samedi 31 décembre 2011

Ce vieux John Wayne… (3)



Et voici la dernière fournée de « John Wayne vieux », ces films mi-réussis mi-ratés de sa fin de carrière, qui manquent d’ampleur par absence de grands réalisateurs aux commandes, mais qui sont en général sauvés par la prestance du Duke, ou par notre bienveillance à son encontre. A noter que John Wayne est imprimé à jamais dans l’inconscient américain puisque pas plus tard que dans la saison 7 de Desperate Housewives, Felicity Huffman doit sa démarche « à la John Wayne » à un abus de galipettes avec son amant.



L’on commence donc avec Les Géants de l’Ouest (The Undefeated, 1969) de Andrew V. McLaglen. On a du mal à le croire comme ça, mais c’est sorti la même année que La Horde Sauvage, pourtant c’est d’un classicisme à toute épreuve. McLaglen nous montre un monde où les rancœurs de la guerre de Sécession se règlent à coup de Bourbon, un monde dans lequel un jeune indien peut courtiser sans problème une femme de race blanche. Trop gros, ça passe pas, tout comme cet espèce d’enthousiasme collectif Fordien des hommes en groupe, que l’on nous ressert depuis Le cheval de fer. La communauté soudée, qui fait passer l’honneur avant tout, les décisions prises ensembles, avec concours de belles phrases et envolées lyriques : on va les aider ces maudits sudistes, de toute manière, les seuls vrais salauds ce sont ces cons de français avec leurs sabres, yihaaa ! C’est plaisant, ça vous arrache un sourire complaisant envers la race humaine, mais ça ne fait pas un grand film. Heureusement il y a Rock Hudson, et il y a John Wayne, qui font un beau numéro d’acteurs, ainsi que toute la clique habituelle (Ben Johnson, Harry Carey Jr, Bruce Cabot). Malgré son âge, Wayne papote avec une dame et lui parle de fonder une famille. On lui pardonne, c’est la magie du cinéma.


On passe rapidement à une production du même type, The Big Jake (1971, George Sherman), une œuvrette plutôt sympa et décontractée, bien ficelée, bien menée, bien troussée, bien balancée mais sans l’ampleur qu’un grand réalisateur n’aurait manqué de tricoter au sein du canevas de départ. Pour autant, on est en droit de ne pas bouder son plaisir : une intro magnifique avec même des extraits du tout premier western tourné (Le vol du rapide) ancre l’œuvre dans la veine crépusculaire mais sans le coté désenchanté. Ce qui justifie illico la présence d’automobiles et de motocyclettes dans l’histoire. Et les cascades réalisées à moto ont un effet immédiat : non seulement elles renouent avec les facéties virevoltantes de Tom Mix, mais elles rejoignent également toutes ces séries B des années 30 avec John Wayne, ces « John Wayne maigres », qui mélangeaient allègrement les automobiles les chevaux et les trains dans des poursuites toujours plus folles. Certes ce constat ne fait pas naître une émotion à la hauteur d’une Prisonnière du désert ou d’un Fils du désert, mais au moins ça rend le film un peu moins creux qu’un simple Voleurs de trains. Pour le reste, les interprétations sont très bonnes (dont Richard Boone), les interactions entre personnages fonctionnent, les caricatures aussi, et les multiples types d’armes (derringer, pistolet, fusil à lunette, machette…) aussi. Hop comme dirait Achille.




Les cordes de la potence ensuite (1973, U.S. Marshall Cahill), réalisé à nouveau par Andrew V. McLaglen, fonctionne bien, malgré l’âge avancé de son interprète principal. Wayne laisse un peu la place aux deux jeunes gamins (Gary Grimes, un de ceux du Sang dans la poussière, et Clay O’Brien, présent déjà dans Les Cowboys) qui tiennent le principal de l’intrigue sur leurs frêles épaules. Les méchants, George Kennedy en tête, ont une bien belle présence, et Andrew V. McLaglen leur concocte des plans classieux sous la pluie digne des meilleurs spagh. On note la présence de Jackie Coogan, le Kid de Chaplin, en poivrot qui manque de se faire assassiner dans son sommeil, et puis Harry Carey Jr. dans un petit rôle. Le Duke s’endort avec le double chien de son shotgun armé, ceci face à ses prisonniers. Tant pis pour eux s’il a la bougeotte pendant son sommeil ! Neville Brand nous fait un numéro savoureux de demi Comanche, amateur de cigares, le scénario est plutôt intéressant, bref, une fois de plus, si ce Duke n’est pas un chef d’œuvre, il y a tout ce qu’il faut pour passer un bon moment, sans ode inutile à la gloire du Duke. Plutôt pas mal, donc, même si on ne peut pas s’empêcher de sourire devant l’aisance des personnages à se mouvoir avec épaule trouée ou jambe cassée.



On termine avec Le dernier des géants (The Shootist, Don Siegel, 1976) qui émeut tout le monde à cause de la résonance entre le destin de l’acteur et celui du personnage (en allant jusqu’à présenter une intro faite de stock shots des films du Duke), mais qui ne fonctionne que par ce biais là. En effet, pour le reste, il faut bien dire que les derniers instants d’un vieux pistolero atteint d’un cancer ne sont guère passionnants. C’est Wayne que l’on regarde mourir, et non pas John Bernard Books. Le film en devient sordide et voyeuriste, même si en réalité, Wayne n’avait pas encore fait sa rechute quand il a tourné ce film. La patte de Siegel ne se reconnaît qu’à la toute fin, sinon c’est filmé de façon plate et conventionnelle. Tué dans le dos de deux coups de shotgun, notre héros a le temps d’acquiescer lorsqu’il voit Ron Howard (que l’on a vu aussi dans Du sang dans la poussière, qu’est ce qu’ils avaient ces jeunots à faire du western avant d’être des hommes !) jeter au loin son arme avec dégout, faisant suite à une thématique à peine esquissée du gamin qui veut se mesurer à la légende. Si j’en crois imdb, cela aurait dû être le personnage de Ron Howard lui-même qui tuait J.B. Books, dégoûté ensuite par son acte. Wayne a demandé à rajouter le barman en intermédiaire, allez savoir pourquoi. Du coup, plus rien ne fait sens, on ne comprend pas pourquoi le barman tue Books, on ne comprends pas trop non plus pourquoi le personnage de Ron Howard est si dégoûté de son acte qui est pourtant plus un réflexe qu’un assassinat délibéré. En bref, Wayne a perverti le film. Admiratif de Don Siegel et de son Dirty Harry, il rend le travail de celui-ci impersonnel à force d’exigences ajoutées les unes après les autres (il a aussi fait supprimer une scène où il abat un homme dans le dos). Sans doute l’une des raisons pour lesquelles tous ces « John Wayne vieux » sont relativement fades et sans saveur, la star imposant une routine standardisée et une norme aseptisée à ses réalisateurs.



