vendredi 25 avril 2008

[HW] – Spirou – Le journal d’un ingénu


2008
Emile Bravo


Jeune, j’ai toujours aimé Spirou, et ayant fini d’acquérir la production Franquin et Tome et Janryesque, je rêvais de remonter la collection dans l’autre sens, de trouver les Spirou de Jijé et de Rob Vel des années 40. Ces œuvres étant introuvables à l’époque, s’alimentait alors un fantasme sur les aventures qu’avait bien pu vivre notre jeune groom avant l’ère Franquin.
Aujourd’hui, on peut trouver finalement certains Spirou de Jijé et de Rob Vel sur le net (
http://www.inedispirou.net/bd-inedites-vf7.html) ou dans des rééditions (en ce qui concerne Jijé en tout cas), et bien sûr, rien ne paraît à la hauteur du fantasme : dessins affreux mal servis par la qualité ancienne du matériel d’origine, lettrage bâclé, scénarios sans queue ni tête, ces « aventures » telles Spirou et l’Aventure, Spirou au Pôle nord, Spirou et la puce n’offrent au mieux qu’un intérêt historique agrémenté d’une certaine fraîcheur d’historiettes sans enjeux.
Et voici que débarque en 2008, pour les 70 ans du groom, Le journal d’un ingénu par Emile Bravo. Il s’agit d’une histoire en un volume qui s’inscrit au sein de la collection « Une aventure de Spirou et Fantasio par… » qui permet à certains auteurs confirmés de se faire plaisir en réalisant du Spirou. Jusqu’ici l’intérêt de cette collection se limitait à l’hommage réussi, au pastiche de l’ère Franquin sans enjeu véritable, sans autre but que de ressortir des personnages connus, la turbotraction, des scénarios tarabiscotés et quelques allusions plus ou moins voilées à la sexualité de nos héros. Emile Bravo va beaucoup plus loin que ça, il place Spirou dans un contexte historique (1939, la veille de la seconde guerre mondiale), soit à l’époque des histoires de Rob Vel et Jijé, il raconte la rencontre entre Fantasio et Spirou, il explique pourquoi Spirou garde toujours son costume de groom, pourquoi Spip est doué de conscience, et pourquoi il ne tombera jamais plus amoureux. Et il fait tout cela en inscrivant son histoire dans le drame de la grande Histoire, tout en respectant les données d’origine de la série (Spirou groom au Moustic Hotel, le portier Entresol, le petit appart minable de Spirou) et en ressortant quelques perles des débuts de Franquin (les gosses dont le petit Maurice, le déguisement de Fantasio en vieille dame). Et comme si cela ne suffisait pas, son récit pose de vraies questions sur l’engagement politique, sur cette fameuse question d’avant guerre (vaut il mieux négocier le plus loin possible avec les nazis pour sauver la paix ou être ferme dès le début pour sauver le monde ?), sur la nationalité, non parfois sans naïveté un peu trop « lisible » mais toujours avec sincérité et toujours avec émotion.
Au final on n’avait pas pris autant de plaisir à lire du Spirou depuis des années, et surtout, on veut connaître la suite, qu’ont fait Spirou et Fantasio pendant la guerre, la suite la suite !!!

mardi 15 avril 2008

Django défie Sartana



Django sfida Sartana
Pasquale Squitierri
1970

Avec : Luciano Stella, Giorgio Ardisson

Un générique qui fleure bon le sépia, des cadrages tarabiscotés, des regards à déterrer les morts, des airs à l’harmonica à réveiller les mêmes morts, des coups de feu qui résonnent au plus profond des tympans, le vent qui souffle, des bagarres qui ne sont pas chiquées, une histoire de vengeance mâtinée d’enquête policière.

Des stock shots qui proviennent d’un autre film, un jeu d’acteur faiblard, des carrières minables en guise de décor, des figurants qui se comptent sur les doigts d’une main, une réalisation sans relief, des poncifs à faire bailler les morts, des ratages à faire marrer les mêmes morts.

Vous l’avez compris rien qu’en voyant le titre, vous l’auriez compris rien qu’en lisant cette petite liste, on est de plein pied dans le western spaghetti sans âme, sans relief, sans talent, mais qui se laisse quand même regarder, avec, de ci de là, quelques haussements de sourcils quand une scène sort du lot. Et puis les morts pullulent, et puis les méchants trépassent, et puis au final on a passé un bon moment lors de cette petite incursion de routine dans cet univers codifié et prévisible (presque) de A à Z. Parmi les petits « moments » à retenir : le frère de Django traîné dans les escaliers, la baston Django vs Sartana, l’arrivée de Django sous la pluie avec son frère pendu dans la ville, Django pendu par les poings, qui se fait effleurer par les balles, le méchant et ses bois de cerfs, et puis Sartana a la voix française de Dirty Harry.
C’est suffisant.

