jeudi 29 octobre 2009

Sky High


1922
Lynn Reynolds

Avec :
Tom Mix, Eva Novak, Sid Jordan

Un curieux western contemporain, dont la vedette est presque autant le Grand Canyon que Tom Mix lui-même. Le film débute par quelques faits chiffrés sur cette merveille naturelle, on voit le Grand Canyon tel qu’il était en 1922, avec déjà, des bancs en fer pour que les touristes puissent admirer la vue. Puis toute l’action est imaginée de sorte à mettre en valeur ses parois et ses vues à couper le souffle. Et c’est pour cela que Tom Mix prend l’avion pour pourchasser les bandits, et se suspend dans les airs comme Belmondo cinquante ans plus tard.




L’intrigue a peu d’importance, et résonne pourtant à nos oreilles contemporaines, puisque déjà, il s’agit d’immigration illégale, avec des chinois qui inspirent peu d’humanité au réalisateur. Tom Mix fait ce que le public de l’époque lui demande, il court, il sourit et se bat avec entrain, toujours avec cette grâce un peu efféminée qui le distingue des autres. Un intertitre interpelle le spectateur français : « Pour la première fois au monde, un homme fait la course avec son ombre, et gagne… », Tom Mix, le prototype de Lucky Luke en somme. On reconnaît parmi les méchants, son copain Sid Jordan, qui se prend une raclée, et Tom Mix naturellement, get the girl à la fin.

Sid Jordan


Peu de films de Tom Mix ont survécu, ces histoires sans complexité, sans noirceur et sans violence réelle faisaient déplacer les foules dans des proportions qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui, lorsque l’on regarde ces bandes usées, un brin poussives, muettes et qui tentent malgré tout de dire quelque chose à nos cerveaux qui ne sont plus formatés pour elles.
Où le voir: à télécharger légalement mais pas gratuitement sur www.eztakes.com

samedi 24 octobre 2009

Broncho Billy's Sentence


G.M. Anderson
1915
Avec: G.M. Anderson

Troisième et dernier Broncho Billy du DVD Sinistercinema sur les centaines ayant été tournés, Broncho Billy’s Sentence a été fabriqué en 1915, au crépuscule de l’existence du personnage. On veut alors en voir des symptômes, on cherche les raisons du déclin. D’après Larry Langman dans A guide to silent westerns, ce film a été remarqué par plusieurs historiens pour sa complexité narrative et son sens de l’économie. La mise en scène semble pourtant aussi peu inspirée que sur les deux précédents, les décors sont peu ou mal utilisés (toujours cette abondance de feuillages). Broncho Billy est un bandit pris en chasse par un posse. Le résultat donne plus l’impression d’une bande de gamins se pourchassant d’une maison à l’autre que d’une poursuite sauvage dans le vieil ouest.
On note toutefois la volonté de produire une histoire plus sombre, plus violente que dans les deux précédents. Broncho Billy prend un vieillard et sa fille en otage, il se fait quasiment descendre par celle-ci, ce qui constitue presque un coup de théâtre.
On a envie d’y voir l’influence des films de William Hart, surtout que Broncho Billy est gratifiée d’une conversion soudaine et subite lorsqu’il se réfugie chez un pasteur dont le femme lui fait découvrir la Bible. Mais il s’agit probablement d’un hasard, si l’on en croit les résumés disponibles dans le livre de Langman certains Broncho Billy antérieurs sortent du lot pour les mêmes raisons, par exemple Broncho Billy’s last Deed (Broncho Billy se rend pour qu’un vieux couple touche la rançon, puis meurt en prison) qui date de 1913, et Broncho Billy’s Christmas Dinner (avec le prototype du « bon bandit ») qui date de 1911, bien avant les films de Bill Hart. G.M. Anderson semble bien alors un pionnier, c'est à dire un artisan businessman qui jeta toutes les bases d'un genre, mais qui laissa aux autres le soin de les sublimer.

vendredi 23 octobre 2009

No Man's Law





1927

Fred Jackman

Avec: Oliver Hardy, Barbara Kent, Theodore Von Eltz, Rex le roi des chevaux sauvages

A tout point de vue, No Man’s Law est sinon un western exceptionnel, à tout le moins un western muet tout à fait remarquable. Du point de vue de sa production d’abord. Hal Roach est avant tout connu pour avoir produit et lancé Harold Lloyd et le duo comique le plus connu de la planète (après Bud Spencer et Terence Hill) : Laurel et Hardy, ainsi que la série comique Les petites canailles, tournée avec des enfants, qui était encore diffusée sur Récré A2 en 1984. Pourtant, occasionnellement, il mettait sur pied des westerns sérieux, durs et sans concession, à l’image de No man’s law.

C’est sans doute pour cette raison que l’on retrouve au casting Oliver Hardy, le plus gros des deux comiques mondialement connus. Il est ici quasiment méconnaissable en Sharkey Nye, tout en vice suintant, la barbe de trois jours, le bandeau sur l’œil et les dents avariées achevant de faire oublier son habituel visage poupon. A un gag près, qui ressemble plus à un clin d’œil complice qu’à un gag réel délivré dans le but de faire rire (à l’époque, Laurel et Hardy étaient déjà bien lancés), Oliver Hardy se réinvente totalement en une sorte de mélange annonciateur entre Slim Pickens et le Jack Elam vieillissant. Un régal de fourberie grassouillette et vicelarde!

Vicelard et mû comme tout le monde par le sexe et par l’argent. Il forme un tandem avec le peu recommandable Spider O’Day (Theodore Von Eltz), tandem dont la méfiance est l’un des moteurs (ils ont une façon intelligente de mettre leurs deux flingues en lieu sûr pour être certains que l’un ne va pas descendre l’autre pendant leur sommeil). L’argent d’abord, en découvrant par hasard une mine pleine d’or qui appartient à un vieillard sans défense. Le sexe ensuite, en réalisant que le vieillard a une fille qui se baigne à poil dans les points d’eau. Barbara Kent, pour sa troisième réalisation, offre un mélange détonnant de grâce, de lolita allumeuse et de garçon manqué (elle porte un pantalon et s’appelle Toby). Sept ans avant Jane dans Tarzan, on voit une femme nue se baignant dans l’eau (en réalité elle avait une combinaison couleur chair), mais ce n’est pas tant cette scène que toute la tension sexuelle qui découle de sa présence qui fait la force du film. Alors qu’elle se baigne, Sharkey Nye la regarde, sans gêne, le sourire lascif, faisant même un nœud aux jambes du pantalon de la belle (resté sur la berge), pour être sûr qu’elle ne puisse pas se rhabiller rapidement.

