samedi 30 juin 2007

Une corde, un colt


Un Western Cocorico tout simplement réussi.
Cimitero senza croci
1969
Robert Hossein
Avec: Robert Hossein, Michèle Mercier


La belle Maria (Michèle Mercier) voit son mari pendu sans autre forme de procès par la famille Rogers, qui fait la loi dans la région. Elle fait appel à Manuel, pistolero solitaire, pour se venger. Sa vengeance est une vengeance d’honneur, une vengeance qui n’appelle pas le sang, mais plutôt l’humiliation. Mais les anciens associés de son mari essayent de pervertir le processus en cherchant l’argent également. Bien sûr, la poudre finit par parler…



A plus d’un titre, Une Corde, un Colt est un bon petit western spaghetti qui fait honneur au genre. D’abord parce que les codes sont présents et respectés, sans chercher à les détourner ou à les expliciter d’une quelconque manière. Robert Hossein campe un pistolero mystérieux assez convaincant. Il tire de la main gauche et porte un gant noir à la main droite qui lui permet d’actionner le chien très vite pour accélérer sa cadence de tir. Et les scènes de tir que l’on pourrait trouver trop rapides (les bouteilles cassées, le duel final) s’expliquent de cette manière. Manuel mâchouille son cigare, ne parle quasiment pas et porte la barbe de trois jours règlementaire. Il possède en outre un regard de chien battu qui rappelle Jean-Louis Trintignant dans Le Grand Silence. C’est sans doute la marque de ces acteurs français de faire transparaître l’humanité et la mélancolie de leur personnage, même quand le rôle ne s’y prête à priori pas. On peut aussi rétorquer qu’ils n’ont pas la carrure, mais cela est un autre débat. Le thème de la vengeance, la soif omniprésente de l’argent, les poursuites, les dialogues très rares et la musique d’André Hossein ne nous trompent pas, nous sommes bien dans un western spaghetti, avec son passage à tabac agrémenté de whisky versé sur les blessures vives (ouch), avec ses morts violentes et ses cadrages biscornus dans le désert aride, avec son village fantôme, comme un mirage dans le désert. Tout est là et la pesanteur du non-dit et la force des regards poussent les hommes à la tragédie, dont tout le monde connaît l’issue à l’avance.


Mais Une Corde, un Colt est aussi un film qui ménage quelques surprises. Que l’on ne s’y trompe pas, le personnage principal n’est pas Manuel, mais Maria. C’est elle qui est à l’origine du carnage, c’est elle qui agit. Qu’un western puisse avoir pour moteur de l’action une femme, et non pas un trésor ou un héros meurtri, voilà qui est peu commun dans le western européen et dans le western tout court. Si peu commun en fait que cet aspect du film ne transparaît pas immédiatement, c’est seulement une fois le film vu que l’on réalise que Michelle Mercier est au fond la star du film, comme si Hossein n’avait en définitive pas eu le cran d’annoncer : « ceci est un western de femme ». L’autre personnage féminin, la fille des Rogers, n’a d’ailleurs pas non plus un rôle négligeable, puisque c’est elle qui tire la dernière balle. Et la dernière balle tue …
Autre aspect peu courant dans le western spaghetti que Hossein a plus ou moins tenté d’introduire sans trop le dire : l’Amour. On découvre petit à petit et in fine que Manuel et Maria s’aiment depuis longtemps sans se l’avouer (faut dire qu’ils ne se parlent pas beaucoup…). Malheureusement le ressors dramatique et tragique que l’on aurait pu tirer de cet amour raté est largement sous-exploité, comme par peur de ne pas faire assez spaghetti. Pourtant des films comme Le Dernier des salauds montrent que « histoire d’amour » et « western spaghetti » ne sont pas deux termes antithétiques. Malgré tout, il est agréable de découvrir que le pistolero ténébreux n’est pas uniquement un robot, mais qu’il est également humain. Les deux ex-associés de feu le mari de Maria sont aussi intéressants. Loin d’être de simples canailles sans foi ni loi, ils cherchent à tirer parti de la situation pour s’enrichir. Mais ils savent aussi respecter les termes d’un marché, et il ne leur vient même pas à l’idée de garder la part qui revient à Maria. C’est par contre du coté des méchants que le casting pêche un peu, les méchants ne sont tout simplement pas assez méchants. Ils font certes planer la menace de mort à tout instant, mais sans démesure, sans folie, sans éclat. Dommage!
Enfin, comme souvent dans ces productions, on trouve quelques scènes qui détonnent, inattendues voire incompréhensibles. Il s’agit bien sûr de la scène du repas, drôle, aux incroyables bruitages, et qui renforce encore le coté humain de Manuel, tout en achevant un peu plus la non-crédibilité des Rogers en tant que méchants de service. Il s’agit également du viol de la fille des Rogers. Quid, why, what for, porque ? Pourquoi Manuel laisse t-il faire ? Que signifie ce long échange de regards entre Manuel et Maria pendant que les deux autres accomplissent leur basse besogne ? Quelques non-dits, quelques mystères qui pimentent un peu plus un plat de spaghetti déjà pas mal gouteux.


Où le voir ? : Il est passé sur Canal+ au Cinéma de Quartier. Merci à la personne de Western Movies qui m’a prêté son enregistrement.


Rumeur 1 : une rumeur affirme de source sûre que Sergio Leone joue le rôle du tenancier de l’hôtel, du barman du Saloon et du patriarche des Rogers. Il paraîtrait aussi que Leone a tourné la scène du début, la plupart des scènes du milieu, la scène de la fin, ainsi que la scène du repas, la scène des baffes et la scène de la pissotière !!!!! Mais cela reste à vérifier !!!!!!!
Rumeur 2 : Selon la cousine de l’arrière grand-mère de Dario Argento, qui a participé au scénario, Robert Hossein passait plus de temps à chercher à coucher avec l’ensemble du personnel féminin de la production et du casting, au lieu d’essayer de faire un bon film. Bien sûr, on attend avidement la confirmation de Robert Hossein lui-même sur ce point!!!!!!!!!!!

