Des westerns partagés par un amateur, sans prétention journalistique, sans rigueur historique et sans faux col. N'utilisez pas ces articles pour votre thèse sur le western.
samedi 20 décembre 2014
La Dernière Piste
Meek's Cutoff
Kelly Reichardt
2011
Avec: Michelle Williams, Bruce Greenwood
Sous ce titre français qui pourrait parfaitement convenir à un Blueberry, on trouve un western lent, mélancolique et métaphorique qui est si éloigné de Blueberry que je me demande si les traducteurs français ne se sont pas fait une petite private joke entre eux. Une petite caravane de colons dans des chariots bâchés qui marchent vers leur terre promise. L'eau est rare, les hommes sont attentifs à la santé des bœufs qui tirent les chariots. Les femmes marchent à coté. Pas de winchesters, pas de colt 45, mais des fusils mono-coup qui se rechargent lentement avec une baguette pour tasser la poudre noire au fond de la culasse. On doit pas être plus loin que les années 1850. La caravane est perdue, les hommes se méfient de leur guide, un homme qui se donne des airs de Kit Carson, mais qui paraît bien trop bavard pour être aussi expérimenté qu'il ne le dit. Quand l'eau vient à manquer et que l'une des femmes se retrouve nez à nez avec un indien, le drame peut commencer à se nouer.
Le problème c'est que la lenteur du film finit vraiment par le desservir. Kelly Reichardt filme par petites touches, entrecoupe la progression narrative de petits instants du quotidien, filmés en caméra fixe, sans accompagnement musical autre que celui des grillons. Quand la musique apparaît, elle est bien sûr minimaliste, une sorte de longue plainte instrumentale. Les hommes discutent, les femmes observent de loin. On se retrouve vite en terrain connu du film intimiste, qui se veut profond et chargé de sens, sens qui reste naturellement obscur et que la seule force des images doit nous révéler. On en a vu des tonnes de ces films qui délaissent intrigue, narration, scénario et écriture pour se concentrer sur les paysages, les visages, les voix, les sons, les non-dits qu'il faut deviner soi-même, les questions bien évidemment sans réponse parce que ça ferait trop mainstream de donner des réponses. Je peux spolier la fin parce qu'il n'y a rien à spolier. L'indien mystérieux continue à marcher vers l'horizon et semble disparaître, un peu comme Clint Eastwood à la fin de L'Homme des Hautes Plaines. Au moment où l'on voit l'image, on sait que le plan suivant sera le générique, que l'on se sentira floués et trahis, comme à chaque fois qu'un film ne va pas au bout, comme dans tous les Jarmusch, dans tous les Wenders, et comme sans doute dans tous les Malick si je réussissais à aller au bout d'un de ses films. Kelly Reichardt semble marcher dans les traces de ces gars là, elle s'est déjà approprié leur grammaire et leur manière d'énerver les gens comme moi qui préfèrent les bonnes histoires au m'as-tu-vu formel.
Sur ce point là au moins le film est irréprochable. Sur le parti-pris de filmer en 1:33 rien que pour faire différemment de tous ceux qui pensent que le scope est fait pour le western, je ne dirai rien. Les images sont magnifiques, vous verrez la caravane avancer sur fond de splendides paysages, lentement, la caméra reste fixe jusqu'à la dernière roue de chariot, et reste quelques minutes de plus pour être sûr que vous ne loupiez pas le coucher de soleil derrière pour enchaîner sur un fondu irréel. Dans Le Nouveau Monde, Terence Malick m'avait scotché pendant environ une demi-heure avec sa manière de filmer les herbes, les plantes, les marécages et les oiseaux dans le ciel, avant que je ne décroche. Kelly Reichardt réussit la même prouesse pendant dix minutes. La couleur des herbes grillées par le soleil et les couleurs des robes des femmes, la luminosité des plans forment des images exceptionnelles. La réalisatrice filme à hauteur d'herbe, les grandes tiges au premier plan qui strient l'image rappellent la pellicule rayée des vieux films, parallèle d'autant plus fort que de nombreuses séquences sont muettes et documentent la vie des pionniers, comme si Edison avait été là pour les filmer. C'est un travail de composition admirable, mais qui n'est pas auto-suffisant, qui tourne en rond et se répète, et qui m'a fait décrocher. Rapidement mon attention est partie ailleurs, pour se refocaliser sur l'image quand la réalisatrice réussit un nouveau tour de force visuel pour retomber ensuite et s'effondrer quand on comprend qu'il n'y aura pas de fin, pas de conclusion, qu'il n'y avait ni enjeu, ni histoire. Il restera malgré tout un souvenir diffus, une mélancolie contemplative certes pas très originale mais bien travaillée, et un aperçu de la vie des pionniers, épurée du romantisme westernien habituel. C'est déjà pas mal.
Les avis plus respectables et enthousiastes de:
- il a osé: http://ilaose.blogspot.fr/2011/12/la-derniere-piste.html
- Inisfree: http://inisfree.hautetfort.com/archive/2011/09/03/meek-s-cutoff.html
jeudi 23 octobre 2014
La route vers l'ouest
The Way West
1967
Andrew V. McLaglen
Avec: Kirk Douglas, Richard Widmark, Robert Mitchum
Encore une de ces odyssées en chariots bien trop longues pour qu'on ait le courage de s'y coller jusqu'au bout. Du trio de stars, seul Kirk Douglas retient l'attention, de par la noirceur de sa composition. Le reste n'est que clichés, tirades grandiloquentes, ennui pesant, malgré quelques petits seconds rôles sympas. Si ce film a pu fonctionner à l'époque, il est plutôt à éviter aujourd'hui.
mercredi 22 octobre 2014
Sur la piste de la grande caravane
1965
The Halelujah Trail
John Sturges
Avec: Burt Lancaster, Donald Pleasence
Pour: Sympathique western parodique qui permet de passer agréablement son temps dans des décors somptueux, aux côtés de Burt Lancaster, dans la bonne humeur générale. A la fin, les indiens découvrent le Champagne, à leurs dépens.
Contre: Interminable pochade à grands moyens, longue comme un jour sans pain, pas drôle, surjouée, plombée par des chansons sans intérêt, dont tous les gags tombent à plat, et qui n'a malheureusement pas cette espèce d'humanisme chaleureux que même les plus mauvais Ford ont.
Sans opinion: sans opinion
Spoilers: toute la cargaison de whisky, argument central du film, va disparaître pour que la morale soit sauve. Comment ça vous vous en doutiez dès le début?
Bonus: pour Vincent d'Inisfree. Il y a dans ce film, de nombreuses scènes de bain.
The Halelujah Trail
John Sturges
Avec: Burt Lancaster, Donald Pleasence
Pour: Sympathique western parodique qui permet de passer agréablement son temps dans des décors somptueux, aux côtés de Burt Lancaster, dans la bonne humeur générale. A la fin, les indiens découvrent le Champagne, à leurs dépens.
