dimanche 25 mars 2007

Le Grand Silence



Il Grande Silenzio
1968
Sergio Corbucci
Avec : Jean-Louis Trintignant, Klaus Kinski, Frank Wolff

Un cavalier avance péniblement dans l’hiver, le cheval s’empêtre dans la neige et finit par succomber. L’homme doit continuer à pied. Les chasseurs de prime protègent leurs armes du gel dans des couvertures; ils sont cruels et sans pitié. Silence (Jean Louis Trintignant) n’est pas un chasseur de prime mais il ne vaut pas beaucoup mieux, car il provoque systématiquement des cas de légitime défense pour abattre les hommes qui jadis, lui ont coupé ses cordes vocales. Bienvenue dans Le Grand Silence!

Sergio Corbucci pousse son concept entamé avec Django en 1966 jusqu’au bout du nihilisme. Aucun autre western ne va aussi loin dans la noirceur et le désespoir (enfin de ceux que j’ai vu). Inutile de prévenir des spoilers ici, tout le monde sait que dans ce film le héros meurt à la fin, et même en le sachant, le film est d’autant plus noir, comme une tragédie où le destin de chacun est fixé à l’avance. Même en le sachant, vous espérerez un ultime retournement de situation final, mais non, cela n’arrivera pas, la déception sera à la hauteur à chaque fois. Klaus Kinski est tout simplement effrayant en chasseur de prime abject et cupide, Jean-Louis Trintignant, tout fluet, dans son rôle muet inspire la pitié, mais aussi la défiance et l’antipathie, car finalement son mode opératoire pour tuer (provoquer l’adversaire jusqu’à être en droit de l’abattre en état de légitime défense) en fait un être ambigu peu éloigné des être immondes qu’il pourchasse. Silence n’est pas un bon, c’est surtout une victime.


Corbucci ne nous épargne rien de la violence des hommes, il cherche à choquer parfois gratuitement, parfois de façon perverse (la scène d’amour d’un blanc avec une femme noire, qui à l’époque était impensable). La musique poisseuse et lancinante d'Ennio Morricone colle aux basques comme la poudreuse aux pieds des chevaux. La neige et la rigueur de l’hiver accentuent le désespoir affreux qui domine l’ensemble du film, comme dans un huis clos à ciel ouvert où les autorités ne peuvent rien ; le côté comique du shérif, loin d’apporter un peu d’humanité et de chaleur à ce monde glacial, renforce au contraire le désenchantement ambiant. Le shérif, seul être bon de cette tragique histoire, est malheureusement complètement inadapté au monde hors du temps où il vient d’échouer. Les faibles sont faibles et restent faibles, les forts sont bien les plus forts, et ils vont jusqu’au bout. Inutile de faire remarquer les défauts de doublage ou quelques détails un peu bâclés (Corbucci tournait beaucoup, et vite), Le Grand Silence est parfait dans son genre, tout à fait différent d’un Sergio Leone. Le Grand Silence est si réussi dans sa démonstration pessimiste de la noirceur humaine que personnellement j’ai du mal à vraiment l’aimer, à l’aimer comme un film que l’on aime revoir souvent. Non, Le Grand Silence est si réussi qu’on préfèrerait presque oublier l’avoir vu. Et en effet, si vous êtes foncièrement optimiste et que vous aimez les westerns avec John Wayne qui descend la rue principale en souriant à la fin, ce film ne vous plaira pas. Mais si vous êtes prêts à voir un western radicalement différent, dans sa forme, dans son scénario, dans ses défauts même, ne passez pas à coté du Grand Silence.

Le DVD Studio Canal
Version intégrale. Bonus intéressants même s’ils ne sont pas très fournis pour une œuvre de cette envergure. Le plus mémorable reste la fin alternative « heureuse » malheureusement sans bande son. Si vous la voyez juste après le film, cela ressemble à une deuxième fin fantomatique, irréelle grâce à l’absence de son, comme si Silence, juste avant de mourir, voyait défiler son histoire telle qu’il aurait voulu qu’elle finisse en réalité.

Django ne prie pas



Evidis en remet une couche pour un western psychologique intéressant (mais si, c'est possible).
Mario Siciliano
1968
Avec Gianni Garko, Sean Todd

Sa mère lui avait pourtant répété 1000 fois : « Django n’ouvre jamais ta porte aux inconnus !» Mais Django a oublié ces bons conseils, il ouvre sa porte à des vigilants Nordistes qui lui tuent sa femme et le laissent pour mort. Traumatisé, Django ne se souvient pas de l’identité des tueurs, sa vengeance est impossible. Petit à petit, il devient un cinglé de la gâchette, meurtrier et psychopathe. Son ami Daniel est désemparé.

