Johnny Guitar
Johnny Guitar
1954
Nicholas Ray
Avec: Sterling Hayden, Joan Crawford, Mercedes McCambridge, Ward Bond, Ernest Borgnine
J'ai vu ce film tout petit. C'était un peu comme une sorte de légende dans la famille, ouah, il y a Johnny Guitar qui passe à la télé! Je n'avais comme souvenir que la scène de pendaison, et vu l'aura du film dans le milieu autorisé, fallait bien que je mette la main dessus un jour.
J'ai trouvé la VHS pour dix centimes dans un vide-grenier, aux cotés de deux Bud Spencer: Malabar à New York et Malabar à Miami. Vous n'allez pas me croire, mais j'ai laissé les deux Bud Spencer et j'ai pris le Johnny Guitar.
Le début est tout bonnement formidable. Des explosions dans la montagne, une attaque de diligence vu de loin, presque genre "Tiens, une attaque de diligence...", du vent, de la poussière de partout, et une guitare. C'est déjà une bonne intro, mais ça continue, une énorme batisse au milieu de nulle part, le bruit de la roulette et du vent, toujours aucun dialogue. La tension monte, et quand ça se met à parler, c'est pas pour causer météo!
Les échanges haineux commencent, avec Vienna au milieu de son escalier. La précision des dialogues, la répartie des protagonistes sont ébouriffantes. Arrivent des bandits dont l'un s'appelle Dancing Kid. On apprécie le parallèle du nom avec celui de Johnny Guitar. L'esthétisme du huis clos étouffant continue avec la toux de l'un des bandits et ce verre vide qui tourne....
"C'est mon nom, vous voulez le changer?". Le film avance, mais la tension ne faiblit pas. Mieux, elle va crescendo. Le héros n'a pas d'arme. Mais on sait que c'est du pipeau, parce qu'on regarde un western, et que dans les westerns, les héros qui n'ont pas d'armes sont tous des as du révolver (à l'exception de Hoot Gibson).
On est un peu sur un nuage.
Et puis le soufflé retombe. La "révélation" de la virtuosité aux armes du guitariste tombe à plat, et limite trop vite. La "révélation" du passé commun amoureux de Vienna et Johnny tombe aussi à plat vu qu'on n'en attendait pas moins. Le film devient extrêmement bavard, avec un enchaînement de phrases bateaux ("Quand l'amour se consume, il ne reste que des cendres"), de dialogues à double-entendus barbants, de souvenirs, de regrets et de larmes de mauvais mélodrame. On étouffe, on voudrait sortir à tout prix de ce saloon, vas-y Johnny, aide la à descendre son lustre, qu'on se sorte de là.
Le film manquant aussi singulièrement d'humour. Par exemple, après qu'il ait fini de se battre avec Ernest Borgnine, j'aurais bien vu Johnny Guitar demander "Barman, un whisky, ça me donne soif ces petits jeux moi!", mais non, on est dans le sérieux, dans le pathos sans aucun recul, faut bien qu'on comprenne la dureté du truc, faut pas rester là monsieur. Mais pourquoi, quel est donc le message du machin?
Pour le message, faudra attendre. Pour l'instant, on respire un peu. Il y a une cascade sous laquelle il faut passer pour arriver au repère des bandits. Haaa, un truc de serial, et ici vraiment un hommage puisque absolument pas crédible. D'habitude, derrière une cascade, il y a une grotte, ce qui nous donne par exemple dans The Toll Gate de belles scènes contrastées avec les yeux fixes de William S. Hart. Là derrière la cascade, il y a des montagnes et une cabane que l'on doit donc croire ignorées de tout le pays. On s'en accomode.
Le nuage remonte. L'attaque de la banque est formidable. Le posse constitué d'hommes en noir est d'un esthétisme classieux, où la beauté naît du contraste. Contraste du noir et blanc avec toutes les couleurs chaudes éparpillées dans le film. Incongruité de la tenue au regard de son utilisation: la chasse à l'homme.
Le personnage d'Emma se dessine. Elle devient beaucoup plus intéressante que Vienna, engoncée, elle, dans ses vêtements d'hommes et ses mystères. Emma a droit à des plans fulgurants, parfois brefs comme lorsqu'elle attend sur le pont "ses" hommes parce que - trop pressée - elle a pris trop d'avance, parfois longs comme lorsqu'elle met le feu au saloon. Le message aussi se dessine: L'amour refoulé, ça fait faire des conneries, la justice expéditive, c'est pô bien. OK.
Dans l'ensemble, la redite de la confrontation dans le saloon et la scène du lynchage fonctionnent très bien, mais sont plombées par des incohérences mélodramatiques. Tom se fait descendre, et Vienna trouve le temps de lui parler gentiment, de lui expliquer qu'il n'est pas insignifiant alors qu'il était bien un personnage insignifiant dans le film (il s'appelle vraiment Tom d'ailleurs ?). Un genre de scène obligée alors que l'importance du personnage ne la justifiait pas, ça vous sort du film.
Et hop, à peine sauvée du lynchage, on remet ça dans les galeries de la vieille mine: "Je t'aime. Moi non plus. Je t'ai aimé jadis. Et toi? Mais vas-tu le dire boudiou?!" Zzzzzzz roôôo zzzzzzzz.