Contre: Interminable pochade à grands moyens, longue comme un jour sans pain, pas drôle, surjouée, plombée par des chansons sans intérêt, dont tous les gags tombent à plat, et qui n'a malheureusement pas cette espèce d'humanisme chaleureux que même les plus mauvais Ford ont.
Sans opinion: sans opinion
Spoilers: toute la cargaison de whisky, argument central du film, va disparaître pour que la morale soit sauve. Comment ça vous vous en doutiez dès le début?
Bonus: pour Vincent d'Inisfree. Il y a dans ce film, de nombreuses scènes de bain.
vendredi 17 octobre 2014
Joe Limonade
Jo Limonade
1964
Oldrich Lipsky
Arte nous a donné récemment l'occasion de voir cette curiosité Tchèque de 1964, non dénuée de qualités formelles et d'inventivité. Ce western en noir et blanc, truffé de scènes musicales et d'éléments parodiques, propose un scénario ironique confrontant les pires soudards de l'Ouest, adeptes du Whisky et de la bagarre, aux ligues de vertu, pronant la sobriété par dessus tout. L'originalité vient du fait que le côté des vertueux se trouve comme champion un chevalier blanc qui est également un commercial pour la célèbre boisson gazeuse KolaLoka. L'ironie cinglante du film vient qu'à chaque morceau de bravoure, il fait un placement produit, s'assurant de bien mettre en évidence sa bouteille de soda face caméra. En outre, les ivrognes devenus sobres, deviennent meilleurs en tir, ne se ratent plus, et économisent à la société des frais médicaux.
L'aspect parodique, mêlant bagarres dantesques sous l'oeil atone des barmans, capacités athlétiques et justesse de tir ahurissantes du héros, propriétés décapantes voire explosives des tord-boyaux servis dans les saloons, force brute de l'homme de main du saloon qui bouffe son verre après avoir bu son - corrosif - whisky, bastons en accéléré, tricheur du saloon et ses multiples gadgets et cartes qui tombent de ses poches quand le héros le secoue par les pieds, tout cela fera immanquablement penser à Lucky Luke, même au plus endormi des aficionados.
Le héros, mélange de Tom Mix et Tex Ritter ou autre Gene Autry, est bien sûr un hommage direct aux héros des séries B des années 30, avec son costume blanc impeccable qui reste blanc même quand il descend d'une cheminée. Comme Benoit Brisefer, il a bien sûr un point faible: l'alcool, même à faible dose, le fait tomber raide évanoui. On passe un bon moment, d'autant que l'esthétique du film, très travaillée, offre un florilège de plans étudiés, de perspectives exagérées et de mouvements non naturels, accentuant l'aspect burlesque, presque dessin animé de l'oeuvre. Pour autant, toutes ces qualités n'en font pas un grand film, tout au plus une curiosité, un brin longuette tout de même surtout du fait des incessantes chansonnettes, mais qu'on remercie bien bas Arte de nous avoir présentée dans une aussi belle copie.
Capture: Edocle sur Western Maniacs.
En bonus, la critique du film dans le Paris-Match du 12 juin 1965 (cliquez pour lire):
1964
Oldrich Lipsky
Arte nous a donné récemment l'occasion de voir cette curiosité Tchèque de 1964, non dénuée de qualités formelles et d'inventivité. Ce western en noir et blanc, truffé de scènes musicales et d'éléments parodiques, propose un scénario ironique confrontant les pires soudards de l'Ouest, adeptes du Whisky et de la bagarre, aux ligues de vertu, pronant la sobriété par dessus tout. L'originalité vient du fait que le côté des vertueux se trouve comme champion un chevalier blanc qui est également un commercial pour la célèbre boisson gazeuse KolaLoka. L'ironie cinglante du film vient qu'à chaque morceau de bravoure, il fait un placement produit, s'assurant de bien mettre en évidence sa bouteille de soda face caméra. En outre, les ivrognes devenus sobres, deviennent meilleurs en tir, ne se ratent plus, et économisent à la société des frais médicaux.
L'aspect parodique, mêlant bagarres dantesques sous l'oeil atone des barmans, capacités athlétiques et justesse de tir ahurissantes du héros, propriétés décapantes voire explosives des tord-boyaux servis dans les saloons, force brute de l'homme de main du saloon qui bouffe son verre après avoir bu son - corrosif - whisky, bastons en accéléré, tricheur du saloon et ses multiples gadgets et cartes qui tombent de ses poches quand le héros le secoue par les pieds, tout cela fera immanquablement penser à Lucky Luke, même au plus endormi des aficionados.
Le héros, mélange de Tom Mix et Tex Ritter ou autre Gene Autry, est bien sûr un hommage direct aux héros des séries B des années 30, avec son costume blanc impeccable qui reste blanc même quand il descend d'une cheminée. Comme Benoit Brisefer, il a bien sûr un point faible: l'alcool, même à faible dose, le fait tomber raide évanoui. On passe un bon moment, d'autant que l'esthétique du film, très travaillée, offre un florilège de plans étudiés, de perspectives exagérées et de mouvements non naturels, accentuant l'aspect burlesque, presque dessin animé de l'oeuvre. Pour autant, toutes ces qualités n'en font pas un grand film, tout au plus une curiosité, un brin longuette tout de même surtout du fait des incessantes chansonnettes, mais qu'on remercie bien bas Arte de nous avoir présentée dans une aussi belle copie.
Capture: Edocle sur Western Maniacs.
En bonus, la critique du film dans le Paris-Match du 12 juin 1965 (cliquez pour lire):
samedi 4 octobre 2014
4 balles pour Joe
Cuatro balazos
1964
Agustín Navarro
C'était en 2004 ou 2005. Depuis quelques années déjà, c'était l'effervescence dans le petit monde des aficionados du western spaghetti car le grand boom du DVD était là. De nombreux films sortaient, tous genres confondus, et les westerns spaghetti allaient enfin pouvoir être vus par une génération lassée d'attendre les diffusions télé, trop jeune sans doute pour avoir profité à plein de la manne de la VHS. Les sorties s'échelonnaient , sans réelle hiérarchie, et on trouvait de tout, du connu et de l'inconnu.
4 balles pour Joe (qu'incidemment il faut prononcer Joey comme dans Joey Starr et non pas Joe comme dans Joe Dalton) faisait partie de cette fournée de films mineurs aux titres pourtant aguicheurs: 4 balles pour Joe, Django le Proscrit, Cinq rafales pour Ringo. On les trouvait en kiosque, et bien vite à deux ou trois euros dans les brocantes et sur cdiscount.
Comme tout le monde dans la blogosphère - vous noterez comme ce mot est devenu has been - je m'étais acheté ces films à pas cher, je les avais mis dans le lecteur, j'en avais regardé cinq minutes, et les avais remis, bien vite dépité, dans leur boîte. Certains sur les forums (pour les plus jeunes, un forum est un espace d'échange pré-facebook/twitter) regardaient jusqu'au bout, poussaient les autres à en faire de même, mettaient en avant le peu de moyen de l'entreprise, louaient le sérieux et l'intégrité de l'affaire et mettaient un nom sous tous les seconds rôles du film.
