dimanche 30 mai 2010

Sukiyaki Western Django



2007
Takashi Miike


Disons que je ne suis pas vraiment rentré dans le trip. OK c’est bien filmé, OK les costumes sont classes, crasseux, pouilleux, étudiés ! OK c’est plein de bonnes idées, c’est violent râpeux, un brin pervers. OK les références pullulent, le cercueil de Django, l’armurerie chevaline du Colonel Mortimer et tout le toutim. OK c’est déjanté, la musique est belle et les surprises ne manquent pas (par exemple les personnages féminins). Mais en fait il manque un film, il manque une histoire à laquelle on tient, des personnages qui apportent quelque chose. Il manque du bon gros premier degré émotif pour nous faire rentrer dans le film au-delà des gags visuels pastiches. Je n’ai rien a priori contre un faux western mêlant winchester, sabres et didgeridoo, mais Takashi Miike n’a pas su faire ce que Quentin Tarantino a réussi avec Inglourious Basterds : un vrai film qui dépasse l’hommage. Je ne suis en rien spécialiste du cinéma asiatique, mais revoyez plutôt The Blade de Tsui Hark, un vrai film de sabres plein de sang, de fureur, d’humanité et avec la même qualité d’ambiance, de vestimentation et de délire visuel.


Capture: J.L. sur western movies

samedi 29 mai 2010

Le convoi sauvage



Man in the wilderness
1971
Richard C. Sarafian
Avec : Richard Harris, John Huston


Le western n’est pourtant pas propre à traumatiser les enfants. Mais Le convoi sauvage fut l’un de ceux qui me marqua, à cause de cette attaque de grizzly sauvage, gore, impressionnante, réaliste. Même si les effets ont un peu vieilli aujourd’hui, elle reste assez impactante, Richard Harris ballotté comme un fétu de paille, tentant de trouver refuge dans un arbre, et traîné sans ménagement, cela vous pose un film, surtout quand la scène en question est si proche du début.

Man in the wilderness en anglais, Le convoi sauvage en français, chaque titre évoque un aspect de l’intrigue. Man in the wilderness d’abord, raconte la quasi-mort de cet homme, Richard Harris, recousu hâtivement puis abandonné par les hommes du convoi qu’il guidait. L’homme reste allongé très longtemps, la caméra l’imite, filmant l’eau, la boue, les feuilles mortes au ras du sol. L’homme finit par se confondre avec la terre, il rampe, il grimace, il se recouvre de feuilles et fait corps avec la nature salvatrice. A plusieurs reprises, il se cache et s’unit ainsi à la terre, se camouflant naturellement dans son nouvel élément, si bien transformé en matériau naturel que même les indiens ne le repèrent pas. Sa vision est floue, des flashbacks le hantent et nous renseignent sur sa vie, son enfant, sa nature un brin misanthrope. Sarafian nous livre là un cinéma généreux et franc, il fait beaucoup avec peu et la survie, puis la renaissance de l’homme s’avère passionnante, et en même temps contemplative dans la mesure où le spectateur reste spectateur : on ne cherche pas à nous faire partager son calvaire, l’homme se débrouille très bien tout seul, c’est un professionnel. Plus qu’une immersion, c’est le spectacle aux premières loges du type aguerri qui survit par tous les moyens. Richard Harris est parfait dans la démonstration de la souffrance durable, il arbore un rictus de douleur et de haine permanent, accentué par sa blessure au visage. Une fois plus ou moins remis sur pattes, il cherche à rejoindre le convoi qui l’a abandonné. Pour se venger, pour retourner à la civilisation, on ne sait pas trop, l’homme reste énigmatique. En chemin il verra une indienne accoucher accroupie, seule, en silence et digne. Elle donne ensuite son enfant au père, comme une offrande, et l’homme qui assiste à tout cela, à nouveau planqué sous un tronc quelconque, exprime peut-être le désir de revoir son propre fils. C’est beau. Avec le temps, on voit un peu les ficelles, mais c’est beau.

