dimanche 13 novembre 2011

Lucky Luke



Lucky Luke
1990
Terence Hill
Avec: Terence Hill


Réévalué à l'aune des récents Dalton et autres Astérix (pas vu le film avec Dujardin), ce Lucky Luke là a au moins le mérite d'une certaine sincérité. Un film sans prétention vaut mieux qu'un film "nouveau beauf". Un film sans prétention vaut mieux qu'un film à la bêtise cynique. Un film sans prétention vaut mieux qu'un m'as-tu-vu de stars du petit écran.
On aime bien se moquer du gentil Terence Hill, c'est un fait. Ce petit film là, s'il ne respecte pas l'oeuvre de Morris et Goscinny, il ne la trahit pas. Bien réalisé, tourné au Nouveau Mexique, les principales lignes directrices de l'album Daisy Town sont respectées, ainsi que quelques gags de l'humour Lucky Luke: la construction hyper rapide de la ville, les touches anachroniques, le goudron et les plumes. Bien sûr, Terence Hill, fait un piètre Lucky Luke, un poil trop vieux et trop proche de son personnage de Personne. Bien sûr, on ne tient pas là le film du siècle, mais je répète, entre ce petit film gentillet destiné aux enfants et une superproduction survitaminée aux effets numériques et dopée par les guest stars du monde de la télé et de la Formule 1 (sic), j'ai ma petite préférence.
Le mieux étant, au final, de se replonger dans les albums.


PS: on retrouve avec plaisir Neil Summers, le petit gars aux grandes dents de Mon Nom est Personne, ainsi qu'un bout de la musique de la chevauchée des Walkyries du même film), et on note une curieuse séquence où Joe Dalton (Ron Carey, plutôt bon) révèle aux Indiens le futur Américain, avec les échangeurs routiers et la bombe atomique, ce qui en ferait presque un film à message (cette séquence étant me semble-t-il plus ou moins présente dans l'album).

vendredi 11 novembre 2011

Sugar Colt



Franco Giraldi
1966
Avec: Hunt Powers

Le titre est stupide, et la première image pitoyable. Une piteuse pancarte indiquant "Snake Valley" au milieu d'une vallée vue cinq cents fois, ça vous sort du film avant même d'y être entré. J'avais ce film en magasin depuis fort longtemps (merci au Chat au passage), mais je n'avais jamais réussi à dépasser le choc psychologique de cette branlante pancarte.

Armé d'une volonté de fer, j'ai passé la vague, bien m'en a pris. Passé le massacre des tuniques bleues presque aussi toc que la pancarte, un fabuleux thème à la trompette de Luis Bacalov se déploie. Et immédiatement ressurgit des entrailles de votre âme tout ce qui vous manque dans le western américain: une ambition dramatique démesurée, une marionetisation des actes et des destins, un sens de la vie forgé dans le sang, une universalité des archétypes humains loin des mythes et de la morale américaine.

Et bien sûr cette ironie toujours présente. Ici le ton louvoie entre comédie et drame sérieux, et cela fonctionne parfaitement. On retrouve avec bonheur un western "enquête", avec des populations qui n'osent pas parler et des hommes de main intimidants. L'originalité réside dans l'objet de l'enquête qui consiste ici à rechercher des soldats disparus mystérieusement. Le héros se fait passer pour un docteur, une "petite gens" sans prétention qui peuple le petit monde du western. L'humour naît des réactions du docteur face aux vexations (une marrante baston type pugilat), du décalage entre sa dégaine et ce dont on le devine capable. Le drame prend de l'ampleur à chaque développement de l'enquête. Pas de message, pas de sous-texte, pas de discours sur l'humain. Une intrigue, des bastons, des morts et une belle musique. La mayonnaise prend.