C'est que pour la plupart, ces films étaient des "proto-spagh", c'est à dire des westerns européens certes, mais qui intervenaient avant la révolution Leone, des films d'un classicisme absolu qui copiaient la manière américaine avec application.
Dans 4 balles pour Joe, la première image m'avait marqué. Un cowboy assis sur un muret, à coté d'une route qui paraît trop moderne, accompagné d'un mouvement de caméra trop amateur. Je crois que je m'était arrêté là, horrifié par le flagrant manque de moyen de cette amorce. Dix ans plus tard, je me dois de réparer cette injustice, parler de ce film qui a tout de même du financement français dans les veines, un scénario solide, une réalisation qui tient la route. Premier point, le cowboy raté de la première image aura son importance plus tard, tout se tient, tout fait sens. Deuxième point, le titre n'est absolument pas mensonger. Joe se prend quatre balles, pas une de moins pas une de plus. Il se les prend dès le début en pleine nature, et petit raffinement du réalisateur Augustin Navarro, la caméra s'attarde sur son cheval qui continue à avancer avec le cadavre de son maître sur le dos, avant finalement de le voir choir par terre. Ce n'est certes pas original, mais ça marche. Suite à ce meurtre, Cathy Dalton (Liz Poitel) est accusée et condamnée à faire de la prison. La belle ne supporte pas l'idée et s'enfuit en courant avant de se faire écraser par une charette. On remarque que la charette ne s'arrête pas, à nul instant on ne voit le conducteur de la charette s'approcher pour voir comment va la malheureuse. La charette a en effet rempli son office d'instrument des divines voies impénétrables, elle peut disparaître. C'est un cinéma de l'économie, qui va droit au but et ne se déroute pas pour capturer des moments d'humanité. Cathy Dalton morte dans les bras du Shérif (Fernando Casannova), tout le monde redoute alors l'arrivée de Frank Dalton (Paul Piaget), car c'est bien la soeur du redoutable bandit qui vient de traverser sans regarder à gauche et à droite. Mine de rien, Augustin Navarro parvient à créer une belle tension dramatique lorsque la ville retient son souffle en attendant l'arrivée de Frank Dalton. Par contre, en 1964, il n'y a pas encore eu Pour Une poignée de dollars, il n'y a pas encore eu Django, il n'y a pas encore eu Le Temps de Massacre, ce qui fait que quand Frank Dalton arrive, il ne massacre pas les villageois, il ne fouette personne, il arrive seul et préfère mener sa petite enquête. Propre comme un sou neuf, il semble faire le concours de la chemise la mieux repassée avec le Shérif. Pour la crasse, la sueur, la barbe de trois jours, il faudra attendre encore quelques mois.
Le cowboy du tout début qui en sait plus que les autres sur qui a tué Joe meurt aussi à son tour. A ce stade, si vous n'avez pas été attentif au scénario dès le début, c'est mort pour vous, et vous ratez le seul intérêt du film, c'est à dire une enquête policière bien ficelée qui demande un minimum d'attention de la part du spectateur. Au moins ne serez vous pas dérangés par une psychologie de comptoir. Le héros est droit dans ses bottes, héritier direct de Tom Mix. Un court instant, on veut nous faire croire qu'il pète un câble, qu'il se laisse dominer par son pouvoir, mais on sait bien que ce n'est qu'un piège. L'identité du coupable n'a finalement pas grande importance, on observe avec bienveillance le réalisateur faire de son mieux avec peu de moyens, on remarque les plans de la piste (de la route goudronnée avec de la poussière dessus en fait) qui sont réutilisés plusieurs fois pour faire croire à une longue chevauchée. On sourit lorsqu'une montre musicale prend soudain une importance majeure dans le film (Sergio, avais-tu vu ce film?), on s'amuse des personnages qui poussent des tonneaux en arrière plan pour simuler l'activité d'une ville américaine de la deuxième moitié du XIXe siècle. Tout cela concours à recréer sous nos yeux cet Ouest de carton pâte, totalement déconnecté de la réalité, mais qui existe pourtant dans un coin de nos mémoires, cet Ouest fantasmé à travers des séries B et des séries TV de troisième zone, cet Ouest imaginaire où la géographie et l'histoire n'ont pas de prise et qui nous servait de terrain de jeu. Y retourner de temps en temps ne sert pas à grand chose, mais autorise au moins une certaine indulgence pour ce type de film.
mercredi 25 juin 2014
Adios Gringo
Je n’avais pas anticipé la mort de mes héros quand j’étais jeune. Je savais, comme tout le monde, qu’un jour ou l’autre on voit disparaître ses ainés, sa famille et ses proches, pour se retrouver de plus en plus vieux et entouré de fantômes. Mais la mort de mes héros personnels, je ne pensais pas que cela m’affecterait. La mort de Sergio Leone fut déjà un choc, plus dû à sa soudaineté inattendue qu’au traumatisme provoqué alors par sa disparition. C’est à la mort de Franquin en 1997 que j’ai réalisé que j’allais devoir composer avec la disparition de tous ceux qui ont constitué mon identité culturelle, que le processus serait inéluctable et douloureux. Après tant d’autres depuis, c’est au tour d’Eli Wallach, qui par son rire, son jeu, son personnage était comme un proche pour beaucoup d’entre nous. Curieusement, une image de lui qui me revient souvent est celle de sa participation au Parrain 3, car je m'étais rendu compte à cette occasion que je tenais à lui. Sa disparition me touche, comme me touchera la disparition de son acolyte Clint Eastwood, comme me touchera la disparition de Pierre Richard quand elle arrivera, comme me touchera la disparition de tous ces acteurs, auteurs, dessinateurs, rock stars ou sportifs que j’ai pu suivre à un moment ou à un autre de ma vie. Je me demande s’il existe une étude quelconque sur le processus de deuil de son entourage culturel. Et je ne veux pas parler de ces deuils collectifs hystériques lors de la mort de Lady Diana ou Michael Jackson, mais bien d’un deuil intime pour ces personnalités moins connues mais tout aussi importantes pour tout un chacun, et dont les décès nous rappellent le temps qui passe.
jeudi 27 mars 2014
Le Convoi des Braves
Wagon Master
1950
John Ford
Avec : Ben Jonhson, Harry Carey Jr., Ward Bond
C'est un film où il ne se passe rien. Pas de péripéties, pas de suspense. Trois quarts d'heure après le début du film, il ne s'est toujours rien passé, à peine de ci de là un début de tension, un hypothétique drame qui se révèle à chaque fois un pétard mouillé. Et vas-y que je chantonne, et vas-y que je suis toujours de bonne humeur. Voir ça après le spagh Chacun pour soi donne l'impression de se retrouver dans une pub Ricoré, mais en noir et blanc, oui parce que tant qu'à faire, il n'y a pas de couleur non plus. Au bout de trois quarts d'heure, on attend toujours que le film démarre, et on se rend compte qu'il n'y a pas de stars non plus. Ben Jonhson, Harry Carey Jr. et Ward Bond, c'est génial pour les fans de Papy Ford, mais pour les autres qui s'attendent chaque minute à voir débouler John Wayne ou Henry Fonda, il y a comme tromperie sur la marchandise. J'ai peut-être loupé des trucs parce que j'avoue que j'ai regardé le début du film en faisant du repassage (oui j'essaye vainement d'être un mâle 3.0, donc des fois je repasse), mais une rapide lecture de critiques alentour confirme que c'est bien un film nonchalant de John Ford.