Le convoi sauvage ensuite, c’est la petite troupe qui a abandonné l’homme. Un équipage hétéroclite qui traîne un énorme bateau dans la nature. Ceux qui ont oublié l’attaque de l’ours se souviennent de ce western avec des hommes qui tirent un bateau sur roues. Le capitaine de l’équipe, c’est John Huston, et apparemment il tient à son bateau dont le mat ressemble à une immense croix évangélique en territoire indien. Evidemment, Huston fait un peu penser au capitaine Achab, droit, poursuivant son rêve malgré la grogne de ses hommes. Il y a le froid et l’arrivée de l’hiver qui menace, et il y a les indiens, et il y a la boue finale qui enlise tout le monde. Plus qu’au roman de Melville, cette épopée un peu folle rappelle encore plus celle de Dundee, ou d’Aguirre, lorsque l’ambition, la détermination entêtée amène au fiasco de toute une troupe. Le convoi sauvage fait alors partie de ces westerns des années 70, qui réussissent parfaitement à renouveler le western, en l’ancrant dans le mythe du retour à la nature des ces années là avec les désillusions qui vont avec, un propos ambitieux et une grammaire qui ne sous-estime pas le spectateur, sans pour autant le noyer dans une forme absconse et des délires expérimentaux usants. Un juste milieu parfait en somme. A voir quoi…

lundi 24 mai 2010

The Miracle rider

Bob Kortman


1935
Avec : Tom Mix


The Miracle Rider n’est pas un film, c’est un serial. Qu’est ce qu’un serial exactement, me demandez vous alors que vous avez déjà une petite idée de la réponse ? Et bien ce n’est pas une série télé, mais une série cinéma ! A l’époque où la télévision n’existait pas, les producteurs de cinéma avaient eu l’idée de fidéliser les spectateurs en proposant chaque semaine un nouvel épisode à suivre d’une intrigue à feuilleton. Le procédé remonte à 1912.
Serial des années 30, The Miracle Rider est la dernière apparition de Tom Mix à l’écran, qui avait alors 55 ans. Des 15 épisodes de ce serial, je n’ai vu que les 7 premiers, mais j’ai quand même une relativement bonne idée de l’ensemble, d’autant que l’intrigue, les poursuites et les cliffhangers se retrouvent rapidement répétitifs.




Du pur western !


Il convient d’abord de se pencher sur le premier épisode, tout à fait remarquable historiquement et cinématographiquement. L’introduction de cet épisode intitulé The Vanishing Indian, résume en dix minutes la disparition totale du territoire indien au cours des deux siècles de colonisation par les blancs, cartes animées à l’appui. Daniel Boone, Davy Crocket et Buffalo Bill sont appelés à la rescousse comme témoins de la cupidité des blancs qui toujours violent les traités et provoquent la guerre. C’est tout à fait remarquable pour un serial datant de 1935, alors qu’on entend souvent que tous les westerns tournés avant 1950 étaient d’immondes brûlots racistes et anti-indiens.
Anti-indien, The Miracle Rider ne l’est donc pas. Cette introduction, en plus d’être sans concession, permet d’introduire Tom Mix et de placer la star, par l’intermédiaire de son personnage de Texas Ranger, dans la lignée des Daniel Boone, Davy Crocket et Buffalo Bill. C’est très habile.


Charles Middleton, Jason Robards, Tom Mix




Tom Mix est donc le défenseur des indiens, courageux, valeureux, toujours mince et athlétique à 55 ans. Les indiens ont bien besoin de sa protection, car s’ils sont droits, honnêtes, bien habillés et « intégrés » ils sont quand même un brin froussards et facilement manipulés. Pro-indien, oui, mais toujours dans cette veine un rien paternaliste.
La distribution est adéquate. Outre Tom Mix qui a parfaitement bien mené sa transition du muet au parlant (et son cheval Tony Jr. qui n’a pas eu ce problème…) on trouve le toujours impressionnant Bob Kortman en indien traître, Charles Middleton en odieux capitaliste, aidé par le non moins odieux Jason Robards Senior (oui oui, le père de Cheyenne). Et on retrouve aussi le pauvre Edmund Cobb en méchant, un peu plus bouffi que pendant ses années du muet. Donc un petit régal pour l’amateur.


Edmund Cobb, sauf erreur, à gauche




L’autre particularité de ce serial est le mélange SF/western, qui pique un peu les yeux de prime abord. Les méchants communiquent par une sorte de récepteur télégraphique alpha-numérique, il est question d’un explosif révolutionnaire nommé X94, et Tom Mix se retrouve embarqué dans une sorte d’avion miniaturisé radioguidé utilisé pour foutre les jetons aux indiens ! ! ! C’est vrai qu’on est guère habitué à cela dans les westerns, pas plus qu’on a l’habitude de voir des courses poursuites avec baston dans un camion citerne qui ferait presque penser à 007. Pour autant, tous ces ingrédients, une fois admis, n’apportent pas une plus-value réellement intéressante à l’ensemble qui reste dans les limites de la série B : complots, poursuites, soupçons, captures, trahisons, cliffhangers ad infinitum.
Sans être du tout un chef d’œuvre, ce serial mérite toutefois d’être vu quand on aime ce cinéma là. Il est à noter que Tom Mix reste toujours populaire dans le cœur des américains, et que The Miracle Rider est sans doute l’œuvre de Tom Mix la plus connue là-bas, du fait de ses très nombreuses diffusions à la télévision*




Is it a bird ?...