Plus tard, alors que les deux hommes, Toby et son père sont tous dans la cabane, et que la tension est à son comble, elle allume carrément le moins mauvais des deux (Spider O’Day) dans une sorte d’impulsion amoureuse naissante et ingénue. Tout ça finit forcément très mal, avec tentative de viol à la clé. On ne va pas se lancer dans des comparaisons anachroniques avec Peckinpah, mais vous voyez où je veux en venir.

D’autant qu’époque oblige, ça ne finit pas mal. Car la dernière particularité de ce film muet à voir absolument, est qu’il s’agit d’un film dont la cinquième vedette est le cheval Rex. Rex est un magnifique étalon qui apparaît dans plusieurs films de la période, dont The Devil Horse avec Yakima Canutt. Il avait son entraîneur attitré et répondait à une demande du public friand d’animaux plus ou moins savants. Pourtant ça ne fait pas de No Man’s Law un film enfantin. Rex est dans ce film un cheval sauvage, qui prend inexplicablement la défense de Toby à chaque fois qu’elle est en danger. Rex est alors presque un élément surnaturel, dont l’absurdité première tend à inverser l’effet du happy end de rigueur. Non dans la vraie vie, il n’y aurait pas eu de cheval salvateur, la fin aurait été exactement celle que vous avez failli avoir. Mon reagard tronqué des années 2000 me fait penser que c’est uniquement dans ce but que Rex a été placé là : mettre en lumière l’imbécillité de ces milliers de happy ends où le héros évite le pire à tout le monde. Et pour tout cela et tout ce que j’ai dit avant, pour ces décors secs et arides magnifiquement utilisés, pour cette main qui se crispe sous les sabots du cheval, pour ce mourant qui se fait une cigarette et qui fout du tabac partout, No Man’s Law est un putain de western muet indispensable.




Captures: DVD SinisterCinema
Où le trouver: www.eztakes.com

jeudi 22 octobre 2009

Broncho Billy and the greaser


1914
G.M. Anderson
Avec : G.M. Anderson, Lee Willard, Marguerite Clayton

Greaser est un terme péjoratif anglais pour désigner les mexicains, utilisé couramment au Sud-ouest des Etats-Unis au XIXe siècle. On le trouve fréquemment dans les films muets californiens (deux Broncho Billy l’utilisent en titre). L’intrigue consiste donc en une confrontation entre Broncho Billy et un mexicain (Lee Willard, maladroitement grimé) qui avait importuné une dame. Constatant son infériorité au revolver, le vil latino entreprend donc de faire son affaire à l’universel héros WASP avec l’arme du lâche : le couteau.

Lee Willard, the greaser

A vrai dire, si l’on ne se renseigne pas sur le sens du mot greaser, cet aspect foncièrement raciste (pas spécialement sur le fait d’utiliser un mexicain comme méchant, mais sur l’emploi du terme, Hollywood ne cherchant pas encore, à cette époque, à vendre ses films dans le monde entier, peu de cas était fait des sensibilités nationales) passe parfaitement inaperçu, tant le mexicain en question ne correspond pas au poncif communément admis du mexicain de western.
Le greaser en question apparaît alors comme le méchant archétypal, fourbe, lâche et sans pitié. Le western devient un conte, avec son grand méchant loup, peu en prise avec la réalité. Broncho Billy est un chevalier qui aide les faibles, le méchant est capturé, le héros est sauvé grâce à la belle (hé oui). Les distances sont abolies, le vieillard en détresse s’évanouit à deux pas de la cabane de Broncho Billy qui lui même habite près du dancing et du magasin. Les décors sont minimalistes, quasi-symboliques, l’action est efficacement filmée, sans erreur mais sans invention, selon une recette éprouvée et répétée.

Le feuillage omniprésent, le jeu exagéré du muet (Marguerite Clayton)

L’ouest, ce sens mythique de l’ouest, l’hommage aux pionniers et à la conquête ne se trouvent pas ici, tant Anderson se contente de plaquer une geste chevaleresque dans le décor d’un genre qui reste encore largement à inventer.

Un humour uniquement tributaire du burlesque


Captures: DVD SinisterCinema

Broncho Billy's fatal joke



1914
G.M. Anderson
Avec : G.M. Anderson, Marguerite Clayton

G.M. Anderson fut la première star de western au monde. Après avoir joué plusieurs rôles dans le Vol du Rapide en 1903, le premier western jamais réalisé, dont le rôle du voyageur qui se fait descendre de façon théâtrale, G.M. Anderson part à l’Ouest et fonde la compagnie Essanay avec George K Spoor. Il écrit et tourne alors à Niles (devenu Fremont, en Californie) plus de trois cent soixante quinze westerns entre 1908 et 1915, dont il interprète également le rôle principal : Broncho Billy. D’après Robert Florey dans son livre Hollywood années zéro, G.M. Anderson ne savait même pas monter à cheval. Il apprit sur le tas, et eut toujours recours à des doublures pour les chevauchées. En tant que producteur, il parvint également à débaucher Charles Chaplin du studio de Mack Sennet, pour le perdre assez rapidement ensuite.
Difficile d’opérer un jugement sur les films de Broncho Billy disponibles. En voir quelques un parmi les centaines tournés revient à découvrir Sergio Leone en se contentant d’une scène au hasard parmi tous ses films : on n’a pas assez de matière ni de référent solide pour juger. Les trois que j’ai vus ont été tournés en 1914 et 1915, c’est à dire vers la fin de la série des Broncho Billy, quand Anderson commençait sans doute à en avoir assez de son personnage. C’est le seul indice que l’on peut avoir sur un quelconque manque de qualité des films vus par rapport à la norme.
‘Broncho Billy’ Anderson tournait ses films à un rythme d’enfer, à une époque où le cinéma s’inventait chaque jour, où la demande était forte en quantité, pas encore mature en qualité. Les acteurs, presque toujours les mêmes d’un Broncho Billy à l’autre étaient payés à la semaine et enfilaient les tournages comme on pointe à l’usine. La recherche artistique n’était pas encore déterminante, il faudra attendre les grandes œuvres de Griffith pour que le cinéma commence à être pris au sérieux en tant qu’art, et non pas en tant que divertissement populaire seul.
Quoiqu’il en soit, les Broncho Billy sont tournés à l’économie et cela se voit, comparativement aux William S. Hart, qui lui commençait à percer à la même époque, alors qu’Anderson déclinait. Pas de plan large, aucune mise en valeur des extérieurs qui se résument à quelques branchages et quelques collines aperçues de loin. Aucun plan large des décors non plus, les cabanes sont filmées de près, le même magasin général sert d’un film à l’autre.
Dans Broncho Billy’s Fatal Joke, les mines sont symbolisées par une pancarte plantée au pied d’un rocher. Broncho Billy fait une mauvaise blague à un vieux prospecteur qui malheureusement meurt d’une crise cardiaque. Broncho Billy va tout faire pour réparer cela et faire en sorte que la fille du vieux récupère quelque chose de sa mine. Bien sûr, il en tombe amoureux. Très courts, les Broncho Billy fonctionnent comme des fables avec une morale naïve. Même s’ils sont très « plan plan » au niveau de la réalisation, ils bénéficient d’un sens très sûr du montage (quasiment sans intertitres pour ceux que j’ai vus) et de la narration, et d’un jeu d’acteur tout à fait acceptable. Le résultat est remarquable connaissant les conditions de tournage. Mais ces qualités semblent issues d’un métier répété cent fois et non pas d’un talent inné, d’une manufacture déjà bien rodée, et non pas d’un genre à la naissance de son art.