A 45 minutes du début, entre une chemise Tissaia et mon jean troué, j'étais en train de me dire que Ford avait anticipé le principe des Bijoux de la Castafiore d'Hergé et pris le parti de ne rien raconter du tout, quand soudain, des bandits rentrent dans le champ, en plein milieu d'un bal endiablé. Ford nous jette une série de gros plans sur les trognes des outlaws et les gueules inquiètes des Mormons. Impressionnant! On se rend compte alors que ce noir et blanc est magnifique.
Le soufflé monte d'un coup mais retombe bien vite. Les bandits se tiennent correctement, et tout le monde redevient joyeux et repart ensemble l'âme sereine. Et c'est reparti pour un peu de parlotte, une touche d'humour Fordien, un poil de flirt par ci par là. Des indiens menacent soudain, mais en fait ils sont pacifiques, ouf, on s'en voudrait de gâcher cette bonne humeur. Les hommes du Marshall à la poursuite des bandits interviennent également dans une classique scène où les bandits menacent les otages de l'intérieur d'un véhicule pendant que les forces de l'ordre n'y voient que du feu. Malgré tout, petit à petit, on pressent l'inéluctable. L'un des bandits s'est fait fouetter pendant la soirée chez les Navajos, et l'on sait bien que ça ne va pas demeurer impuni. On est cette fois, bien dans le film, le dénouement ne tarde pas, violent et incisif.
Mais ce qui demeure dans ma mémoire, c'est cette légèreté, cette inébranlable foi en l'être humain, ce refus du drame pour présenter un film simple, sympathique et ma foi très agréable à suivre...
samedi 22 mars 2014
Chacun pour soi
1967
Ognuno per se
Giorgio Capitani
Avec : Van Heflin, George Hilton, Klaus Kinski, Gilbert Roland
Réussite formelle autant qu'artistique, Chacun pour soi allie le meilleur du western européen et du western américain. Au premier, il emprunte les sales gueules, la noirceur et le nihilisme, au second un sens de la mesure et un soin particulier à la réalisation qui donne de la profondeur au scénario. On assiste aux habituels coups fourrés du spaghetti, mais ce n'est pas un jeu car tous les personnages sont fouillés et ambivalents. On assiste aux habituelles fusillades, mais on ne s'amuse pas à compter les morts comme d'habitude. On reconnaît, comme à chaque fois, les décors d'Almeria, mais ils sont si bien mis en valeur qu'on y croit sans peine, y compris cette fameuse dune filmée dans tous les sens. Tout est maîtrisé, cadré, sans que jamais Giorgio Capitani - dont c'est le seul western - ne perde de vue son histoire, sans jamais que le manque de moyens ne vienne le faire dévier de son objectif. Capitani porte une attention extrême aux détails, ici un revolver caché sous une pierre, là un flacon de quinine qui aura son importance, sans oublier ces deux tueurs du début qu'on retrouvera à la fin. Des détails toujours, comme Van Heflin encourageant son cheval, comme cette marmite qui se remplit d'eau au milieu de la mine, comme ce petit pas de danse de Gilbert Roland avant une fusillade, des détails donc, qui placent Chacun pour soi sans peine au-dessus du tout venant.
Capitani s'appuie sur une distribution solide, Van Heflin en tête, formidable en vieux chercheur d'or fatigué mais lucide, et George Hilton à contre-emploi, dont on regrette d'ailleurs que la relation père fils avec Van Heflin soit un peu oubliée quand le duo se transforme en quatuor. Les rôles de Kinski et Roland sont plus convenus mais tout aussi maîtrisés. Curd Ridel insiste dans la présentation du DVD (très bien, mais quelque peu noyée par la profusion de références) sur l'homosexualité entre Kinski et Hilton. Je n'ai pas trouvé cette relation si évidente que ça, mais cela semble faire consensus partout. [Edit suite à discussion en commentaires] Sachant que le personnage de Kinski à pris le rôle du père du personnage de Hilton, j'y vois plutôt une relation incestueuse pédophile qui aurait perduré une fois l'âge adulte atteint. On voit d'ailleurs Hilton les yeux plongés dans le décolleté d'une serveuse, ce qui semblerait bien indiquer que sa relation avec Kinski est subie. Son désarroi lorsque celui-ci meurt serait donc plutôt lié à la perte du père, et non pas à la perte de l'amant.
Quoi qu'il en soit, le film, par son thème et ses personnages, m'a quelque peu fait penser au double album des Monts de la Superstition de Charlier et Giraud. Même si le déroulement de l'histoire et les péripéties sont totalement différents entre les deux oeuvres, c'est cette minutie dans la réalisation, la richesse des situations qui tirent à chaque fois pleinement parti de tous les éléments disponibles (aridité, relief, manque d'eau, folie lancinante) qui emportent l'adhésion pleine et totale du lecteur/spectateur. L'un comme l'autre forment une réussite du genre, et si vous avez aimé l'un, je ne saurais trop vous conseiller de vous procurer l'autre.
Capture: DVD Artus
mercredi 19 mars 2014
The Darkening Trail
1915
William S. Hart
Avec: William S. Hart, George Fisher, Enid Markey, Louise Glaum
The Darkening Trail est un film remarquable à plus d'un titre. D'abord parce qu'il intervient tôt dans la filmographie de William S. Hart et qu'il tranche pourtant énormément avec les productions de ses débuts. Ensuite parce que la star, déjà énormément populaire, n'y tient qu'un rôle certes majeur, mais secondaire malgré tout. Enfin parce que le film se déroule petit à petit, devant les yeux du spectateur d'abord curieux, puis littéralement happé par l'intrigue pour finir enthousiasmé par le dénouement tragique et sordide de l'affaire.