Le Grand McLintock



Un DVD Bach film à fuir…

Andrew McLaglen
1963
Avec : John Wayne, Maureen O’Hara, Patrick Wayne

Le rancher McLintock est puissant, craint et respecté dans toute la région. Heureusement comme c’est de John Wayne qu’on parle, ce n’est pas un enfoiré d’ultra-capitaliste motivé par le seul profit. Il paye bien ses hommes, il est juste, un peu rustre, un peu ivrogne et cool. Tout va bien en somme, sauf qu’il est marié.

 
Quand le Duke joue les patriarches paternalistes, on sait qu’on va à la fois s’amuser du jeu de l’acteur et s’énerver de voir la glorification du mythe, sans accroc, sans défaut, sans zone d’ombre. On n’y coupe pas ici, Wayne est l’homme fort de la région qu’il possède presque entièrement, tout le monde le craint, pourtant il respecte ses employés, il respecte son cuistot chinois, il protège son employé indien, il prend la défense des indiens, il respecte l’ordre et la loi du shérif en place, il embauche un jeune gars qui vient de le frapper et dans sa grande bonté d’âme, il file un job à la mère du jeune homme par la même occasion. Autant de politiquement correct, ça filera des bourdonnements d’oreille même au plus fervent défenseur de la discrimination positive ! Mais John Wayne, ça reste quand même John Wayne qu’on le veuille ou non. Dans ce western comique, on le voit ivre jeter son chapeau sur la girouette de la maison, ivre tomber quatre fois du même escalier et sobre, donner la fessée à Maureen O’Hara dans une scène célèbre qui est l’apothéose du film. Entre-temps, on assiste également à une gigantesque bagarre dans la boue, sous les yeux incrédules des indiens. Que du bon en somme !McLintock semble donc être un western plutôt recommandable dans le genre bonne humeur communicative, du John Wayne propre et sans tâche. Mais pour apprécier le film, encore faudrait-il que le DVD qui le contienne soit autre chose qu’une bouillie numérique infâme, pourtant vendue 12€99 dans les magasins Cultura de nos provinces. Passons sur le fait que l’image soit recadrée, ce qui devrait normalement suffire en soit pour s’abstenir de voir un film. L’image soit disant restaurée à partir d’un master 35 mm est absolument hideuse, parfois floue, parfois douloureuse pour les yeux. Inutile d’en rajouter dans les qualificatifs médiocres, ce DVD est à piétiner dans l’enceinte même du magasin où vous le verrez !

Un petit bonus nous présente la machine PhC de Snell & Wilcox associée au logiciel de restauration d’image développé par l’INA. Cette merveilleuse machine permet de restaurer quasiment en temps réel les rayures et salissures des archives et films qu’on lui donne à manger. La présence de ce bonus dans le DVD laisse à entendre que PhC a été utilisé pour restaurer McLintock. De deux choses l’une, soit l’opérateur a laissé tous les paramètres par défaut et a laissé tourner la machine pendant qu’il prenait un (long) café, soit le master d’origine était vraiment pourri et le travail effectué est génial. Mais dans tous les cas, ce n’est pas vraiment une bonne pub pour l’engin, au regard des résultats obtenus sur les vraies restaurations de si nombreux films (Les Leone, les Peckinpah etc…)

dimanche 24 juin 2007

5 hommes armés


Un Esercito di Cinque Uomini
Italo Zingarelli
1968
Avec : Peter Graves, James Daly, Bud Spencer, Nino Castelnuovo, Tetsuro Tamba

Un mercenaire qui se fait appeler « Le Hollandais » (Peter Graves) sort quatre de ses anciens complices des trous pourris où ils officient afin de dévaliser un train rempli d’or. Il y a là un expert en explosif, un acrobate, un homme très costaud qui mange les burritos par douze (Bud Spencer) et un samouraï qui manie très bien le couteau. Et il faut au moins ça pour piller en toute délicatesse un train protégé par un canon et des mitrailleuses.

Les westerns nous enchantent souvent par le truchement de scènes insolites où d’éléments à priori « anachroniques » qui ne collent pas avec l’imagerie « western » inscrite dans l’imaginaire de tout un chacun. Cela va du vélo dans Butch Cassidy et le Kid à la voiture dans La Horde Sauvage en passant par les ornières d’engins de chantier dans les carrières à ciel ouvert des films de Demofilo Fidani. Cinq hommes armés ne fait pas exception à la règle, comme dans tout western Zapatta qui se respecte, des voitures apparaissent de ci de là, ainsi qu’un camion utilisé pour transporter l’or volé. Mais le western italien aime aussi souvent surprendre en inscrivant ses personnages dans des décors ou des situations inattendues dans le cadre du western. Cinq hommes armés débute sur Bud Spencer en train de nourrir des poules avant qu’il se fasse recruter pour le casse à venir. Le complice suivant est embauché alors qu’il est en train de jouer au poker avec des mineurs, la gueule pleine de suie, au pied des mines. Encore une fois c’est du détail, mais la même scène tournée dans un bête saloon aurait manqué de charme.
Le recrutement des quatre protagonistes ne traîne pas, on a là une bonne brochette de types à qui on ne la fait pas, le genre de mecs qui règlent leurs montres sur le détonateur d’une charge de dynamite, qui se faufilent doucement derrière un soldat assoupi, et font leur boulot sans état d’âmes sans oublier d’utiliser de façon optimale les capacités propres de chacun des membres de l’équipe. Vous l’aurez saisi, surtout si vous avez déjà lu le Giré ou autre, on est davantage dans le cadre de Mission : Impossible la série que Mission : Impossible le film. Ici, malgré un bon nombre de confrontations brutales et sanglantes, l’essentiel du boulot se fait à pas feutré, en douceur, pour escamoter un wagon d’un train tout en subtilité, sans éclat et sans bruit. La production ne manquant pas de moyens, le résultat est spectaculaire à souhait ! Même avec la plus mauvaise foi initiale, le spectateur finira bien lui aussi, avec les acteurs, par sauter d’un wagon à l’autre, escamoter un garde, le remettre d’aplomb pour faire croire qu’il est encore vivant et trouver une solution aux problèmes qui se posent en cours de route.