Où les voir : DVD Broncho Billy Shorts Volume 1 de sinistercinema qui reprend trois Broncho Billy, disponible sur amazon.com. J’ai bien l’impression qu’il n’y a pas de volume 2. La qualité de l’image est correcte, mais comme d’habitude, le recadrage laisse à désirer, il manque de l’image à gauche et parfois à droite. J’aimerais bien connaître la raison technique de ce défaut récurrent, peut être la dégradation des bandes.

PS. Je n'ai pas trouvé confirmation si le Bronco Billy de Clint Eastwood est un hommage à Broncho Billy, mais il y a de grandes chances.


Image du haut: capture DVD Sinister Cinema
Image du bas: wildwestweb.net

mardi 20 octobre 2009

The Disciple

1915
William S. Hart
Avec: William S. Hart, Dorothy Dalton, Robert McKim, Charles K. French

The disciple, western de 1915 tourné pour la Kay Bee, annonce certaines thématiques qui seront développées avec plus d'emphase dans Hell's hinges: la ville du pêché, le tenancier de saloon qui voit l'arrivée d'un prêtre comme une menace et les quolibets des habitants. Ces points communs ne sont néanmoins pas - au contraire de ceux de Hell's Hinges - les éléments déclencheurs du drame. Peut-être soucieux de se renouveler, Hart et son producteur/scénariste Thomas H. Ince orientent fortement ce western vers le drame familial, dénué de véritable méchant et de scène d'action mémorable. William S. Hart joue un pasteur venu mettre de l'ordre dans la ville du pêché, mais que Dieu va rudement mettre à l'épreuve "par derrière" comme le dit le personnage lui-même, en jetant sa femme dans les bras d'un autre. Le pêché n'est pas toujours là où on le croit.
L'essentiel de la dramaturgie va alors se jouer entre Hart et Dieu, tandis qu'aucune affre familiale liée à la désertion d'une mère ne nous est épargnée: la mère (Dorothy Dalton, débutante assez convaincante) déboussolée, l'enfant qui réclame sa maman et qui tombe malade, le père abattu. L'amant (Robert McKim) n'est pour une fois pas un escroc et semble réellement amoureux de la femme. Son rôle devient presque touchant à la fin et agrémente le film d'une richesse supplémentaire.
Cependant, malgré un sens du tragique très prononcé, la morale prude et très vieux siècle de l'intrigue devait certainement déjà en barber plus d'un à l'époque, et il n'est guère étonnant, malgré toutes les qualités cinématographiques et dramatiques de ce genre de film que les spectateurs préférèrent bien vite le style bien plus bondissant et léger de Tom Mix. Néanmoins, ce film reste admirable et très prenant, de par la force du récit, et l'interprétation saisissante de William S. Hart. Le regard de cet acteur est en effet déterminant, bien plus que le gimmick de ses deux révolvers pointés dans la plupart de ses autres films (il est souvent surnommé The Two-gun man). Et c'est dans ce film, où il n'est quasiment pas armé, que l'on s'en rend compte le mieux.
(On notera tout de même la scène un peu ridicule, sans doute même à l'époque, du prêtre forçant le respect de son auditoire sous la menace d'une arme, preuve que personne ne pouvait concevoir un western avec
William S. Hart sans au moins une scène où il tient un révolver.)

samedi 17 octobre 2009

Seraphim Falls


2006
David Von Ancken
Avec: Pierce Brosnan, Liam Neeson

1868. Il s'agit d'une chasse à mort entre deux gradés de la guerre de Sécession qui ont des comptes à se rendre. Les poursuites, d'abord dans la neige, ensuite dans les plaines, puis dans la vallée de la mort sont palpitantes, bien menées, bien conçues. Les poursuivants et le poursuivi fonctionnent à l'économie. Dans la neige, le feu est primordial, dans le désert, c'est l'eau. L'importance des chevaux est très bien montrée, tout comme l'ensemble des détails survival (Pierce Brosnan allume un feu avec une cartouche et son énorme Bowie Knife). De même, les blessures et autres aléas de la vie aventureuses ne sont pas oubliées dix minutes après avoir été reçues: Pierce Brosnan ressent sa blessure au bras jusqu'au bout et accomplit l'ensemble de ses tâches avec un seul bras. On savoure l'aspect brut et premier degré de l'intrigue et on s'embarque dans un bon trip westernien qui ne cherche rien à démontrer, ni à expliquer, avec des réminiscences d'œuvres antérieures (Jeremiah Johnson, Josey Wales). On est bien également dans un western des années 2000: chapeaux melons, redingotes, pas lourds des chevaux, vapeur qui sort des naseaux, tout est là.
Le problème, c'est que le réalisateur a pris le parti de faire durer son film une heure quarante cinq minutes. Si le scénario est bien bâti pour ne pas être répétitif, la confrontation finale déçoit finalement parce que le réalisateur décide de ne pas suivre son idée jusqu'au bout, de laisser tomber la simplicité de l'intrigue pour tenter de raconter autre chose. Il a dû se dire, c'est pas possible que mon film ne soit qu'une poursuite sauvage sans autre but que la poursuite sauvage, il faut bien que mes personnages ressortent changés de leur aventure. C'est bien beau mais pour ça, il faut du talent et de l'originalité. David Von Ancken, lui nous refait le coup de la fin mystico-pas-claire, avec apparitions bizarroïdes (un indien qui garde un point d'eau, la mort dans sa carriole), symboles oniriques destinés à brouiller les pistes et à montrer que la confrontation est passée à un plan plus spirituel qui va in fine enrichir les deux hommes.
La conclusion définitive est donc "mouais". Tout ça pour ça, j'aurais préféré un film qui dure trente minutes de moins avec à la fin une éventration en règle (au moins, vu certaines morts violentes commises en cours de film) de l'une ou l'autre des deux têtes d'affiche, et non pas une énième tentative ratée de montrer par une ambiance faussement fantastique que tout cela est plus profond qu'il n'y paraît.
Mais c'est sans doute également dû à la présence de ces deux stars dont aucune des deux n'avait visiblement envie de jouer un salaud intégral, voir par exemple la ridicule scène de la maison brûlée où tout est fait pour justifier la haine de Liam Neeson envers Pierce Brosnan sans pour autant que ce brave Pierce ne soit un vrai enfoiré. Ridicules conventions hollywoodiennes dont on se passerait bien.
Pour autant, les deux acteurs sont parfaits, Pierce Brosnan en tête qui parvient à cent pour cent à faire oublier James Bond. L'action est omniprésente, les seconds rôles ont des gueules savoureuses, et tout ça ma foi, est déjà très bien.

