lundi 7 mars 2011

Amour, fleur sauvage



Shotgun
1955
Lesley Selander


Avec : Sterling Hayden, Yvonne De Carlo, Zachary Scott


Ce qui m’a le plus fasciné dans cette pure histoire de vengeance de série B, c’est l’attitude du héros interprété par Sterling Hayden. L’acteur de Johnny Guitare avec son regard toujours noir, sa bouche constamment tordue en une sorte de rictus méprisant interprète à merveille le héros froid et vengeur, déterminé, presque franchement antipathique. Et pourtant, il finit toujours par remporter l’adhésion, lorsqu’il se sort des embûches à coup de revolver ou à l’aide de ses poings ; ou lorsque il remet à leur place Yvonne de Carlo ou le cynique Zachary Scott avec une répartie et un à propos qui étonnent. Pour un type censé être guidé par les œillères de la haine, notre sombre héros paraît particulièrement lucide sur sa situation et celle des autres. C’est l’un des indéniables atouts de ce petit film d’un petit faiseur oublié de cinéma.
Mal considéré, Lesley Selander n’a même pas l’honneur d’une petite ligne dans le bouquin de Christian Viviani. Pourtant Shotgun dégage l’aura des pépites peu renommées : interprétation de qualité, bonnes idées scénaristiques de ci de là, mise en scène rigoureuse, développement psychologique suffisamment étoffé pour ne pas paraître une contrainte de cahier des charges. Il y a d’abord les shotgun du titre (je ne m’étendrais pas sur l’antithétique titre français), dont le méchant se sert au début pour assassiner à bout portant l’ami du héros. On ne nous montre pas les dégâts (vivement que le film soit remaké par un opportuniste contemporain !), mais on nous dit qu’ils y sont ! La fascination pour les armes est toujours un bon ingrédient du bon western, c’est le gimmick que l’on se raconte à la récré. Notre héros emporte un shotgun avec lui pour se faire vengeance, œil pour œil, tripe pour tripe, le shotgun devient le symbole même de la violence et donne à la vengeance un degré supplémentaire de morbidité qu’un simple colt 45 aurait au contraire banalisée.
La poursuite lente et opiniâtre dans ces magnifiques et grandioses paysages de l’Arizona sert également de révélateur de la petitesse de la nature humaine. Peu de monde à qui faire confiance dans cet Ouest surchauffé. Que ce soit la fille perdue ou le chasseur de prime ambigu, tout le monde inspire de la méfiance – et avec raison - à notre soupçonneux héros. L’humanité Fordienne, le partage, l’entraide sont plutôt sous-représentés ici, en témoigne ce conducteur de chariot qui veut bien offrir de l’eau au héros, mais qui ne s’arrête même pas pour lui en laisser le loisir. On pourrait alors compter sur les indiens pour apporter un peu d’humanisme à l’ensemble, mais c’est plutôt leur facette de tortionnaires sophistiqués qui est développé ici. On pourrait compter sur la femme pour civiliser ce beau monde. Au lieu de cela, Yvonne De Carlo se baigne nue et déchaîne les passions des mâles voyeurs.
Malgré tout, au final, ce n’est quand même pas totalement un western nihiliste. La fille est finalement quelqu’un de bien, le chasseur de prime est finalement un type recommandable, le chef Indien tient tout de même parole, et Sterling Hayden finit par relâcher ses muscles faciaux pour faire un sourire à Yvonne De Carlo. Pourtant l’impression d’un monde désagréablement mesquin subsiste. La substance mortifère de ce monde sauvage n’est pas balayée par le happy end de rigueur, et la frustration de la mort rapide et limite absurde du méchant laisse le spectateur sur une pulsion meurtrière inassouvie qui prolonge l’état de tension permanente que ce petit artisan du septième art a pourtant réussi à distiller tout au long de son film. A voir.

Le film vu par Vincent sur Inisfree.

Affiche: Chip sur Western Movies