Car bien sûr, chacun des protagonistes merde à un moment où à un autre. L’artificier échappe l’un de ses petits bricolages destinés à étouffer le bruit des détonations. Qu’à cela ne tienne, Le Hollandais lui trouve une solution de rechange. Bud Spencer est malheureusement retardé dans sa besogne par un groupe de soldats, et se retrouve à monter un aiguillage de chemin de fers, en entier, from scratch en quelques minutes et à la force seule de ses bras. On pourrait nous suggérer la scène et nous épargner les détails, mais non, chaque élément est monté l’un après l’autre et c’est juste à temps que Spencer visse le dernier écrou. Mais le plus spectaculaire est la course effrénée du samouraï (Tetsuro Tamba) pour rattraper le train duquel il vient de tomber. Filmé de manière banale, la scène aurait juste montré l’homme courir comme un dératé, un peu comme Tom Cruise qui galope comme un lapin dans Minority Report, avec une tension qui monte de plus en plus au fur et à mesure qu’il s’approche du train. Pas de ça ici ! Notre samouraï commence d’abord par perdre deux secondes pour réfléchir, puis il s’élance, mais pas du tout en direction du train, il part en galopant sur sa gauche– un peu comme Tom Cruise dans La Firme - de sorte que l’on se dise « l’intelligent sabreur prend un raccourci ». C’est un peu ça mais en beaucoup plus compliqué, car il doit prendre en compte la topographie du terrain, de sorte qu’on n’est même plus sûr que c’est après le train qu’il courre, quand, au détour d’un plan on voit Peter Graves dans sa loco en train d’observer son samouraï cavaler comme un malade quelques kilomètres plus loin, en amont. Peine perdue, le samouraï se retrouve quand même derrière le train, et là on a finalement droit à la course effrénée avec son pote qui lui tend le bras pour le faire monter, et tout le suspense qui va avec.

Coté action, nous voilà donc servi, d’autant que ces petits morceaux de bravoures ne nous dispensent pas de scènes plus classiques à base d’évasion, de gradé mexicain sadique et de trucidage en règle de plusieurs dizaines de soldats mexicains qui ne sont d’ailleurs là que pour ça.
Rayon « sous-texte », caractérisation psychologique des personnages et critique de gauche de la politique extérieure américaine, c’est par contre un peu le désert. Il y a bien le petit discours de l’artificier sur la fin du romantisme et des « vrais » hommes, mais ça sent un peu le remplissage en comparaison avec La Horde Sauvage dont c’est le thème principal. La confrontation finale entre « Le Hollandais » et ses idéaux révolutionnaires - sa vengeance qui tombe comme un cheveu dans la soupe - et l’appât du gain de ses coéquipiers ne convainc pas vraiment. Mais tout cela est racheté par la magnifique musique d’Ennio Morricone, parfaitement mise en valeur lors d’une scène d’exécution publique où la foule nombreuse chante à l’unisson pour soutenir le condamné. On assiste aussi à un bel exode de toute la population d’un village. C’est très beau, et c’est pour cela aussi que Cinq hommes armés est un très bon film.
Le film est passé en 1987 environ sur une chaîne Hertzienne (mais oui…). Il a été rediffusé il y a quelque temps sur le satellite, merci au chasseur de prime du forum Western Movies qui m’a permis de le revoir…

La mort au large


Au moins les requins italiens, c’est pas des voleurs…


L’Ultimo squalo
1981
Enzo G.Castellari
Avec James Franciscus, Vic Morrow, Micaela Pignatelli, Joshua Sinclair


Quelque part sur la côte Ouest des Etats-Unis, une petite station balnéaire est terrorisée par un requin en plastique. Malgré tout, la petite course locale de planche à voile aura bien lieu.


Les amateurs de western spaghetti connaissent bien le nom d’Enzo G.Castellari, réalisateur d’un certain nombre de westerns, dont le merveilleux Keoma. Il connaissent aussi les frères De Angelis, auteurs de la non moins merveilleuse musique de Keoma (pour quelques uns en tout cas…). Les voir ici tous réunis pour un film de requin devrait logiquement au moins attirer leur attention, ce qui fut mon cas.
Six ans après Spielberg, Castellari met donc son talent de faiseur au service d’un quasi remake des Dents de la mer 1 et 2 avec même plagiat par anticipation du 3 en ce qui concerne la mort du bestiau. Avec un requin un peu moins réussi, un Quint un peu moins loup de mer, un politicien véreux un peu moins enfoiré, un journaliste qui se fait frapper par le héros on ne sait pas trop pourquoi, mais des scènes d’action qui vont beaucoup plus loin dans le grand guignolesque. Quitte à bouffer un hélicoptère, autant couper d’abord en deux le mec suspendu en l’air (qui ne lâche même pas prise…) ! Quitte à s’attaquer à la fille du héros, autant lui bouffer la jambe mais la laisser vivre, de façon à rajouter un peu de sadisme à l’histoire ! Quitte à attaquer une planche à voile ou une embarcation légère, autant leur faire faire des bonds de trois mètres à chaque fois !
Mais tout disposé que j’étais à l’avance à railler ce film, je dois bien avouer que j’ai été singulièrement épaté par un certain nombre de scènes particulièrement réussies et par l’absence totale de crainte du ridicule du cinéaste. Castellari n’a peur de rien, et il ne nous vole pas : il fait vraiment au mieux avec son modeste budget. Là où certains auraient pu prendre le manque de moyens comme prétexte pour faire un film tout en suggestion, Castellari ne se cache pas dans le sable et part du principe qu’une scène d’action ratée vaut mieux que pas de scène d’action du tout. Ainsi la scène d’anthologie est-elle celle où le requin emmure vivants nos deux héros dans une grotte sous l’eau, à coup de museau dans la rocaille! En outre, certaines scènes sont malgré tout très spectaculaires, par exemple lorsque le requin fait chuter tous les véliplanchistes les uns après les autres, comme un chien dans un jeu de quilles. Le ponton à la dérive avec quatre ou cinq personnes dessus et un caméraman qui se fait couper en deux (encore un…) offre un moment de tension assez efficace, même si le spectateur doit s’accommoder d’un requin plastiquement assez réussi mais beaucoup trop statique pour être crédible ! (En plus qu’est ce que c’est que ce requin qui sort de l’eau et ouvre la gueule à chaque fois avant d’attaquer ?).