dimanche 13 novembre 2011

Lucky Luke



Lucky Luke
1990
Terence Hill
Avec: Terence Hill


Réévalué à l'aune des récents Dalton et autres Astérix (pas vu le film avec Dujardin), ce Lucky Luke là a au moins le mérite d'une certaine sincérité. Un film sans prétention vaut mieux qu'un film "nouveau beauf". Un film sans prétention vaut mieux qu'un film à la bêtise cynique. Un film sans prétention vaut mieux qu'un m'as-tu-vu de stars du petit écran.
On aime bien se moquer du gentil Terence Hill, c'est un fait. Ce petit film là, s'il ne respecte pas l'oeuvre de Morris et Goscinny, il ne la trahit pas. Bien réalisé, tourné au Nouveau Mexique, les principales lignes directrices de l'album Daisy Town sont respectées, ainsi que quelques gags de l'humour Lucky Luke: la construction hyper rapide de la ville, les touches anachroniques, le goudron et les plumes. Bien sûr, Terence Hill, fait un piètre Lucky Luke, un poil trop vieux et trop proche de son personnage de Personne. Bien sûr, on ne tient pas là le film du siècle, mais je répète, entre ce petit film gentillet destiné aux enfants et une superproduction survitaminée aux effets numériques et dopée par les guest stars du monde de la télé et de la Formule 1 (sic), j'ai ma petite préférence.
Le mieux étant, au final, de se replonger dans les albums.


PS: on retrouve avec plaisir Neil Summers, le petit gars aux grandes dents de Mon Nom est Personne, ainsi qu'un bout de la musique de la chevauchée des Walkyries du même film), et on note une curieuse séquence où Joe Dalton (Ron Carey, plutôt bon) révèle aux Indiens le futur Américain, avec les échangeurs routiers et la bombe atomique, ce qui en ferait presque un film à message (cette séquence étant me semble-t-il plus ou moins présente dans l'album).

vendredi 11 novembre 2011

Sugar Colt



Franco Giraldi
1966
Avec: Hunt Powers

Le titre est stupide, et la première image pitoyable. Une piteuse pancarte indiquant "Snake Valley" au milieu d'une vallée vue cinq cents fois, ça vous sort du film avant même d'y être entré. J'avais ce film en magasin depuis fort longtemps (merci au Chat au passage), mais je n'avais jamais réussi à dépasser le choc psychologique de cette branlante pancarte.

Armé d'une volonté de fer, j'ai passé la vague, bien m'en a pris. Passé le massacre des tuniques bleues presque aussi toc que la pancarte, un fabuleux thème à la trompette de Luis Bacalov se déploie. Et immédiatement ressurgit des entrailles de votre âme tout ce qui vous manque dans le western américain: une ambition dramatique démesurée, une marionetisation des actes et des destins, un sens de la vie forgé dans le sang, une universalité des archétypes humains loin des mythes et de la morale américaine.

Et bien sûr cette ironie toujours présente. Ici le ton louvoie entre comédie et drame sérieux, et cela fonctionne parfaitement. On retrouve avec bonheur un western "enquête", avec des populations qui n'osent pas parler et des hommes de main intimidants. L'originalité réside dans l'objet de l'enquête qui consiste ici à rechercher des soldats disparus mystérieusement. Le héros se fait passer pour un docteur, une "petite gens" sans prétention qui peuple le petit monde du western. L'humour naît des réactions du docteur face aux vexations (une marrante baston type pugilat), du décalage entre sa dégaine et ce dont on le devine capable. Le drame prend de l'ampleur à chaque développement de l'enquête. Pas de message, pas de sous-texte, pas de discours sur l'humain. Une intrigue, des bastons, des morts et une belle musique. La mayonnaise prend.



Pour moi, Hunt Powers n'était qu'un légume de plus à la Robert Woods, perdu à jamais dans les délires de Demofilo Fidani. Surprise, Hunt Powers est ici un excellent acteur. Sorte de dandy séducteur, il se déguise et dégage une très bonne expressivité. Le regard provocateur, le sourire perpétuellement ironique, il est un des atouts indéniables de ce bon petit spagh bien réussi. A ne pas rater évidemment, le festival habituel de tronches du genre (dont le fleuriste du Retour de Ringo), et les idées loufoques habituelles de ce genre de production. Ici, Hunt Powers commence en tant qu'instructeur dans une école de tir pour dames. Et bien sûr, même si Franco Giraldi n'est pas franchement le plus baroque des réalisateurs italiens, ne pas manquer le final, bien excessif dans la mise en scène de la mise à mort du chef des méchants.