Plus drame que western à proprement parler, l'histoire se déroule à une époque visiblement contemporaine du film. On y découvre un jeune homme (Jack Sturgess), fils de riche mais inconséquent, qui visiblement a séduit une jeune fille pour mieux la quitter ensuite. Son père lui laisse le choix, soit de se marier avec elle, soit de partir pour le Yukon. Celui-ci préfère partir pour le Yukon. Cette introduction, très longue, et dans un cadre totalement hors western, aiguise la curiosité du spectateur qui se demande comment William S. Hart va bien pouvoir apparaître dans ce cadre. Le drame qui se noue est fort bien mené, avec de nombreux rôles secondaires (dont Louise Glaum que l'on remarque toujours) et on est presque déçu finalement de ne pas savoir ce qu'il adviendra de la femme délaissée.
L'acte deux se déroule en Alaska, dans une ville nommé ironiquement Hope City, et c'est là bien sûr que l'on rencontre enfin William S. Hart, amoureux éternellement éconduit d'une femme qui elle, tombera éperdument amoureuse du pied tendre fils de riche fraîchement arrivé. Drame des sentiments et de l'amour fou, The Darkening Trail désigne la piste vers la mort, piste qui s'assombrit à chaque fois que le pied tendre prouve son ignominie. Le dénouement, glaçant, dans une chambre mortuaire battue par la pluie est de ceux qu'on garde dans un coin de sa mémoire et que l'on ressort quand on a l'âme triste. L'épilogue, sur un plan de William S. Hart mélancolique, est d'autant plus fort que la violence de la scène précédente était hors-champ. Il n'y a pas de chevauchées dans ce film, pas d'ode au bandit qui trouve sa révélation, juste une tragédie, un destin inéluctable, sans prise de position particulière. Attention, je ne crie pas au chef-d'oeuvre, mais malgré tout, The Darkening Trail est un film surprenant dans la filmographie de William S. Hart qui vaut largement le détour. Je vous le recommande chaudement.
Scan: The Complete Films of William S. Hart
dimanche 16 mars 2014
Bad Buck of Santa Inez
Bad Buck of Santa Inez
1916
William S. Hart
Avec: William S. Hart, Fanny Midgley, Thelma Salter
On célèbre cette année, le centenaire du début de la Grande Guerre, qui causa la mort de millions de personnes. Mais il y a cent ans également, de l'autre côté de l'Atlantique, l'acteur William S. Hart accédait à la renommée en présentant son premier western, qui tentait alors d'offrir une représentation plus juste de l'Ouest américain que les centaines de westerns fantaisistes tournés jusqu'alors.
Pour fêter ça, je m'en suis remis un petit, un pur, de 1915, en pleine période Incienne, dont le titre seul est une réussite poétique. Bad Buck of Santa Inez, pour nous autres français, ça ne veut rien dire, ça sonne comme Bad Day at Black Rock, mais c'est Bad Buck, le surnom du héros, et Santa Inez, une bourgade où il sévit et ridiculise le Shérif. Bad Buck, bien sûr c'est William S. Hart, mâchoire serrée et regard dur. Sa confrontation avec le Shérif dans le saloon est un modèle de tension exacerbée dans la plus pure tradition Hartienne, avec réparties cinglantes, gestes calculés et armes pointées à bout portant.
La suite est de la même veine. Le film est inspiré d'une nouvelle de Bret Harte, un auteur américain de la seconde moitié du XIXe siècle, dont les nouvelles The Outcast of Poker Flat et The Luck of Roaring Camp ont servi de trame au western spaghetti Les Quatre de l'Apocalypse. On n'est donc pas surpris de trouver une certaine rugosité dans le scénario de ce Bad Buck of Santa Inez. En fuite, poursuivi par le posse, Hart tombe nez à nez avec une pionnière et sa petite fille dont le mari/père vient de succomber de la fièvre. Bien sûr, il refuse de les aider vu qu'il n'a pas le temps, mais il finit par céder au charme suppliant de la petite fille. Toujours ce poncif du revirement du bandit dans la filmographie Hartienne. Mais ça ne s'arrête pas là, plus tard la petite fille est mordue par un rattle snake lors d'une scène bien insignifiante aujourd'hui, mais qui a marqué le critique de Moving Picture World du 22 mai 1915 qui déclare que la scène pourrait bien être repoussante pour certains, bien qu'elle forme un bel exemple de réalisme dans le Western. Bad Buck va tout faire pour trouver un médecin, sachant qu'il est attendu par le Shérif en ville. Je vous spolie de la fin: la petite fille va survivre, mais Bad Buck, mortellement blessé, succombera au chevet de la gamine. Hop, en vingt minutes, deux bobines, crac c'est terminé. Et c'est tant mieux, on y gagne en intensité. Si vous avez déjà exploré la partie "Années 1910" de ce blog, vous savez que William S. Hart est un acteur un peu à part dans le western muet, et que certains de ses films valent le détour. Bad Buck of Santa Inez, sans atteindre la saveur des meilleurs, contient tous les ingrédients de la recette habituelle et peut former une belle introduction à sa filmographie.
Sources: The Complete Films of William S. Hart. A Guide of Silent Westerns
Scan: The Complete Films of William S. Hart
Où le voir: DVD Alpha Home Entertainment. Attention, c'est du vieux matériau, flou et décadré, dont la qualité est loin d'atteindre la capture ci-dessus.
En bonus dans le DVD on a:
- The Uncovered Wagons, 1923, de Jay A. Howe, une parodie burlesque du fameux Covered Wagon de James Cruze. Les chariots sont remplacés par des automobiles et les indiens attaquent à bicyclette. Franchement, ça ne vole pas haut, mais l'acteur James Parrot, crédité ici sous le nom de Paul Parrot, porte une moustache comme Charlot et deviendra plus tard réalisateur d'un certain nombres de Laurel et Hardy. On note une scène assez drôle où l'acteur, au fond d'une rivière, remet son chapeau et redémarre sa voiture à la manivelle, avec des poissons qui nagent autour de lui.
- Pals of the Prairie: un western parlant de 1934 sans intérêt immédiat, si ce n'est qu'il a pour vedette Buffalo Bill Jr., qui avait cette particularité de n'avoir aucun lien de descendance avec le vrai Buffalo Bill.
dimanche 16 février 2014
Silverado
Silverado
1985
Lawrence Kasdan
Avec: Scott Glenn, Kevin Kline, Danny Glover, Kevin Costner
J'avais dans les dix ans, un grand sourire aux lèvres. A trente secondes du début de Silverado, je savais déjà que je ne serais pas déçu. Scott Glenn, héros taciturne devant l'éternel tirait à tout va dans une cabane miteuse, les méchants pleuvaient de façon méchamment cinégénique, l'extase du western à l'état pur comme dirait une jaquette Evidis. Le genre d'intro qui vous fait dire des conneries trente ans plus tard, des conneries sur un genre de cinéma généreux qui aurait disparu, avec des vrais figurants qui tombent en vrai, et non pas des modélisations numériques ratées. C'est pas dans les merdes qui se tournent aujourd'hui que ça arriverait une intro pareille pourrais-je dire si j'appartenais à cette frange cinéphile qui considère que l'âge d'or du cinéma commercial est passé, cet âge d'or correspondant toujours, curieusement, à l'époque même où les représentants de cette frange sont devenus cinéphiles.
