mercredi 15 février 2012

Le bon la brute et le cinglé


Joheun nom, Nappeun nom, Isanghan nom
2008
Kim Jee-woon
Avec: Lee Byung-hun, Song Kang-ho, Jung Woo-sung


On trouve des références étonnantes dans Le Bon, la Brute et le Cinglé. Leone bien sûr, mais parfois d’autres, dont on ne sait guère si elles sont imaginaires où pas. Lorsque Chang-yi (joué par Lee Byung-hun) essaie de couper un doigt à Man-Gil (Ryu Seung-su), on est frappé par la ressemblance avec une scène analogue dans La Liste de Schindler. Le couteau utilisé par la Brute est mal aiguisé. Celui-ci s’applique malgré tout à sa tâche, inspectant son couteau défectueux, insensible au drame humain auquel il participe. Cela rappelle la terrible scène du film de Spielberg dans laquelle Ralph Fiennes tente de tuer un Juif trop lent à la tâche avec un pistolet enrayé. En plein cœur de cette comédie délirante, cette scène intrigue. Elle est d’ailleurs une pièce importante dans la construction du personnage de Chang-yi, tueur à gage cruel et sans état d’âme. Du meurtre agacé d’une femme qui crie trop lors de la magistrale attaque du train à l’assassinat de son commanditaire, Lee Byung-hun construit une figure du mal absolu qui semble avoir pour règle d’achever tous les mourants. Mais il n’est pas un diable désincarné comme Lee Van Cleef dans le film de Leone. Une sorte d’insolence, parfois un peu de plaisir, de temps en temps de la lassitude à être toujours le plus fort, Chang-yi a en outre la mèche rebelle et la décontraction de la jeunesse à la Dorian Gray. Et l’on découvre au final qu’il n’est pas si schématique qu’il en a l’air.



Toujours le plus fort, c’est aussi le cas des deux autres protagonistes. Le mythe du surhomme, des tireurs hors-pair qui s’en sortent toujours est ici pris comme une sorte d’axiome dont les protagonistes seraient conscients. Le Bon et la Brute en sont si conscients qu’ils semblent à chaque fois détachés pendant les fusillades. Do-won (le bon), joué par Jung Woo-sung fait de la voltige avec sa winchester, imperturbable, sans avoir l’air impliqué le moins du monde. Le Cinglé (Tae Goo, joué par Song Kang-ho ) gigote, fait le con en permanence mais s’en sort à tous les coups. Sa baraka devient un argument en faveur de sa légende, une sorte de François Pignon à l’envers, si chanceux que quoi qu’il se passe, il s’en sort. Pour justifier le déluge d’invraisemblances du métrage et aussi son propre comportement, Tae Goo se retrouve contraint de jouer son propre rôle. Il ne fait pas le pitre dans une fusillade avec un casque de scaphandre parce qu’il est un crétin, mais parce que c’est sa méthode de survie. Une méthode un rien surnaturelle, au point d’inspirer un début de crainte chez Chang-yi.
Ces trois là sont donc assurés de se retrouver à la fin. Ils traversent donc toutes les embuches intermédiaires avec une patience polie, jusqu’à cette incroyable poursuite dans le désert, mélange de course à la Mad Max, de destruction de horde sauvage et d’hommage à Indiana Jones (le passage d’un véhicule à l’autre, la mitrailleuse qui décime le mauvais camp…).