jeudi 10 novembre 2011

Le train sifflera trois fois

High Noon
1952
Fred Zinnemann
Avec: Gary Cooper, Grace Kelly
Encore un classique de mon enfance que je n'avais pas revu depuis des lustres, empêché par un souvenir vivace d'inaction totale, et par les propos de Hawk sur son Rio Bravo qui serait l'anti-High Noon par excellence. Et comme j'aime beaucoup Rio Bravo, j’ai attendu longtemps. L’autre jour je l’ai vu chez Noz aux cotés de deux Terence Hill retitrés: Trinita remet le couvert et Trinita reprend l’avantage. J’ai pris le Gary Cooper.
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High Noon commence par cette belle image de Lee Van Cleef. Etrange destinée de cet acteur, qui fait que rétrospectivement on attache de l’importance à ses rôles de seconds couteaux. En tout cas, dans ce film, même si son personnage n’est pas très développé, il survit pendant quasiment toute la durée du métrage. C’est déjà bien.
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Les lèvres bougent pendant la chanson du générique, mais on n’entend pas leurs paroles. L’effet est étrange, comme si on épiait les deux hommes, et comme si le réalisateur nous prenait pour des gens intelligents, capable de comprendre un film sans en avoir toutes les clés.
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La ballade, chantée par Tex Ritter, est langoureuse à souhait, ce qui a pour effet de dédramatiser la chevauchée de ceux dont on ne saurait pas encore qu’ils sont les méchants si l’on n’avait pas reconnu Lee Van Cleef.
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La chanson s’efface au profit des cloches. C’est beau. On se dit que Leone dans ses films n’a fait qu’exacerber un esthétisme déjà en place pour mieux nous le révéler.
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En parlant de Leone, une gare et trois truands, on y est. L’un deux se rafraichit la figure dans un baquet qui traine par là. Le pittoresque au service du cinéma.
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Les yeux incroyablement perçants de Grace Kelly, dont c’est l’un des premiers films.
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Des seconds rôles bien écrits. Le film a l’intelligence de ne pas leur faire faire ce que l’on attend d’eux: les couards restent couards, les indépendants restent indépendants, les butés restent butés, et le Shérif Kane sera finalement aidé par la personne qu’il attendait le moins.
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Gary Cooper, encore beau, fringant et sûr de lui, n’a pas encore commencé sa mue en vrai héros de western.
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Le juge se barre et emporte son drapeau avec lui. C’est la civilisation qui recule devant la barbarie. Je n’ai pas bien compris en quoi ce film pouvait être une dénonciation du maccarthisme, mais ce genre de plan va certainement à l’encontre du mythe de l’Ouest en perpétuelle marche en avant vers la civilisation.
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Le maitre d’hôtel (Howland Chamberlain si j’en crois imdb), un savoureux petit enfoiré, mesquin et détestable.
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Le swearengen du coin, encore un tout petit personnage intéressant (Larry J. Blake toujours selon imdb), légèrement louche et pas vraiment sympathique non plus.
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Le regard de Gary Cooper commence a trahir la pression, le découragement, la peur…
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… au point qu’il se laisse aller à pleurer sur son bureau. Pas étonnant que le Duke n’ait pas aimé.
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L’omniprésence de cette horloge, filmée quasi en temps réel, en plans de plus en plus rapprochés, contribue fortement à l’efficacité du film, sans aucun temps mort malgré l’absence totale d’action.
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Autre gimmick visuel, seules lignes de fuites de ce western essentiellement urbain, les rails vers l’horizon, échappatoire impossible puisque de là vient le danger.
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La dernière minute avant l’arrivée du train est extraordinaire, succession de plans de plus en plus rapides et de plus en plus rapprochés, qui permet de revoir tous les personnages du film…
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… jusqu’à cette belle composition.
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Gary Cooper a achevé sa métamorphose. Sueur, saleté, peur, mais aussi classe et détermination, on y est, le western peut commencer.
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Formidable mouvement de grue qui symbolise la solitude du shérif face au danger. De nos jours ce genre de plan révèle des hordes de soldats pixélisés à l’infini. Là on découvre du vide, économie de moyens pour effet maximal.
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Quand je disais que le western vient seulement de commencer, en plus il n’est pas avare de poncifs.
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Le héros à terre. Belle image d’impuissance couplée à une belle scène d’action. Efficace.
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Encore un poncif oui, mais un poncif avec Grace Kelly n’est pas un poncif.
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Autre plan redoutablement bien mené: la rue qui soudainement se remplit de monde alors que la ville semblait désertée.
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Le plan final, qui me fait plus penser à la scène parodique que l'on trouve dans Lucky Luke que l’inverse. C’est le problème d’être né trop tard pour avoir découvert les choses dans l’ordre.


samedi 5 novembre 2011

Johnny Guitar





Johnny Guitar
1954
Nicholas Ray
Avec: Sterling Hayden, Joan Crawford, Mercedes McCambridge, Ward Bond, Ernest Borgnine


J'ai vu ce film tout petit. C'était un peu comme une sorte de légende dans la famille, ouah, il y a Johnny Guitar qui passe à la télé! Je n'avais comme souvenir que la scène de pendaison, et vu l'aura du film dans le milieu autorisé, fallait bien que je mette la main dessus un jour.
J'ai trouvé la VHS pour dix centimes dans un vide-grenier, aux cotés de deux Bud Spencer: Malabar à New York et Malabar à Miami. Vous n'allez pas me croire, mais j'ai laissé les deux Bud Spencer et j'ai pris le Johnny Guitar.


Le début est tout bonnement formidable. Des explosions dans la montagne, une attaque de diligence vu de loin, presque genre "Tiens, une attaque de diligence...", du vent, de la poussière de partout, et une guitare. C'est déjà une bonne intro, mais ça continue, une énorme batisse au milieu de nulle part, le bruit de la roulette et du vent, toujours aucun dialogue. La tension monte, et quand ça se met à parler, c'est pas pour causer météo!
Les échanges haineux commencent, avec Vienna au milieu de son escalier. La précision des dialogues, la répartie des protagonistes sont ébouriffantes. Arrivent des bandits dont l'un s'appelle Dancing Kid. On apprécie le parallèle du nom avec celui de Johnny Guitar. L'esthétisme du huis clos étouffant continue avec la toux de l'un des bandits et ce verre vide qui tourne....
"C'est mon nom, vous voulez le changer?". Le film avance, mais la tension ne faiblit pas. Mieux, elle va crescendo. Le héros n'a pas d'arme. Mais on sait que c'est du pipeau, parce qu'on regarde un western, et que dans les westerns, les héros qui n'ont pas d'armes sont tous des as du révolver (à l'exception de Hoot Gibson).


On est un peu sur un nuage.


Et puis le soufflé retombe. La "révélation" de la virtuosité aux armes du guitariste tombe à plat, et limite trop vite. La "révélation" du passé commun amoureux de Vienna et Johnny tombe aussi à plat vu qu'on n'en attendait pas moins. Le film devient extrêmement bavard, avec un enchaînement de phrases bateaux ("Quand l'amour se consume, il ne reste que des cendres"), de dialogues à double-entendus barbants, de souvenirs, de regrets et de larmes de mauvais mélodrame. On étouffe, on voudrait sortir à tout prix de ce saloon, vas-y Johnny, aide la à descendre son lustre, qu'on se sorte de là.
Le film manquant aussi singulièrement d'humour. Par exemple, après qu'il ait fini de se battre avec Ernest Borgnine, j'aurais bien vu Johnny Guitar demander "Barman, un whisky, ça me donne soif ces petits jeux moi!", mais non, on est dans le sérieux, dans le pathos sans aucun recul, faut bien qu'on comprenne la dureté du truc, faut pas rester là monsieur. Mais pourquoi, quel est donc le message du machin?


Pour le message, faudra attendre. Pour l'instant, on respire un peu. Il y a une cascade sous laquelle il faut passer pour arriver au repère des bandits. Haaa, un truc de serial, et ici vraiment un hommage puisque absolument pas crédible. D'habitude, derrière une cascade, il y a une grotte, ce qui nous donne par exemple dans The Toll Gate de belles scènes contrastées avec les yeux fixes de William S. Hart. Là derrière la cascade, il y a des montagnes et une cabane que l'on doit donc croire ignorées de tout le pays. On s'en accomode.
Le nuage remonte. L'attaque de la banque est formidable. Le posse constitué d'hommes en noir est d'un esthétisme classieux, où la beauté naît du contraste. Contraste du noir et blanc avec toutes les couleurs chaudes éparpillées dans le film. Incongruité de la tenue au regard de son utilisation: la chasse à l'homme.
Le personnage d'Emma se dessine. Elle devient beaucoup plus intéressante que Vienna, engoncée, elle, dans ses vêtements d'hommes et ses mystères. Emma a droit à des plans fulgurants, parfois brefs comme lorsqu'elle attend sur le pont "ses" hommes parce que - trop pressée - elle a pris trop d'avance, parfois longs comme lorsqu'elle met le feu au saloon. Le message aussi se dessine: L'amour refoulé, ça fait faire des conneries, la justice expéditive, c'est pô bien. OK.