Scott Glenn donc, tiraille partout, et il est cool. Je l'ai revu dans Vertical Limit, ce film qui possède la plus efficace bande annonce de tous les temps. Je me souviens avoir vu la bande annonce de Vertical Limit alors que j'allais voir Amélie Poulain, ce film miraculeux qui attira au cinéma des gens qui n'y allaient plus depuis des années. Je constate avec mépris pour moi-même que je fais désormais partie de cette population, putain de sédentaire qui ne se bouge le cul pour voir un film qu'une fois par an, mais ce n'est pas le sujet. Le sujet c'est Silverado, mais je dois d'abord terminer ma parenthèse sur Vertical Limit. Au cinéma, attendant Amélie Poulain donc, j'étais assis aux cotés d'un vieux couple de ces gens sortis de leur léthargie cinématographique par Jeunet, et la bande annonce de Vertical Limit se déploya alors dans toute sa monstrueuse virtuosité. Malgré l'enthousiasme suscité en moi par ladite bande annonce, j'eu le temps d'observer l'état de choc de mes voisins, leur incrédulité manifeste devant tant de maestria au service de rien d'autre qu'elle même. L'homme se fendit même d'un "Ce n'est pas possible", lui qui n'était jamais retourné en salle depuis Love Story en 1970, ce film miraculeux qui fit pleurer tout le monde. Plus tard, j'ai regardé la version longue de la bande annonce de Vertical Limit (c'est-à-dire le film quoi) et franchement c'était trop bon de revoir Scott Glenn en vieux Rambo des montagnards, pendant que les jeunes insignifiants courraient à 6000 mètres d'altitude avec de la nitroglycérine dans la poche isotherme de leur sac Quechua. Scott Glenn le taiseux, c'est mon mec, mon idole, une partie de mon héros modèle de mes 10 ans, modèle constitué également d'une bonne dose de Clint Eastwood et d'un charme de Cobra, le héros macho de tous les temps avec son canon à rayon delta planqué dans son bras gauche.
Il y avait des trucs que j'étais trop jeune pour voir, dans Silverado. Je ne connaissais pas John Cleese, et je ne risquais donc pas d'apprécier l'incongruité de sa présence dans un western. Je ne connaissais pas non plus Kevin Kline, et je ne pouvais pas non plus apprécier l'incongruité de sa présence dans un western. J'ai retenu par contre le nom de Lawrence Kasdan, parce que j'ai attendu longtemps qu'il refasse un bon western. Trop longtemps sans doute, aujourd'hui il semble préférer refaire du Star Wars. Incidemment, j'ai découvert Star Wars à peu près à la même époque que Silverado, et sacrément déçu je fus. On m'avait vendu un super film galactique et je ne trouvais rien qui fut à la hauteur de ce que j'avais déjà vu 1000 fois dans Capitaine Flam, Goldorak et Cobra. Dans Cobra, il y avait plus de richesse, de trouvailles et de violence que dans Star Wars, que j'avais trouvé - à la limite - sans intérêt. Ça me rappelle que dans Compañeros je crois, il y a un faux duel où les deux protagonistes qui se font face se retournent soudain pour abattre des types planqués tout autour. Et bien il y a exactement la même scène dans un épisode de Cobra (si j'avais le temps pour ces conneries je ferais un petit montage sur youtube). Comme quoi les liens tissés entre space opéra et western sont multiples, comme lors de cette scène où Han Solo fait face à un chasseur de primes à la table d'un saloon. Mon fils étant à fond Star Wars en ce moment grâce aux Lego et autres Angry Birds, je me suis refadé les six épisodes quand ils sont repassé sur M6, et finalement j'ai trouvé l'ensemble pas mal, avec ces sauts temporels d'épisodes en épisodes, un scénario simple mais qui prend le temps de se développer et des personnages attachants. Kasdan a sans doute raison de se remettre à Star Wars aujourd'hui, il y a sans doute plus de potentiel là dedans avec un Mark Hamill et une Carrie Fischer grassouillets que dans un Silverado 2 avec un Kevin Costner bedonnant et un Danny Glover cette fois vraiment trop vieux pour ces conneries.
En 1991, alors que personne ne pensait que la prélogie Star Wars sortirait un jour, Lawrence Kasdan avait sorti Grand Canyon. Je ne crois pas avoir vu ce film, mais j'avais dû voir des extraits à la télé pendant la promo, parce que j'avais été attiré par le titre, pensez-vous, Grand Canyon, ça sent un peu le western non? Ben en fait non. A la fin du film, tous les protagonistes contemporains se retrouvent au Grand Canyon, et il y est dit que quand on se retrouve devant le Grand Canyon, on est pris par la démesure du lieu à tel point qu'on remet en cause la futilité de ses petits problèmes. C'est un peu comme de regarder le ciel étoilé une nuit d'été à la campagne avec les grillons qui bruissent doucement à vos pieds et la rumeur d'une voiture ou d'une vache dans le lointain. Je m'étais dit, il faut que je vois le Grand Canyon un jour, il le faut, il le faut, pour ressentir ce grand vide. Bon, vingt ans plus tard, je n'ai toujours pas vu le Grand Canyon, ni d'ailleurs le film de Kasdan, heureusement une fois tous les cinq ou six ans, on a un été pas trop pourri en France et je peux me sentir tout petit face à l'immensité du cosmos.
Mais par ailleurs en 91, j'avais l'âge où l'on dénigre tout, l'âge où l'on remet en cause les enthousiasmes d'antan. Je n'aimais plus Silverado, j'en ai déjà parlé quelque part je radote, mais je méprisais le manichéisme du scénario, je méprisais l'anti-racisme consensuel du film, avec Danny Glover qui ose la phrase la plus lamentable possible sur le sujet : "C'est pas juste !". C'est pas juste non de nous servir des dialogues de CM2, et ça me rappelle un passage dans un roman de Pennac où l'avocat débutant de Mallaussène, pris de court par l'accusation, lance un "C'est pas vrai !" devant son auditoire éberlué. A la fin, Kline tue le méchant Shérif pour devenir Shérif à sa place. J'avais demandé à mon père, est ce que, si j'allais tuer le Capitaine de la gendarmerie locale, je pourrais prendre son poste aussi facilement. C'était mon état d'esprit d'alors, con et prétentieux. En 1994, Kasdan cesserait immédiatement d'être mon ami, en signant le calamiteux Wyatt Earp.
Comme dirait Kool Shen, aujourd'hui je me réveille et j'ai bien plus de trente ans, cumulé j'ai passé 6 mois de ma vie à regarder des westerns. Et Silverado est un putain de bon western bien gaulé, avec une belle gueule d'entertainment, une musique proprement épouvantable, absolument dégueulasse mais que j'aime bien quand même, un rythme sans faille, une bonne humeur communicative, un Kevin Costner jeune et gouailleur qui crie Hiyaa!! , un Scott Glenn qui se prend une balle dans la cuisse et qui reste cool, et un Danny Glover qui se la ramène furieusement avec ses deux carabines à répétition. Un vrai bon film populaire et maîtrisé. Pas comme ces merdes qui se produisent de nos jours...