Où le voir: DVD zone 1 sur amazon.com par exemple.


*j’ai lu ça quelque part, mais je n’arrive pas à retrouver où...



samedi 22 mai 2010

Le western B


Le western B
Les années 1930-1939
Didier Lodieu




Buck Jones, George O’Brien, Tim Holt, Ken Maynard, Tim McCoy, Tom Mix, Harry Carey, Tom Keene, Hoot Gibson, Rex Bell, autant de noms exotiques pour nous français, et qui pourtant résonnent dans nos petites têtes comme un lointain écho d’héroïsme et de chevalerie. Encore bien vivants dans le cœur des américains, ces cow-boys valeureux et droits parcourent une géographie oubliée, un petit monde simple et archaïque. Les morts sont rares, le cow-boy gagne toujours à la fin et il y a toujours une belle demoiselle dont le cœur est à prendre. Les budgets sont serrés et les scénarios interchangeables, on pourrait se dire que ce petit monde a bien vieilli, pourtant, Didier Lodieu nous le fait revivre, en français, à travers son livre de 175 pages, richement illustré de multiples documents, lobby cards, photos, affiches.

L’auteur se concentre sur les années 1930-1939 et décide de ne pas évoquer le petit monde des cow-boys chantants (Gene Autry, Roy Rogers, Tex Ritter) qui mériteraient un livre à part. Petit à petit à la lecture de l’ouvrage, les préférences de l’auteur se dessinent (il semble particulièrement apprécier Bob Steele) et surtout, le principe évoqué en préface se confirme au fil des pages : ce n’est pas un acteur qui fait un bon film, ni un réalisateur, c’est surtout la firme qui produit le western en question. Didier Lodieu donne en exemple Buck Jones, dont les westerns tournés entre 1930 et 1934 pour la Colombia sont superbes, alors que ses westerns tournés les années suivantes pour l’Universal sont de moindre intérêt. D’où l’intérêt pour le néophyte de posséder cet ouvrage, s’il ne veut pas avoir de mauvaises surprises en découvrant un mauvais film d’un acteur pourtant réputé. Segmenté par années, le livre se picore comme tout bon ouvrage de référence au fil des films, des acteurs et des réalisateurs dont les noms se retrouvent au cours des années. Ces noms dessinent une contrée inconnue dans laquelle on a envie de se plonger. Seul bémol, si le livre est bien écrit et bien réalisé, le style de l’auteur manque un peu de passion communicative. Mais la richesse du monde exploré, la richesse de l’iconographie, et l’étendue des films visionnés par l’auteur compensent largement.


Où le lire : publié par les éditions Ysec, disponible par exemple sur Amazon ou fnac.com

Note: cliquer sur le lien "Années 30" à gauche pour un bref aperçu de ce petit monde merveilleux du western B.

lundi 17 mai 2010

Les couleurs du désert

Helen Twelvetrees, J. Farrell MacDonald, Clark Gable


The painted desert
1931
Howard Higgin
Avec: William Boyd, Clark Gable, Helen Twelvetrees, William Farnum


1931, William Boyd n'est pas encore la grande star du petit et grand écran qu'il deviendra par la suite. Clark Gable non plus. Ils sont réunis dans cet honnête western, et c'est Clark Gable qui a les honneurs de la jaquette du DVD Bach film, bien que l'acteur ait une présence à l'écran somme toute modeste. William Boyd lui, a un rôle beaucoup plus étoffé, mais il est quasiment inconnu en France.
Les couleurs du désert est un film suffisamment ambitieux et soigné pour dépasser le cadre de la simple petite série B, d'autant qu'il dispose d'un budget conséquent: tournage en magnifiques décors naturels (Monument Valley semble-t-il), scène spectaculaire (l'explosion de la mine), convoyage de bétail, figuration importante en ville: les moyens sont là. Le scénario est également original, avec ce fils adoptif essayant de réconcilier les deux vieux hommes qui l'avaient trouvé abandonné dans un chariot. Clark Gable est le vilain traître et Helen Twelvetrees détonne un peu en jeune femme à la winchester et chemise échancrée au début du film. Dommage qu'elle rentre dans le rang ensuite et s'habille en vraie jeune fille!
Pour autant, le traitement de l'intrigue ne dépasse pas le niveau des pâquerettes, tout le monde est finalement gentil à part l'ignoble Clark Gable qui se rend sans même se battre. William Boyd est bien fade en ce qui me concerne, mais je me garderais bien de juger le futur grand Hopalong Cassidy sur des bases aussi branlantes. Le film datant de 1931, la sonorisation est encore rudimentaire, mais all in all, on passe un bon moment. A noter que l'un des deux pères adoptif du jeune premier est joué par William Farnum, qui comme William S. Hart commença au théâtre et partagea la scène avec lui sur Ben Hur. Farnum devint ensuite le premier acteur à être payé 10000 dollars par semaine à Hollywood au temps du muet. A voir donc, mais pas forcément uniquement parce qu'il y a Clark Gable dedans!