Je ne pensais pas qu’Evidis pouvait encore me réserver de mauvaises surprises, mais il ne faut jamais douter de rien. Ici l’image est à peu près correcte si l’on excepte les habituelles rayures, et l’aspect «noir et blanc teinté» absolument pas d’origine. Mais la bande son est sourde, très sourde, au point que certains dialogues sont complètement inaudibles, à moins de monter le son à 1400W, ce qui a pour effet indirect d’inciter les voisins à appeler la police.

Donc, encore un film à peu près correct dont l’appréciation est gâchée par les mauvaises conditions de visionnement. Car il y a beaucoup de bons points à sauver, dans Django ne Prie Pas. En premier lieu le thème de la vengeance, qui est complètement écarté ici au profit de l’évolution psychologique du personnage de Django, qui sombre peu à peu dans la démence. Cette démence est mise en image assez efficacement par des effets de zoom à chaque fois que Django voit un motif rappelant une étoile, l’étoile que portaient les vigilants qui ont assassiné sa femme (au passage, le western italien se donne grand plaisir à écorner l’image droite et noble du soldat nordiste, du Bon la brute et le truand, à Adios California). Deuxième point fort du film, la mise en scène tente des effets parfois surprenants (la caméra quitte Django qui dort, va se perdre dans les rochers, revient sur Daniel qui s’est endormi, pour revenir sur Django qui en fait ne dort pas…), parfois curieux (la caméra qui s’attarde et zoome sur une branche d’arbre sans raison apparente) et parfois classiques (gros plans, zooms, cadrages exotiques, montage nerveux…) mais réussis. Même si beaucoup de défauts subsistent, la moyenne est donc plutôt honorable.Malheureusement, les acteurs ne m’ont pas convaincus, en particulier Gianni Garko qui ne parvient pas à donner à Django suffisamment de charisme pour qu’on s’attache à lui, ni de folie pour qu’on le craigne,quoique son jeu soit loin d’être aussi monolithique que certaines stars du western italien. La musique, assez « hollywoodienne » est parfois efficace, mais peu marquante. Autre bizarrerie dans Django ne Prie Pas, les décors sont parfaitement utilisés, mais le budget costume n’est visiblement pas à la hauteur de la variété vestimentaire habituellement constatée dans le genre. Tous les personnages sont grosso modo habillés des mêmes oripeaux classiques du cowboy de série B : petit chapeau, petit veston ajusté et ceinturon à grosse boucle. Droits dans leurs bottes, les affreux comme les gentils manquent singulièrement de crasse et de prestance, bien que la barbe de trois jours soit de rigueur. Mais heureusement, et c'est là finalement le plus important, ce western n’est pas avare en « scènes spaghetti », c'est-à-dire des situations ou des plans qui ne font pas particulièrement avancer l’histoire, mais qui définissent l’atmosphère trouble et le charme du western spaghetti : le prologue en plein orage, une porte qui s’ouvre et se referme, un gros plan sur des éperons ou une étoile, un duel à cheval original, Django et une femme titubant dans le désert aride, Daniel qui ramène son frère en croix... Autant de stimuli visuels, qui s’ils ne suffisent pas à faire un grand film, satisferont pleinement l’amateur spaghettophile.

mercredi 21 mars 2007

Conversations avec Sergio Leone



Le passionnant recueil d’entretiens avec le chef de file du western italien.
Par Noël Simsolo
Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma

