vendredi 19 août 2011

L'Homme qui n'a pas d'étoile

Man without a star
1955
King Vidor
Avec: Kirk Douglas, Jeanne Crain, William Campbell, Richard Boone, Claire Trevor

Classique du genre, avec la fin de l'Ouest et de ses riantes pâtures, l'arrivée du barbelé qui limite la liberté des uns et les troupeaux de plus en plus grands qui augmentent les profits des autres. Ce film narre la disparition des hommes simples, valeureux et fiers. Dempsey Rae (Kirk Douglas) le premier, vagabond et libre et à l'individualisme forcené, une constante chez Kirk. Il fuit, toujours plus au Nord, il fuit les barbelés et les complications. Mais bientôt il devra faire un choix, comme un genre de thématique Manniène chez King Vidor dont les personnages portaient également souvent cet individualisme auto-destructeur. Le contremaître (Jay C. Flippen) fait aussi partie de ces hommes à l'ancienne, droit, respectueux de ses voisins et des coutumes. Il se fait virer car il est un tenant du capitalisme paternaliste à l'ancienne et n'a pas assez l'obsession de la finance. C'est tout cela que conte L'homme qui n'a pas d'étoile, et bien sûr, malgré le cliché, on peut bien le dire: ce tout cela là résonne encore de nos jours.
Dans le genre classique, on a le droit aussi également, comme dit précédemment, au héros qui fait un choix. Après une première partie où Dempsey Rae évite soigneusement de choisir réellement son camp, il est obligé après un passage à tabac en règle de retrousser ses manches et de mettre leur pâtée aux méchants, c'est à dire tuer l'ignoble Richard Boone, l'homme de main sans scrupules. La fin trop vite expédiée masque le fait que si les petites mains ont eu leur leçon, la patronne (Jeanne Crain), elle, continue sans doute ses méfaits sans être inquiétée.
Toujours dans le canevas classique, on a aussi en magasin la relation d'un homme avec le frère ou le fils qu'il n'a jamais eu. Les séances de tir, les conseils, puis la prise de distance et l'oiseau qui s'envole du nid dans la mauvaise direction pour finalement revenir dans le droit chemin, le package est mené avec justesse. William Campbell, dans le rôle de l'oiseau, manque un peu de charisme néanmoins, et son amourette avec Claire Trevor est sans intérêt, autre que de voir Claire Trevor. L'érotisme sourd et tendu est à chercher ailleurs, dans la relation dominant/dominé entre Kirk Douglas et Jeanne Crain, sans que l'on sache d'ailleurs qui domine qui.
La violence des hommes ne fait pas dans la dentelle, surtout pour un film de 1955. Ils portent des cicatrices, ils se battent et tuent souvent (voir le petit rôle marquant de Jack Elam, dans cette introduction ferroviaire qui préfigure L'Empereur du Nord d'Aldrich). Pour autant, les scènes "baroques", à savoir le passage à tabac de Dempsey Rae, ou la baston finale, n'atteignent pas la frénésie délirante du final de Duel au Soleil. Bourreau de travail, Kirk Douglas avait un mois à tuer entre deux tournages, et en tant que producteur il embaucha King Vidor pour tourner ce film vite fait bien fait. La réussite du film, dans cette situation de précipitation et de rencontre entre deux personnalités aussi indépendantes et fortes, tient sans doute du miracle. Le fait qu'il ne s'agit pas encore tout à fait d'un authentique chef d’œuvre aussi.

