vendredi 29 juillet 2011

El Padre


El Padre
1981
Lambil et Cauvin


Quand j’étais petit, mon père affirma un jour que ce dix-septième album de la série des Tuniques Bleues était pompé sans vergogne sur La bataille de San Sebastian. Je n’étais pas d’accord à l’époque. Je ne le suis toujours pas aujourd’hui. D’abord, parce que si l’idée de départ du scénario a très probablement été inspirée par ce film, Cauvin n’a quasiment rien gardé d’autre de la trame originale. Pas de vaqueros avec un pied dans les deux camps, pas d’acheminement de munitions, mais à la place, deux bandes rivales, une otage et beaucoup d’action. Ensuite, Cauvin a suffisamment été pendant des années considéré comme la lie de la BD par la critique pour qu’on n’en rajoute pas une couche en inventant de faux procès pour plagiat. Les Tuniques Bleues est une belle réussite de Lambil et Cauvin, avec son background très bien documenté sur la guerre de Sécession (cette série n’est-elle pas d’ailleurs responsable du fait que la plupart des français connaissent mieux la guerre de Sécession que la guerre de 1870 ?), ses personnages attachants, le Sergent Chersterfield, buté, aux ordres, ridicule, mais droit et moral, le caporal Blutch, anti-militariste, lâche mais intelligent, et toute la ribambelle de seconds rôles, Stark en tête, et ses légendaires « Chargez ! ».
Les dessins sont également très réussis et Lambil parvient parfaitement à montrer la violence de la guerre sans être gore ni choquant. L’aspect semi-réaliste, avec décors, flingues à poudre noire, uniformes, chevaux et canons très précis et très travaillés mixés avec les gros pifs des personnages (et la bouche de travers de Blutch) rendent la BD à la fois très accessible et très sérieuse. Je me suis arrêté vers les albums 25 ou 26 il y a vingt ans environ, entretemps le duo a pondu 25 albums de plus, et il semblerait que la série soit devenue un brin répétitive. Mais cela ne m’a pas empêché de me replonger avec plaisir dans ce dix-septième album et de retrouver avec malice les attaques verbales ciselées de Blutch envers son supérieur.

mercredi 27 juillet 2011

La bataille de San Sebastian



1968
Henri Verneuil
Avec : Anthony Quinn, Charles Bronson
Un bon souvenir franco-italo-mexicain d’enfance de plus. Ennio Morricone se plagie lui-même, mais qui lui en voudra ? Le générique fait des arrêts sur images foudroyants sur sur des soldats virevoltants dans la mort, en pleine poursuite. Déjà, rien que ça, que demander de plus? Anthony Quinn trouve refuge dans une église, et elle est belle cette église scotchée à ses fondamentaux, l’église des gens d’en bas, la vraie église pauvre, humble et mythique des origines, qui prend la défense du peuple face au pouvoir des politiques, des armes et du grand clergé corrompu et déconnecté du monde. Henri Verneuil flatte les croyants là où ça fait du bien, tout en ne manquant pas de résumer la grande marche politique de la civilisation dans la bouche de Teclo : d’abord une maison, puis deux, puis vient une église, et après elle des soldats, et au bout du compte ils appellent ces terres les leurs et en refoulent les indiens. Le traitement de la religion à l’écran est rarement athée, toujours au mieux consensuel. Si Verneuil démonte la bêtise des miracles, si son héros n’est pas converti à la fin du film et si le réalisateur met l’emphase sur l’action plutôt que sur les pleurnicheries des prières (comme ce bien bon prêtre dans l’Aventure du Poséidon) il accrédite tout de même la force de la foi, il donne corps à une église bonne et soucieuse d’autrui, déconnecté du politique, alors que tout le monde sait que cette église là n’a jamais, ou trop rarement existé. Mais passons.
Verneuil se fait plaisir, et il nous fait plaisir. Il a du pognon (plein de figurants, des explosions, des armes, des décors), il a une excellente histoire (même si elle lorgne du coté des Sept) et il a des stars internationales, Anthony Quinn d’abord, impeccable en bandit au grand cœur, et Charles Bronson ensuite, trop rare (il n’a guère le temps de jouer avec son arc) mais également intéressant par sa révolte de métis éclairé. Et puis Verneuil a la chance d’avoir Morricone qui lui signe une excellente partition qui comme le dit Giré, rajoute du lyrisme à l’affaire. Verneuil est un des réalisateurs avec qui Morricone a bien fonctionné: plusieurs de leurs films (I comme Icare, Le Clan des Siciliens) acquièrent cette consonance particulière où musique et images se complètent et se transcendent. Et si Verneuil ne fait pas atterrir un avion sur une autoroute cette fois-ci, il nous offre une splendide bataille, très bien rythmée et qui n’a pas vieilli d’un poil. On apprécie certains plans, comme ce barrage s’écroulant, cadré entre deux arbres (bien que la surimpression soit devenue trop visible à nos yeux numériques du vingt et unième siècle), ou ces péons qui referment les portes en feu comme un tombé de rideau sur la fameuse bataille. On regrettera juste alors le manque de spécificité du produit, ni latin, ni américain, ni même français. Un pur produit international, sans identité derrière, mais avec tout de même une humanité, un premier degré et un refus de la sophistication qui font parfois défaut aujourd’hui. Mais tout cela reste à voir malgré tout, et cela me donne envie de revoir I comme Icare et Le Clan des Siciliens.
Image: USMC sur Western Movies