Disparu beaucoup trop tôt en 1989, Sergio Leone a répondu pendant 15 ans aux questions de Noël Simsolo. Ce petit bouquin est l’occasion de se faire une première idée de la personnalité et de la carrière du maestro, carrière qui ne se limite pas à ses sept films les plus connus. Outre l’évocation de l’enfance où l’on apprend que le père de Sergio Leone a réalisé le tout premier western italien en 1913, la carrière d’assistant du jeune homme est longuement détaillée, de Mario Bonnard à Robert Wise sur Hélène de Troie, ainsi que ses rencontres avec Raoul Walsh, Orson Welles, le tournage de la course de char de Ben Hur et ses premiers pas de réalisateur dans Les Derniers Jours de Pompéi. On découvre également la mentalité « latine » de Leone qui n’hésite pas à tirer la couverture à lui, et dont le manque de modestie tranche avec la franchise avec laquelle il parle des plus grands.
Bien sûr, tous ses westerns sont abordés de façon détaillée, à commencer par Pour Une Poignée de Dollars: la rencontre avec Ennio Morricone, le conflit avec Kurosawa sur les droits d’auteurs de Yojimbo, quelques anecdotes sur Clint Eastwood qui contredisent ce qu’Eastwood raconte lui-même, bref du bonheur de lecture, d’autant que l’on se rend compte de l’immense culture cinématographique et culturelle du réalisateur, qui ne se contente pas de copier les films qu’il admire, mais qui puise également son inspiration dans la peinture, l’architecture et la littérature. Leone explique pourquoi il a tourné …Et Pour Quelques Dollars de Plus alors qu’il aurait pu partir tourner aux Etats-Unis, il décortique sa relation avec Eastwood sur Le Bon La Brute et le Truand qui devait être son dernier western, il précise pourquoi il a du faire Il était une fois dans l’Ouest afin de pouvoir tourner Il était une fois en Amérique et il nous apprend comment entre les deux il s’est finalement retrouvé aux commandes de Il était une fois la Révolution qui a failli être réalisé par Peckinpah. Tous ses films sont racontés avec amour par Leone, qui démontre par le choix des mots et de ses références qu’il était bel et bien plus qu’un simple faiseur de westerns.
Enfin, l’œuvre de sa vie Il était une fois en Amérique est abordée en détail, ainsi que son travail de producteur sur Mon nom est Personne qu’il ne trouve pas assez poétique et Un Génie Deux Associés, une Cloche qu’il déteste, et ses tournages de publicités.
Son film fleuve inachevé Les Neuf Cents Journées de Lenningrad est tout juste abordé, comme un petit rappel, un léger pincement au cœur, la déception de savoir qu’on ne verra jamais ce film. Conversations avec Sergio Leone, un passionnant moment de lecture pour les amateurs du bonhomme. L’iconographie est totalement absente, mais a l’heure des DVD collectors bourrés d’images et de documents, ce défaut n’en n’est plus un.

lundi 19 mars 2007

4 dollars de Vengeance


Un petit western espagnol au charme de série B suranné.
4 Dolares de Venganza
1966
Jaime Jesus Balcazar
Avec:
Robert Woods, Dana Ghia, Angelo Infanti
Un capitaine de cavalerie fringuant comme un poulet élevé à West Point et vertueux comme une vache anglaise se fait salement avoir. On l’envoie au bagne alors que c’est pas lui qu’a volé l’orange! Heureusement, ses geôliers n’ont pas lu Alexandre Dumas car ils le laissent s’échapper bêtement. Devenu taciturne et un poil revanchard, notre homme va n’en faire qu’à sa tête.

Robert Woods n’y peut rien, son visage n’exprime rien d’autre que le vide immense et désertique de l’Andalousie, et encore sa barbe de dix-sept jours couvre presque complètement un visage qui rappelle par moments celui de Guiliano Gemma. Et ceci est sans doute loin d’être fortuit, car on a parfois l’impression de voir un remake du Retour de Ringo, avec la touche mélancolique et la musique de Morricone en moins. Notre héros se ballade incognito déguisé en peon mexicain, et vas y que je tue d’emblée le premier des méchants, et vas y que je passe par les toits alors que la porte est ouverte, la route est balisée et sans embûches.



Alors, il est où ton rasoir, gringo?

A part ça 4 dollars de vengeance possède le petit charme nostalgique des petits films d’antan. Vous ne serez pas surpris par les extravagances morbides et malsaines, vous ne serez pas émus par des crescendos musicaux envoûtants, vous ne serez pas époustouflés par la démesure opératique du va et vient lancinant des protagonistes, mais vous apprécierez le petit coté bien ficelé de l’intrigue, le caractère sans surprise des personnages et l’absence totale de prétention autre que de vous servir une bonne dose d’action, aujourd’hui bien dépassée, des retournements de situations prévisibles, et un petit duel final…au sabre. Il y a bien le passage au bagne qui tente d’être poignant grâce à quelques accords de trompette bien placés, mais on dirait une ébauche, une tentative, genre allez on se lâche? On verse dans le flamboyant ? Non finalement pas trop quand même, mieux vaut pondre un truc classique sans saveur qu’un film audacieux mais raté. On dirait que le réalisateur se cherche et qu’il ne sait pas trop comment orienter son film. Mais le résultat n’est pas vraiment mauvais en soi. Oubliez un instant les passions exacerbées et le nihilisme noir du western al’ italiana et plongez vous avec délice dans l’ambiance militaire proprette, l’amitié virile trahie (oups le spoiler...), la vengeance sans crispation. Un doigt de série B à l’américaine, une once de spaghetti (le taux de mortalité est quand même assez élevé), c’est le moment de redevenir naïf et de se contenter de peu.
Si vous pouvez (et si vous voulez surtout, parce qu’il faut quand même le vouloir), essayez de récupérer le double DVD couplé avec Pistolets pour un massacre. Deux westerns vite oubliés pour le prix d’un, c’est mieux !