Pour moi, Hunt Powers n'était qu'un légume de plus à la Robert Woods, perdu à jamais dans les délires de Demofilo Fidani. Surprise, Hunt Powers est ici un excellent acteur. Sorte de dandy séducteur, il se déguise et dégage une très bonne expressivité. Le regard provocateur, le sourire perpétuellement ironique, il est un des atouts indéniables de ce bon petit spagh bien réussi. A ne pas rater évidemment, le festival habituel de tronches du genre (dont le fleuriste du Retour de Ringo), et les idées loufoques habituelles de ce genre de production. Ici, Hunt Powers commence en tant qu'instructeur dans une école de tir pour dames. Et bien sûr, même si Franco Giraldi n'est pas franchement le plus baroque des réalisateurs italiens, ne pas manquer le final, bien excessif dans la mise en scène de la mise à mort du chef des méchants.

jeudi 10 novembre 2011

Le train sifflera trois fois

High Noon
1952
Fred Zinnemann
Avec: Gary Cooper, Grace Kelly
Encore un classique de mon enfance que je n'avais pas revu depuis des lustres, empêché par un souvenir vivace d'inaction totale, et par les propos de Hawk sur son Rio Bravo qui serait l'anti-High Noon par excellence. Et comme j'aime beaucoup Rio Bravo, j’ai attendu longtemps. L’autre jour je l’ai vu chez Noz aux cotés de deux Terence Hill retitrés: Trinita remet le couvert et Trinita reprend l’avantage. J’ai pris le Gary Cooper.
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High Noon commence par cette belle image de Lee Van Cleef. Etrange destinée de cet acteur, qui fait que rétrospectivement on attache de l’importance à ses rôles de seconds couteaux. En tout cas, dans ce film, même si son personnage n’est pas très développé, il survit pendant quasiment toute la durée du métrage. C’est déjà bien.
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Les lèvres bougent pendant la chanson du générique, mais on n’entend pas leurs paroles. L’effet est étrange, comme si on épiait les deux hommes, et comme si le réalisateur nous prenait pour des gens intelligents, capable de comprendre un film sans en avoir toutes les clés.
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La ballade, chantée par Tex Ritter, est langoureuse à souhait, ce qui a pour effet de dédramatiser la chevauchée de ceux dont on ne saurait pas encore qu’ils sont les méchants si l’on n’avait pas reconnu Lee Van Cleef.
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La chanson s’efface au profit des cloches. C’est beau. On se dit que Leone dans ses films n’a fait qu’exacerber un esthétisme déjà en place pour mieux nous le révéler.
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En parlant de Leone, une gare et trois truands, on y est. L’un deux se rafraichit la figure dans un baquet qui traine par là. Le pittoresque au service du cinéma.
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Les yeux incroyablement perçants de Grace Kelly, dont c’est l’un des premiers films.
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Des seconds rôles bien écrits. Le film a l’intelligence de ne pas leur faire faire ce que l’on attend d’eux: les couards restent couards, les indépendants restent indépendants, les butés restent butés, et le Shérif Kane sera finalement aidé par la personne qu’il attendait le moins.
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Gary Cooper, encore beau, fringant et sûr de lui, n’a pas encore commencé sa mue en vrai héros de western.
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Le juge se barre et emporte son drapeau avec lui. C’est la civilisation qui recule devant la barbarie. Je n’ai pas bien compris en quoi ce film pouvait être une dénonciation du maccarthisme, mais ce genre de plan va certainement à l’encontre du mythe de l’Ouest en perpétuelle marche en avant vers la civilisation.
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Le maitre d’hôtel (Howland Chamberlain si j’en crois imdb), un savoureux petit enfoiré, mesquin et détestable.
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Le swearengen du coin, encore un tout petit personnage intéressant (Larry J. Blake toujours selon imdb), légèrement louche et pas vraiment sympathique non plus.
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Le regard de Gary Cooper commence a trahir la pression, le découragement, la peur…
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… au point qu’il se laisse aller à pleurer sur son bureau. Pas étonnant que le Duke n’ait pas aimé.
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L’omniprésence de cette horloge, filmée quasi en temps réel, en plans de plus en plus rapprochés, contribue fortement à l’efficacité du film, sans aucun temps mort malgré l’absence totale d’action.
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Autre gimmick visuel, seules lignes de fuites de ce western essentiellement urbain, les rails vers l’horizon, échappatoire impossible puisque de là vient le danger.
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La dernière minute avant l’arrivée du train est extraordinaire, succession de plans de plus en plus rapides et de plus en plus rapprochés, qui permet de revoir tous les personnages du film…
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… jusqu’à cette belle composition.
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Gary Cooper a achevé sa métamorphose. Sueur, saleté, peur, mais aussi classe et détermination, on y est, le western peut commencer.
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Formidable mouvement de grue qui symbolise la solitude du shérif face au danger. De nos jours ce genre de plan révèle des hordes de soldats pixélisés à l’infini. Là on découvre du vide, économie de moyens pour effet maximal.
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Quand je disais que le western vient seulement de commencer, en plus il n’est pas avare de poncifs.
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Le héros à terre. Belle image d’impuissance couplée à une belle scène d’action. Efficace.
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Encore un poncif oui, mais un poncif avec Grace Kelly n’est pas un poncif.
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Autre plan redoutablement bien mené: la rue qui soudainement se remplit de monde alors que la ville semblait désertée.
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Le plan final, qui me fait plus penser à la scène parodique que l'on trouve dans Lucky Luke que l’inverse. C’est le problème d’être né trop tard pour avoir découvert les choses dans l’ordre.