Dans l'ensemble, la redite de la confrontation dans le saloon et la scène du lynchage fonctionnent très bien, mais sont plombées par des incohérences mélodramatiques. Tom se fait descendre, et Vienna trouve le temps de lui parler gentiment, de lui expliquer qu'il n'est pas insignifiant alors qu'il était bien un personnage insignifiant dans le film (il s'appelle vraiment Tom d'ailleurs ?). Un genre de scène obligée alors que l'importance du personnage ne la justifiait pas, ça vous sort du film.
Et hop, à peine sauvée du lynchage, on remet ça dans les galeries de la vieille mine: "Je t'aime. Moi non plus. Je t'ai aimé jadis. Et toi? Mais vas-tu le dire boudiou?!" Zzzzzzz roôôo zzzzzzzz.
La dernière partie, là haut dans la montagne interdite, ressemble à du mauvais spagh. Un duel féminin, déjà, fallait oser. Les yeux sont exorbités, les machoires serrées à bloc. Mais la mort du Dancing Kid, c'est la cerise sur la gateau. Dans un spagh - pourvu de toute la distance ironique nécessaire - j'aurais applaudi. Ici, cela déssert le film. La limite est facilement franchie, dans un film au final baroque, entre l'apothéose des sentiments et le ridicule. La limite n'est pas franchie dans Duel au Soleil. Elle l'est ici, malheureusement, au regard de la réputation de l'œuvre ..


 Au final, malgré quelques passages que j'ai soulignés, j'ai aimé ce film. N'en déplaise à ceux qui détestent le genre, j'y ai retrouvé une atmosphère, une esthétique que l'on retrouvera plus tard dans le western européen. J'y ai aussi retrouvé, le jeu outré et les effets du muet. Malgré tout, le film avec ses effets de couleur, sa dramaturgie appuyée, son symbolisme lourdingue, démontre une sorte de modernisme qui a mal vieilli. Le film n'est plus le chef d'œuvre qu'il a été, mais n'en demeure pas moins une incontestable curiosité de grande qualité.



Images: USMC sur Western Movies

vendredi 19 août 2011

L'Homme qui n'a pas d'étoile

Man without a star
1955
King Vidor
Avec: Kirk Douglas, Jeanne Crain, William Campbell, Richard Boone, Claire Trevor

Classique du genre, avec la fin de l'Ouest et de ses riantes pâtures, l'arrivée du barbelé qui limite la liberté des uns et les troupeaux de plus en plus grands qui augmentent les profits des autres. Ce film narre la disparition des hommes simples, valeureux et fiers. Dempsey Rae (Kirk Douglas) le premier, vagabond et libre et à l'individualisme forcené, une constante chez Kirk. Il fuit, toujours plus au Nord, il fuit les barbelés et les complications. Mais bientôt il devra faire un choix, comme un genre de thématique Manniène chez King Vidor dont les personnages portaient également souvent cet individualisme auto-destructeur. Le contremaître (Jay C. Flippen) fait aussi partie de ces hommes à l'ancienne, droit, respectueux de ses voisins et des coutumes. Il se fait virer car il est un tenant du capitalisme paternaliste à l'ancienne et n'a pas assez l'obsession de la finance. C'est tout cela que conte L'homme qui n'a pas d'étoile, et bien sûr, malgré le cliché, on peut bien le dire: ce tout cela là résonne encore de nos jours.
Dans le genre classique, on a le droit aussi également, comme dit précédemment, au héros qui fait un choix. Après une première partie où Dempsey Rae évite soigneusement de choisir réellement son camp, il est obligé après un passage à tabac en règle de retrousser ses manches et de mettre leur pâtée aux méchants, c'est à dire tuer l'ignoble Richard Boone, l'homme de main sans scrupules. La fin trop vite expédiée masque le fait que si les petites mains ont eu leur leçon, la patronne (Jeanne Crain), elle, continue sans doute ses méfaits sans être inquiétée.
Toujours dans le canevas classique, on a aussi en magasin la relation d'un homme avec le frère ou le fils qu'il n'a jamais eu. Les séances de tir, les conseils, puis la prise de distance et l'oiseau qui s'envole du nid dans la mauvaise direction pour finalement revenir dans le droit chemin, le package est mené avec justesse. William Campbell, dans le rôle de l'oiseau, manque un peu de charisme néanmoins, et son amourette avec Claire Trevor est sans intérêt, autre que de voir Claire Trevor. L'érotisme sourd et tendu est à chercher ailleurs, dans la relation dominant/dominé entre Kirk Douglas et Jeanne Crain, sans que l'on sache d'ailleurs qui domine qui.
La violence des hommes ne fait pas dans la dentelle, surtout pour un film de 1955. Ils portent des cicatrices, ils se battent et tuent souvent (voir le petit rôle marquant de Jack Elam, dans cette introduction ferroviaire qui préfigure L'Empereur du Nord d'Aldrich). Pour autant, les scènes "baroques", à savoir le passage à tabac de Dempsey Rae, ou la baston finale, n'atteignent pas la frénésie délirante du final de Duel au Soleil. Bourreau de travail, Kirk Douglas avait un mois à tuer entre deux tournages, et en tant que producteur il embaucha King Vidor pour tourner ce film vite fait bien fait. La réussite du film, dans cette situation de précipitation et de rencontre entre deux personnalités aussi indépendantes et fortes, tient sans doute du miracle. Le fait qu'il ne s'agit pas encore tout à fait d'un authentique chef d’œuvre aussi.

Image: Abilène sur Western Movies

mercredi 17 août 2011

Mon petit poussin chéri

My Little Chickadee
1940
Edward F. Cline
Avec: W.C. Fields, Mae West

Présenté comme un western comique par le programme téloche, Mon petit poussin chéri est avant tout un "véhicule", un prétexte, pour réunir ces deux grandes stars du début du parlant: Mae West et W.C. Fields. A vrai dire, on voit bien comment a pu germer l'idée chez les producteurs: deux spécialistes des mots subtils, à double tiroirs, des sous-entendus graveleux, des one-liners à la Oscar Wilde, des petits jeux avec la censure, du mauvais goût et du cynisme, ça ne pouvait faire que des étincelles. Le résultat fut apparemment au-delà de toutes les espérances pour les producteurs, le film étant si l'on en croit wikipédia, le deuxième plus gros succès de l'année après Autant en emporte le vent.
Le résultat est tout autre pour le spectateur du vingt-et-unième siècle. Poussif, longuet, sans rien d'autre à se mettre sous la dent que le numéro de fleuret moucheté et de piques assassines que se lancent les deux vedettes, le film devient très rapidement ennuyant, à l'exception de quelques séquences burlesques (Mae West qui dégomme à elle seule toute une bande d'indiens belliqueux) et de quelques répliques bien senties qui restent franchement marrantes. Le coté vieilli du métrage est plus pesant que véritablement charmant, la mise en scène est totalement plan-plan, et le problème fréquent avec les films comiques de ces années là est le rythme, beaucoup trop lent à cause des effets appuyés qui s'étirent en longueur pour ne perdre personne en route. Une curiosité malgré tout, ne serait-ce que pour voir l'abattage des ces deux grandes stars des années 30 et 40.

