vendredi 28 août 2015

La Nuit du carrefour



La Nuit du carrefour
1932
Jean Renoir
Avec: Pierre Renoir

En général, quand on pense au Commissaire Maigret, on se représente un homme assez massif, assez âgé, évoluant dans une France des années 50, comme vous pourrez la voir dans Maigret et l'affaire Saint-Fiacre (1959) avec Jean Gabin, ou encore dans l'excellent Maigret tend un piège (1958, toujours avec Gabin, qui distille une atmosphère oppressante pendant toute la durée du film). Mais Maigret n'est pas ancré dans l'après-guerre, il ne faut pas oublier que les quinze premiers Maigret furent publiés par Simenon dans les années 30, portés par un Maigret entre deux âges et pas si proche de la retraite que ça.
La Nuit du carrefour fait partie de ce lot là, avec le très connu Chien jaune, et ce qui frappe à la lecture de ces romans, c'est leur intemporalité. Il faut les chercher les indices qui rattachent l'intrigue à son époque, car quand on ne s'y connait guère en modèles de voiture, ils ne pullulent pas. Les bagnoles sont bien là, le téléphone aussi, on trouve déjà du trafic de drogue même si le mot dealer n'existe pas, et tout l'ensemble pourrait aussi bien se passer dans les années 80.
Bien sûr, quand on regarde l'adaptation qu'en a faite Jean Renoir en 1932, c'est l'inverse qui frappe: les chevaux aux labours, les motos qui ont des roues à rayons, les automobiles carrées et les pompes à essence manuelles, droites et immenses, la maison sans électricité et les routes sans marquages. Renoir, grand admirateur de Simenon, fut l'un des premiers à adapter un Maigret pour le cinéma. Les adaptations ne seront pas très nombreuses par la suite, Maigret, peu spectaculaire, semblant bien plus à l'aise dans le format télévisé. Quoi qu'il en soit, Renoir fait une adaptation fidèle du roman, quoique probablement incompréhensible pour ceux n'ayant pas lu le roman , en insistant bien sur l'aspect lugubre des lieux (un carrefour en pleine campagne avec tout juste trois maisons), la boue et le brouillard, la nuit et la pluie, les pièces enfumées. Renoir filme la nuit et la maison ancienne comme des lieux fantasmatiques qui seraient remplis de fantômes et d'objets incongrus, tout en respectant le contrat du film noir, avec sa came, ses truands et sa femme fatale. Le film est relativement jeune dans l'histoire du parlant, et la bande son souffre de nombreuses imperfections, des faux raccords, ou plutôt des absences de raccords quand un personnage passe d'une pièce à une autre. Mais Renoir sait malgré tout jouer avec le son, le bruit des automobiles qui passent est très marqué, et Renoir a l'idée de faire jouer l'un des personnages d'un petit accordéon à plusieurs reprises, comme pour attacher un motif musical au personnage. En dehors de cela, il n'y a pas de musique, ou très peu mais le jeu des acteurs commence assez clairement déjà à se détacher de la grandiloquence du temps du muet. Pierre Renoir, en commissaire Maigret est agréable, sans vraiment marquer. Il lui manque son flegme et son air maussade. La Nuit du carrefour n'est pas un film inoubliable, mais il est un témoignage intéressant de l'évolution du cinéma français, tout autant qu'un témoignage d'un temps disparu. On assiste, vers la fin, à une course poursuite en voiture, de nuit, à travers des petits villages. L'image est abimée, et les phares éclairent mal, on aperçoit par flashs, des images de la France des années 30, comme des fantômes de villages endormis pour toujours. Tout ceci me fait penser par ailleurs à Gas-oil, un film de 1955 avec Jean Gabin, autrement plus lumineux, que j'ai vu récemment. Gabin joue un camionneur aux prises avec des truands, ce qui permet d'admirer toute une floppée de camions de l'époque, une France de petites routes sinueuses, on y voit par exemple le passage de la Marne à Charenton qui a bien changé depuis, des bistros avec des sandwiches à l'andouillette et des flippers d'un autre âge. On y voit aussi Roger Hanin jeune, et Jeanne Moreau belle comme jamais. On est vingt ans après La Nuit du carrefour, la technique a beaucoup évolué, la bande son aussi. Roger Hanin se retrouve dans une voiture qui roule, coincée par des camions, avec quelques cadrages qui préfigurent le futur Duel de Steven Spielberg
Quelques films à voir donc, pour ne pas oublier d'où on vient, et d'où vient le cinéma qu'on peut voir tous les jours.