vendredi 11 avril 2008

Le Llano en flammes




El llano en llamas


Juan Rulfo




Il y a bien longtemps qu’on n’a pas vu de western spaghetti. Il y a bien Django Le Bâtard qui nous appelle « Achète moi, achète moi ! » par le biais des yeux faméliques d’Anthony Steffen. Il y a bien les forumeurs de Western Movies qui nous tentent régulièrement avec des pépites extraites du puits – semble-t-il – sans fond du cinéma espagnol et italien. Mais on le sait bien qu’il y a un fond à ce puits, que le nombre de westerns spaghetti regardables est sévèrement limité. Alors on prend son temps, après des années d’attente pour pouvoir accéder facilement à tous ces westerns, après la frénésie du début et des livraisons de Wild Side, Seven 7 et Evidis, après de nombreuses infidélités à nos éditeurs francophones –décidément trop frileux – avec des éditeurs étrangers, voire – chut – avec la Sainte Mule, on décide de ralentir un peu le rythme, on revient un peu au western américain, voire au cinéma tout court ; on se dit qu’on a plein de bouquins en retard et qu’Anthony Steffen attendra bien un peu, une dizaine d’années de plus s’il le faut. Le western spaghetti, c’est la goutte de cognac dans le café, il ne faut pas en abuser.


Alors on lit, et après quelques aventures du coté de Fred Vargas, John le Carré et Haruki Murakami – bien loin du monde minéral du western spaghetti, on commence Le Llano en flammes de Juan Rulfo, sans en attendre quoi que ce soit vu que c’est un bouquin qu’on vous a offert à Noël il y a deux – trois - six ans peut-être et qu’on n’avait jamais pris le temps de lire. Sans doute qu’à l’époque, Le pistolero aveugle nous imposait son caractère d’urgence.


Dès la première nouvelle, On nous a donné la terre, car c’est de cela qu’il s’agit, un recueil de nouvelles, dès la première nouvelle donc, on est dedans. Il fait chaud, les peons mexicains marchent sous le soleil, l’un d’eux transporte une poule sous son bras. L’auteur, dans une langue proche du parlé, mais très travaillée et très belle, décrits les canyons arides et la poussière tourbillonnante, la pauvreté. Et surtout il évoque un partage des terres qui fait PAN dans l’esprit du spaghettophile endormi : REVOLUTION.


On est d’abord décontenancé parce que la nouvelle est très courte et se finit abruptement, pour ne pas dire dans le vide, mais on est content d’avoir retrouvé des éléments familiers des westerns zapata, tels El Chuncho, Tepepa, Cinq hommes armés. Mais au fil des nouvelles, le plaisir de lecture reste intacte, car en définitive tout est là, la violence, la vengeance, la mort, les chiens efflanqués qui aboient, les vautours qui tournoient, les destinées écrites dans le marbre de pauvres gens qui subissent la vie comme on subit un châtiment, toujours perdant mais toujours digne. Tout est là, mais bien évidemment en filigrane, en petites touches, sans l’exacerbation propre aux westerns zapata, et surtout avec des histoires qui n’ont évidemment rien à voir avec le western. Une vision morcelée, parcellaire de la ruralité mexicaine des années 20, mais qui donne un sentiment d’exhaustivité impressionnant. Et puis la nouvelle Le Llano en flammes arrive, on suit une troupe de rebelles qui pillent, brulent, tuent et tendent des embuscades aux forces armées mexicaines. Les rebelles se planquent derrière de petits murs décrépis comme dans n’importe quel western zapata. Les exécutions sommaires dans les deux camps sont légions, comme dans tout bon western zapata. Les mises à morts sadiques n’ont rien à envier au genre. Il ne manque finalement que l’humour et l’arrivée d’un Européen irlandais, Suédois ou Polonais pour accentuer le malaise.


Car malaise il y a. La révolution décrite par Juan Rulfo n’est pas celle des années 10, c’est celle des cristeros à la fin des années 20, révolution qu’il a connu jeune et dont il a pu voir les horreurs des deux cotés. Il ne s’agit pas là d’un décorum pour présenter au mieux une réflexion sur l’engagement face à l’individualité (El Chuncho, Il était une fois la Révolution, Tepepa), au pire une farce entrainante avec des bouts d’infra-texte dedans (Companeros, Saludos Hombre) ou pas (5 hommes armés, Viva la Révolution). Il s’agit d’un vrai vécu, d’un vrai regard clinique sur une humanité en bout de course dans un pays ou la violence va de soi. De même, les petites histoires de vengeance, les malheurs agricoles, la faim, les malheurs familiaux n’ont pas vocation à divertir les masses comme les sordides tragiques destinées spaghettiennes le faisaient. C’est du vécu, c’est du réel, et on se sent tout honteux d’aimer le genre western zapata qui paraît si superficiel à coté de cette réalité, de voir que oui l’armée mexicaine se faisait malmener, mais que c’était les peons qui se trouvaient en général face à la mitrailleuse, et que chaque mort avait une histoire et une famille. Tout honteux de voir qu’un auteur, en quelques lignes et en quelques pages, parvienne à vous faire vivre la réalité et la mentalité de ces gens qui n’étaient jusque là pour vous que des figures interchangeables d’un genre très populaire dans les années 70.










PS: les deux photos sont de Juan Rulfo.