dimanche 26 janvier 2014

La Rivière Rouge



Red River
1948
Howard Hawk
Avec: John Wayne, Montgomery Clift, Joanne Dru, Walter Brennan, Harry Carey Jr., Harry Carey

Dès le lendemain de la diffusion de l’Homme des vallées perdues, Arte nous gâtait derechef avec La Rivière Rouge, que je n’avais encore jamais vu non plus. Et j’en vois déjà venir certains. Putain, ce mec qui nous fait chier depuis des années avec son blog western prétentieux, non seulement il n’avait jamais vu Shane et Red River (faut le dire en angliche, ça fait mieux), mais en plus il attend que ça passe sur le service public pour le voir. Et bien je vous emmerde messieurs les spécialistes. J’ajoute par la même occasion que je n’ai jamais vu non plus The Big Trail, ni l’Appât, ni Canyon Passage, ni Fureur Apache, ni Les Pionniers de la Western Union, ni La Charge Fantastique, ni Yellow Sky, ni CowBoys & Aliens ! Ouaah le nuuul ! 
En tous cas, pour la Rivière Rouge, c’est fait. L’image n’était pas tip top je trouve pour un chef d’œuvre du septième art. Soit aucune restauration n’a été faite, soit le matériau d’origine est trop abîmé, soit je suis très fatigué, mais en tout cas, ça manque de définition. En plus c’est en noir et blanc, en noir et blanc ! Si ça ne tenait qu’à moi, je vous aurais colorisé tout ça pour que ce soit un peu plus flatteur à l’œil ! En noir et blanc ! Qui regarde encore du noir et blanc aujourd’hui. Pire ! Dans ce film, Wayne est méchant ! Pourquoi personne n’a jugé bon de remonter le film pour adoucir son personnage pour que ce soit un Wayne bien droit comme il faut ? C’est insensé cette époque ! 
Alors c’est vrai à la fin ça se termine en joyeux fist-fight paternaliste où tout le monde est réuni dans la joie, un peu comme dans les films du vieux Duke, cependant pendant toute la durée du film, Wayne apparaît de plus en plus tyrannique, violent et buté, dans l’un de ses rôles les plus intéressants de sa carrière avec celui de La Prisonnière du désert. Montgomery Clift, tout jeunot à coté, paraît bien frêle, mais parvient bien à transmettre sa crainte mêlée de respect pour son aîné. Joanne Dru est un peu sous-exploitée dans son rôle de « femme de caractère » comme on dit à chaque fois qu’une femme est un tant soit peu indépendante. Est-ce qu’on dit que John Wayne est un homme de caractère ? Non, mais bon on s’écarte du sujet.
On voit aussi dans ce film Walter Brennan qui interprète déjà un vieil édenté, qui joue son dentier au poker avec un indien, et c’est toujours un réel plaisir de voir cet old timer rouspéter et bougonner dans son coin. Ce film est également l’occasion de retrouver Harry Carey, le légendaire acteur du temps du muet, et là aussi, ce n’est pas sans émotion qu’on le voit interagir une dernière fois avec la jeunesse du parlant. Son fils a également un petit rôle, mais pas avec lui, ce que personnellement je trouve un peu dommage, j’aime bien quand des filiations d’acteurs, des hommages des uns envers les autres se téléscopent avec l’histoire en elle-même.
Le scénario en lui-même est un poncif westernien total, mais est l’occasion de rappeler combien les cattle drives et la vie pouvaient être rudes en ces temps là, d’une part à cause de la dangerosité des lieux, mais aussi par le manque d’information des gens à cette époque. J’ai particulièrement apprécié cette interrogation permanente sur l’existence ou non d’une ligne de chemin de fer à Abilène, qui revient en permanence comme un leitmotiv, Wayne mettant sans arrêt en doute la parole des hommes (tu l’as vu ce train ? Non c’est quelqu’un qui m’en a parlé). J’ai aussi aimé la joie du conducteur de train quand il voit le bétail, les cowboys accueillis en fanfare à Abilène par une population affamée. Personnellement je n’ai jamais sauté de joie à la vue d’une vache, et il est bien parfois que le cinéma nous rouvre les yeux sur ce qu’on a, qui nous semble acquis, sans avoir besoin de recourir « à une bonne guerre » pour nous remettre les priorités en place. Il y a sûrement des tas d’autres trucs terribles à dire sur ce film, mais je vais laisser faire les spécialistes. C’est un chouette film, avec des indiens, de l’humour, Stumpy, des vaches, John Wayne et un brin de harcèlement patronal. Franchement, il n’y a rien à dire d’autre. Merci Arte.

Image: USMC sur Western Movies

samedi 25 janvier 2014

L'Homme des vallées perdues



Shane
1953
George Stevens
Avec : Alan Ladd, Van Helfin, Jean Arthur, Jack Palance, Ben Johnson

Je ne regarde plus de westerns, ça m’est passé comme la grippe, c’est triste, j’en suis attristé pour mes millions de lecteurs qui appuient frénétiquement sur F5 en espérant une mise à jour, mais que voulez-vous, c’est la triste vérité que l’homme ne saurait se satisfaire de monotonie et de passion exclusive. Cependant, Arte nous a programmé Shane, alors j’ai replongé temporairement, parce que Shane est précédé d’une réputation très flatteuse et qu’on ne peut quand même pas rater ça. 