Image: USMC sur Western Movies

vendredi 16 octobre 2009

Knight of the trail

1915
William S. Hart
Avec: William S. Hart, Leona Hutton, Frank Borzage

Pour changer, William S. Hart joue un bandit qui veut se racheter. Il nous épargne cette fois ci le coup de foudre rédempteur, les deux tourtereaux sont déjà fiancés quand l'histoire commence, ce qui nous donne une jolie scène de flirt pré-nuptial dans un restaurant. L'élément dramatique est ici la découverte du butin du bandit sous le plancher par la belle (Leona Hutton, dont la carrière sera très courte), qui va donc annuler le mariage.
Une fois de plus, en vingt trois minutes, notre héros aura la possibilité de se racheter. Il s'agit ici de démontrer qu'il y a pire qu'un bandit au grand cœur. Il y a des escrocs bien sapés qui promettent le mariage afin de voler les pauvresses sans défense. Frank Borzage (plus connu en tant que réalisateur) s'en sort correctement. William Hart est forcé de l'abattre alors qu'il est à terre. Ce n'est pas super glorieux, mais il se prend quand même une balle dans l'épaule (qui semble juste l'étourdir) et comme le dit l'intertitre final: "L'erreur est humaine, le pardon est divin". Hart est toujours aussi magnétique, avec son physique particulier, ses épaules tombantes, il dégage pourtant une force, une détermination sans égales. Un bon petit western muet sans prétention, sans génie, mais avec beaucoup de plaisir.

jeudi 15 octobre 2009

Le Justicier - Hell's Hinges


Hell's hinges
Charles Swickard
1916
Avec: William S. Hart, Clara Williams, Louise Glaum

J'en avais déjà parlé avant de l'avoir vu. Maintenant je l'ai vu. Et bien j'avais raison d'en avoir parlé avant de l'avoir vu. Ce film est superbe. Cinquante trois minutes de western rugueux et sombre. L'intrigue est un rêve d'intégriste catholique, sans une once de recul. Les bons notables d'un coté, les affreux dépravés de l'autre, l'héroïque église d'un coté, le saloon de l'enfer de l'autre. C'est simple, et ça fonctionne du tonnerre. C'est tellement outré que le film en devient génial. Suffit de prendre tout ça comme une convention de cinéma. William S. Hart, bien sûr, louvoie, mais il ne louvoie pas longtemps. On commence à le connaître, on attend et on prévoit le moment où il va poser ses yeux sur la splendide créature (Clara Williams, pas plus inspirée que dans The Ruse). Mais là, non seulement la belle le remet sur le droit chemin, mais en plus elle le convertit. Quand Hart entend sa voix, on dirait presque qu'il voit Jésus.
Convertir un bad guy, c'est bien, faire en sorte qu'il éradique le mal, c'est encore mieux. Le rêve de la purification par le feu se réalise. Hart brûle tout et stoppe l'avancée de Satan, pour aller recommencer sa vie ailleurs. Les notables eux, ont été contraints à l'exil tels des chrétiens primitifs sous l'empire Romain.
C'est du lourd, ça ne fait pas dans la dentelle, et c'est réalisé par un gars qui aurait encore sûrement des choses à apprendre aux cinéastes d'aujourd'hui s'il était encore vivant. La mise en scène est continuellement inspirée, le morceau de bravoure final est excellent.
Hart est brillant comme toujours, il est ici constamment nerveux, toujours prêt à se battre, toujours tendu, jusqu'à ce qu'il réalise sa mission divine et se relâche peu à peu. L'on n'invente rien. La ville s'appelle Hell's Hinges (les charnières de l'enfer) et rappelle d'ailleurs le Hell de L'homme des hautes plaines, des baraques en bois simples posées sur une étendue désertique plane, comme si le mal avait poussé comme une verrue par génération spontanée, totalement opposée aux visions idylliques de l'ouest présentées en début de film.
Jack Standing apporte également sa pierre à ce petit chef d'oeuvre en pasteur faible, le mec qu'a pas la vraie vocation. Il faut le voir halluciné par le vice, tentant de mettre le feu à sa propre église. C'est Louise Glaum qui se charge de le débaucher, et elle le fait bien (elle a tourné dans un film qui s'appelle tout simplement Sex, ça doit donc être un rôle un peu récurrent).
Les autres dépravés païens font la fête continuellement en rigolant grassement, ils voient la religion comme une atteinte à leur liberté. Le Swearengen du coin (Alfred Hollingsworth) voit la religion comme une entrave à son business. Mais leur point de vue n'est sans doute pas défendable, ils seront éparpillés dans la solitude infinie par un Hart furibard aux mâchoires serrées. Je l'avais déjà dit, Hart, seul qui tient tête à un saloon entier, n'est pas sans rappeler Munny dans Unforgiven. Plus mytho tu meurs. Plus tôt, on le voit, à genoux, le chapeau à la main, les deux flingues aux ceinturons, implorant Dieu au milieu de vieillards et de femmes inoffensifs. Un tableau pareil, ce n'est plus dans l'air du temps, mais c'est d'un mysticisme tel qu'il ne faut surtout pas le rater.

Image: Jicarilla sur Western Movies, à partir du livre The Complete films of William S. Hart
William S. Hart tente d'étrangler Louise Blaum.