Image: The Cemetery Kid sur Western Movies
samedi 8 février 2014
Croix de fer
Cross of Iron
1977
Sam Peckinpah
Avec : James Coburn
Je me souviens de la déception éprouvée en découvrant ce chef d’œuvre de Sam Peckinpah. Je me souviens que cette déception était du même ordre que celle endurée lors de la Horde Sauvage. La violence chez Peckinpah n’est jamais divertissante. On vient voir un film de guerre avec tout plein de morts qui voltigent dans les airs, des ralentis du feu de dieu, des mitraillages dans tous les sens. Et c’est exactement ce qu’on obtient, mais on n’éprouve pas de plaisir comme on en éprouve quand les aigles attaquent. Je me souviens de cette amertume, de ce sourire désabusé d’un James Coburn vieilli, parfaitement fondu dans des fonds verdâtres. Je me souviens aussi d’avoir vu ce film après Il Faut Sauver Le Soldat Ryan, et je me souviens avoir trouvé que le film avait vieilli, que les scènes de combat manquaient d’intensité, pas aidées sans doute par le manque de moyens de Peckinpah à l’époque. Je me souviens avoir parlé d'Il Faut Sauver Le Soldat Ryan à un ami allemand. Dubitatif il était. « Oui, j’imagine que dans ce film les allemands sont grands, blonds et très cruels » me dit-il alors en substance. Je lui répondis que non, le traitement me semblait très équilibré, que le film s’appliquait juste à montrer que la guerre est une saloperie sans nom qui fait ressortir le pire de l’être humain, et parfois le meilleur. J’espère que mon ami allemand – que j’ai malheureusement quelque peu perdu de vue – a vu Cross Of Iron, qui montre avec éclat que la guerre ne fait ressortir que le pire chez l’être humain, que ce soit côté Axe ou côté Alliés. Je me souviens que Les Sentiers de la Gloire traitait de la même chose, des types normaux broyés par la stupidité de l’état-major. Je me souviens de Full Metal Jacket, et du sourire de dément de Baleine, et je me souviens d'Outrages, qui montre aussi des types normaux qui n’auraient jamais violé personne dans le civil, mais que la guerre ramène joyeusement à leur instinct primaire. Je me souviens de Iwo Jima et ces soldats japonais qui se font Hara Kiri à la grenade. Et je me souviens de ce type qui tombe, chevauchant une bombe H, image à jamais gravé dans la rétine de mes huit ans. Comme dirait Jodorowsky, je me souviens…
dimanche 26 janvier 2014
La Rivière Rouge
Red River
1948
Howard Hawk
Avec: John Wayne, Montgomery Clift, Joanne Dru, Walter Brennan, Harry Carey Jr., Harry Carey
Dès le lendemain de la diffusion de l’Homme des vallées perdues, Arte nous gâtait derechef avec La Rivière Rouge, que je n’avais encore jamais vu non plus. Et j’en vois déjà venir certains. Putain, ce mec qui nous fait chier depuis des années avec son blog western prétentieux, non seulement il n’avait jamais vu Shane et Red River (faut le dire en angliche, ça fait mieux), mais en plus il attend que ça passe sur le service public pour le voir. Et bien je vous emmerde messieurs les spécialistes. J’ajoute par la même occasion que je n’ai jamais vu non plus The Big Trail, ni l’Appât, ni Canyon Passage, ni Fureur Apache, ni Les Pionniers de la Western Union, ni La Charge Fantastique, ni Yellow Sky, ni CowBoys & Aliens ! Ouaah le nuuul !
En tous cas, pour la Rivière Rouge, c’est fait. L’image n’était pas tip top je trouve pour un chef d’œuvre du septième art. Soit aucune restauration n’a été faite, soit le matériau d’origine est trop abîmé, soit je suis très fatigué, mais en tout cas, ça manque de définition. En plus c’est en noir et blanc, en noir et blanc ! Si ça ne tenait qu’à moi, je vous aurais colorisé tout ça pour que ce soit un peu plus flatteur à l’œil ! En noir et blanc ! Qui regarde encore du noir et blanc aujourd’hui. Pire ! Dans ce film, Wayne est méchant ! Pourquoi personne n’a jugé bon de remonter le film pour adoucir son personnage pour que ce soit un Wayne bien droit comme il faut ? C’est insensé cette époque !
Alors c’est vrai à la fin ça se termine en joyeux fist-fight paternaliste où tout le monde est réuni dans la joie, un peu comme dans les films du vieux Duke, cependant pendant toute la durée du film, Wayne apparaît de plus en plus tyrannique, violent et buté, dans l’un de ses rôles les plus intéressants de sa carrière avec celui de La Prisonnière du désert. Montgomery Clift, tout jeunot à coté, paraît bien frêle, mais parvient bien à transmettre sa crainte mêlée de respect pour son aîné. Joanne Dru est un peu sous-exploitée dans son rôle de « femme de caractère » comme on dit à chaque fois qu’une femme est un tant soit peu indépendante. Est-ce qu’on dit que John Wayne est un homme de caractère ? Non, mais bon on s’écarte du sujet.
On voit aussi dans ce film Walter Brennan qui interprète déjà un vieil édenté, qui joue son dentier au poker avec un indien, et c’est toujours un réel plaisir de voir cet old timer rouspéter et bougonner dans son coin. Ce film est également l’occasion de retrouver Harry Carey, le légendaire acteur du temps du muet, et là aussi, ce n’est pas sans émotion qu’on le voit interagir une dernière fois avec la jeunesse du parlant. Son fils a également un petit rôle, mais pas avec lui, ce que personnellement je trouve un peu dommage, j’aime bien quand des filiations d’acteurs, des hommages des uns envers les autres se téléscopent avec l’histoire en elle-même.
Le scénario en lui-même est un poncif westernien total, mais est l’occasion de rappeler combien les cattle drives et la vie pouvaient être rudes en ces temps là, d’une part à cause de la dangerosité des lieux, mais aussi par le manque d’information des gens à cette époque. J’ai particulièrement apprécié cette interrogation permanente sur l’existence ou non d’une ligne de chemin de fer à Abilène, qui revient en permanence comme un leitmotiv, Wayne mettant sans arrêt en doute la parole des hommes (tu l’as vu ce train ? Non c’est quelqu’un qui m’en a parlé). J’ai aussi aimé la joie du conducteur de train quand il voit le bétail, les cowboys accueillis en fanfare à Abilène par une population affamée. Personnellement je n’ai jamais sauté de joie à la vue d’une vache, et il est bien parfois que le cinéma nous rouvre les yeux sur ce qu’on a, qui nous semble acquis, sans avoir besoin de recourir « à une bonne guerre » pour nous remettre les priorités en place. Il y a sûrement des tas d’autres trucs terribles à dire sur ce film, mais je vais laisser faire les spécialistes. C’est un chouette film, avec des indiens, de l’humour, Stumpy, des vaches, John Wayne et un brin de harcèlement patronal. Franchement, il n’y a rien à dire d’autre. Merci Arte.