mardi 16 août 2011

Les colts au soleil


The Man called Noon
1973
Peter Collinson
Avec: Richard Crenna, Stephen Boyd, Patti Sheppard


Les colts au soleil, on le sait, ça brille, ça fait pioeww, et ça fait virevolter tout un tas de figurants latins. Ici, point d'exception à la règle, Richard Crenna décanille du tireur (mal) embusqué à la pelle, voire à la fourche ou à la hache. Bacalov singe Morricone en plutôt bien, et on ne peut pas dire que ça dessert l'histoire. Ah oui, l'histoire. L'histoire, heuu l'histoire. On va juste reprendre le pitch alors. C'est un pistolero amnésique avec la voix de l'inspecteur Harry qui cherche à comprendre qui qui lui en veut et qui y'en a vouloir trahir lui et pourquoi, et kiséki qu'a caché le trésor d'un quart de million de dollars et où. En vérité, c'est encore plus tordu, et je n'ai pas cherché à comprendre, même Jean Van Hamme n'y retrouverait pas ses petits. La mise en scène est à tiroir, c'est à dire que chaque scène est censée être un moment clé, qui se trouvera être invalidée par la scène clé suivante. Quand on a compris le truc, on étend ses jambes, on se décontracte, et on n'écoute plus trop ce qui se dit. Ajoutons à cela que chaque personnage, aux motivations doubles, voire triples se la joue profond mystère avec phrases sibyllines à double ententes (voire triples), et vous vous retrouvez vite devant un produit dont le style est si ampoulé que la jubilation qui l'accompagne vous fait passer pour un extraterrestre. Dans le même temps, le réalisateur a fait le pari idiot de ne jamais placer sa caméra à l'endroit le plus évident pour la compréhension de la scène, non, chaque plan, chaque séquence se doit d'être filmée en plongée, en contre-plongée, avec tous les accessoires imaginables en avant plan. Le mec a dû passer des heures à repérer chaque anfractuosité de rocher à travers lesquelles il pourrait filmer. Je sais, ça fatigue, mais moi j'aime bien, surtout que pour se reposer, il y a les décors, la forteresse habituelle recyclée dans tant de spagh, d'improbables mines /grottes où qu'il fait bon se faire assiéger, et surtout il y a quelques belles invraisemblances qui agrémentent l'ensemble, tel ce stupide chef des méchants qui se fait écraser par une grosse pierre qui a le bon goût non seulement de lui foncer pile poil dessus, mais qu'il a en plus le bon goût de ne pas avoir le temps d'éviter, trop occupé qu'il est à tuer ses propres hommes qui eux ont le temps de fuir ladite pierre! Avec tout ça, on n'a plus trop le temps de remarquer l'artificialité des révélations de dernière minute (surtout qu'on s'attend à ce qu'elles soient invalidées la scène suivante, mais non, le dernier coup de théâtre est le bon), ni le ridicule surjoué du duel féminin. 
Bon, si vous avez un peu lu mes anciennes chroniques sur le spagh, vous savez que tous les défauts du monde ne suffisent pas à me faire passer un mauvais moment en compagnie d'un western européen. Celui-ci est plutôt de bonne facture, mais les spagh haters l'auront compris, ils peuvent passer leur chemin, bien que beaucoup de constituants de ce film soient anglo-saxons (les acteurs, le réalisateur, le roman d'origine). Les aficionados eux, aimeront, et pourront en prime repérer quelques second couteaux connus (Aldo Sambrell par exemple). Et merci ciné-classic!

Image: Rex-Lee sur Western Maniac

lundi 8 août 2011

La Prisonnière du désert


The Searchers
1956
John Ford
Avec : John Wayne, Jeffrey Hunter, Ward Bond, Harry Carey Jr. Nathalie Wood


Tout a été dit déjà sur ce film. Il n’y a qu’à lire les commentaires sur Western Movies ce mois-ci, le film est intouchable. Sa réussite tient au mystère des personnages, à la mysticité des lieux, à son message anti-raciste, à la beauté de ses plans, de ses non-dits, de toutes les qualités intrinsèques, extrasèques, archisèques, sous-textuelles, sur-textuelles, intra-textuelles, pré-textuelles, post-textuelles, bi-textuelles, constructivistes, déconstructivistes et post-modernistes de sa réalisation. Pourtant, passé la première demi-heure, l’ennui pointe et tire, le rythme s’affadit, ça devient barbant. Ce qui fonctionne en littérature (cette sensation du temps qui passe) ne marche pas aussi bien au cinéma : vertige de la quête, l’ellipse cinématographique anéantit la temporalité. Le début est formidable, haletant, tendu, fort bien tous ces non-dits, ces regards, ces caresses sur des vareuses, ces personnages cadrés dans des portes. OK, c'est du beau cinéma, mais ensuite? Deux fantômes errants, changeant de saisons, de pays, de costumes pour toujours revenir au même point ? On croirait presque par moment, un road movie des années 70, dont le but serait plus le cheminement en lui-même que le but à atteindre, avec Monument Valley en personnage à part entière. Alors oui c’est vrai, le final est magnifique, le mythique « Let’s go home Debbie », puis la porte qui se referme sur l’outcast Ethan, où le Duke vient de faire – cerise sur le gâteau – son petit hommage à Harry Carey, oui superbe, plus belle scène du septième art tout ça OK, je veux bien, n’empêche qu’avant ça on a eu une de ces abominables chansons que John Ford ne pouvait s’empêcher de placer ça et là dans ses films, on a eu une horripilante mexicaine avec ses castagnettes, on a eu l’exécrable séquence avec Look, la grosse indienne pataude, séquence sauvée in extremis par la découverte de sa mort qui remet du drame dans la grosse farce, on a eu un interminable mariage avorté qui retarde l’échéance, désamorce beaucoup de choses pour faire avancer des intrigues secondaires qui finalement n’ont pas tant d’importance que ça, bref on a eu du Ford de chez Ford comme on n’aime pas trop, à part chez les inconditionnels amoureux du vieux borgne.
Et pourtant dans tout ça, il y a toujours cette ambivalence, l’attaque finale qui s’apparente plus à un massacre (on voit peu de morts, mais on se rend bien compte que le campement est surtout composé de femmes et d’enfants, le Duke qui scalpe son homologue indien, pourtant tué par un autre, et Ward Bond, qui se fait féliciter au final alors qu’il n’a perdu apparemment aucun de ses hommes et que sa troupe hétéroclite a tout de la bande de mercenaires pas vraiment officiels), Ethan, le personnage du Duke, totalement perfide dans ses actes et sa froideur (Ne laisse-t-il pas le personnage joué par Harry Carey Jr. courir droit vers la mort, sans rien faire pour le retenir, ne risque-t-il pas sciemment la vie de Martin (Jeffrey Hunter) pour abattre ses poursuivants dans le dos ?) mais qui a ses sursauts d’humanité et d’amour pour son prochain, il y a ces blanches captives des Comanches, devenues folles – scènes glaçantes – et en même temps les morts indiennes, les scalps de Scar, vengeant ses fils, toute la richesse du cinéma de Ford qui prend l’Homme comme il est, et qui l’aime, dans toute la richesse de ses contradictions.