Image: Abilène sur Western Movies

mercredi 17 août 2011

Mon petit poussin chéri

My Little Chickadee
1940
Edward F. Cline
Avec: W.C. Fields, Mae West

Présenté comme un western comique par le programme téloche, Mon petit poussin chéri est avant tout un "véhicule", un prétexte, pour réunir ces deux grandes stars du début du parlant: Mae West et W.C. Fields. A vrai dire, on voit bien comment a pu germer l'idée chez les producteurs: deux spécialistes des mots subtils, à double tiroirs, des sous-entendus graveleux, des one-liners à la Oscar Wilde, des petits jeux avec la censure, du mauvais goût et du cynisme, ça ne pouvait faire que des étincelles. Le résultat fut apparemment au-delà de toutes les espérances pour les producteurs, le film étant si l'on en croit wikipédia, le deuxième plus gros succès de l'année après Autant en emporte le vent.
Le résultat est tout autre pour le spectateur du vingt-et-unième siècle. Poussif, longuet, sans rien d'autre à se mettre sous la dent que le numéro de fleuret moucheté et de piques assassines que se lancent les deux vedettes, le film devient très rapidement ennuyant, à l'exception de quelques séquences burlesques (Mae West qui dégomme à elle seule toute une bande d'indiens belliqueux) et de quelques répliques bien senties qui restent franchement marrantes. Le coté vieilli du métrage est plus pesant que véritablement charmant, la mise en scène est totalement plan-plan, et le problème fréquent avec les films comiques de ces années là est le rythme, beaucoup trop lent à cause des effets appuyés qui s'étirent en longueur pour ne perdre personne en route. Une curiosité malgré tout, ne serait-ce que pour voir l'abattage des ces deux grandes stars des années 30 et 40.

mardi 16 août 2011

Les colts au soleil


The Man called Noon
1973
Peter Collinson
Avec: Richard Crenna, Stephen Boyd, Patti Sheppard


Les colts au soleil, on le sait, ça brille, ça fait pioeww, et ça fait virevolter tout un tas de figurants latins. Ici, point d'exception à la règle, Richard Crenna décanille du tireur (mal) embusqué à la pelle, voire à la fourche ou à la hache. Bacalov singe Morricone en plutôt bien, et on ne peut pas dire que ça dessert l'histoire. Ah oui, l'histoire. L'histoire, heuu l'histoire. On va juste reprendre le pitch alors. C'est un pistolero amnésique avec la voix de l'inspecteur Harry qui cherche à comprendre qui qui lui en veut et qui y'en a vouloir trahir lui et pourquoi, et kiséki qu'a caché le trésor d'un quart de million de dollars et où. En vérité, c'est encore plus tordu, et je n'ai pas cherché à comprendre, même Jean Van Hamme n'y retrouverait pas ses petits. La mise en scène est à tiroir, c'est à dire que chaque scène est censée être un moment clé, qui se trouvera être invalidée par la scène clé suivante. Quand on a compris le truc, on étend ses jambes, on se décontracte, et on n'écoute plus trop ce qui se dit. Ajoutons à cela que chaque personnage, aux motivations doubles, voire triples se la joue profond mystère avec phrases sibyllines à double ententes (voire triples), et vous vous retrouvez vite devant un produit dont le style est si ampoulé que la jubilation qui l'accompagne vous fait passer pour un extraterrestre. Dans le même temps, le réalisateur a fait le pari idiot de ne jamais placer sa caméra à l'endroit le plus évident pour la compréhension de la scène, non, chaque plan, chaque séquence se doit d'être filmée en plongée, en contre-plongée, avec tous les accessoires imaginables en avant plan. Le mec a dû passer des heures à repérer chaque anfractuosité de rocher à travers lesquelles il pourrait filmer. Je sais, ça fatigue, mais moi j'aime bien, surtout que pour se reposer, il y a les décors, la forteresse habituelle recyclée dans tant de spagh, d'improbables mines /grottes où qu'il fait bon se faire assiéger, et surtout il y a quelques belles invraisemblances qui agrémentent l'ensemble, tel ce stupide chef des méchants qui se fait écraser par une grosse pierre qui a le bon goût non seulement de lui foncer pile poil dessus, mais qu'il a en plus le bon goût de ne pas avoir le temps d'éviter, trop occupé qu'il est à tuer ses propres hommes qui eux ont le temps de fuir ladite pierre! Avec tout ça, on n'a plus trop le temps de remarquer l'artificialité des révélations de dernière minute (surtout qu'on s'attend à ce qu'elles soient invalidées la scène suivante, mais non, le dernier coup de théâtre est le bon), ni le ridicule surjoué du duel féminin. 
Bon, si vous avez un peu lu mes anciennes chroniques sur le spagh, vous savez que tous les défauts du monde ne suffisent pas à me faire passer un mauvais moment en compagnie d'un western européen. Celui-ci est plutôt de bonne facture, mais les spagh haters l'auront compris, ils peuvent passer leur chemin, bien que beaucoup de constituants de ce film soient anglo-saxons (les acteurs, le réalisateur, le roman d'origine). Les aficionados eux, aimeront, et pourront en prime repérer quelques second couteaux connus (Aldo Sambrell par exemple). Et merci ciné-classic!

