samedi 14 avril 2018

Hostiles



2018
Scott Cooper
Avec: Christian Bale, Rosamund Pike

Hostiles est plutôt un bon western, bien réalisé et prenant, bien que louchant largement trop vers le western contemplatif, le western qui prend son temps, le western qui fait des plans fixes pour bien montrer l'âme torturée de ses personnages. Le tout parsemé d'explosions de violence régulières pour nous réveiller. On suit un capitaine de cavalerie, qui a cassé de l'indien toute sa vie, qui escorte un vieux chef indien qui souhaite mourir sur ses terres natales. Ordre de Washington, on est en 1892 et l'opinion publique commence à se préoccuper du sort des sauvages dont les terres ont été confisquées depuis deux siècles. Le film tient un discours curieux, bancal, apparemment à dessein, de brouiller les pistes, de ne pas faire dans le politiquement correct. La démarche de Washington est vue comme une manoeuvre politicarde, le journaliste qui accuse le capitaine d'être aussi sauvage que les indiens semble être un vil manipulateur. Les indiens, montrés dans leur plus pure tradition de mal absolu dans une scène inaugurale d'une violence à couper le souffle, ne sont pas ces héros new-age en symbiose avec la nature. Mais le réalisateur coupe immédiatement sur la violence exercée envers les indiens, sans transition, pour appuyer - de façon certes un peu démonstrative - là où ça fait mal. On dirait qu'il veut couper court à la question des guerres indiennes, pas de bons, pas de méchants, il y a eu beaucoup de morts des deux côtés, de la sauvagerie égale par ailleurs, et puis c'était il y a si longtemps... C'est sans doute d'ailleurs le sens du dialogue final entre le vieux chef et le capitaine.
Quand une femme de Colonel prend la défense des indiens face au Capitaine qui a perdu deux hommes et à la fermière qui a perdu toute sa famille à cause des Commanches, on ne peut que compatir avec ces deux-là, qui vivent le "problème indien" de l'intérieur, quand les bourgeois font de belles phrases utopiques dans leurs salons. Et puis hop, le réalisateur contrebalance ça avec pêle mêle un soldat dont la haine des indiens n'a pas de limite, des trappeurs ignobles qui violent l'ensemble du casting féminin sans distinction de race, des propriétaires terriens qui tirent d'abord et posent des questions après, et un soldat qui, semble-t-il inspiré par la pluie, vient demander pardon au vieux chef pour tout le mal que les blancs ont causé à son peuple. Au bout du compte, ça fait beaucoup d'appels du pieds pour dire "Voyez comme mon film est profond en fait!"
Dans les cadrages aussi, on entend un peu trop le réalisateur penser. En intérieur il essaye de reproduire des peintures du XIXe siècle, avec l'air de quémander notre approbation à chaque plan. En extérieur, plus classiquement il met en valeur les magnifiques paysages américains. Les personnages aussi sont soignés. Christian Bale a bricolé sa mâchoire inférieure pour qu'elle avance et se donner un air un peu rustre. Il arbore une moustache magnifique. Rosamund Pike reste très crédible en femme de l'ouest, sauf quand elle décide de poursuivre l'aventure alors que le scénario ne le demande pas. Les indiens ont vraiment l'air d'indien, les seconds rôles sont soignés. 
On pourrait croire que l'essentiel du film tient à montrer l'évolution du capitaine, qui de brute indifférente au sort des indiens finit par devenir leur défenseur au péril de sa vie. Mais c'est surtout le titre du film -Hostiles - qui résonne tout au long du film. Dès lors qu'ils quittent la civilisation, tout l'environnement devient hostile, chaque rencontre est une mauvaise rencontre, tout ce qui peut mal tourner tourne mal. Scott Cooper dépeint un monde qui n'est que violence, où le petit capitaine navigue en terre connue, mais au péril de sa santé mentale. Christian Bale joue alors un de ces héros de western déterminé, prêt à tout pour mener à bien sa mission, envers et contre tout, affrontant les épreuves les unes après les autres sans jamais rechigner. Cet état d'esprit, ce nihilisme permanent m'a rappelé les plus radicaux des westerns spaghetti, ça m'a rappelé également le livre The Son de Philipp Meyer avec sa radicalité dans la violence, ainsi que, j'ose à peine le dire, l'espèce d'ovni cinématographique qu'est le John Rambo de Sylvester Stallone, avec une scène finale similaire, montrant le regard féroce de la machine de guerre juste après le carnage. L'épilogue est une des plus belles scènes de cinéma qui m'ait été donné de voir depuis longtemps, Christian Bale, un peu gauche dans ses vêtements, hésite, puis monte dans un train qui est en train de démarrer. Je n'en dis pas plus pour ne pas trop spoiler, mais j'ai trouvé ça magnifique.