Les frérots De Angelis composent une musique bien prenante, bien que moins mémorable que celle de Williams. Castellari s’offre un final avec une petite musique douce de piano violonneux, à contre-emploi, qui sans désamorcer la tension, provoque une certaine mélancolie et fait du passage obligé de la mort du requin une des meilleures scènes du film. Tout comme les italiens ont rendu les duels de western poignants grâce à la musique, Castellari et les frères De Angelis font de l’explosion du requin un moment d’extase douce, où la musicalité est surlignée par des ralentis sur fond d’océan infini. Cette scène fait en outre écho à la scène initiale ou le pseudo-Quint découvre médusé un bout de planche à voile déchiqueté.
Et oui, comme pour les westerns spaghetti, il suffit parfois de trois ou quatre petits détails bricolés avec amour et conviction pour faire d’un film méprisé par l’intelligentsia un petit film cher à son cœur.
Si un soir vous hésitez entre Navarro et Capital, passez vous plutôt La Mort Au Large. C'est plus con, mais c'est moins malhonnête!

Quelques épisodes d'Au nom de la loi



Wanted : Dead or Alive
Avec Steve McQueen
1958 – 1961


La chemise bleue colorisée impeccablement repassée, la voix monocorde, Steve McQueen marche lentement vers sa destinée, la winchester canon scié le long de sa jambe, engin qui doit diablement le gêner quand il doit enjamber une barrière. Retour sur quelques épisodes de la Saison 1, avec plein de spoilers, mais qui aujourd’hui n’a pas vu cette série ?


4 – Signes de piste (dead end)
Josh Randall (Steve McQueen), le chasseur de prime le moins patibulaire de l’ouest, est engagé par un rancher infirme pour retrouver Juan Portilla, l’un de ses hommes, accusé d’avoir volé 10 000 dollars. Mais la fiancée de Juan, ainsi que son père Luis sont persuadés que Juan n’est pour rien dans cette affaire. Josh a beau répéter que si Juan est innocent, il n’a rien à craindre de lui, Luis décide quand même d’accompagner Josh dans sa quête, en essayant accessoirement de ralentir Josh le plus possible pour laisser le temps à Juan de fuir. La suite se complique passablement, Juan étant en fait mort, et le patron du ranch n’étant finalement pas si infirme que ça. Après quelques coups de winchester de la part du ténébreux Randall, Luis renonce à une vengeance facile, car elle ne lui rendrait pas son fils.
Où l’on apprend donc que Josh Randall n’est pas un chasseur de prime sans foi ni loi, car la vérité lui importe beaucoup. Il n’aime pas qu’on lui mette des bâtons dans les roues, et il échappe de peu à la mort. Le Luis en question est joué avec conviction par Joe De Santis


5 – Coup de poker (Shawnee Bill)
Josh Randall aime jouer gros, et il se fait rouler par l’atypique bandit Shawnee Bill (Alan Hale). Celui-ci lui vend en effet l’endroit où se trouve le Shawnee Bill en question, pour 1000 dollars, sans lui dire qu’il est lui-même Shawnee Bill. Quand il découvre la combine et qu’il a perdu 1000 dollars, Josh Randall, un peu énervé tout de même, décide d’emmener Shawnee Bill dans l’état où celui-ci est recherché. Mais la route est longue et semée d’embûches, en particulier un métis qui recherche aussi Shawnee Bill et que Randall a bien du mal à semer. Finalement Shawnee Bill se fait descendre et Randall apprend qu’en fait et ben c’était un chic type. Dépité, il décide de ne pas réclamer la prime.
Où l’on apprend donc que Josh Randall est loin d’être invincible quand il échoue misérablement à protéger Shawnee Bill, et quand avant ça il a eu l’air d’un con face au stratagème de Shawnee Bill. C’était une volonté forte de McQueen de jouer Randall comme un homme faillible quand les producteurs tentaient de le transformer en super-héros.


7 – La Novice (Ransom for a nun)
Randall doit emmener un bandit à bon port. Mais ses complices ont kidnappé une nonne pour faire un échange. Le shérif refuse l’échange. Ni vu ni connu, Randall procède à l’échange en espérant faire d’une pierre deux coup et re-capturer les bandits après. Malheureusement, il a maintenant sur le dos une nonne qui, quoique fort belle, est super chiante. Elle lui parle de Dieu, de prières, de sermons et de la messe du Dimanche, lui qui ne croit qu’au Dieu Dollar. Il finit par ligoter la nonne tellement il en a marre et il tue les bandits, comme ça on en parle plus.
Où l’on apprend donc que Josh Randall est loin d’être un chic type. Seul l’argent l’intéresse. Il a beau respecter la loi, un chasseur de primes reste un chasseur de primes, et Dieu n’a pas sa place dans le business!


8 – Le procès (Miracle at Pot Hole)
Randall, qui a la voix française de Clint Eastwood, livre un bandit à un shérif local qui a la voix française de Gian Maria Volonte. Déjà ça commence super bien. Le shérif est aussi juge, avocat général, barman, maire, cantonnier, balayeur, garde-champêtre, pom pom girl etc. Randall trouve que ça fait beaucoup de pouvoirs pour un seul homme, même s’il ne s’appelle pas Roy Bean. Il y a également un prêtre ( Tony Caruso ) plutôt retourné contre le shérif qui va devenir un allié de poids pour Randall. Car Randall décide de prendre la défense du bandit qui semble promis à la pendaison, qu’il soit coupable ou pas. Au final, lui et le prêtre finissent par le sauver de la mort, mais c’est pour mieux l’emmener se faire pendre ailleurs, pour un autre meurtre…
Où l’on apprend donc que Randall a une vision déshumanisée de la justice. Il ne défend pas quelqu’un par compassion humaine, mais par respect pour la vérité quelle qu’elle soit. Randall, il pourrait être juge.