La dernière partie, là haut dans la montagne interdite, ressemble à du mauvais spagh. Un duel féminin, déjà, fallait oser. Les yeux sont exorbités, les machoires serrées à bloc. Mais la mort du Dancing Kid, c'est la cerise sur la gateau. Dans un spagh - pourvu de toute la distance ironique nécessaire - j'aurais applaudi. Ici, cela déssert le film. La limite est facilement franchie, dans un film au final baroque, entre l'apothéose des sentiments et le ridicule. La limite n'est pas franchie dans Duel au Soleil. Elle l'est ici, malheureusement, au regard de la réputation de l'œuvre ..
Au final, malgré quelques passages que j'ai soulignés, j'ai aimé ce film. N'en déplaise à ceux qui détestent le genre, j'y ai retrouvé une atmosphère, une esthétique que l'on retrouvera plus tard dans le western européen. J'y ai aussi retrouvé, le jeu outré et les effets du muet. Malgré tout, le film avec ses effets de couleur, sa dramaturgie appuyée, son symbolisme lourdingue, démontre une sorte de modernisme qui a mal vieilli. Le film n'est plus le chef d'œuvre qu'il a été, mais n'en demeure pas moins une incontestable curiosité de grande qualité.
Images: USMC sur Western Movies
Tiens t’es encore là toi ? Depuis le temps je te pensais décédé ou quelque chose du genre :)
RépondreSupprimerLe coup du godet-là qui fait la toupie sur le comptoir et qui introduit Sterling Hayden, j’adore. Sir Christopher Frayling, dans un de ses toujours brillants commentaires, indiquait que Leone use d’un procédé analogue pour amener Bronson dans le champ, toujours par la droite, dans Il était une fois dans l’Ouest.
Tu développes pas assez à mon sens sur Emma qui est un personnage intéressant. C’est effrayant la haine sans faille, inextinguible, que peut vouer une femme à un mec qui l’a repoussée ! Elle demeure amoureuse du gars et en même temps voudrait le voir mort !... Elles sont bizarres.
Je vais bientôt sortir les dessins érotiques de Flingobis ici :
http://lemusardeur.hautetfort.com/
Vous êtes tous conviés à mater. Ceux qui lisaient Fluide Glacial dans les années 80 reconnaîtront.
Très surpris par tes réserves sur le film. D'abord il y la forme: "il n'est plus le chef-d'oeuvre qu'il a été" phrase absurde ou pleine de prétention, sorte de crachat à la gueule de tous ceux qui ont distingué ce film dans les années 50 (alors qu'il passait inaperçu aux USA) mais heureusement que tu étais là pour remettre les pendules à l'heure!
RépondreSupprimerEnsuite j'ai peine à croire qu'un fan de spagh soit passé à côté de la démesure du final, à son superbe lyrisme très inhabituel (cf la chanson sublime qui ouvre le générique et clot le film)Au lieu de quoi tu nous parle de "limite franchie" comme un arbitre des convenances, sinon comme un flic de la pensée! Mais la grandeur de ce film c'est d'avoir oublié toutes les limites, les lourdeurs, les conventions de l'époque pour enfin traiter son sujet, tellement galvaudé: l'amour! Mais pas comme les intrigues amoureuses obligatoires et insipides dans la majorité des films de l'époque. Ici c'est le centre du film: l'amour fou, ses ravages, sa part de folie, d'auto-destruction ! ! Ici on se moque des règles et de la psychologie (encore que le fait que Emma tue le Kid soit limpide puisqu'elle ne supporte pas qu'il lui préfère Vienna au final, c'est donc la jalousie pure qui la consume et lui fait commettre le pire)
PS: moi c'est Duel au soleil que je trouve ridicule à la fin, ces deux amants qui se canardent de loin en faisant presque attention de se louper, franchement ça n'a rien à voir avec cette balle dans la tronche de l'amant, cette folie furieuse qui s'empare du personnage dans Johnny Guitar.
C'était inhabituel à l'époque mais ça reste très fort aujourd'hui, sauf à être totalement blasé par la violence abstraite et désincarnée du cinéma contemporain - qui est le lourd héritage du western moderne des années 60 et du spagh.
Old Timer
Je ne cherche pas à travers ce blog à me forger une réputation, une stature cinéphilique, une crédibilité critique. Johnny Guitar me paraît surestimé et vieilli, mais un bon film malgré tout. Rien de plus, rien de moins.
RépondreSupprimerIl est vachement agressif le petit vieux du message précédent, et puis injuste, Tepepa crache à la gueule de personne, il dit que le film a vieilli et il a raison.
RépondreSupprimerQuand Emma se fait dézinguer, vous avez noté que c’est un cascadeur mâle qui la double pour la chute, ça se voit énorme. Y a quand même des trucs, comme se casser la gueule, que les messieurs font mieux que les dames !
Notez également un rôle effacé mais remarquable pour John Carradine en homme dévoué jusqu’au bout à Vienna.
Allez bigleman, va te rhabiller et arrête d’embêter Tepepa ! On a tous reconnu le creux de tes propos et ta nullité orthographique !