vendredi 29 juillet 2011

El Padre


El Padre
1981
Lambil et Cauvin


Quand j’étais petit, mon père affirma un jour que ce dix-septième album de la série des Tuniques Bleues était pompé sans vergogne sur La bataille de San Sebastian. Je n’étais pas d’accord à l’époque. Je ne le suis toujours pas aujourd’hui. D’abord, parce que si l’idée de départ du scénario a très probablement été inspirée par ce film, Cauvin n’a quasiment rien gardé d’autre de la trame originale. Pas de vaqueros avec un pied dans les deux camps, pas d’acheminement de munitions, mais à la place, deux bandes rivales, une otage et beaucoup d’action. Ensuite, Cauvin a suffisamment été pendant des années considéré comme la lie de la BD par la critique pour qu’on n’en rajoute pas une couche en inventant de faux procès pour plagiat. Les Tuniques Bleues est une belle réussite de Lambil et Cauvin, avec son background très bien documenté sur la guerre de Sécession (cette série n’est-elle pas d’ailleurs responsable du fait que la plupart des français connaissent mieux la guerre de Sécession que la guerre de 1870 ?), ses personnages attachants, le Sergent Chersterfield, buté, aux ordres, ridicule, mais droit et moral, le caporal Blutch, anti-militariste, lâche mais intelligent, et toute la ribambelle de seconds rôles, Stark en tête, et ses légendaires « Chargez ! ».
Les dessins sont également très réussis et Lambil parvient parfaitement à montrer la violence de la guerre sans être gore ni choquant. L’aspect semi-réaliste, avec décors, flingues à poudre noire, uniformes, chevaux et canons très précis et très travaillés mixés avec les gros pifs des personnages (et la bouche de travers de Blutch) rendent la BD à la fois très accessible et très sérieuse. Je me suis arrêté vers les albums 25 ou 26 il y a vingt ans environ, entretemps le duo a pondu 25 albums de plus, et il semblerait que la série soit devenue un brin répétitive. Mais cela ne m’a pas empêché de me replonger avec plaisir dans ce dix-septième album et de retrouver avec malice les attaques verbales ciselées de Blutch envers son supérieur.

mercredi 27 juillet 2011

La bataille de San Sebastian



1968
Henri Verneuil
Avec : Anthony Quinn, Charles Bronson
Un bon souvenir franco-italo-mexicain d’enfance de plus. Ennio Morricone se plagie lui-même, mais qui lui en voudra ? Le générique fait des arrêts sur images foudroyants sur sur des soldats virevoltants dans la mort, en pleine poursuite. Déjà, rien que ça, que demander de plus? Anthony Quinn trouve refuge dans une église, et elle est belle cette église scotchée à ses fondamentaux, l’église des gens d’en bas, la vraie église pauvre, humble et mythique des origines, qui prend la défense du peuple face au pouvoir des politiques, des armes et du grand clergé corrompu et déconnecté du monde. Henri Verneuil flatte les croyants là où ça fait du bien, tout en ne manquant pas de résumer la grande marche politique de la civilisation dans la bouche de Teclo : d’abord une maison, puis deux, puis vient une église, et après elle des soldats, et au bout du compte ils appellent ces terres les leurs et en refoulent les indiens. Le traitement de la religion à l’écran est rarement athée, toujours au mieux consensuel. Si Verneuil démonte la bêtise des miracles, si son héros n’est pas converti à la fin du film et si le réalisateur met l’emphase sur l’action plutôt que sur les pleurnicheries des prières (comme ce bien bon prêtre dans l’Aventure du Poséidon) il accrédite tout de même la force de la foi, il donne corps à une église bonne et soucieuse d’autrui, déconnecté du politique, alors que tout le monde sait que cette église là n’a jamais, ou trop rarement existé. Mais passons.
Verneuil se fait plaisir, et il nous fait plaisir. Il a du pognon (plein de figurants, des explosions, des armes, des décors), il a une excellente histoire (même si elle lorgne du coté des Sept) et il a des stars internationales, Anthony Quinn d’abord, impeccable en bandit au grand cœur, et Charles Bronson ensuite, trop rare (il n’a guère le temps de jouer avec son arc) mais également intéressant par sa révolte de métis éclairé. Et puis Verneuil a la chance d’avoir Morricone qui lui signe une excellente partition qui comme le dit Giré, rajoute du lyrisme à l’affaire. Verneuil est un des réalisateurs avec qui Morricone a bien fonctionné: plusieurs de leurs films (I comme Icare, Le Clan des Siciliens) acquièrent cette consonance particulière où musique et images se complètent et se transcendent. Et si Verneuil ne fait pas atterrir un avion sur une autoroute cette fois-ci, il nous offre une splendide bataille, très bien rythmée et qui n’a pas vieilli d’un poil. On apprécie certains plans, comme ce barrage s’écroulant, cadré entre deux arbres (bien que la surimpression soit devenue trop visible à nos yeux numériques du vingt et unième siècle), ou ces péons qui referment les portes en feu comme un tombé de rideau sur la fameuse bataille. On regrettera juste alors le manque de spécificité du produit, ni latin, ni américain, ni même français. Un pur produit international, sans identité derrière, mais avec tout de même une humanité, un premier degré et un refus de la sophistication qui font parfois défaut aujourd’hui. Mais tout cela reste à voir malgré tout, et cela me donne envie de revoir I comme Icare et Le Clan des Siciliens.
Image: USMC sur Western Movies

samedi 2 juillet 2011

Barquero

Barquero!
1970
Gordon Douglas
Avec : Lee Van Cleef, Warren Oates, Forrest Tucker, Mariette Harley