The Ruse


The ruse
William Clifford, William S. Hart
1915
Avec: William S. Hart, Clara Williams

Petit film (28 minutes) assez décevant de Bill Hart. Le début est bien un western, avec notre Hart favori qui vient au secours d'un old timer, mais toute la suite de l'histoire se passera à Chicago, dont on ne verra ni les rues, ni les buildings. Le budget est visiblement serré, et l'intrigue utilise le truc du cowboy immergé dans la vie moderne, sans humour, sans poésie. Notre homme se fait presque rouler par des escrocs, mais étant un ancien pistolero, il fait pas mal le ménage parmi les gangsters locaux (dont Bob Kortman), aidé à la fin par la police et ses matraques. In fine, il se bécote avec la girl, qui lui demande de partir dans l'Ouest où la vie est plus simple et plus saine. On reverra la même chose en plus développé et avec plus de moyens dans The Narrow Trail deux ans plus tard. Quelqu'un a cru déceler sur imdb de grandes qualités d'actrice à Clara Williams parce qu'elle fait un drôle de regard par en dessous pour mater discrètement William S. Hart. C'est possible, mais de toute façon, son rôle de victime ne lui laisse pas le loisir d'en montrer davantage. Seul petit détail qui m'a amusé, le calendrier mural dont la date change chaque jour, manière de montrer le temps qui passe dans cette pièce qui tient plus encore du théâtre que du cinéma. En clair, si vous ne devez voir qu'un seul film de William S. Hart, ce ne sera pas celui-là, d'autant que le transfert DVD n'est pas terrible, on dirait qu'il manque des bouts d'image à gauche et en haut, à moins que ce soit le cadreur de l'époque qui fut mauvais.

mercredi 14 octobre 2009

Le mensonge de Rio Jim - Keno Bates, Liar


Margaret Thompson, Louise Glaum
Keno Bates, Liar
(The last card)
1915
William S. Hart
Avec: William S. Hart, Herschell Mayall, Louise Glaum, Margaret Thompson

Les actrices principales de ce court-métrage (26 minutes) auront eu de courtes carrières, décidant de ne pas jouer dans les films parlants, pensant qu'ils n'auraient aucun avenir. Si Margaret Thompson est vite oubliée en sœur effondrée et larmoyante, Louise Glaum est assez convaincante en garce amoureuse qui préfère tout détruire que perdre.
William S. Hart dirige ce petit bijou sombre qui ne pêche qu'à la toute fin par son happy end de rigueur. Les films de Hart se suivent et ne se ressemblent pas, si ce n'est par son habitude de jouer des êtres ambigus, ici Keno Bates, un tenancier de saloon qui tue un homme qui lui avait dérobé son argent. Sauf que l'homme en question s'était fait plumer jusqu'au dernier cent dans le saloon de Keno Bates. L'arrivée de la femme, toujours centrale, va faire basculer le destin de cet homme qui va devoir mentir pour lui cacher la vérité.
Jeux de dupes, actions aux conséquences incontrôlables, l'intrigue pourrait être un vaudeville lourdingue, elle se transforme ici en démonstration sordide de la bêtise et de la méchanceté humaine. Voir Keno Bates, tel Cheyenne, qui s'en va mourir seul avec son cheval, pour être in extrémis rattrapé par l'amour, cela ne nous donne pas le plus grand film de Hart, mais un condensé exemplaire de ses thèmes favoris.



Photo du haut: Jicarilla sur western movies
Autres captures: DVD Vintage Film Society

lundi 12 octobre 2009

On the night stage



On the night stage
1914
Reginald Barker
Avec: Robert Edeson, William S. Hart, Rhea Mitchell

Les vieux films muets ont parfois une poésie insoupçonnable, une tristesse renforcée par l'accompagnement musical au piano, répétitif et mélancolique. C'est le cas de On the night stage, où le piano nappe le film d'une atmosphère morose sans jamais souligner l'action, comme s'il y avait réellement un gars dans la salle avec son piano, jouant la tête dans ses soucis sans même regarder le film. La mélodie crée alors une certaine distance avec le film qui nimbe l'histoire d'un plaisant parfum d'inéluctabilité.
On the night stage est un film de l'époque où William S. Hart était déjà une star, mais une star qui partageait encore la tête d'affiche avec d'autres. Après une introduction théâtrale des acteurs, avec effets spéciaux d'époque, un pasteur (Robert Edeson assez plat) arrive dans une ville mal famée de l'Ouest, il est la risée d'à peu près tout le monde. Il tombe amoureux d'une fille de saloon (Rhea Mitchell, qui ne fait pas vraiment d'étincelles, mais qui au moins, a vraiment l'air vulgaire) et veut se marier avec elle. Pas de bol, un bandit (William S. Hart) se l'était déjà promise. Il ne s'agit pas là d'assister aux rivalités amoureuses des deux hommes puisqu'ils deviennent assez rapidement amis, mais plutôt de percevoir à nouveau l'impossibilité de la rédemption. La jeune fille, devenue croyante et mariée au pasteur, se voit rattrapée par son passé. Le bandit, qui a laissé se marier la femme de sa vie avec un autre, est obligé de jouer à nouveau au bandit pour protéger celle qu'il continue à aimer en vain. Le film se termine sombrement, avec un William S. Hart morne qui n'a plus que son cheval comme ami.
Peu d'action dans ce western romantique, à part William S. Hart qui se fait massacrer par un dizaine de gars, et le pasteur qui vient à la rescousse, ainsi qu'un petit gunfight sec et rapide, dans la wilderness. Un peu d'humour aussi lorsque les deux hommes se serrent leurs douloureuses mains le lendemain de la bagarre. Et une violence contenue en permanence, une rage d'aimer dans un monde perverti, qui montre une fois de plus la richesse et la modernité (relative quand même, le style, la technique sont à remettre dans le contexte de l'époque) des films de cette période par opposition à ce qui se fera lors de la première décennie du parlant.

samedi 10 octobre 2009

La révélation - The narrow trail


The Narrow Trail
1917
Lambert Hillyer

Avec: William S. Hart, Sylvia Breamer

The narrow trail, ça veut dire la piste étroite, qui désigne ici le fil du rasoir sur lequel doivent cheminer les hommes pour rester bons. Comme souvent, William S. Hart joue le bon bandit, le malfrat qui se rachète à partir du moment où il tombe amoureux d'une femme. Ce film-ci a ceci de particulier que la femme en question est loin d'être l'innocence pure, elle travaille pour plumer les clients d'un chic dancing de San Francisco. Cela donne une belle intrigue amoureuse, faite de non-dits et de choses à demi-avouées.
Dommage que l'australienne Sylvia Breamer ne soit pas à la hauteur de son rôle, elle n'apporte aucune originalité, aucune accroche à un personnage qui n'est pourtant pas la lisse nunuche conventionnelle. Hart est maigre et en forme. L'introduction avec l'attaque de la diligence est brillante, Hart compose un bandit formidable, masqué, vêtu d'une veste qui ferait presque penser à du spagh, chevauchant un magnifique cheval. Puis l'épisode à San Francisco est étonnant de violence, une bagarre sèche où Hart rétame à lui seul cinq ou six gus qui voulaient le plumer.

'Clean', le mot est répété à foison comme un leitmotiv. La sauvagerie de l'Ouest est 'clean', à l'opposé de la corruption des grandes villes. L'ouest sauvage est vu comme une possibilité de deuxième chance, l'endroit où ceux qui ont mal commencé leur vie ont la possibilité de se refaire. Hart et sa belle n'y manqueront pas, après une course de chevaux assez conventionnelle (Ce mythe de l'ouest pur et vierge, on le retrouve dans Tumbleweeds, retourné, sali, fini, et Hart rêve de l'Amérique du Sud, nouvelle terre promise où tout reste possible.).
Premier film de Hart pour la Paramount et premier film en duo avec Lambert Hillyer, The Narrow trail est le parfait étalon de ce qu'il savait faire de mieux, des intrigues adultes, sombres mais optimistes, simples mais exaltantes, avec ce qu'il faut d'action et de clichés pour satisfaire son public.