Image: Rex-Lee sur Western Maniac

lundi 8 août 2011

La Prisonnière du désert


The Searchers
1956
John Ford
Avec : John Wayne, Jeffrey Hunter, Ward Bond, Harry Carey Jr. Nathalie Wood


Tout a été dit déjà sur ce film. Il n’y a qu’à lire les commentaires sur Western Movies ce mois-ci, le film est intouchable. Sa réussite tient au mystère des personnages, à la mysticité des lieux, à son message anti-raciste, à la beauté de ses plans, de ses non-dits, de toutes les qualités intrinsèques, extrasèques, archisèques, sous-textuelles, sur-textuelles, intra-textuelles, pré-textuelles, post-textuelles, bi-textuelles, constructivistes, déconstructivistes et post-modernistes de sa réalisation. Pourtant, passé la première demi-heure, l’ennui pointe et tire, le rythme s’affadit, ça devient barbant. Ce qui fonctionne en littérature (cette sensation du temps qui passe) ne marche pas aussi bien au cinéma : vertige de la quête, l’ellipse cinématographique anéantit la temporalité. Le début est formidable, haletant, tendu, fort bien tous ces non-dits, ces regards, ces caresses sur des vareuses, ces personnages cadrés dans des portes. OK, c'est du beau cinéma, mais ensuite? Deux fantômes errants, changeant de saisons, de pays, de costumes pour toujours revenir au même point ? On croirait presque par moment, un road movie des années 70, dont le but serait plus le cheminement en lui-même que le but à atteindre, avec Monument Valley en personnage à part entière. Alors oui c’est vrai, le final est magnifique, le mythique « Let’s go home Debbie », puis la porte qui se referme sur l’outcast Ethan, où le Duke vient de faire – cerise sur le gâteau – son petit hommage à Harry Carey, oui superbe, plus belle scène du septième art tout ça OK, je veux bien, n’empêche qu’avant ça on a eu une de ces abominables chansons que John Ford ne pouvait s’empêcher de placer ça et là dans ses films, on a eu une horripilante mexicaine avec ses castagnettes, on a eu l’exécrable séquence avec Look, la grosse indienne pataude, séquence sauvée in extremis par la découverte de sa mort qui remet du drame dans la grosse farce, on a eu un interminable mariage avorté qui retarde l’échéance, désamorce beaucoup de choses pour faire avancer des intrigues secondaires qui finalement n’ont pas tant d’importance que ça, bref on a eu du Ford de chez Ford comme on n’aime pas trop, à part chez les inconditionnels amoureux du vieux borgne.
Et pourtant dans tout ça, il y a toujours cette ambivalence, l’attaque finale qui s’apparente plus à un massacre (on voit peu de morts, mais on se rend bien compte que le campement est surtout composé de femmes et d’enfants, le Duke qui scalpe son homologue indien, pourtant tué par un autre, et Ward Bond, qui se fait féliciter au final alors qu’il n’a perdu apparemment aucun de ses hommes et que sa troupe hétéroclite a tout de la bande de mercenaires pas vraiment officiels), Ethan, le personnage du Duke, totalement perfide dans ses actes et sa froideur (Ne laisse-t-il pas le personnage joué par Harry Carey Jr. courir droit vers la mort, sans rien faire pour le retenir, ne risque-t-il pas sciemment la vie de Martin (Jeffrey Hunter) pour abattre ses poursuivants dans le dos ?) mais qui a ses sursauts d’humanité et d’amour pour son prochain, il y a ces blanches captives des Comanches, devenues folles – scènes glaçantes – et en même temps les morts indiennes, les scalps de Scar, vengeant ses fils, toute la richesse du cinéma de Ford qui prend l’Homme comme il est, et qui l’aime, dans toute la richesse de ses contradictions.