samedi 25 janvier 2014

L'Homme des vallées perdues



Shane
1953
George Stevens
Avec : Alan Ladd, Van Helfin, Jean Arthur, Jack Palance, Ben Johnson

Je ne regarde plus de westerns, ça m’est passé comme la grippe, c’est triste, j’en suis attristé pour mes millions de lecteurs qui appuient frénétiquement sur F5 en espérant une mise à jour, mais que voulez-vous, c’est la triste vérité que l’homme ne saurait se satisfaire de monotonie et de passion exclusive. Cependant, Arte nous a programmé Shane, alors j’ai replongé temporairement, parce que Shane est précédé d’une réputation très flatteuse et qu’on ne peut quand même pas rater ça. 

Regarder un western après autant de temps, ça rappelle de bons souvenirs, une certaine idée de la couleur (quand je vois ce générique rouge pétant, je souhaiterais être daltonien), une certaine idée aussi de la musique (Ennio, pourquoi es-tu né si tard, et d’ailleurs où sont tes descendants, parce que franchement la musique de La désolation de Smaug, c’est pas ça non plus…). Heureusement, j’ai de beaux restes, je me remets vite dans l’ambiance, ce charme suranné tout ça tout ça. 
De ce film, avant que de l’avoir vu, je ne savais que deux choses. Premièrement, le héros Alan Ladd est petit (1m68), ce qui a l’air de troubler beaucoup de gens. Deuxièmement, Pale Rider est censé être un remake de ce film.

Sur la première affirmation, je ne peux que plussoyer. Il est petit, mais avec Van Helfin, il parvient à déssoucher une souche rebelle à la force des épaules, symbole de civilisation en marche, pour mieux s’opposer au discours du méchant qui dit en substance : « C’est nous qui avons bouté les indiens hors d’ici avant que vous n’arriviez, venez pas nous mettre des clôtures partout, sinon on vous piétine vos laitues comme au Moyen Age ! » Marrant parce que dans Open Range par exemple, c’est les autres qui sont les méchants et vice versa. Ladd ensuite va en ville sans ses armes, pour montrer aussi que la civilisation passe aussi par le raccrochage de guns au mur de la maison. Les idiots citent toujours cette phrase où Ladd explique qu’un flingue n’est rien d’autre qu’un outil comme une pioche ou une pelle et que ce qui est important c’est celui qui tient le flingue, alors que la phrase importante est la réponse de la femme : « oui mais le monde serait encore meilleur s’il n’y avait pas d’armes du tout, y compris entre vos mains ». 

Quand il se bat contre Ben Johnson, on voit bien qu’il est petit Alan Ladd. J’ai bien mis 20 minutes à retrouver son nom à Ben Johnson. J’étais là devant ma télé : « Mais putain comment il s’appelle déjà celui-là, il est dans plein d’autres westerns ! ». J’avais vraiment la rage. Ma femme, désolée de voir qu’en quelques mois j’avais perdu toute ma culture westernienne, tentait des noms au hasard : « John Elam? Marvin Cleef ? Jack Stamp ? Joe Kidon ? ». A ma décharge, dans tous mes souvenirs, Ben Johnson est gentil. D’ailleurs à la fin, il se rachète, parce que quand même, merde, Ben Johnson quoi.

Sur la deuxième affirmation, on peut dire que oui, Pale Rider est une variation sur le thème de Shane, avec en plus le coup de masse dans les couilles de Jaw, Clint qui dit « faut pas jouer avec les allumettes » et des barillets de rechange dans la poche. Pale Rider, qui est quand même le plus mauvais western d’Eastwood, passe cependant à coté du mythe fondateur, passe à coté de la relation trouble avec la femme, passe à coté du pistolero qui veut raccrocher ses armes. Pour un remake, c’est quand même passer à coté de beaucoup de choses. On pourra m’objecter qu’en contrepartie Shane est vachement vieux et vachement longuet, que le gosse au travers des yeux duquel on est censés voir toute l’action est lourdingue et plombe le rythme du film alors qu’au contraire dans Pale Rider ça bouge, ils tuent le chien, ils essaient de violer la fille et que Clint dégomme tout le monde et que quand même un western où il n’y a pas tout ça ça peut pas être un vrai western, c’est vrai non mais quoi à la fin.
Sauf que dans Shane, on trouve des scènes magnifiques qui le placent largement au-dessus du pale remake. Il y a par exemple cette scène où Starret fait face aux hommes de Ryker et Shane apparaît soudain à ses cotés. Il y a également une scène similaire où l’on découvre seulement à la fin que Shane avait récupéré ses armes en embuscade et qu’il était prêt à tirer, ainsi que tous ces moments ou Shane apparaît extrêmement nerveux, bien plus nerveux que tous les fermiers qui sont pourtant le groupe à risque du film. Il y a le visage de Ladd sous la pluie, beaucoup plus subtil que le monolithique pistolero Eastwoodien. Shane a cette blondeur angélique, ce mutisme mystérieux qui apparaît comme une fragilité plutôt que comme une force. Quand les hommes parlent, il s’éclipse, on ne sait jamais exactement ce qu’il pense. 

Face à lui, Ben Johnson, puis Jack Palance détonnent. Le meurtre de Torrey par Jack Palance montre bien l’écart qu’il peut y avoir entre un cinéma intense, basé sur la tension graduelle et un cinéma purement divertissant où le nombre de cadavres fait l’intensité. Il y a peu de morts au final dans Shane, et ça rend chaque mort plus intense. Torrey, poussé verbalement par Jack « Phil Defer » Wilson, se fait abattre froidement. La scène est assez impressionnante, par sa maîtrise du temps, ces deux secondes pendant lesquelles l’on se demande si Palance va tirer et qui démontrent bien que malgré l’argument de la légitime défense il s’agit d’un assassinat, la force des insultes proférées à voix basse par Palance, la blessure historique de ces insultes où la Grande Histoire rejoint la petiote, tout cela transfigure une scène classique (un méchant tue un gentil) en quelque chose de bien plus intéressant que le déluge de morts de Pale Rider. Même si bon, dans l’absolu, j’adore aussi les westerns avec plein de morts qui virevoltent, j’avais juste un peu envie de dire du mal de Pale Rider. En bref, Shane est un bon western avec de très bonnes scènes, quelque peu plombé (je crois l’avoir dit plus haut) par un gosse qui aurait très bien pu dégager de la scène sans qu’on ne perde rien de l’attrait du film. A voir.

Image: winchester73 sur western movies

1 commentaire:

  1. Tu m'as rappelé que ce film faisait partie des œuvres que j'aimerais bien voir depuis une bonne vingtaine d'années, mais que je n'ai toujours pas été fichu de regarder... Le temps s'écoule imperturbable. C'est agréable de te lire., même si c'est tous les 6 mois.

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