Regarder un western après autant de temps, ça rappelle de bons souvenirs, une certaine idée de la couleur (quand je vois ce générique rouge pétant, je souhaiterais être daltonien), une certaine idée aussi de la musique (Ennio, pourquoi es-tu né si tard, et d’ailleurs où sont tes descendants, parce que franchement la musique de La désolation de Smaug, c’est pas ça non plus…). Heureusement, j’ai de beaux restes, je me remets vite dans l’ambiance, ce charme suranné tout ça tout ça. 
De ce film, avant que de l’avoir vu, je ne savais que deux choses. Premièrement, le héros Alan Ladd est petit (1m68), ce qui a l’air de troubler beaucoup de gens. Deuxièmement, Pale Rider est censé être un remake de ce film.

Sur la première affirmation, je ne peux que plussoyer. Il est petit, mais avec Van Helfin, il parvient à déssoucher une souche rebelle à la force des épaules, symbole de civilisation en marche, pour mieux s’opposer au discours du méchant qui dit en substance : « C’est nous qui avons bouté les indiens hors d’ici avant que vous n’arriviez, venez pas nous mettre des clôtures partout, sinon on vous piétine vos laitues comme au Moyen Age ! » Marrant parce que dans Open Range par exemple, c’est les autres qui sont les méchants et vice versa. Ladd ensuite va en ville sans ses armes, pour montrer aussi que la civilisation passe aussi par le raccrochage de guns au mur de la maison. Les idiots citent toujours cette phrase où Ladd explique qu’un flingue n’est rien d’autre qu’un outil comme une pioche ou une pelle et que ce qui est important c’est celui qui tient le flingue, alors que la phrase importante est la réponse de la femme : « oui mais le monde serait encore meilleur s’il n’y avait pas d’armes du tout, y compris entre vos mains ». 

Quand il se bat contre Ben Johnson, on voit bien qu’il est petit Alan Ladd. J’ai bien mis 20 minutes à retrouver son nom à Ben Johnson. J’étais là devant ma télé : « Mais putain comment il s’appelle déjà celui-là, il est dans plein d’autres westerns ! ». J’avais vraiment la rage. Ma femme, désolée de voir qu’en quelques mois j’avais perdu toute ma culture westernienne, tentait des noms au hasard : « John Elam? Marvin Cleef ? Jack Stamp ? Joe Kidon ? ». A ma décharge, dans tous mes souvenirs, Ben Johnson est gentil. D’ailleurs à la fin, il se rachète, parce que quand même, merde, Ben Johnson quoi.

Sur la deuxième affirmation, on peut dire que oui, Pale Rider est une variation sur le thème de Shane, avec en plus le coup de masse dans les couilles de Jaw, Clint qui dit « faut pas jouer avec les allumettes » et des barillets de rechange dans la poche. Pale Rider, qui est quand même le plus mauvais western d’Eastwood, passe cependant à coté du mythe fondateur, passe à coté de la relation trouble avec la femme, passe à coté du pistolero qui veut raccrocher ses armes. Pour un remake, c’est quand même passer à coté de beaucoup de choses. On pourra m’objecter qu’en contrepartie Shane est vachement vieux et vachement longuet, que le gosse au travers des yeux duquel on est censés voir toute l’action est lourdingue et plombe le rythme du film alors qu’au contraire dans Pale Rider ça bouge, ils tuent le chien, ils essaient de violer la fille et que Clint dégomme tout le monde et que quand même un western où il n’y a pas tout ça ça peut pas être un vrai western, c’est vrai non mais quoi à la fin.
Sauf que dans Shane, on trouve des scènes magnifiques qui le placent largement au-dessus du pale remake. Il y a par exemple cette scène où Starret fait face aux hommes de Ryker et Shane apparaît soudain à ses cotés. Il y a également une scène similaire où l’on découvre seulement à la fin que Shane avait récupéré ses armes en embuscade et qu’il était prêt à tirer, ainsi que tous ces moments ou Shane apparaît extrêmement nerveux, bien plus nerveux que tous les fermiers qui sont pourtant le groupe à risque du film. Il y a le visage de Ladd sous la pluie, beaucoup plus subtil que le monolithique pistolero Eastwoodien. Shane a cette blondeur angélique, ce mutisme mystérieux qui apparaît comme une fragilité plutôt que comme une force. Quand les hommes parlent, il s’éclipse, on ne sait jamais exactement ce qu’il pense. 

Face à lui, Ben Johnson, puis Jack Palance détonnent. Le meurtre de Torrey par Jack Palance montre bien l’écart qu’il peut y avoir entre un cinéma intense, basé sur la tension graduelle et un cinéma purement divertissant où le nombre de cadavres fait l’intensité. Il y a peu de morts au final dans Shane, et ça rend chaque mort plus intense. Torrey, poussé verbalement par Jack « Phil Defer » Wilson, se fait abattre froidement. La scène est assez impressionnante, par sa maîtrise du temps, ces deux secondes pendant lesquelles l’on se demande si Palance va tirer et qui démontrent bien que malgré l’argument de la légitime défense il s’agit d’un assassinat, la force des insultes proférées à voix basse par Palance, la blessure historique de ces insultes où la Grande Histoire rejoint la petiote, tout cela transfigure une scène classique (un méchant tue un gentil) en quelque chose de bien plus intéressant que le déluge de morts de Pale Rider. Même si bon, dans l’absolu, j’adore aussi les westerns avec plein de morts qui virevoltent, j’avais juste un peu envie de dire du mal de Pale Rider. En bref, Shane est un bon western avec de très bonnes scènes, quelque peu plombé (je crois l’avoir dit plus haut) par un gosse qui aurait très bien pu dégager de la scène sans qu’on ne perde rien de l’attrait du film. A voir.

Image: winchester73 sur western movies