Tel Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche qui interdit, seul, en 1504, l’accès au pont de Garigliano à toute une armée, Travis (Lee Van Cleef) fait face, quasi-seul, à une armée d’outlaws sanguinaires et leur interdit de traverser une rivière, buté, borné, burné. Lee Van Cleef a les biscottos d’un chevalier, il a la lance des chevaliers (un interminable fusil de précision) prend la défense des faibles et porte un nom aux consonances moyenâgeuses. Face à lui, Remy (Warren Oates) et Marquette (Kerwin Mathews) aux noms qui fleurent bon également la vieille Europe, trépignent, jurent et s’énervent. Warren Oates est sapé comme le Prince Noir, le Bad Guy par excellence mais qui n’a pas totalement abandonné sa morale chevaleresque, en témoigne cette scène du massacre inaugural où il contrecarre le viol d’une habitante par l’un de ses hommes en tuant à la fois son mercenaire et sa (présumée) victime. On peut-être assassin de masse et ne pas prendre l'honneur des dames à la légère.
Mais avant d’en arriver là, à cette révélation d’un archétype par son contraire, Travis était l’outcast, le mec pas intégré, le type qui profite du poncif de la communauté en marche sans vraiment en faire partie. Il était Charon, faisant passer les colons de l’enfer de la civilisation au paradis promis des terres vierges et inexplorées de l’Ouest, alors même que certains (le révérend) envisagent une topologie exactement inverse, le paradis étant la civilisation en avant et l’enfer le monde des sauvages et des outlaws. La symbolique se précise pourtant lorsque Remy arrive avec sa horde sauvage par le mauvais coté de la civilisation, style cancer des colons. Travis devient alors bel et bien le gardien de ce paradis face aux foudres de l’enfer, même si d’une part les colons qui l’accompagnent sont eux-mêmes un poil corrompus, et si le lieu géographique de l’enfer évolue au gré de l’histoire et des transferts de population en barge ou en radeau. Dans tout ça, Warren Oates fait du Warren Oates, pète les plombs, tue symboliquement la rivière, mère nourricière mais castratrice du fait qu’elle l’empêche d’atteindre son but, et Lee Van Cleef fait du Lee Van Cleef, c'est-à-dire qu’il fume sa pipe en plissant des yeux, et ça suffit, bordel de merde, à en faire l'un des acteurs de western les plus marquants de toute l’histoire du cinéma.
Avec sa barge, Lee Van Cleef bâtit également un point de passage entre le western américain et le western européen. Comme le dit Tavernier en bonus, Gordon Douglas absorbe les influences sans maugréer, digère le tout et en ressort un produit fini pas dénué de qualités. Les thèmes de la frontière en mouvement et de la civilisation en marche cohabitent joyeusement avec la violence à outrance et l’absence de morale des outlaws, sans bien sûr que cohabiter signifie se compléter. Le tout paraît en effet un poil bancal, la violence al’italiana semblant plaquée par effet de mode sans le cynisme transalpin qui relève habituellement la sauce, et les grands mythes américains en paraissent du coup superficiels. Mais peu importe, malgré une légère baisse de rythme au milieu, le film tient fort heureusement bien le coup, à l’aide également d’une bonne musique et de seconds rôles très bien construits, comme le français Marquette et son dandysme de façade, l’homme des bois Mountain Phil (Forrest Tucker) et sa truculente bonhommie mangeuse de fourmis et l’énigmatique Anna Hall (Mariette Harley) femme intelligente, libre et cultivée, qui va chercher encore plus loin que Bayard ou Charon pour qualifier Lee Van Cleef, en le traitant purement et simplement d’homme préhistorique. A voir ou revoir pour ceux qui auraient jugé la chose un peu précipitamment à l’époque de sa sortie.

vendredi 20 mai 2011

Rio Conchos

Gordon Douglas
1964
Avec: Richard Boone, Stuart Whitman, Jim Brown, Edmond O'Brien, Anthony Franciosa




Je voulais voir Rio Conchos depuis longtemps, depuis que j’avais lu dans le guide des films de Jean Tulard une phrase qui, à propos de Pour une poignée de dollars, disait à peu près ceci : «La même année sortait Rio Conchos, et personne ne cria au génie, allez comprendre… ». Ah ça, ça vous pose un film, hein ? J’imagine le petit rédacteur allergique au spagh, obligé de pondre une notule de trois lignes sur Pour Une poignée de dollars, et qui se dit, voyons, qu’est ce qui est sorti en 1964 comme western américain et qui vaut à peu près le coup ?
Rio Conchos, de Gordon Douglas donc. On connait Gordon Douglas pour son film de petites bêtes qui deviennent grosses (Them !) et pour son remake de Stagecoach (La diligence vers l’Ouest) qui tient le coup mais sans plus. Mais ses autres westerns (Le trésor des sept collines, la charge sur la rivière rouge, Chuka le redoutable…) nous sont inconnus (ouais, quand on veut faire sérieux, on dit « nous » au lieu de « je ». Bon sur un blog, c’est point grave, mais si vous voulez écrire un bouquin, mettez « nous », genre on est toute une bande de spécialistes aguerris à plancher sur le western, même si vous êtes tout seul à suer pour recouper vos fiches et vos DVD…), mais il paraît que Gordon Douglas est un artisan talentueux et que Rio Conchos est son meilleur film. Alors commençons par celui-là. En tout cas, tout comme Major Dundee tourné la même année (avec lequel il partage cette trame du périple qui part en couilles), il est la preuve que le western américain avait commencé sa mutation bien avant l’arrivée de la déferlante spagh, histoire de contrer une idée reçue selon laquelle le spagh aurait forcé le western américain à évoluer. (Mais qui se soucie encore de ces fadaises de nos jours ? Les nouveaux venus qui tombent dans le western consomment tout ce qu’ils trouvent avec le même bonheur, et c’est tant mieux.). Personnages non schématiques, torturés, violence fréquente, sauvagerie, l’Ouest et son mythe en prennent déjà pour leur grade en 1964. Tom Mix et Buck Jones sont déjà partis loin, et on ne les reverra plus jamais, car cela fait cinquante ans maintenant qu’à chaque fois qu’un western sort, on affirme haut et fort qu’il déboulonne le mythe de l’Ouest sauvage ! Coños, l’Ouest démystifié avec sa sueur et sa poudre est devenu un mythe à lui tout seul.



Dans Rio Conchos, les personnages sont cyniques (en particulier Richard Boone), ils ont la trahison facile et la gâchette ou le couteau chatouilleux. Même Stuart Whitman, le fadasse bellâtre des Comancheros, compose ici un militaire dont la mauvaise conscience lui file des aigreurs d’estomac. Et comme c’est un nordiste, on lui colle un sergent noir (l’athlétique Jim Brown dans son premier rôle) dans les pattes. Le quatrième larron est le latino Anthony Franciosa à l’irritante séduction, mais qui a le bon goût comme le dit Bertrand Tavernier dans le bonus du DVD d’échapper au stéréotype du greaser. Le casting est complété par l’incroyable Edmond O’Brien en gradé sudiste qui comme il se doit refuse la fin de la guerre, pète un câble, est atteint de la folie des grandeurs et agit comme un exalté. Le scénario est tout bonnement excellent et imprévisible. Même si le canevas de base (une mission pour récupérer un chargement d’armes) est tout ce qu’il y a de plus banal, on parvient rarement à deviner ce qui va se passer ensuite jusqu’au baroque finale.
Bien sûr, à cause de Tulard, je n’ai pas pu m’empêcher de comparer Rio Conchos à Pour une poignée de dollars. Ce film, aussi visuellement intéressant et ambitieux qu’il soit, peut-il être à la hauteur de la claque du maestro italien ? Pour moi, la réponse est non, mais je n’ai pas pu m’empêcher de noter une foultitude de détails qui plairont aux accros du spagh. En premier lieu la belle musique de Jerry Goldsmith qui préfigure les chtouigs Morriconiens. Ensuite cette scène inaugurale, où la vue en plongée sur Richard Boone sous son chapeau qui décanille des indiens évoque… Django. Sans parler de la violence qui ne fait pas dans la dentelle, de la sueur palpable, des esprits torturés, tout cela montre à nouveau que le western transalpin n’a rien inventé, mais plutôt catalysé une évolution en marche. Et d’ailleurs, prochainement si tout va bien, je vous causerai de Barquero.