William Boyd, William Farnum

dimanche 16 mai 2010

My Life East and West

William Farnum, deuxième à partir de la gauche, William S. Hart, à droite, dans Ben Hur en 1899


William S. Hart
1929


Lire l’autobiographie de William S. Hart est à la fois incroyablement passionnant et démesurément décevant. Passionnant à cause du parcours de l’acteur, cet homme à la croisée des chemins, cet homme qui aura su faire le bon choix en exploitant la bonne idée au bon moment !
Son enfance est fascinante, il l’a vécue en majeure partie dans l’Ouest, il a côtoyé les Sioux et parlé leur langue, il a été sensibilisé à leur cause et à joué avec eux, il a croisé des vétérans de la guerre de sécession en vareuse et il s’est trouvé au beau milieu de gunfights, il a foulé du pied l’Ouest que l’on chérit dans nos westerns. Et l’aspect remarquable de son ouvrage est que la description qu’il en donne provoque une imagerie chez le lecteur totalement éloignée des westerns : lui et son père voyagent essentiellement à pied, son père étant meunier, ils voyagent le long des rivières à la recherche de moulins. Hart raconte son ouverture aux autres, son apprentissage de la vie, de petits boulots dans les ranchs en expériences diverses, Hart décrit toujours l’entraide et la fraternité entre les hommes de l’ouest, et la place centrale de la famille. C’est la grande force de l’acteur de ne pas avoir cherché à rapprocher sa vie réelle de sa vie de pellicule, comme il aurait pu être tentant de le faire à l’époque.
Néanmoins, la lecture de My life East and West se révèle largement frustrante également, tant Hart se refuse à laisser parler ses émotions, à analyser sa situation autrement que par la description de successions d’anecdotes et de souvenirs enfilés les uns à la suite des autres. Hart raconte sa vie, mais il ne l’organise pas, il n’explique pas ses choix ni ses motivation, ni ses passions ou ses tourments, à deux exceptions près : la révélation de sa vie, à savoir l’intuition formidable qu’il pourrait devenir une star de westerns après en avoir vu un très mauvais au cinéma, et la réalisation, quelques années plus tard, qu’il fut financièrement floué par son producteur : Thomas H. Ince. En dehors de ces deux épisodes, Hart ne s’épanche pas, il raconte peu ses films et ce qu’il a voulu y mettre (et il en va de même pour sa période théâtrale) et préfère se souvenir de ses chevaux, il ne raconte pas ses amours et passe pudiquement sur les nombreux scandales de sa vie de star. Pour en savoir plus sur ces sujets, il vaut mieux se reporter à l’introduction de la réédition de 1994 par The Lakeside Classics.
Au final, la sensation d’un acte manqué subsiste, un homme qui aura vécu la fin de l’Ouest, goûté à la différence entre l’Ouest et l’Est, la transition de la rusticité à la civilisation, un changement de carrière du théâtre au cinéma pile au bon moment (le nombre de théâtres déclinant largement aux Etats-Unis dans les années 10 et 20) aurait pu largement pu donner plus de matière, plus de passion, plus d’envie d’en connaître. My life East and West reste un témoignage intéressant sur le vieil Ouest, sur le monde du théâtre américain des années 1900 et sur le très jeune cinéma hollywoodien. Mais c’est bien aux historiens qu’il revient d’analyser tout ça et de nous le délivrer de façon cohérente et analytique.


Où le lire : Réédition (en anglais) par The Lakeside Classics en 1994, en version légèrement expurgée de détails familiaux qui auraient « ennuyé le lecteur ». « La pensée de l’auteur n’a pas été altérée » précise l’éditeur.