samedi 5 novembre 2011

Johnny Guitar





Johnny Guitar
1954
Nicholas Ray
Avec: Sterling Hayden, Joan Crawford, Mercedes McCambridge, Ward Bond, Ernest Borgnine


J'ai vu ce film tout petit. C'était un peu comme une sorte de légende dans la famille, ouah, il y a Johnny Guitar qui passe à la télé! Je n'avais comme souvenir que la scène de pendaison, et vu l'aura du film dans le milieu autorisé, fallait bien que je mette la main dessus un jour.
J'ai trouvé la VHS pour dix centimes dans un vide-grenier, aux cotés de deux Bud Spencer: Malabar à New York et Malabar à Miami. Vous n'allez pas me croire, mais j'ai laissé les deux Bud Spencer et j'ai pris le Johnny Guitar.


Le début est tout bonnement formidable. Des explosions dans la montagne, une attaque de diligence vu de loin, presque genre "Tiens, une attaque de diligence...", du vent, de la poussière de partout, et une guitare. C'est déjà une bonne intro, mais ça continue, une énorme batisse au milieu de nulle part, le bruit de la roulette et du vent, toujours aucun dialogue. La tension monte, et quand ça se met à parler, c'est pas pour causer météo!
Les échanges haineux commencent, avec Vienna au milieu de son escalier. La précision des dialogues, la répartie des protagonistes sont ébouriffantes. Arrivent des bandits dont l'un s'appelle Dancing Kid. On apprécie le parallèle du nom avec celui de Johnny Guitar. L'esthétisme du huis clos étouffant continue avec la toux de l'un des bandits et ce verre vide qui tourne....
"C'est mon nom, vous voulez le changer?". Le film avance, mais la tension ne faiblit pas. Mieux, elle va crescendo. Le héros n'a pas d'arme. Mais on sait que c'est du pipeau, parce qu'on regarde un western, et que dans les westerns, les héros qui n'ont pas d'armes sont tous des as du révolver (à l'exception de Hoot Gibson).


On est un peu sur un nuage.


Et puis le soufflé retombe. La "révélation" de la virtuosité aux armes du guitariste tombe à plat, et limite trop vite. La "révélation" du passé commun amoureux de Vienna et Johnny tombe aussi à plat vu qu'on n'en attendait pas moins. Le film devient extrêmement bavard, avec un enchaînement de phrases bateaux ("Quand l'amour se consume, il ne reste que des cendres"), de dialogues à double-entendus barbants, de souvenirs, de regrets et de larmes de mauvais mélodrame. On étouffe, on voudrait sortir à tout prix de ce saloon, vas-y Johnny, aide la à descendre son lustre, qu'on se sorte de là.
Le film manquant aussi singulièrement d'humour. Par exemple, après qu'il ait fini de se battre avec Ernest Borgnine, j'aurais bien vu Johnny Guitar demander "Barman, un whisky, ça me donne soif ces petits jeux moi!", mais non, on est dans le sérieux, dans le pathos sans aucun recul, faut bien qu'on comprenne la dureté du truc, faut pas rester là monsieur. Mais pourquoi, quel est donc le message du machin?