samedi 7 avril 2018

Croc-Blanc



2018
Alexandre Espigares
Avec : Virginie Efira, Dominique Pinon, Raphaël Personnaz

Croc-Blanc est un film d'animation français qui suit assez fidèlement le roman de Jack London. L'histoire est celle d'un chien semi-sauvage, qui deviendra chien de traineau au sein d'une famille de gentils indiens, puis chien de combat parmi de méchants hommes blancs, puis toutou domestique d'une famille de gentils blancs avant de retrouver une liberté bien méritée au sein des immenses forêts du Yukon.
Le film est donc destiné à un public jeune, bien que le ton en soit relativement dur. Et le film n'est pas seulement dur pour les enfants à cause des coups du sort et de la violence qui s'abattent sur ce pauvre canidé. Il est dur parce que Croc-Blanc n'a pas de side-kick marrant qui fait le con dans la neige à ses côtés. Il n'y a pas non plus d'armée de Minions Crétins pour faire des prouts au fond du canoë. Le Marshall ne passe pas son temps à faire des vannes à double sens pour distraire les parents qui ont accompagné leur progéniture dans les salles obscures. Les animaux ne parlent pas dans ce film, ils geignent, glapissent grognent et mordent comme des vrais chiens, tout en ayant dans le regard un fond d'humanité suffisant pour permettre l'identification. Alors c'est vrai que les enfants sont déconcertés, surtout que le réalisateur Alexandre Espigares se permet un montage non linéaire, ose faire un film pour enfants sans chanson idiote et met à la place de la vraie musique avec des chtouingues de guitare qui vont bien, le tout dans une histoire à prendre au premier degré du début à la fin. 
Pire, on ne retrouve pas une animation 3D toute lisse et moche avec des personnages verts, rouges, bleus à gros yeux! Il y a des textures, des beaux paysages, des aplats. Alors bien sûr, c'est parfois maladroit, anguleux, raté. Les humains en particulier ont souvent des mouvements assez peu naturels malgré le motion capture. Les traits taillés à la serpe passent assez bien pour les visages burinés, ceux des indiens et des méchants. Mais pour le gentil couple moderne ça fait assez bizarre. Malgré tout, ça fait tellement du bien après 20 ans de graphismes inter-changeables des Pixar/Minions/Age de Glace/Shrek qu'on en redemanderait presque.
Je regrette cependant une histoire totalement lisse. Alexandre Espigares ne prend pas les enfants pour des idiots, mais il succombe malgré tout au happy end de rigueur, au manichéisme exacerbé de ce type d'histoire. Le méchant, interprété par Dominique Pinon est très très méchant. On aurait aimé voir sa part d'humainité, voir qu'il était lui aussi capable d'aimer son chien. Le Marshall est bien sûr honnête droit et sans faille (doublé par Raphaël Personnaz, j'aurais juré pendant la projection que c'était Tcheky Karyo qui s'y collait!) et sa femme (Virginie Efira) est naturellement moderne, pragmatique et indépendante (mais au moins, elle ne chante pas). Si j'en crois Allocine, Alexandre Espigares cite Le Grand Silence et le Django de Sergio Corbucci parmi ses sources d'inspiration. J'ai bien du mal à voir le lien, sauf quand on retrouve le regard de Franco Nero dans celui de Croc-Blanc juste avant ses combats, sauf quand on sent poindre la mélancolie et le poids du destin quand il regarde la lune. Croc-Blanc a en effet la force et la résignation des pistoleros taciturnes, les personnages ont tous des gueules typées, ravagées par le temps et la vie. Le film porte une attention extrême aux détails, à la neige qui tombe des branches, aux mouvements des chiens, aux mille dangers de la nature, aux vêtements et aux détails architecturaux, avec une belle reconstitution d'une ville d'Alaska gagnée par la fièvre de l'or. Et c'est là que moi, ça m'a plu.
Bref, c'est réaliste, bien foutu, beau, et pas trop gnangnan quand même. Si vous êtes devenus allergiques au style Pixar et à l'avalanche de gags obligatoires de ce type de production, emmenez vos enfants voir Croc-Blanc. Et puisque Alexandre Espigares cite Corbucci, je vais lui faire plaisir et classer ça dans 'Western Européen'.