dimanche 14 janvier 2024

Autant en emporte le vent



1939

Victor Flemming

Avec : Clark Gable, Vivien Leigh, Olivia de Havilland

Vu assez jeune, je me souviens que paradoxalement j'avais assez aimé ce film, malgré sa longueur, son manque d'action et son côté larmoyant. Pourtant, je repoussais encore et toujours la revoyure de ce film, craignant l'ennui, le romantisme dégoulinant suggéré par l'affiche montrant Clark Gable sur le point d'embrasser Vivien Leigh, et la musique affreusement hollywoodienne. Si je ne me trompais pas sur ce dernier point, j'ai pourtant été à de nombreuses reprises estomaqué par ce film de 85 ans. 

Tout d'abord, loin de montrer une romance entre un héros pur et dur et une noble et innocente sudiste, le film dépeint avant tout deux êtres foncièrement antipathiques. Rhett Butler (Clark Gable), arriviste, opportuniste, homme à bordel, profiteur, et Scarlett O'Hara (Vivien Leigh), calculatrice, égoïste, prête à tout pour arriver à ses fins. Leur amour semble toujours de mauvaise foi, leurs relations souvent venimeuses et hypocrites. Scarlett se mariera trois fois à un homme qu'elle n'aime pas, deux de ses maris mourront. Ces deux personnages, que l'on aurait peine à qualifier de "héros" du film, confèrent à Autant en emporte le vent une indéniable modernité. 

Ensuite, si la vie et les affres d'une jeune sudiste avant, pendant, et après la guerre de Sécession pourraient de prime abord sembler des sujets qui ne soulèvent pas l'enthousiasme, le contexte de l'histoire et l'énorme budget du film offrent des échappées spectaculaires au caractère intimiste du film. On pense bien sûr aux scènes de guerre à Atlanta, aux mouvements de troupes que Sergio Leone avait sûrement en mémoire pour Le Bon, La Brute et le Truand, à cet immense hôpital à ciel ouvert qui impressionne d'autant plus qu'aujourd'hui tout cela serait fait en numérique, et bien sûr à l'incendie de la ville elle-même. Je pense également à cette magnifique scène de l'attelage de Scarlett, caché sous un pont, Scarlett les pieds dans l'eau essayant de faire taire son cheval, Mélanie (Olivia de Havilland) avec son bébé dans le coupé, tandis que les troupes nordistes traversent le pont au-dessus de tout ce petit monde. Le film n'est pas avare en tableaux marquants de ce type, parfois avec un ciel flamboyant en arrière plan, les personnages déterminés et implacables. 

Les scènes intimistes ne manquent pas non plus de théâtralité. Lors de la troisième partie, la moins passionnante des trois, la mort de la fille de Scarlett et Rhett semble jouée d'avance, comme si Scarlett avait une prémonition du scénario qui a été écrit pour elle. La folie de Rhett après sa mort n'est pas montrée, elle est racontée par la domestique noire Mamma (Hattie McDaniel, première actrice noire à obtenir un oscar) dans un plan extraordinaire et éprouvant, Mamma racontant crescendo les derniers évènements à une Mélanie de plus en plus consternée. Les rôles secondaires ne sont pas épargnés non plus par un destin cruel et retors, beaucoup meurent en même temps que le vieux Sud chéri par Scarlett. 

Néanmoins le film est long, très long. Passé l'étonnement de la modernité des personnages, passés l'émerveillement des décors, des costumes, de l'innombrable figuration, on peine à saisir la finalité du destin de Scarlett. Le vieux Sud idéalisé n'est plus, la corruption Yankee a balayé les rapports cordiaux qui existaient entre les maîtres et leurs esclaves. A ce sujet, Arte croit bon de placarder un avertissement au début du film, pour prévenir les spectateurs qu'un tel film doit être remis dans son contexte et patati et patata. Je veux bien. Mais il faudrait mettre le même avertissement devant Le Professionnel de George Lautner. Oui oui, j'ai revu ce sympathique Bébel récemment, et il regorge de blagues ou remarques racistes qui ne passeraient plus aujourd'hui. Il faudrait mettre le même avertissement à l'entrée du Puy du Fou, qui cherche à nous faire croire que l'Ancien Régime était un havre de paix et de concorde entre les Nobles et le Tiers Etat. Une fresque murale d'un cinéma de province a récemment été critiquée à cause du film choisi. Il s'agit des Tontons flingueurs (Georges Lautner encore tiens...), dénoncé comme étant un cinéma de papa qui donne une mauvaise image de la femme. A ce rythme il faudra bientôt mettre un avertissement à tout film tourné avant 2015. En bref, le paternalisme gentillet des blancs d'Autant en emporte le vent à l'encontre de leurs esclaves dévoués ne pose pas vraiment plus de problème que le mot nègre dans le plus fameux roman d'Agatha Christie, mais c'est l'air du temps. 

Je préfère pour ma part garder un bon souvenir de ce film et m'appesantir sur des petits détails. Savez vous par exemple qui double Clark Gable dans la scène où il tire la charrette dans Atlanta qui brûle? Et bien d'après Wikipedia, ce n'est autre que Yakima Canutt, dont on parle à plusieurs reprises dans ce blog. Il est aussi l'un des hommes qui agressent Scarlett sur le pont dans la troisième partie. Curieusement, cette info m'intéresse plus que d'ergoter des heures sur le fait qu'un film de 85 ans puisse être raciste et s'il devrait pour cela être assorti de tout un tas d'avertissements.



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