Image: http://filesofjerryblake.netfirms.com/index.htm

dimanche 2 mai 2010

La porte du Paradis



Heaven’s gate
Version courte: 1980
Version longue: 1989
Michael Cimino
Avec : Kriss Kristofferson, Christopher Walken, Isabelle Huppert, John Hurt


Découvert trop jeune, lors de sa ressortie en salle en version longue, La porte du paradis m’avait profondément ennuyé, et j’en avais surtout retenu des scènes de danse interminables et la nudité d’Isabelle Huppert. Devenu alors pour moi film maudit personnel en plus de film maudit tout court, je ne l’avais jamais revu que par fragments plus ou moins longs. Le DVD de la version courte traînait chez moi depuis des années, et j’ai fini par retrousser mes manches et regarder ces 2h23 de version « courte » en ayant bien à l’esprit l’abjection cinéphilique d’une telle démarche, puisque nul n’est censé cautionner le charcutage de ces affreux incultes de saloperies de capitalistes de studios de merde.
Une fois ceci posé, on conviendra que cette version courte est déjà en soi un excellent film, et que son insuccès n’est sûrement pas dû au dit charcutage. La porte du paradis n’est tout simplement pas un film facile d’accès, et même lorsque l’on en a les clés, le plaisir immédiat est faible. Mais La porte du paradis est un film qui reste, un film auquel on pense encore les jours suivants, un film qui marque ! Et foin de toutes ces histoires de budget colossal dépassé, foin de l’échec commercial du film, foin de l’ego démesuré du réalisateur, je suis heureux et même très heureux que quelqu’un à Hollywood ait eu les coudées franches pour mettre autant de pognon et de figurants pour reconstituer une cérémonie de remise de diplôme à Harvard, introduction merveilleusement belle avec ces valses en cercle, son esprit si merveilleusement hors western et ses illusions sur les idéaux de la jeunesse. Je suis content que le réalisateur ait cru nécessaire de finir son film sur un bateau (c’est toujours cher les scènes nautiques) sans nécessité narrative, je suis content que les immigrants arrivent par milliers sur le toit des trains, en rang de marche telle une diaspora géante, en contradiction avec une phrase entendue à plusieurs reprises dans le film « 125 hommes, mais ça représente quasiment tous les hommes du conté ! ». Je suis époustouflé par les reconstitutions des villes, qui n’ont pas ce syndrome de la jaunisse de toutes les reconstitutions des films d’aujourd’hui, et j’apprécie immensément ce parti pris de réalisme qui ne confond pas naturalisme et crasse immonde sous déluge de boue et de dents pourries, jusqu’à la nudité d’Isabelle Huppert qui est une vraie nudité de vraie femme filmée avec pudeur et non pas une nudité à la Megan Fox filmée avec moultes esthétismes léchés. Et pour finir, j’aime cette lenteur, ce parti pris des dialectes et cette musique d’Europe centrale. Leone était un italien qui rêvait d’Amérique, Cimino était un américain qui rêvait d’Europe.



Les acteurs sont bons, à part Kris Kristofferson que je n’ai jamais vraiment pu apprécier après son interprétation grasse du menton de Billy The Kid dans Pat Garret et Billy The Kid. Les personnages sont tous ambivalents, le tueur Christopher Walken en tête, qui louvoie entre amour et fidélité à ses patrons, John Hurt, torturé entre les idéaux de sa jeunesse et les réalités de sa classe, Kris Kristofferson, Marshall qui ne semble pas vouloir s’impliquer dans la lutte. La violence est assez rare mais elle est dure, on se souvient longtemps du trou dans le bide de cet immigrant qui se confond avec la bidoche sanguinolente du bœuf qu’il était en train de dépecer illégalement. La bataille finale, loin d’être une révolution cathartique, montre les bons se faire laminer, les femmes mourir, les blessures atroces (avec un écho – involontaire ? – à une scène d’Allons z’enfants sorti la même année) et la cavalerie intervenir pour sauver la vie… des méchants. Comme une réponse dérangeante au rêve américain !
Magistrales, les morts épiques de certains personnages réinscrivent le film dans le cadre du western de convention, alors que les préoccupations amoureuses d’une femme ne sachant quel homme choisir nous en avaient un peu artificiellement sorti. En tout cas, dans cette version de 2h23, le prologue à Harvard et la scène de bal en patins à roulettes m’ont parus insupportablement courts, et il me tarde désormais de revoir la version longue !