vendredi 13 mai 2011

Ce vieux John Wayne... (2)

On commence ce deuxième aperçu de la carrière tardive de John Wayne avec le très réputé El Dorado. Ce film ne peut pas vraiment être classé dans les « John Wayne vieux ». L’acteur n’a alors que 59 ans et il tient encore parfaitement la route, sept ans après Rio Bravo. Pourtant, Howard Hawks ironise déjà de façon fracassante sur l’inexorable décrépitude de son héros : handicapé par une balle dans le dos, le Duke est forcé de conclure le shoot out final avec un bras paralysé. L’image de fin qui le voit boiter de concert avec l’excellent Robert Mitchum est dans toutes les mémoires. Hawks réédite son exploit de Rio Bravo, sens du timing, de l’action, sens de l’humain, sens de l’humour, El Dorado est une perle que l’on revoit toujours avec plaisir et dont on connaît les plans par cœur (attention, Mississippi va faire choir la pancarte sur un méchant !). Il est juste un poil en-deçà de son illustre prédécesseur parce qu’il manque un bon petit Degüello pour faire vibrer notre corde opératique, mais par contre, l’absence du My rifle my pony and me remplacé par une hilarante concoction anti-gueule de bois penche plutôt en sa faveur.



Trois ans plus tard, Wayne ne tient plus la route dans Rio Lobo. Grossi, bouffi, vieilli, il fait peine à voir avec sa bedaine qui dépasse de son ceinturon. Howard Hawks en joue et le fait traiter de « confortable » par la donzelle de service. Hawks lui-même est moins en forme également. La longue introduction en pleine guerre de Sécession est censée donner de la matière à l’amitié entre le Duke et les deux sudistes, mais elle a pour effet de dédramatiser le drame qui se joue ensuite à Rio Lobo (y compris la peu crédible vengeance), alors que dans Rio Bravo et El Dorado, les non-dits sur le passé des protagonistes renforçaient au contraire leurs zones d’ombre et leurs personnalités ; tandis que la dramaturgie pouvait prendre toute son ampleur. En outre, le fade Jorge Rivero n’est pas Robert Mitchum, le passage par la case prison est réduit au strict minimum, et le traitement « bonne humeur » des scènes d’action en désamorce la portée. Pourtant cette bonne humeur communicative est plutôt à porter au crédit du film, tout comme la très belle musique de Jerry Goldsmith (inclut l’excellent générique de début), la performance exaltée de Jack Elam qui a la meilleure ligne du film (« You don't mind if I shoot, do you? It makes me feel better. ») et l’attaque de train très bien menée. J’avais peu de souvenirs de ce film à part la double détente du deux-canons de Jack Elam liée avec du fil de fer et la winchester du méchant qui lui explose à la gueule. Je croyais me souvenir qu’il en mourrait, mais non, une des multiples jolies filles du film vient accomplir sa vengeance. Dommage, un méchant qui se tue tout seul, sans l’aide du gentil, cela aurait été une belle fin ironique pour ce dernier western du maître Hawks.



John Wayne apparaît paradoxalement plus vieux, mais plus en forme dans Cent dollars pour un Shérif (True Grit) tourné pourtant quelques mois auparavant, et que je me suis finalement décidé à revoir. L’acteur reçoit alors un Oscar pour son rôle de Rooster Cogburn, et tout le monde s’accorde pour dire que l’oscar récompense sa carrière plutôt que son jeu d’acteur dans ce film. Pourtant, il faut bien avouer que parmi tous les westerns de la fin de sa carrière, c’est bien dans celui-là que John Wayne est le moins John Wayne. Jurant, buvant, borgne et pitoyable, l’acteur en fait des tonnes pour donner de la matière à son personnage, et ça marche plutôt pas mal. Henry Hathaway filme avec talent et application une histoire convenue dont le principal ressort dramatique est la présence dans les basques du Duke d’une jeune fille qui n’a pas froid aux yeux (Kim Darby). Puisque le remake des Coen est encore chaud dans les mémoires, on ne peut s’empêcher de constater que Hathaway a mis plus de chaleur et d’humanité dans son film sans gommer totalement le cynisme du livre. Mattie est certes la même jeune fille débrouillarde et calculatrice, mais son attachement pour son défunt père est visible au contraire de la Mattie des Coen qui apparaît alors comme un véritable robot. La scène des serpents bien sûr est moins percutante que dans ma mémoire (d’ailleurs il n’y a qu’un serpent) mais quand même sacrément angoissante. A la fin, le Duke saute à cheval par-dessus une barrière. C’est beau.



En 1975, John Wayne fait encore bonne figure dans Une bible et un fusil (Rooster Cogburn) tourné par Stuart Millar. Malgré le coté attachant de ce film conçu comme une suite au film de Hathaway, l’opportunisme de la chose apparaît trop clairement pour totalement adhérer à l’entreprise. Les scènes du bouquin de Charles Portis non exploitées dans Cent dollars pour un Shérif se retrouvent traitées ici (le lasso pour empêcher les crotales d’approcher, le tir sur les galettes de maïs – scènes que l’on retrouve d’ailleurs dans le film des frères Coen) un peu en décalé. L’association Wayne Hepburn paraît beaucoup trop artificielle pour fonctionner pleinement et les appels du coude en direction de African Queen sont bien trop constants pour amuser. Ajoutons à cela des méchants plutôt insipides, un suspense inexistant malgré la présence de nitroglycérine et un jeune indien sans beaucoup de relief, et on se retrouve bien en deçà du film de Hathaway. Malgré tout, la bonne humeur de l’histoire suffit amplement à éviter la lourdeur et l’académisme de la plupart des « John Wayne vieux ». Si vous voyez Cent dollars pour un shérif, ça ne vous fera donc pas de mal de voir celui-ci dans la foulée. En rayon, il me restera à vous parler de Big Jake, des Géants de l’Ouest, des Cordes de la potence et du mythique Dernier des géants pour clore ce tour d’horizon mi-complaisant mi-agacé du crépuscule westernien du Duke. Mais ce sera pour une prochaine fois, il ne faut pas abuser des bedaines d’armoires à glace, fussent-elles confortables.

Images: USMC, Laurent, Jicarilla sur western movies