Image: USMC sur Western Movies
samedi 25 janvier 2014
L'Homme des vallées perdues
Shane
1953
George Stevens
Avec : Alan Ladd, Van Helfin, Jean Arthur, Jack Palance, Ben Johnson
Je ne regarde plus de westerns, ça m’est passé comme la grippe, c’est triste, j’en suis attristé pour mes millions de lecteurs qui appuient frénétiquement sur F5 en espérant une mise à jour, mais que voulez-vous, c’est la triste vérité que l’homme ne saurait se satisfaire de monotonie et de passion exclusive. Cependant, Arte nous a programmé Shane, alors j’ai replongé temporairement, parce que Shane est précédé d’une réputation très flatteuse et qu’on ne peut quand même pas rater ça.
Regarder un western après autant de temps, ça rappelle de bons souvenirs, une certaine idée de la couleur (quand je vois ce générique rouge pétant, je souhaiterais être daltonien), une certaine idée aussi de la musique (Ennio, pourquoi es-tu né si tard, et d’ailleurs où sont tes descendants, parce que franchement la musique de La désolation de Smaug, c’est pas ça non plus…). Heureusement, j’ai de beaux restes, je me remets vite dans l’ambiance, ce charme suranné tout ça tout ça.
De ce film, avant que de l’avoir vu, je ne savais que deux choses. Premièrement, le héros Alan Ladd est petit (1m68), ce qui a l’air de troubler beaucoup de gens. Deuxièmement, Pale Rider est censé être un remake de ce film.
Sur la première affirmation, je ne peux que plussoyer. Il est petit, mais avec Van Helfin, il parvient à déssoucher une souche rebelle à la force des épaules, symbole de civilisation en marche, pour mieux s’opposer au discours du méchant qui dit en substance : « C’est nous qui avons bouté les indiens hors d’ici avant que vous n’arriviez, venez pas nous mettre des clôtures partout, sinon on vous piétine vos laitues comme au Moyen Age ! » Marrant parce que dans Open Range par exemple, c’est les autres qui sont les méchants et vice versa. Ladd ensuite va en ville sans ses armes, pour montrer aussi que la civilisation passe aussi par le raccrochage de guns au mur de la maison. Les idiots citent toujours cette phrase où Ladd explique qu’un flingue n’est rien d’autre qu’un outil comme une pioche ou une pelle et que ce qui est important c’est celui qui tient le flingue, alors que la phrase importante est la réponse de la femme : « oui mais le monde serait encore meilleur s’il n’y avait pas d’armes du tout, y compris entre vos mains ».
Quand il se bat contre Ben Johnson, on voit bien qu’il est petit Alan Ladd. J’ai bien mis 20 minutes à retrouver son nom à Ben Johnson. J’étais là devant ma télé : « Mais putain comment il s’appelle déjà celui-là, il est dans plein d’autres westerns ! ». J’avais vraiment la rage. Ma femme, désolée de voir qu’en quelques mois j’avais perdu toute ma culture westernienne, tentait des noms au hasard : « John Elam? Marvin Cleef ? Jack Stamp ? Joe Kidon ? ». A ma décharge, dans tous mes souvenirs, Ben Johnson est gentil. D’ailleurs à la fin, il se rachète, parce que quand même, merde, Ben Johnson quoi.
Sur la deuxième affirmation, on peut dire que oui, Pale Rider est une variation sur le thème de Shane, avec en plus le coup de masse dans les couilles de Jaw, Clint qui dit « faut pas jouer avec les allumettes » et des barillets de rechange dans la poche. Pale Rider, qui est quand même le plus mauvais western d’Eastwood, passe cependant à coté du mythe fondateur, passe à coté de la relation trouble avec la femme, passe à coté du pistolero qui veut raccrocher ses armes. Pour un remake, c’est quand même passer à coté de beaucoup de choses. On pourra m’objecter qu’en contrepartie Shane est vachement vieux et vachement longuet, que le gosse au travers des yeux duquel on est censés voir toute l’action est lourdingue et plombe le rythme du film alors qu’au contraire dans Pale Rider ça bouge, ils tuent le chien, ils essaient de violer la fille et que Clint dégomme tout le monde et que quand même un western où il n’y a pas tout ça ça peut pas être un vrai western, c’est vrai non mais quoi à la fin.
Sauf que dans Shane, on trouve des scènes magnifiques qui le placent largement au-dessus du pale remake. Il y a par exemple cette scène où Starret fait face aux hommes de Ryker et Shane apparaît soudain à ses cotés. Il y a également une scène similaire où l’on découvre seulement à la fin que Shane avait récupéré ses armes en embuscade et qu’il était prêt à tirer, ainsi que tous ces moments ou Shane apparaît extrêmement nerveux, bien plus nerveux que tous les fermiers qui sont pourtant le groupe à risque du film. Il y a le visage de Ladd sous la pluie, beaucoup plus subtil que le monolithique pistolero Eastwoodien. Shane a cette blondeur angélique, ce mutisme mystérieux qui apparaît comme une fragilité plutôt que comme une force. Quand les hommes parlent, il s’éclipse, on ne sait jamais exactement ce qu’il pense.
Face à lui, Ben Johnson, puis Jack Palance détonnent. Le meurtre de Torrey par Jack Palance montre bien l’écart qu’il peut y avoir entre un cinéma intense, basé sur la tension graduelle et un cinéma purement divertissant où le nombre de cadavres fait l’intensité. Il y a peu de morts au final dans Shane, et ça rend chaque mort plus intense. Torrey, poussé verbalement par Jack « Phil Defer » Wilson, se fait abattre froidement. La scène est assez impressionnante, par sa maîtrise du temps, ces deux secondes pendant lesquelles l’on se demande si Palance va tirer et qui démontrent bien que malgré l’argument de la légitime défense il s’agit d’un assassinat, la force des insultes proférées à voix basse par Palance, la blessure historique de ces insultes où la Grande Histoire rejoint la petiote, tout cela transfigure une scène classique (un méchant tue un gentil) en quelque chose de bien plus intéressant que le déluge de morts de Pale Rider. Même si bon, dans l’absolu, j’adore aussi les westerns avec plein de morts qui virevoltent, j’avais juste un peu envie de dire du mal de Pale Rider. En bref, Shane est un bon western avec de très bonnes scènes, quelque peu plombé (je crois l’avoir dit plus haut) par un gosse qui aurait très bien pu dégager de la scène sans qu’on ne perde rien de l’attrait du film. A voir.
Image: winchester73 sur western movies