14 – La Diligence (Die by the Gun)
Il pleut, un vieux prospecteur s’abrite sous une tente de fortune. Deux hommes patibulaires apparaissent, stoïques, les mains croisées. Le vieil homme les accueille chaleureusement, même s’il est un peu inquiet. Les deux autres trognes ne bougent pas. Le vieux plonge sur son flingue, mais l’un des deux types lui saute dessus et l’étrangle. On découvre alors que les deux gars sont menottés, ce sont des repris de justice qui viennent de s’évader.
Après cette plutôt chouette introduction, les deux méchants prennent Josh Randall et un petit jeunot en otage dans une diligence. Dans le relai de diligence, Josh doit faire semblant de convoyer les prisonnier alors qu’en fait c’est lui qui est sous la menace d’une arme. Josh Randall a un peu du mal, mais il finit par les abattre.
Où l’on apprend à quoi ressemble un percuteur de winchester et qu’une winchester sans percuteur ça ne marche pas. Où l’on voit Josh Randall se servir d’un colt, pour une fois, vu qu’il n’a plus de percuteur. Où l’on voit un jeune Warren Oates faire ses débuts, même s’il est éclipsé par John Larch en chef des deux bandits, ambigu et trouble comme la vase.

15 – Le désert (Rawhide Breed)
Une diligence renversée, en flamme. Josh Randall s’en extrait promptement. Un autre type un peu plus vieux (George McCready) en sort aussi. On ne sait pas pourquoi les indiens n’ont pas fini le boulot, en tout cas ils sont partis. C’est alors la traversée du désert, où il faut économiser l’eau et faire gaffe aux indiens qui rôdent. Les indiens sont mauvais, et le compagnon de Josh fait pas mal de conneries. Josh lui sauve la vie, parce que dit-il, il s’accommode de la compagnie que le hasard lui fournit. Ils sont aussi poursuivis par deux bandits qui veulent faire la peau de Josh. Mais tout est bien qui finit bien, nos deux compères parviennent à Fort Apache sains et saufs… mais non pas saints et saufs.
Où l’on apprend que Josh est un être sombre, près à torturer de l’Indien s’il le faut, et qui méprise les faibles. Où l’on ressent la force du désert et le manque d’eau, ainsi que la menace indienne, terrible et indicible.


16 – 8 cents de récompense (Eight Cent Reward)
Un mignon petit garçon charge Josh Randall de lui ramener le Père Noël pour 8 cents. Avant que Randall n’ait pu dire non, le petit garçon a bien vite disparu. Randall essaye de réparer les dégâts, et se retrouve à embaucher un poivrot pour jouer le rôle du Père Noël. Il passe la veillée de Noël avec la famille du petit garçon, le coup du faux Père Noël échoue lamentablement, mais le lendemain, il y a un petit miracle…Un épisode atypique, tourné à l’évidence pour la période de Noël, un peu comme Franquin réalisait des pages mièvres de Spirou exprès pour Noël et qui n’était pas ensuite reprises dans les albums. Un épisode bon enfant, sous la neige avec un McQueen qui met une veste, sans aucun mort et plein de bonnes intentions. Le coté anti-héros de Randall est ici mis en avant vu qu’il foire sa mise en scène, et le coté limite fantastique de la fin est surprenant. Faut-il croire aux rêves ? On dirait bien que le réalisateur a choisi sa réponse.


17 – Le courrier (drop to drink)
Josh Randall escorte un messager, genre Pony Express, qui doit acheminer un diamant d’une valeur de 20 000 dollars ainsi qu’une bouteille d’eau bénite. Le courrier se fait attirer dans un traquenard et Josh Randall se retrouve sans le savoir à mener l’enquête avec l’un des malfaiteurs. Abandonné dans le désert, Josh Randall doit sa survie à l’eau bénite qu’il boit, non sans un regard inquiet vers le ciel. Puis, Dieu n’étant pas courroucé, il s’en sort et récupère le diamant.Où l’on apprend que l’eau était vraiment un truc important dans l’Ouest. Josh commet le sacrilège de boire de l’eau bénite pour sauver sa vie, la télé américaine des années 50 osait quand même des trucs couillus !


18 – Justice Sommaire (Rope Law)
Josh Randall s’occupe du cas d’un de ses prisonniers qui a été condamné à mort pour avoir tué sa belle-fille. Toute cette histoire est un peu curieuse : le prisonnier était bourré, donc il ne se souvient de rien, le fils du Shérif était amoureux fou de la fille et Randall découvre qu’elle avait reçu de l’argent quelque temps avant sa mort. Dehors, la foule excitée par le fils du shérif gronde, bien décidée à pendre le prisonnier avant la date prévue. Josh Randall trouvera t-il des preuves à temps ?Où l’on découvre la faiblesse des héros qui n’arrivent pas à temps. C’est un Randall amer qui vient rétablir la vérité, car la foule a commis son forfait. Un pessimisme surprenant pour cette histoire de folie amoureuse mâtinée de folie des foules.
Les photos ont été extraites de ce dossier en français bien complet : http://www.lequotidienducinema.com/seriestv/aunomdelaloi/seriestv_au_nom_de_la_loi.htm

samedi 23 juin 2007

Chasse à mort



Rambo, c’est rien qu’une lopette…

Death Hunt
Peter R. Hunt
1981
Avec: Charles Bronson, Lee Marvin, Carl Weathers, Angie Dickinson

