Et revoici, après Le Bon la Brute et le truand, Et pour quelques Dollars de plus, Il était une fois la Révolution et Mon Nom est Personne, un nouvel épisode des petites choses dans lequel je livre mes points de vue personnels, cette fois sur le film qui lança le genre.
Où voir Pour Une Poignée de Dollars dans les années 80
J'avais dans les dix ans, et j'étais en vacances dans les Pyrénées, et il me tardait alors de découvrir Pour Une Poignée de dollars, qui était le dernier western de Leone qu'il me restait à voir, avec il était Une fois dans l'Ouest qui était interdit aux moins de treize ans. Ce soir là, on devait récupérer ma soeur au train à Tarbes, et je dis tout de go à mes parents: "On n'a qu'à en profiter pour aller voir Pour une poignée de Dollars au cinéma". Dans mon jeune esprit, il était évident que n'importe quelle ville moyenne de France avait au moins un cinéma qui passait Pour une poignée de dollars le soir, douce innocence de l'enfance. Sauf qu'il s'avère que ce soir là, le film passait bien à Tarbes, et rétrospectivement, si je croyais en Dieu, je dirais que c'était un signe et que j'aurais mieux fait de me signer. Je fus malgré tout ravi, pas comme ma soeur qui dut se taper un Sergio Leone après ses cinq heures de train. Tout ça pour dire que dans les années 80, on pouvait encore voir assez facilement tous les Sergio Leone en salle, et que je suis content d'être assez vieux pour avoir vécu ça.
Clint Eastwood arrive dans le brouillard.
Quelques mois auparavant, j'avais découvert Et pour quelques dollars de plus en salle, donc. Mon père lui, redécouvrait ces films qu'il n'avait pas revus depuis vingt ans. A la fin de Et pour quelques dollars de plus, comme chacun sait, Clint Eastwood pose son cul sur une charrette pleine de cadavres et s'en va au soleil couchant. Mon père me dit alors: "Ce qui est curieux fils, c'est que si je me souviens bien, au début de Pour une Poignée de dollars, Clint Eastwood arrive justement dans le brouillard sur une charrette pleine de cadavres... (pause)... Et pourtant, vu les titres, il serait plus logique que Et pour quelques dollars de plus soit la suite de Pour une Poignée de dollars!" Il se souvenait mal, et moi, ne mettant pas en doute la parole paternelle, j'étais en joie, car je ne pouvais imaginer meilleur début de film que Clint Eastwood débarquant dans le brouillard sur une charrette pleine de cadavres. Déjà, les prologues du Bon la Brute et le Truand et de Et Pour Quelques dollars de plus étaient exceptionnels, mais là, Clint Eastwood qui se pointe peinard dans le brouillard sur une charrette de cadavres, je ne pouvais rêver mieux! Comme chacun sait, il n'y a ni brouillard, ni charrette de cadavre au début de Pour Une Poignée de Dollars, et je fus alors légèrement déçu. Mais il y a un bref plan tout blanc, entre le générique et le premier plan sur Clint Eastwood, un plan de transition que personne ne remarque. Ce blanc, à chaque fois que je le vois, je me dis: "c'est le brouillard..."
Clint Eastwood boit à la louche
Ce puits sur la voie publique, la façon dont Clint Eastwood s'en sert, ça résume en une seule scène tout le cinéma de Leone et tous les westerns spaghetti qui vont suivre. D'abord, l'homme sans nom ne demande pas la permission, non, il se sert, point barre. On a déjà le pistolero ténébreux totalement hors de la société, mais qui n'en souffre pas. Il n'a pas besoin de demander la permission puisqu'on voit mal qui pourrait lui refuser la permission de se servir de cette louche à l'aspect louche pour s'abreuver. Et s'il boit, c'est juste une concession au caractère organique de sa personne. Il n'en a rien à foutre de boire, il observe le petit manège du petit Jesus et de son père qui se fait taper par Mario Brega, à la limite il aurait tout aussi bien pu ne pas boire. C'est un surhomme, qui boit parce qu'il faut boire, mais pas parce qu'il a soif. Il est au dessus du lot, il a l'impunité, et ce genre d'attitude a dû en faire rêver plus d'un, être détaché des tracas, être insensible au rire, aux femmes et n'aller que là où bon nous semble, se libérer en quelque sorte de sa condition humaine pour dominer nonchalamment toute cette comédie (humaine), c'est un peu le propre du héros de western spaghetti.