samedi 2 juillet 2011

Barquero

Barquero!
1970
Gordon Douglas
Avec : Lee Van Cleef, Warren Oates, Forrest Tucker, Mariette Harley


Tel Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche qui interdit, seul, en 1504, l’accès au pont de Garigliano à toute une armée, Travis (Lee Van Cleef) fait face, quasi-seul, à une armée d’outlaws sanguinaires et leur interdit de traverser une rivière, buté, borné, burné. Lee Van Cleef a les biscottos d’un chevalier, il a la lance des chevaliers (un interminable fusil de précision) prend la défense des faibles et porte un nom aux consonances moyenâgeuses. Face à lui, Remy (Warren Oates) et Marquette (Kerwin Mathews) aux noms qui fleurent bon également la vieille Europe, trépignent, jurent et s’énervent. Warren Oates est sapé comme le Prince Noir, le Bad Guy par excellence mais qui n’a pas totalement abandonné sa morale chevaleresque, en témoigne cette scène du massacre inaugural où il contrecarre le viol d’une habitante par l’un de ses hommes en tuant à la fois son mercenaire et sa (présumée) victime. On peut-être assassin de masse et ne pas prendre l'honneur des dames à la légère.
Mais avant d’en arriver là, à cette révélation d’un archétype par son contraire, Travis était l’outcast, le mec pas intégré, le type qui profite du poncif de la communauté en marche sans vraiment en faire partie. Il était Charon, faisant passer les colons de l’enfer de la civilisation au paradis promis des terres vierges et inexplorées de l’Ouest, alors même que certains (le révérend) envisagent une topologie exactement inverse, le paradis étant la civilisation en avant et l’enfer le monde des sauvages et des outlaws. La symbolique se précise pourtant lorsque Remy arrive avec sa horde sauvage par le mauvais coté de la civilisation, style cancer des colons. Travis devient alors bel et bien le gardien de ce paradis face aux foudres de l’enfer, même si d’une part les colons qui l’accompagnent sont eux-mêmes un poil corrompus, et si le lieu géographique de l’enfer évolue au gré de l’histoire et des transferts de population en barge ou en radeau. Dans tout ça, Warren Oates fait du Warren Oates, pète les plombs, tue symboliquement la rivière, mère nourricière mais castratrice du fait qu’elle l’empêche d’atteindre son but, et Lee Van Cleef fait du Lee Van Cleef, c'est-à-dire qu’il fume sa pipe en plissant des yeux, et ça suffit, bordel de merde, à en faire l'un des acteurs de western les plus marquants de toute l’histoire du cinéma.
Avec sa barge, Lee Van Cleef bâtit également un point de passage entre le western américain et le western européen. Comme le dit Tavernier en bonus, Gordon Douglas absorbe les influences sans maugréer, digère le tout et en ressort un produit fini pas dénué de qualités. Les thèmes de la frontière en mouvement et de la civilisation en marche cohabitent joyeusement avec la violence à outrance et l’absence de morale des outlaws, sans bien sûr que cohabiter signifie se compléter. Le tout paraît en effet un poil bancal, la violence al’italiana semblant plaquée par effet de mode sans le cynisme transalpin qui relève habituellement la sauce, et les grands mythes américains en paraissent du coup superficiels. Mais peu importe, malgré une légère baisse de rythme au milieu, le film tient fort heureusement bien le coup, à l’aide également d’une bonne musique et de seconds rôles très bien construits, comme le français Marquette et son dandysme de façade, l’homme des bois Mountain Phil (Forrest Tucker) et sa truculente bonhommie mangeuse de fourmis et l’énigmatique Anna Hall (Mariette Harley) femme intelligente, libre et cultivée, qui va chercher encore plus loin que Bayard ou Charon pour qualifier Lee Van Cleef, en le traitant purement et simplement d’homme préhistorique. A voir ou revoir pour ceux qui auraient jugé la chose un peu précipitamment à l’époque de sa sortie.