Image: Jicarilla sur Western Movies

vendredi 9 octobre 2009

Cripple Creek Barroom


Cripple Creek Barroom
1899
Thomas Edison

C’est bien connu, le tout premier western jamais tourné, c’est The Great Train Robbery en 1903 par Edwin S. Porter. Une fois cela établi, il convient nécessairement de réfuter une allégation aussi péremptoire et de dénicher un truc encore plus vieux que l’on puisse qualifier de western. C’est sans doute ce qu’ont fait les personnes bien intentionnées qui ont appelé cette scène « le premier western tourné avec un scénario ». Elle dure 45 secondes. Un ivrogne met le boxon dans un bar et se fait mettre dehors. Le bar ne ressemble pas même de loin à un saloon de western. Les joueurs de cartes pourraient tout aussi bien être des joueurs de cartes dans un bouge de Gangs of New York. D'ailleurs, le film ayant été tourné en studio dans le New Jersey et non pas à Cripple Creek, il ne peut pas non plus être considéré comme un documentaire sur l'Ouest réel de la fin du XIXe siècle. La définition précise de ce qu’est un western et de ce qu’il n’est pas n’est pas un sujet qui me passionne, mais ici il est difficile avec nos yeux français du XXIe siècle de dire si l'équipe d'Edison a réellement tenté d'exprimer une vision réfléchie de l'Ouest d'alors, avec peut-être un certain exotisme, ou si le seul argument du film est cette rixe rapide qui aurait pu avoir lieu n'importe où. Le doute donc, demeure...



Le fils de la prairie - Tumbleweeds


Tumbleweeds
1925
King Baggot, William S. Hart

Avec : William S. Hart, Barbara Bedford, Lucien Littlefield

Je n’ai pas vu des tonnes de films muets, et malheureusement, à quelques exceptions près (Lilian Gish dans Les deux orphelines de Griffith, Paulette Goddard dans Les temps modernes de Chaplin…), on ne peut pas dire que les rôles féminins m’aient marqués. Dans le western muet et dans les séries B des années 30, le rôle archétypal de la belle en détresse semble interchangeable, les actrices se ressemblent toutes (cette remarque est évidemment consciemment politiquement incorrecte, due à une méconnaissance du genre et de l’époque, j’imagine William S. Hart revenant tel Hibernatus à notre époque, il serait probablement infoutu de faire la différence entre Nicole Kidman, Jennifer Aniston et Lorie…) et ne semblent aucunement enclines à laisser leur marque.

Toujours est-il que, lent processus d’apprentissage de ma part ou réel talent d’actrice, il m’a semblé que Barbara Bedford sortait légèrement du lot, bien que la suite de sa carrière ne paraisse pas le confirmer. Comme toutes les autres, elle lève niaiseusement ses doux yeux vers le héros, mais elle a, dans un robe que l’on devine rouge, une expression amusée, un dédain étudié pour le prétendant véreux, un étrange attachement pour tout ce qui la rattache au héros (les fleurs de prairie qu’il a cueilli pour elle, une mèche de ses cheveux) et un fort tempérament quand il s’agit de conduire un chariot.

William S. Hart lui commence à se faire vieux. Son gros derrière ne lui confère pas l’élégance des grands héros épiques, mais peu importe, il est parfaitement capable, tel Robert Duvall, d’incarner un cowboy crédible, fatigué par la fin de l’Ouest et désirant se ranger.

Fin de l’ouest, désenchantement, héros fatigué, on pourrait dire – par boutade tant cette expression est sur-employée – que Tumbleweeds est le premier western crépusculaire. Dernier western de William S. Hart, il se présente également comme une sorte de chant du cygne du western muet, la fin de l’ère Hart. La ressortie du film en 1939, avec une introduction parlante de William S. Hart présentant ses adieux au monde du cinéma ainsi qu’une évocation du vieil Ouest offre une double résonance à cette thématique moribonde qui se substituerait presque au film lui-même.

Malgré tout, le film ne déroge pas au spectaculaire, au manichéisme, à l'obligatoire sidekick comique (Lucien Littlefield, un peu trop appuyé) et à la sensiblerie de l’époque. Spectaculaire dans cette formidable et irréelle course du héros sur son surnaturel cheval, remontant à toute allure l’ensemble des participants de la fameuse course aux territoires pour aller mettre une beigne aux méchants. Là, on touche au vrai cinéma de divertissement, dans tout ce qu'il a de plus remarquable. La course elle-même est un beau morceau de cinéma à grand budget que l’on reverra presque à l’identique (y compris le vélo) dans Three Bad men (1926) et dans Cimmaron (1931). Le film est aussi connu pour présenter pendant trente secondes des indiens pacifiques discutant avec Hart dans la langue des signes (Hart connaissait réellement, malgré son origine New Yorkaise, le langage des signes à l’indienne), c’est également l’un des rares westerns muets à passer encore de temps à temps à la télévision américaine.



jeudi 8 octobre 2009

Le cheval de fer

George O'Brien
The Iron Horse
1924
John Ford
Avec: George O'Brien, Fred Kohler

George O'Brien est devenu une star grâce à ce film (on le reverra dans Three bad men). John Ford est devenu un grand grâce à ce film. Il y a du budget, il y a du savoir faire, il y a du souffle. Si la patte du réalisateur est encore peu visible dans les oeuvres antérieures ayant survécu jusqu'à nous (By Indian post, Straight shooting, Bucking Broadway), elle est ici omniprésente. Reconstitution soignée, sens du détail, humour bon enfant, foi indéboulonnable en la bonté humaine, sens de l'histoire, you name it.
C'est en voyant ce genre de film que l'on comprend
en quoi certains admirateurs considèrent que le western italien n'est pas du western (sans que cela ne permette de comprendre néanmoins la haine vouée à ce dernier). Les américains se racontent, ils se glorifient. Les artisans de ces films sont en filiation directe pour la plupart avec les hommes dépeints ici (imdb indique par exemple que les cantiniers chinois de l'équipe avaient travaillé sur la construction du chemin de fer transcontinental).
John Ford
en est. Comme ils disent, he belongs. Ce n'est pas tant par le réalisme de la reconstitution que le spectateur est pris, mais par cette sensation que le film fait suite à l'Histoire elle même, par ses racines, par ses équipes, par ses sentiments. Sensation sans doute totalement factice, le film étant plus éloigné dans le temps de l'époque dépeinte que Inglourious Basterds de la seconde guerre mondiale (et qu'on aurait du mal à situer en tant que témoin valable). Mais peu importe, l'essentiel est là, l'âge du film joue en faveur d'une sorte de légitimité morale pour ce film qu'aucun film d'historiens sur la construction de ce chemin de fer ne saurait dépasser.