Attention, spoilers
Albert Johnson (Charles Bronson) aime bien les chiens. Il sauve un beau toutou blanc de la mort lors d’un combat de chiens et le rachète à son propriétaire (Ed Lauter). Mais ce cupide rustre prétend bientôt que Johnson lui a volé son chien, et il part monter une petite expédition punitive avec quelques potes. Charles Bronson étant Charles Bronson, ça tourne assez mal et il y a bientôt un mort dans l’histoire, plus le chien. De son coté, le Sergent Edgar Millen (Lee Marvin) de la police montée aurait bien voulu rester peinard à ne rien faire, mais maintenant qu’il y a un mort, il est obligé de se bouger. La chasse à l’homme commence donc, et comme on est en plein Yukon par ce bel hiver de 1931, ça complique un peu les choses…
Chasse à mort raconte l’histoire de deux hommes, deux vrais, parmi les derniers d’une génération, qui s’affrontent et s’estiment. Charles Bronson, vieilli, pourchassé dans la rigueur de l’hiver Canadien fait passer Rambo pour un chasseur du dimanche. Il a le même type de marginalité, il sait aussi réserver quelques coups fourrés à ses poursuivants, on finit également par apprendre qu’il a un solide passé militaire qui le rend plus ou moins invulnérable, mais il n’a pas un M60 pour tirer dans le tas comme cette femmelette de Stallone ! Impossible de ne pas penser au film de Ted Kotcheff, pourtant réalisé un an plus tard, d’autant plus que Carl Weathers, figure emblématique de Rocky tient ici un rôle important. Certaines scènes sont identiques ou presque (remplacez l’hélicoptère par un avion), mais dans un décor plus beau, d’autres sont mieux, et aussi dans un décor plus beau. Alors faites votre choix.
Lee Marvin, plus tout à fait jeune non plus, joue son numéro de bourru sympathique et obstiné. Il sourit en observant Bronson de loin aux jumelles, et Bronson lui sourit en retour. Au fond, ces deux là s’adorent et se respectent. Tous les autres, du jeune rookie (Andrew Stevens) qui apprend petit à petit que la police ne fonctionne pas qu’à coup de règlements, aux chasseurs de primes et miliciens de tout poil qui sentent l’odeur de l’argent aussi bien que leurs chiens sentent l’odeur du fuyard, ne sont que des résidus d’humanité qui incarnent la déchéance du progrès dans une nature belle, grandiose et presque encore inviolée. La radio et l’aviation font leur chemin, petit à petit, même dans les contrées aussi reculées que le Yukon, et Bronson et Marvin savent qu’ils n’ont plus leur place ici. La fin de l’histoire - attention au spoiler qui suit - rappellera à ceux qui connaissent, la conclusion du Dernier face à face. Parfois l’homme est confronté à des choix, et préfère faire confiance à l’instinct de justice qui réside dans ses tripes plutôt qu’à la justice plutôt expéditive des hommes.

Les scènes d’action sont bien menées, la musique est haletante et la violence sanguinolente éclate par brefs épisodes sporadiques, il est juste un peu dommage que le tempo ralentisse un petit peu sur la fin. Angie Dickinson a quelque peu vieilli elle aussi depuis l’époque où elle contait fleurette avec le Duke, et surtout dans ce film là, elle ne sert absolument à rien. Elle ne s’en excuse pas et disparaît bien vite pour laisser les mâles assurer le spectacle à coup de dynamite et de canon scié. Qu’on le veuille ou non, c’est là l’essence du western, et c’est pour ça qu’on allume le poste, qu’on glisse le DVD (-R rôooo) dans le lecteur et qu’on monte le son. Et la cerise sur le gâteau, c’est bien sûr une certaine mélancolie qui se dégage des paysages hivernaux, ces hommes tout petits dans le blanc du grand nord, et cette volonté fiévreuse dans le blanc des yeux. On notera aussi les agissements d’un trappeur un peu cinglé qui arrache les dents en or de ses victimes. Je ne dis pas ça pour vous donner envie de voir le film, non, mais si j’étais vous j’essaierai quand même de le trouver. Je remercie d’ailleurs ici le shérif modérateur du forum western movies de m’avoir fait découvert ce petit western qui ne fait ni dans la dentelle, ni dans l’excès, ni dans les sentiments. Simple, droit sur ses raquettes, sans prétention intellectuelle inutile, solide et avec des stars et beaucoup de moyens. Bon comme un bon bol de chocolat, au coin d’une cheminée dans un chalet en rondins, avec le bruit des pas feutrés dans la neige au dehors…

jeudi 21 juin 2007

Ne tirez pas sur le bandit


Alias Jesse James
1959
Norman Z. McLeod
Avec Bob Hope, Rhonda Fleming.


Un vendeur d’assurances assez médiocre réussit à placer une assurance de 100 000$ au redoutable bandit Jesse James, sans savoir qui il est réellement. Comme celui-ci risque à tout moment de se faire tuer, bandit oblige, notre brave homme est contraint de partir dans l’Ouest pour protéger Jesse James.


Oyez oyez jeunes gens, vous qui lisez Le journal de Tintin ou Bibi Fricotin. Il est passé récemment, une après-midi pluvieuse, sur les écrans de France télévision 3, une comédie western tout à fait charmante qui vous ravira de façon aussi certaine qu’un album des aventures de Lucky Luke et Jolly Jumper. Outre une intrigue menée tambour battant, Ne tirez pas sur le Bandit offre en effet un humour décalé, digne des meilleurs films burlesques ou de vos Tex Avery préférés. Figurez vous par exemple un chapeau qui se déforme sous l’effet de l’alcool – trop fort pour lui – ingéré par notre anti-héros maladroit. Figurez vous encore des ralentis du plus bel effet comique au beau milieu d’une bagarre, traduisant une absorption involontaire de champignons mystérieux. Figurez vous enfin une poursuite de chariot magnifiquement loufoque qui fera hurler de rire petits et grands. Mais les jeunes bambins seront bien avisés de ne point travailler exagérément l’intelligence de leur esprit avec ces divertissements bon enfants et de retourner à leurs chères études, et en particulier de s’amuser un peu en travaillant leur arithmétique.
Les jeunes gens qui lisent Boris Vian en cachette ne seront pas oubliés non plus, puisque les plus hétérosexuels d’entre eux pourront admirer sans retenue les formes de Rhonda Fleming sans pour autant éveiller la suspicion de leur mère castratrice. Ils apprendront également comment la force n’est pas nécessairement l’apanage des plus grands, ils verront à quel point la débrouillardise peut sortir Monsieur tout le monde des griffes de la loi du plus fort. Le conseil donné quelques lignes plus haut à nos chères têtes blondes vaut aussi pour nos incandescents adolescents. Ne Tirez pas sur le Bandit les instruira. Qu’ils n’oublient point Dostoïevski, Tolstoï et Bakounine pour se distraire!
Mais le lecteur avisé saura qu’un bon western doit rassembler en son sein l’ensemble de la famille pour remplir au plus haut point sa mission éducative. La Ménagère-maîtresse de maison sera gré de voir un film où la femme est séduite par l’intelligence et la civilisation (Bob Hope) plutôt que par la force et la brutalité suante (Wendell Corey). Le chef de famille, outre qu’il pourra lui aussi admirer les formes de Rhonda Fleming, sera contenté par un second degré sans cesse présent pour flatter son désir de ne pas être pris pour un imbécile tout en subissant, ravi malgré tout, un spectacle western pimaire parfaitement orchestré. Les plus cinéphiles d’entre eux seront également comblés par l’apparition de guest stars de leurs films préférés en personne, tels Gary Cooper, Roy Rogers, James Garner ou Fess Parker. L’homme intègre sera également heureux de savoir que le film ayant été diffusé sur France Télévision 3, il ne souffrira d’aucune intrusion de réclames agressives pour des céréales Chocapics.
Merci donc infiniment, France Télévision 3, pour ces moments de bonheur télévisuel.