Il faut quand même bien le dire à un moment, ce film est un plaisir constant, un large sourire de tous les instants, un spectacle jubilatoire maîtrisé de bout en bout, émaillé de grandes scènes d’action parfaitement réalisées. Kim Jee-woon a su recréer cette impression de liberté propre au film de Leone, ce monde violent, immense et quasi sans loi, avec en toile de fond la Grande Histoire qui apporte une touche de vérisme (la présence japonaise, le racisme anti-coréen). Les spécialistes du cinéma asiatique retrouveront sans doute également une multitude de références que je n’ai pas vues. Le film semble néanmoins avoir été totalement pensé pour une audience internationale, et il s’en trouve étonnamment accessible. Beaucoup plus en tout cas que le trop conceptuel Sukiyaki Western Django, mais également bien plus compréhensible au premier abord que certains films populaires que j’ai pu voir (Time and Tide, The host, The Blade, Old Boy) où la frénésie d’information demande souvent une attention de tous les instants à nos pauvres cerveaux rabougris d’occidentaux déclinants. Un très grand oui en tous cas de ma part, pour ce film, mis à part pour le renversement de situation final (sur l’identité du coupeur de doigts) qui gâche tout, car incohérent avec tout ce qu’on a vu pendant ces deux heures d’action débridée (sans jeu de mot ras du front) que Kim Jee-woon a su nous offrir. A ce détail près, vous pouvez foncer le sourire aux lèvres.

samedi 4 février 2012

800 balles

800 balas
2002
Alex de la Iglesia
Avec : Sancho Gracia, Angel de Andres, Carmen Maura, Eusebio Poncella


Alex de la Iglesia échoue dans son hommage au western spaghetti, en tout cas, vis-à-vis des aficionados. Il ne va pas assez loin dans la référence, ne dépassant pas les sempiternels hommages aux films de Leone. A part Sancho Gracia, les acteurs ne sont pas des anciens du petit monde d’Almeria. A part quelques anecdotes qui sont raccord avec des films qui existent pour de vrai (Patton, Le Cid, Docteur Jivago, 100 fusils), le cinéma de ces années là est peu cité. Pire, les coups de feu ne font pas le même bruit que dans les westerns spaghetti. Rien que ce détail laisse à penser que Alex De la Iglesia n’est pas un véritable fan du genre comme pourrait l’être Quentin Tarantino, mais un auteur cinéphile qui a flairé un bon sujet original. La réalisation lorgne beaucoup plus sur le pop corn movie (en tout cas dans sa partie finale) que sur le cinéma populaire des années 60, et les scènes western "jouées" par les figurants s'apparentent plus à l'imagerie traditionnelle du western (les indiens) qu'au western spaghetti. Mais la supercherie se situe peut-être ici plus du côté de Texas Hollywood, je n'ai pas vu le show présenté là-bas, mais d'après le commentaire audio, le film de La Iglesia semble tout simplement fidèle à cette réalité là.



800 balles est un film très divertissant, calibré pour plaire au plus grand nombre. C’est une comédie moderne, déjantée dans sa furie finale, mais assez consensuelle pour le reste. Des dialogues très travaillés et quelques scènes de débauches au milieu desquelles se meut un enfant sans complexes viennent rappeler que le film est réalisé par l’auteur du Crime Farpait. Le reste suit les règles de la comédie classique, avec révélations attendues, familles qui se rabibochent, petites larmes de ci de là et grosses ficelles partout ailleurs (et bien sûr, Carmen Maura qui ne reste pas méchante jusqu’au bout). A la fin, un téléphone sonne et installe un doute magnifique – est-ce lui qui rappelle ? – un doute qui aurait dû en rester là, pour que chacun se fasse son opinion. Mais ce doute est balayé par la scène suivante, avec apparition de Clint Eastwood – malheureusement pas en personne – du cinéma un poil trop commercial donc, avec des effets un poil trop appuyés. Dommage.



Sancho Gracia est la locomotive du film. Il a joué dans Un mercenaire reste à tuer, la Pampa sauvage, Lanky l’homme à la carabine, Tire encore si tu peux et les cent fusils. Il est surtout populaire en Espagne pour trois séries télé : Los tres mosqueteros, Los Camioneros et surtout Curro Jiménez, l’hisoire d’un bandit des grands chemins dans l’Espagne du XIXe siècle, dont certains épisodes et un film furent réalisés par Rafael Romero Marchent. Il joue juste, parfaitement dans le ton, touchant malgré les grosses ficelles. Heureusement qu’il est là sinon le film serait malheureusement vite oublié.



Capture de Curro Jiménez: ErDesvan.com