Fred Kohler, Cyril Chadwick

Mais ce n'est pas vraiment la fière auto-glorification des grands travaux du XIXe siècle qui nous attire ici, ni les discours merveilleux qui remettent les hommes au travail. C'est comme d'habitude, le sens du détail, ce sont ces milliers de figurants, ce sont les marteaux qui tapent sur les clous, les vêtements variés et incroyablement riches de pauvreté, les gueules sales et déformées, les rictus de types qui ont vécu. Le méchant est joué par Fred Kohler, il n'a que deux doigts à la main droite, il a perdu les trois autres dans un accident à la dynamite dans une mine. On n'invente rien, ce gars là est fait pour le rôle, la main dans la poche pour cacher son infirmité, les épaules sous les fourrures, la moustache accentuant le rictus haineux, il est superbe, une caricature à lui tout seul, un vrai méchant de méchant sans subtilité et sans concession.


Une scène dans le saloon retient l'attention. Une belle tension règne pendant que toute une horde de malfrats attendent George O'Brien. Les gueules sont incroyables, le jeu est - muet oblige - singulièrement outré. Et les bagarres ont une tonalité sauvage. Les bagarres du muet ressemblent sans doute plus aux vraies bagarres de la vraie vie que celles hyper sonorisées du cinéma d'aujourd'hui. George O'Brien, malgré son jeune âge, est déchaîné. On n'est pas dans le coup de poing sonore et définitif, on est dans la lutte griffue, la roulade féroce, l'étranglement pour de vrai. Le rendu accéléré fait sourire, mais si on y regarde de plus près, ça ressemble vraiment à de la baston véridique, ces gars là n'ont pas l'air de rigoler. Pour tout ça, on résistera aux conventions habituelles, au pathos victorieux final. On subira l'humour Fordien déjà assez lourdingue à l'époque. On regardera la mise en place de l'histoire dans l'Histoire (Lincoln, Buffalo Bill et Wild Bill Hickock sont de la partie), on sourira poliment à l'épisode du barbier, on appréciera la scène de l'exode, avec cet homme, enterré à la va-vite, et sa femme qui pleure sur sa tombe.
Du grand
cinéma déjà, un peu pompeux déjà, mais si riche et si varié qu'on aurait tort de s'en priver.


PS: On voit les Indiens qui tentent d'arrêter une locomotive en tendant une corde en travers de la voie, et qui se cassent tous la gueule par la suite. C'est sûrement une anecdote historique, mais la scène est là malgré tout pour se foutre de leurs gueules et de leur retard technologique, ce qui est assez marrant quand on pense que L'arrivée du train en gare de la Ciotat avait effrayé les spectateurs européens à peine trente ans plus tôt.

dimanche 4 octobre 2009

A l'assaut des boulevards - Bucking Broadway

Bucking Broadway
(A l’assaut des boulevards)
John Ford
1917
Avec : Harry Carey, Molly Malone

Cheyenne Harry se fait piquer sa nana (Molly Malone) par un pied tendre (Vester Pegg) et se retrouve obligé d’aller la chercher à New York.


Bucking Broadway est un petit western comique retrouvé en France, admirablement restauré et visible en ligne sur le site europeanfilmtreasures.fr. L’image est nette, présente très peu de rayures, très peu de sautes d’images et surtout, ne tremble pas en permanence comme c’est souvent le cas sur les transferts de films muets. Harry Carey est émouvant en cowboy un peu rustre, avec sa chemise à carreaux, sans ceinturon et son flingue coincé dans le dos, qui se fait avoir sur le terrain des sentiments. La majorité des gags vient bien sûr de l’inadéquation du cowboy dans le monde civilisé, avec un Cheyenne Harry qui débarque dans un luxueux hôtel New Yorkais en portant sa selle sur son dos. Une certaine morale passéiste opposant la dépravation des villes de l’est au courage des hommes des plaines de l’ouest se fait légèrement sentir, mais l’indescriptible baston finale totalement burlesque, avec un Harry Carey déchaîné et des cowboys en furie qui bottent le cul des queues de pie est réjouissante. Ha oui, certains détails comme Cheyenne Harry rendant à sa belle son cœur brisé font mouche. C’est peut-être parce que le film est signé John Ford.

samedi 3 octobre 2009

Six feet under


J’en ai fini avec Six Feet Under, cette série incroyable, capable d’être chiante au possible pendant huit épisodes d’affilé d’ennui sophistiqué et de délires incompréhensibles pour vous balancer le plus grand choc émotionnel télévisuel de votre vie, comme ça, l’air de rien, sans artifice, sans ficelles et sans filet, capable de vous faire rire avec le malheur de ses personnages et de vous faire flipper votre ouf la seconde d’après avec une situation a priori normale. Les personnages tous plus timbrés les uns que les autres s’attachent à vous plutôt que vous à eux, ils ne vous quittent plus avec leurs névroses tour à tour ridicules ou effrayantes. Car la force de la série, c’est de présenter tous les personnages, absolument tous, comme de véritables êtres humains avec leurs faiblesses si subtilement décrites que vous êtes incapables d’éprouver une vraie et réconfortante sympathie pour aucun d’entre eux, tant ils sont tous susceptibles de péter un câble à n’importe quel moment.
Et vous vous retrouvez comme un con orphelin à la fin de ce fabuleux ultime épisode de la saison cinq, triste de voir partir ces personnages que vous aviez pourtant parfois cordialement détestés auparavant, et vous vous rendez compte alors qu'il s'agit sans doute de la meilleure série que vous ayez jamais vue.

vendredi 2 octobre 2009

Pas de pitié pour les salopards


1968
Giorgio Stegani

Avec: Lee Van Cleef, Antonio Sabato, Lionel Stander, Bud Spencer, Gordon Mitchell