La poursuite infernale



Attention, si vous cherchez une véritable critique de ce film, en général unanimement considéré comme un chef d’œuvre, avec des mots compliqués pour dire le génie de Ford et le fait qu’il a tout inventé, ce n’est pas ici que vous la trouverez.


My Darling Clementine
John Ford
1946
Avec: Henri Fonda, Victor Mature, Walter Brennan.

C’est l’histoire des frères Earp, vous savez, ceux qui se castagnent contre les Clanton à OK Corral. Mais comme c’est un John Ford évidemment ça parle de tout autre chose. Et le but est de découvrir quoi…

Cela commence par un générique original à base de pancartes qui tournent en boucle, cela se poursuit par des plans de Monument Valley en noir et blanc, et puis on tombe sur Henry Fonda, sale, pas rasé, qui commence d’emblée les hostilités verbales, à fleuret moucheté, avec le père Clanton, joué avec noirceur par Walter Brennan. Clanton veut acheter le bétail de Earp qui veut garder ses bêtes. Cela en reste là pour l’instant, Earp et ses frêres font la vaisselle avec la poussière de la piste, puis ils vont faire un tour chez le barbier de Tombstone pour vérifier sur le champ la loi non écrite qui veut qu’il est impossible de se faire raser la barbe dans un western, quel qu’il soit. Troublé par un fauteur de coups de feu, Earp prend les choses en main et se voit proposer le poste de Shérif de la ville. Les noms résonnent comme une mythologie ancrée dans l’inconscient collectif : Earp, Tombstone, Dodge City. Quand Earp dit son nom, les gens se retournent, Earp est une légende vivante, et c’est une sacrée mauvaise idée de lui voler son bétail en lui tuant son jeune frère au passage. C’est beau un western de nuit, en noir et blanc, lorsque les frères Earp découvrent la mort de leur frère, engoncés dans leurs cache-poussières trempés de pluie dégoulinante. C’est même magnifique.
Et c’est vraiment dommage que ce film mythique, adulé des cinéphiles de tout poil, commence si bien pour ensuite prendre une tournure beaucoup trop pépère au détriment de l’action et de la castagne. Soudain, on voit Fonda qui cause devant la tombe de son frère, puis on voit Fonda qui joue au poker, puis on voit Fonda assis sur une chaise à attendre. Puis Linda Darnell chante une chanson, Victor Mature apparaît et fait sonner un autre nom de la mythologie westernienne : Doc Holliday. Après un échange un peu tendu avec Earp, il tousse et déclame du Shakespeare. Fonda retourne sur sa chaise et Linda Darnell chante une autre chanson. Du coté des Clanton, il ne se passe rien. Arrive la Clémentine du titre (Cathy Downs). C’est une ex de Doc Holliday, qui n’a pas l’air très heureux de la revoir, sans doute parce qu’elle ne chante pas. Mais Earp semble beaucoup l’aimer lui. Il retourne chez le barbier, et cette fois, il n’est pas interrompu, signe qu’on n’est plus vraiment dans un western, puis il danse de façon gauche. Le grand Henry Fonda est devenu un être fragile…Les choses se décident alors à bouger un petit peu. Earp soupçonne Holliday d’être à l’origine du meurtre de son jeune frère, ce qui est faux bien sûr, comme tout ceux qui ont vu le film de Sturges dix fois dans leur enfance le savent : Holliday n’est pas un mauvais bougre. Mais cette suspicion infondée donne lieu à une belle poursuite, Fonda utilisant deux chevaux pour rattraper une diligence que Victor Mature mène comme un damné.
Alors que finalement il devient clair que ce sont les Clanton qui ont fait le coup, un des frères Earp a la mauvaise idée de poursuivre l’un des Clanton jusqu’à leur ranch. Paix à son âme. A partir de là, le fameux règlement de compte à OK Corral peut avoir lieu, plus de quartier. Après le coup des cache-poussières, Ford démontre une fois de plus que Leone n’a rien inventé - ce que pour une fois Leone reconnaissait volontiers – Earp profite de la poussière de la diligence pour disparaître et abattre un scélérat. Holliday déguste, et le père Clanton se retrouve seul survivant de la famille face aux Earps. Walter Brennan devient alors touchant, l’espace d’un instant, quand il se rend compte que tous ses fils sont morts. Mais on n’a guère le temps de le prendre en pitié, il se fait finalement abattre lui aussi. Fonda repart en laissant Clémentine au bord de la route, hé oui en définitive, on est bien revenu au western…
Alors que dire ? Que Ford est surfait ? Qu’il n’est surfait que pour ceux qui ne connaissent rien au cinéma, comme moi ? Autant La Prisonnière du Désert, l’homme qui tua Liberty Valance , Les raisins de la Colère ont été à la hauteur des attentes suscitées par leur statut de films intouchables, autant La poursuite infernale paraît vide, sans réel enjeu autre que celui de montrer un homme qui participe à sa façon à la construction des Etats-Unis. Pas un mauvais film loin de là, mais une déception, eut égard à la réputation du bébé…

Brigade Spéciale



Roma a mano armata
1976
Umberto Lenzi
Avec: Maurizio Merli, Arthur Kennedy, Tomas Milian


Le commissaire Tanzi (Maurizio Merli) est confronté au grand banditisme, à la violence, à la jeune délinquance. Il est aussi emmerdé par les failles de la justice et le laxisme de la juge pour enfant (qui est en même temps sa copine) qui remet les junkies qu’il arrête en liberté. Plutôt que de lancer une polémique populiste dans la presse, il emploie la manière forte, ce qui lui vaut d’être mis au placard par sa hiérarchie. Mais tout ça n’est que broutille, et rien ne l’empêchera d’affronter au final le cruel bossu Vincenzo Moretto (Tomas Milian).

