habitués, Ray Saunders, touchant à force de clamer son innocence, Warren Wanders en espèce d'agent secret et Manuel Zarzo, formidable en infirme aux béquilles meurtrières, enrichissent aussi le film de façon très convaincante. Dans le registre notables en veston, Fernando Rey est bien là, et le président (Van Johnson) et le vice-président à qui incombe la tâche de lui succéder (Jose Suarez) ne sont pas non plus traités à la va-vite, Valerii prenant le temps de développer chaque personnage.
Dans tout ça finalement, c'est Giuliano Gemma qui est peut-être le moins convaincant. Son visage sied assez mal au rôle, et il n'est pas aidé ici par sa tenue trop banale, voire moche. Mais on l'aime bien le Giuliano, et alors que l'intrigue se développe, de coups fourrés en trahison, de révélations en discussions politiques et éthiques, Tonino Valerii fait un sans faute sur le plan dramaturgique et émotionnel, avec la mort violente et crispée du Noir (Ray Saunders) et l'arrivée théâtrale de Gemma en plein procès avec son ami mort sur le dos. Car malgré tout le sérieux de l'entreprise, Tonino Valerii fait bien un western spaghetti, d'un esthétisme bien présent avec des scènes que l'on ne peut trouver que dans le genre. Il fait mouche avec la séquence de la roulette russe à un seul joueur, il fait mouche avec la scène du duel dans le noir avec un cigare, il fait mouche avec la destruction des bandits à la dynamite (anticipant Mon Nom est Personne). La bagarre entre Gemma et Warren Wanders est l'une des plus convaincantes jamais vue dans le western italien et ce plan de Warren Wanders et Jose Juarez se serrant la main au dessus du cercueil du président recouvert du drapeau américain, aux cotés de sa veuve éplorée (Maria-Luisa Sala) est tout simplement magnifique. Vous l'avez donc compris, Texas est un western italien à voir, en français avec des bouts d'italien dedans, en anglais, en japonais, en VHS décadrée et rippée en 8 bits, comme vous voulez, mais voyez-le!
Où le voir: dans votre salon, dans votre chambre, dans vos chiottes, je m'en fous, mais voyez-le !
Captures: Rex Lee et El Puro sur Western Maniac (Voyez-le, ce film!)
vendredi 10 août 2012
Johnny Yuma
1966
Romolo Guerrieri
Avec: Mark Damon, Rosalba Neri, Lawrence Dobkin, Luiggi Vannuchi
Ce qui est vraiment dommage avec ce film, c'est qu'on doive se taper la tronche fade de blanc bec de Mark Damon pendant une heure et demie. Je n'aime pas ces espèces de gueules d'ange proprettes qui traversent le western spaghetti comme une incongruité dans un monde mal rasé. Oui, même le beau Guiliano Gemma a eu tendance à me hérisser le poil. Je m'y suis fait parce qu'il est difficile de faire l'impasse sur Giuliano Gemma, parce qu'il a eu un énorme succès et qu'encore aujourd'hui il est admiré de tous, ce qui m'étonnait alors. Aujourd'hui cependant, je suis comme tout le monde, j'aime bien le beau Giuliano. Mais ses imitations fadasses, non. Ne comptez donc pas sur moi pour faire un petit mot gentil sur Mark Damon, sa carrière américaine, sa carrière italienne, sa carrière de producteur. Mark Damon, malgré son humour, fait tache dans cette bonne petite production européenne, avec ses chemises colorées, ses cheveux bouclés et son sourire cajoleur.
Parce que pour le reste tout y est. Une excellente musique qui rendrait tragique un film de mariage en Super 8. Une intrigue alambiquée avec une belle dame manipulatrice (Rosalba Neri) et un frère cruel (Luiggi Vannuchi). Des seconds rôles conséquents (Lawrence Dobkin). Des décors sud-espagnols parfaitement exploités. Des morts virevoltants et des regards durs. Des morts non virevoltants mais tragiques (l'assassinat de l'enfant), justifiant le carnage à venir. Et pour ne rien gâcher, une fin plutôt surprenante. Il faut encore et toujours que je le précise pour les newbies: on n'est pas au niveau d'un Sergio Leone. Mais la réalisation tient la route, le budget tient la route, l'interprétation tient la route. On se demande pourquoi des petits westerns de ce genre ne sont jamais sortis en DVD en France, alors que Les ravageurs de l'Ouest étaient jetés en pâture à ceux-là même qui voulaient prouver la nullité absolue du western italien. Quel dommage, alors que Johnny Yuma, à n'en pas douter, se doit de figurer dans la filmothèque de tout spaghettophile qui se respecte.
Captures: Rex Lee et Liko sur Western maniac