Aujourd'hui cette scène me fait aussi à chaque fois penser à une histoire réelle qui s'est passée en Espagne dans les années 70, et que l'on raconte dans la famille. Il y avait eu un accident sur la chaussée, et deux motards de la Guardia Civil étaient là pour veiller au grain. A un moment l'un d'eux rentre dans un jardin, pourtant privé, sans rien demander à personne, cueille une grappe de raisins sur une vigne, et retourne sur la route pour la manger, tranquillement, sûr de son droit. Où l'on voit donc ce que ça donne, quand les rêves d'impunité deviennent réalité.
Clint Eastwood et sa mule.
Curieusement, je ne m'étais jamais demandé pourquoi l'homme sans nom arrive sur une mule. Le scénario lève le voile là-dessus: l'homme sans nom est en fait un soldat confédéré en fuite, qui a volé le poncho et la mule d'un péon après avoir traversé le Rio Grande. On peut faire ce que l'on veut de cette information, elle n'appartient pas au film, elle ne fait que dévoiler que le film n'est peut-être pas tout à fait celui qui était prévu au départ. Elle jette aussi un doute sur les dires de l'acteur qui affirme avoir eu l'idée du poncho. Tout comme l'on peut faire ce que l'on veut du prologue tourné par les américains pour "justifier" les actions du héros. Tout ça c'est du contexte, ce qui importe, c'est que Clint Eastwood arrive sur une mule, et qu'à cause de ça, quatre gars vont y passer.
Une corde de pendu en guise de bienvenue
Avant de tuer les quatre types, Clint Eastwood passe sous une corde de pendu. Là aussi on touche au coeur du western spaghetti. Cette corde ne représente qu'un état mortifère, une ambiance morbide qui dessine le fantasme européen de l'Ouest sauvage, expurgé de tout contexte moralisateur, de tout discours sur une civilisation qui se construit. Cet Ouest là est au contraire une civilisation qui se déconstruit, comme en témoigne ce tapis de roulette qui ne sert plus, un monde imaginaire où on peut se faire entretuer un nombre écoeurant de gens sans conséquences.
Deux coups dans un sens, trois coups dans l'autre sens.
Quand il descend les quatre types, Clint Eastwood tire d'abord deux coups de gauche à droite en commençant par le milieu. Il y a une imperceptible pause, puis il tire trois coups toujours de gauche à droite, mais en partant de l'extrémité gauche. Bam bam... bam bam bam! On peut y chercher une stratégie si l'on veut. Il tire d'abord sur les deux qu'il a jugé les plus dangereux, puis sur les deux autres. On peut aussi remarquer qu'il lui faut cinq balles pour quatre types, pas très précis l'homme sans nom. On peut aussi se contenter d'écouter la musique des tirs. Pan pan, pan pan pan! J'ai vu Mission : Impossible 4 l'autre jour. Non seulement c'est une sombre daube, mais en plus ça manque vraiment de petits trucs comme ça.
Ça me fait comme quand je jouais aux peaux rouges
Cette petite remarque de Silvanito (José Calvo) vous aide, messieurs les détesteurs de spagh, à vous détendre les sphincters. Youhou, tout ça n'est qu'un jeu, un Ouest de cour de récréation. Ne venez pas nous les briser avec le sang rouge tomate, la frontière de pacotille, le non respect des mythes américains, l'invraisemblance des situations, les ersatz de décors. Il y a assez de westerns américains géniaux à voir pour que vous ne perdiez votre temps avec ce film.
Le massacre de l'armée Mexicaine
Sergio Leone inaugure ici le génocide de l'armée Mexicaine qui durera une bonne dizaine d'années. Il y reviendra dans Il était une fois la Révolution. Vraiment, on se demande d'où vient ce fantasme ultime d'anéantir à soi tout seul une armée vêtue de gris, encore qu'ici, les Bleus ont pris cher également.
Rubio!
Quand un homme armé d'une Winchester est faccia a faccia avec un homme armé d'un revolver, l'homme au revolver est un homme mort. Mais avant d'en arriver là, protégé par une plaque d'acier, l'homme au revolver peut compter sur son holster pour garder son arme près de soi. Pour l'homme à la Winchester, c'est plus compliqué que ça. Il lui faut un homme de main, nommé Rubio (Benito Stefanelli), qui lui garde son arme au chaud en temps normal, et qui lui jette en cas de besoin. Rubio! Rubio lui jette la Winchester du Rio Bravo vers le chariot. Rubio! Rubio lui jette la Winchester du haut du balcon. Rubio ne sert qu'à ça. Il ne peut pas aller pisser, il ne peut pas retourner voir sa femme, il ne peut pas aller boire un coup avec ses camarades, il faut qu'il soit là pour jeter sa Winchester à Ramon où qu'il soit. A la fin, quand l'Etranger a fait le ménage et qu'il n'a plus que Ramon face à lui, celui-ci a l'air inquiet. Pas parce qu'il risque de mourir, non, mais parce que même s'il en réchappe, il n'aura plus son Rubio pour lui garder sa Winchester.