dimanche 18 mars 2007

Le Dernier Face à Face

Seven 7 a ressorti le chef d’œuvre de Sergio Sollima dans un boîtier amaray classique, et c’est plutôt une bonne nouvelle puisque jusqu’ici, il n’était disponible que sous le format suivant :



Il s’agissait d’un album BD +DVD intitulé Western Spaghetti. En fait de BD vous vous retrouvez avec quatre planches de Gotlib colorisées et d’une présentation générale du genre en abordant chaque grand thème (la violence, les femmes, les armes etc…) à l’aide de dessins crées pour l’occasion et d’images de films. Le tout n’est pas très approfondi mais peut constituer un bon point de départ pour s’initier à ce genre cher à mon cœur. Par contre l’ensemble était assez cher (dans les 21 €).




Dorénavant, Seven 7 vous propose le DVD seul pour environ 15€, sans la BD, ce qui est beaucoup plus raisonnable surtout si vous connaissez déjà les planches de Gotlib qui datent de la Rubrique à Brac.



Le Dernier Face à Face, deuxième western de Sergio Sollima (après Colorado), est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs westerns italiens hors Sergio Leone, un western « intellectuel » qui s’ouvre sur le départ d’un professeur d’Université (Gian Maria Volonte) pour le Texas pour raison de santé. Le prologue assez long montre que l’on a affaire à un « perdant », quelqu’un qui n’est pas allé au bout de ses rêves et de son potentiel. Au Texas il sera pris en otage par Beauregard (Tomas Milian), un bandit sans foi ni loi qui n’hésite pas à tuer même si ce n’est pas tout à fait nécessaire. Petit à petit, au contact du bandit, le professeur va découvrir que son intelligence pourrait faire de lui un grand desperado. Beauregard lui, devant la froideur et la mégalomanie du professeur, va découvrir le sens inné de la justice qui est en lui. Réflexion sur le pouvoir et le totalitarisme, Le dernier face à face est un western qui tente de faire travailler les neurones, grâce à un scénario travaillé, sans renoncer à être efficace sur le plan de l’action. L’inversion de caractère des deux stars est bien menée et sait prendre son temps. On retrouve comme dans beaucoup de westerns spaghetti, un certain attachement aux marginaux de toute sorte, ici une communauté de desperado qui vivent en autarcie. C’est quand le western italien cherche à offrir quelque chose de différents des westerns de Leone qu’il devient le plus intéressant. Le film de Sollima n’est pas aussi réussi esthétiquement que les films du maestro (La musique de Morricone est efficace, sans être inoubliable, quelques transitions un peu rapides, quelques situations peu crédibles), mais le discours sous-jacent est beaucoup plus riche. J’ai pu voir ce film au cinéma lors d’une rétrospective en présence du réalisateur. Le conseil de Sollima, étonné de voir, en 2001, son film faire salle comble, était « Voyez mon film non pas comme un western, mais comme un film ! »C’est justement ce qui fait en général la marque des grands westerns !


Le DVD Seven 7

Que vous achetiez le boîtier amaray ou le truc bizarre sous forme de BD, le DVD est identique. Version française et version italienne sous-titrée en français.Le DVD est très réussi (version complète, les passages inédits en France sont en italien sous-titrés en français) et les deux courts métrages qui accompagnent le film sont très bons. L’image est magnifique. Si vous aimez le western spaghetti, celui-ci est indispensable même s’il a ses détracteurs. Si vous ne jurez que par Sergio Leone et que vous avez 15€ en trop, ça peut être l’occasion d’être curieux et de découvrir que d’autres réalisateurs ont su s’affranchir de son influence avec talent.