Pour le message, faudra attendre. Pour l'instant, on respire un peu. Il y a une cascade sous laquelle il faut passer pour arriver au repère des bandits. Haaa, un truc de serial, et ici vraiment un hommage puisque absolument pas crédible. D'habitude, derrière une cascade, il y a une grotte, ce qui nous donne par exemple dans The Toll Gate de belles scènes contrastées avec les yeux fixes de William S. Hart. Là derrière la cascade, il y a des montagnes et une cabane que l'on doit donc croire ignorées de tout le pays. On s'en accomode.
Le nuage remonte. L'attaque de la banque est formidable. Le posse constitué d'hommes en noir est d'un esthétisme classieux, où la beauté naît du contraste. Contraste du noir et blanc avec toutes les couleurs chaudes éparpillées dans le film. Incongruité de la tenue au regard de son utilisation: la chasse à l'homme.
Le personnage d'Emma se dessine. Elle devient beaucoup plus intéressante que Vienna, engoncée, elle, dans ses vêtements d'hommes et ses mystères. Emma a droit à des plans fulgurants, parfois brefs comme lorsqu'elle attend sur le pont "ses" hommes parce que - trop pressée - elle a pris trop d'avance, parfois longs comme lorsqu'elle met le feu au saloon. Le message aussi se dessine: L'amour refoulé, ça fait faire des conneries, la justice expéditive, c'est pô bien. OK.


Dans l'ensemble, la redite de la confrontation dans le saloon et la scène du lynchage fonctionnent très bien, mais sont plombées par des incohérences mélodramatiques. Tom se fait descendre, et Vienna trouve le temps de lui parler gentiment, de lui expliquer qu'il n'est pas insignifiant alors qu'il était bien un personnage insignifiant dans le film (il s'appelle vraiment Tom d'ailleurs ?). Un genre de scène obligée alors que l'importance du personnage ne la justifiait pas, ça vous sort du film.
Et hop, à peine sauvée du lynchage, on remet ça dans les galeries de la vieille mine: "Je t'aime. Moi non plus. Je t'ai aimé jadis. Et toi? Mais vas-tu le dire boudiou?!" Zzzzzzz roôôo zzzzzzzz.
La dernière partie, là haut dans la montagne interdite, ressemble à du mauvais spagh. Un duel féminin, déjà, fallait oser. Les yeux sont exorbités, les machoires serrées à bloc. Mais la mort du Dancing Kid, c'est la cerise sur la gateau. Dans un spagh - pourvu de toute la distance ironique nécessaire - j'aurais applaudi. Ici, cela déssert le film. La limite est facilement franchie, dans un film au final baroque, entre l'apothéose des sentiments et le ridicule. La limite n'est pas franchie dans Duel au Soleil. Elle l'est ici, malheureusement, au regard de la réputation de l'œuvre ..


 Au final, malgré quelques passages que j'ai soulignés, j'ai aimé ce film. N'en déplaise à ceux qui détestent le genre, j'y ai retrouvé une atmosphère, une esthétique que l'on retrouvera plus tard dans le western européen. J'y ai aussi retrouvé, le jeu outré et les effets du muet. Malgré tout, le film avec ses effets de couleur, sa dramaturgie appuyée, son symbolisme lourdingue, démontre une sorte de modernisme qui a mal vieilli. Le film n'est plus le chef d'œuvre qu'il a été, mais n'en demeure pas moins une incontestable curiosité de grande qualité.



Images: USMC sur Western Movies