Un plan simple
Clint tape sur les tonneaux avec son colt
Vous en avez sûrement marre de mes petits radotages, mais j'adore ces petits détails insignifiants, ces objets détournés de leurs usages, ces petits gestes que l'on a tous essayé au moins une fois ("ce mur sonne creux, y aurait-il un trésor à cet endroit?"). Vous avez vu des choses comme ça dans The Dark Knight Rises vous ?
Le deguello de Morricone
Plus que la musique sifflée et entêtante du générique, le plagiat du Deguello par Ennio Morricone est LE thème du film. Lorsqu'il résonne pendant l'échange de Marisol contre le fils Baxter, le film, de rip-off habile et couillu d'un film de sabres, devient une tragédie opératique frissonnante. J'en ai la chair de poule à chaque fois. C'est inexplicable, ça déclenche des transes qui prolongent le film, qui le montent dans la stratosphère, qui rendent beaux et magnifiques tous ces demi-dieux qui se dévisagent, et extraient du film un concentré de dramaturgie d'une pureté inouïe! Ou alors je suis chtarbé, c'est peut-être juste ça.
Et curieusement, depuis que j'ai des enfants, je suis beaucoup plus sensible à la scène ci-dessus.
Un petit jeu de cache cache à cheval
Clint, dans une belle nuit américaine, joue à cache cache à cheval. Il coupe à travers les montagnes, se planque derrière des buttes, parcourt beaucoup de kilomètres, mais arrive quand même avant ceux qui suivent la piste à bride abattue. Encore un jeu, un gars un peu plus malin que les autres, un espace réduit à un décor où l'on se cache et que l'on parcourt en tous sens. Un western de gosses quoi, dont l'aspect puéril est contrebalancé par le passage à tabac qui suit.
Un passage à tabac corsé
On prend le passage à tabac américain, on lui rajoute le double de longueur, des rires particulièrement sadiques, des blessures graphiques, et des conséquences longues et douloureuses. L'homme sans nom rampe, se traîne avec une lenteur désespérante, met des semaines à s'en remettre, est quasiment mort. Mais il lui reste le regard, la force de l'âme, ce regard quand il a écrasé Mario Brega, ce regard que même John Wayne n'a pas.
Pour un petit massacre de plus
Ramon et ses hommes finissent par massacrer tous les Baxter. On remarque pour commencer une vengeance des latinos sur les WASP. D'accord l'homme sans nom va revenir pour terminer le carnage et mettre tout le monde à égalité, mais là quand même, on est au-delà du mexicano crasseux qui fait la sieste. C'est comme pour le passage à tabac, ça rigole, ça dure, et ça rigole, puis ça tue même la femme, sans pitié, mais là quand même ça ne rigole plus, comme si un trop plein était atteint, une overdose de sang, une réalisation soudaine que tout ça n'a pas de sens. Pas étonnant que quelques dents aient grincé devant ce spectacle.
Le pied de Ramon en gros plan
Ce pied, ciselé avec cette botte, classe, mais sans savoir que c'est classe, tout en restant authentiquement vraisemblable. Et puis cette façon de rentrer dans le champ... j'en reste sans voix!
Un peu de théâtre
Avec son explosion de dynamite, l'homme sans nom soigne son entrée en scène. Avec sa carapace de métal, il assure le spectacle. Gian Maria Volonte n'est pas en reste quand il tournoie la bouche en sang. Le duel homme avec une carabine/homme avec un révolver y est pour beaucoup. A la dynamique d'un duel classique, on ajoute un duel technique, une opposition de savoir-faire dans l'art de tuer. Au western classique, Leone ajoute une exploration plus poussée des codes qui enrichissent le genre plutôt que n'être qu'un simple contexte, enrichissement qui fait sens dans les esprits d'aujourd'hui. La question Winchester vs revolver résonnera chez tous ceux confrontés à ce genre d'épineuses questions: Mercedes ou BMW? Gaule classique ou lancer à moulinet? Quand un homme armé d'un téléphone Apple rencontre un homme armé d'un téléphne Android, l'homme au téléphone Android est un homme mort. Ramon et l'homme sans nom, tout comme Tuco et le Colonel Mortimer sont des geeks du gunfight qui assurent le show. Un show moins intellectuellement stimulant qu'une Prisonnière du désert, mais un show dont je ne me lasse pas depuis trente ans.
Captures: DVD MGM, aux dominantes paraît-il, trop bleues, ce qui n'est pas flagrant, sauf peut-être sur ces deux dernières captures.