Comme Joel McCrea dans Buffalo Bill, comme Steve McQueen dans Tom Horn, Lee Van Cleef a du mal avec les us de la société civilisée. Là il doit prendre le thé et démontrer par la même occasion un talent certain pour la comédie, que nous n’avions pas eu l’occasion de voir lors de sa carrière américaine tant il mourrait vite, ni lors de sa carrière italienne où il était plutôt ténébreux. Bud Spencer également nous surprend en apparaissant sans barbe, dans un registre sérieux, sans baffe et sans bougonnement, alors qu’il avait déjà connu partiellement le succès dans ce registre avec les premiers Colizzi. Antonio Sabato est plutôt fade et se contente, comme dans Aujourd’hui ma peau, demain la tienne, de découvrir ses grandes dents blanches à tout propos. Lionel Stander chique crache et sermonne faussement à tout va dans un numéro qui n’a plus rien de provocateur aujourd’hui. Film étrange autant que vaguement décevant, Pas de pitié pour les salopards commence comme une sorte de comédie anarchique plaisante, où trois pieds nickelés volent les pauvres (la paie des mineurs) dans une sorte de vision édénique du moindre effort associé à un mignon pacifisme béat (voler, oui, tuer, non). Puis, le propos se fait moralisateur, à l’américaine (y compris au niveau de la musique de Riz Ortolani), avec cette figure du bandit individualiste qui se range petit à petit au coté de ceux qui bâtissent la civilisation en marche. Gordon Mitchell apparaît tel l’Ankou, drapé de noir et presque famélique, et se charge de remettre l’affaire sur les rails du western spaghetti avec un vice affirmé (les otages dans l’église) et un bodycount direct et indirect impressionnant (en particulier lorsqu’il est acculé en haut d’un mirador). Et il n'est pas le seul flingueur, puisque le film est au moins largement aussi meurtrier que Robocop 2.

A la fin, il ne reste plus personne, un plan large montre le nombre – absurde – de cadavres, ce qui fait dire à Stander sa seule réplique vraiment drôle, quasi auto-parodique : « laissons les morts s’enterrer entre eux !».

Où le voir : je ne vous apprends rien : DVD Seven 7 au format et en version intégrale

jeudi 1 octobre 2009

Le dernier des salauds


Il pistolero dell’Ave Maria
Ferdinando Baldi
1969

Avec : Leonard Mann, Peter Martell

« A quoi penses-tu ? » - On vient de voir un gros plan sur les yeux de Sebastian (Leonard Mann), suivi d’un gros plan sur des cloches qui tintent, suivi d’un re-gros plan sur les yeux fixes de Sebastian, saupoudrée de la musique ad-hoc, la scène est assez belle et commence à bien fonctionner, car on comprend fissa que le Sebastian, il lui est arrivé des trucs méchants dans sa jeunesse. C’est outré et c’est tant mieux ! C’est pompé sur Leone et c’est re-tant mieux ! Et puis Rafael (Peter Martell) gâche tout d’un nanardesque « A quoi penses-tu ?» auquel Sebastian répond d’un également nanardesque et renfrogné « Rien », histoire de détruire par le verbe inepte ce que la force des images ampoulées avaient si bien commencé à faire passer. C’est le propre du genre, capable de nous transporter bien haut à l’aide de trucs opératiques frissonnants, pour nous faire retomber la seconde d’après avec du mauvais cinéma, comme lorsque Anna (Luciana Paluzzi) tente d’en coller une au vil Tomas (Alberto de Mendoza) et que celui-ci lui bloque le bras et lui rétorque un puéril « Attention Anna, je te préviens, ne recommence jamais ça, sans ça… », ou encore lorsque Rafael fait semblant d’être mort et se relève tout joyeux en interpellant ses poursuivants avant de les descendre, comme s’il leur faisait une bonne farce.
Heureusement, Ferdinando Baldi nous en donne peu, de ce mauvais cinéma là dans ce tragique western spaghetti, tragique au sens antique grec, puisque ce film reprend assez lisiblement la trame de l’Orestie. Et il compense ces défauts par un sens du pathos bien appuyé sans frôler le ridicule. Tout le monde s’agite, tout le monde se hait. Ceux qui aiment, aiment la mauvaise personne, le carnage peut commencer, le feu purifiera tout.
Il ne manque vraiment pas grand-chose à ce film pour être un petit bijou parfait, il manque principalement deux comédiens qui sachent porter tout le poids de leurs destins brisés sur leurs épaules. A la rigueur, Peter Martell est capable d’une certaine expressivité, mais beaucoup trop désinvolte pour un mec qui s’est fait émasculer et qui est amoureux pour toujours d’Isabel qu’il ne pourra jamais avoir. En un seul regard résigné, Luciano Rossi, qui joue lui le mari officiel – mais chaste – de la belle Isabel, parvient à créer plus de profondeur et de sensibilité à son personnage que le pauvre Martell en 1h30 de pellicule. Mais Baldi est là pour compenser, une belle scène de beuverie désabusée, avec une danseuse inatteignable qui joue de la guibolle derrière lui, une musique mélancolique, et le tour est joué, on y croit, on est dedans, le personnage est raccord.
Isabel, c’est la belle Pilar Velasquez, et elle aussi, parvient avec relativement peu de temps d’antenne à composer un personnage extrêmement riche, qui va de l’innocente vierge asexuée, emplie de haine envers sa mère à la femme qui craque et qui sombre dans la folie à l’heurt des révélations en passant par la garce soudainement affriolante lorsqu’elle joue la maitresse du vil Tomas. Tous les autres seconds rôles sont impeccables, Luciana Paluzzi, rongée par le remord, Alberto de Mendoza, vil sans loi et bien sûr Piero Lulli, vicieux et méchant comme on l’attend.
Reste alors le cas Leonard Mann, fluet, l’air timide, les yeux doux, qui a bien du mal à se faire passer pour le ténébreux Sebastian, c'est-à-dire le gars arraché à sa mère, dont le père a été tué, élevé par sa vieille nourrice. Il devrait être inflexible, il est transparent, il devrait suer la haine, il est calme, il devrait inspirer la passion au spectateur, le spectateur n’est toujours pas bien sûr que c’est lui le héros après trois quarts d’heure de film! Une telle erreur de casting, associée avec la demi-erreur constituée par Peter Martell, alors que tout le reste est impeccable, c’est vraiment dommage.
Là aussi, Ferdinando Baldi compense. Il plaque la belle musique de Roberto Pregadio à chaque fois qu’il le peut, il filme ses magnifiques décors, riches et colorés, à foison, étale son budget, segmente la violence et fait monter la sauce avec brio. Comme l’indique Jean-François Giré, ce western là est le western latin par excellence, la musique, le décor baroque, le rôle des femmes, les figurants, les thèmes, les prénoms, le scénario antédiluvien, tout transpire la latinité. Adieu veaux, vaches, frontière, civilisation en marche, idéologie, ce western là n’a plus rien du vrai western, et c’est tant mieux.

Le DVD français : très bonne qualité d’image. VF seulement, et c’est dommage, les quelques dialogues nanardesques passent peut-être mieux en italien. L’arrière de la jaquette n’a rien à voir avec le film, bravo les gars ! Il paraît qu’il manque quelques scènes, dont un ultime flashback final et une scène avec Piero Lulli, mais sans que cela nuise trop au film.


Capture: Shobary