Quand le péplum n’a plus marché, les Italiens ont fait du western, quand le western n’a plus marché, ils ont fait du polar. Secs, violents, urbains, ces polars racontaient l’Italie des années 70 : racket, corruption, grand banditisme, terrorisme d’extrême gauche et d’extrême droite créaient un sentiment extrême d’insécurité dans ce que l’on allait appeler alors « Les années de plomb ». Le cinéma de genre italien, sous la houlette de réalisateurs tels que Umberto Lenzi, Stelvio Massi, Lucio Fulci, Enzo.G.Castellari ou encore Mario Caiano ou Sergio Sollima, allait alors s’appliquer à rassurer le spectateur en lui montrant que la situation pouvait être résolue à coup de crosse. Souvent simplistes et caricaturaux, ces films (Bracelets de sang, Le clan des Calabrais, La Rançon de la Peur, Témoin à Abattre, Assaut sur la Ville, Revolver…) étaient en général taxés à tort ou à raison de « fascistes » comme le furent à la même époque, les Dirty Harry. Si certains des noms de réalisateurs cités ici ne sont pas étrangers aux amateurs de western spaghetti, les acteurs ne sont pas en reste : Tomas Milian, Fabio Testi, Franco Nero sont souvent de la partie, ainsi que Maurizio Merli (qui a fait un seul western : Mannaja), qui allait devenir la figure de proue du polar à l’italienne, le flic honnête, droit et violent.

Brigade Spéciale ne raconte rien, et il raconte tout. Centré sur le personnage du commissaire Tanzi, il est au début impossible de comprendre quoi que ce soit. Tanzi évolue dans cette société en dérive, et où qu’il aille, il tombe sur un hold up, un vol à la tire, un gangster qu’il arrête et qui est relâché de suite. Il joue du muscle, et il se fait rabrouer par son supérieur, joué par le vétéran hollywoodien Arthur Kennedy (Nevada Smith, l’homme de la plaine). Le but semble de dépeindre une société la plus pourrie possible pour justifier un pétage de plomb en règle par le commissaire. Mais celui-ci reste finalement assez cool, même quand il s’en faut d’un cheveu pour que sa nana passe dans un broyeur de voiture. A la fin, c’est même lui qui doit rappeler à son coéquipier les limites de leur droit de tuer (ce qui vaut à son coéquipier une balle dans le ventre de la part du bossu, mais passons…).
Pour le reste, tout y passe : braquage, prise d’otage, passage à tabac, poursuite sur les toits, poursuite en bagnole, viol, baston dans un bar, enlèvement, drogue, agressions, indic, petite frappe, fils à papa dévoyé, la presse qui fait chier, relation amoureuse tumultueuse, assassinat d’un dealer en plein interrogatoire musclé, du haut d’un pont, exactement comme dans To Live and Die in L.A. de Friedkin tourné dix ans plus tard. Tous ces éléments hétéroclites finissent tant bien que mal par créer une intrigue cohérente qui se tient plus ou moins et dont le dénouement va se cristalliser autour du personnage de Tomas Milian.
Car bien sûr il y a Tomas Milian, qui joue un criminel frappadingue bossu, peu avare en jeux de mots et en meurtres de sang froid. Tomas Milian fait Tomas Milian, c'est-à-dire sans retenue aucune, plié en deux par son infirmité, le cou orné d’une longue écharpe rouge et noire, le rictus aux lèvres et les armes à la main. Tomas Milian est relativement rare à l’écran, mais il vole la vedette à Merli, qui est finalement bien fadasse avec sa moustache bien brossée et sa veste sans faux pli. Cette opposition entre le physique tordu et cradoc de Milian et l’athlètisme BCBG de Merli était d’ailleurs voulu, et quand Milian se met à mitrailler la foule, même un chroniqueur de Première comprend que le clou du spectacle, c’est lui.
Mais si vous n’aimez pas Milian, il vous reste l’ambiance : la musique jazzy-Schifrinesque de Franco Micalizzi est efficace, omniprésente sans être soûlante, on retrouve avec plaisir les petites bagnoles des années 70, la coupe des vestes et les coiffures de l’époque, et toute une galerie de tronches, moins marquées que les figurants du western italien, mais qui avaient le mérite d’une authenticité indiscutable, qui fait plaisir à voir à notre époque de publics télévisés panelisés selon des critères physiques avantageux.
Brigade Spéciale sans être un film incontournable, surprend par sa construction chaotique qui génère une tension à couper au couteau, et son refus de raconter une vraie histoire à tiroirs où tout se tient. Un assemblage de bric et de broc, de faits divers et de scènes convenues parvient finalement à donner une certaine impression de réalité un peu dérangeante. En outre, Brigade Spéciale remplit très bien sa mission première : du divertissement avec de l’action et de la violence.
Et alors, qu’attendez vous ?

Le DVD NeoPublishing. D’aspect classieux, fin et élimé dans son fourreau top classe, ce DVD à prix raisonnable pourra s’emporter partout, dans votre sac à main ou dans la poche intérieure de votre blouson. Mais attention aux pickpockets ! Neo Publishing fait du bon boulot, avec un commentaire audio du scénariste du film (Dardano Sacchetti) très intéressant pour qui voudrait comprendre les bases de ce cinéma, car Sachetti ne se contente pas de parler se son boulot, il replace le film dans le contexte social et politique de l’époque et dans le contexte cinématographique italien. Très instuctif.

Entretien avec Sergio Leone



Voici un entretien avec Sergio Leone paru dans Libération du mardi 2 mai 1989 à l’occasion de sa mort le week-end précédent. L’entretien a eu lieu six mois auparavant, à Cannes. L’entretien est reproduit tel quel, erreurs grossières comprises. Il n'apportera rien à ceux qui connaissent le bouquin de Simsolo, mais il donne une bonne vision du personnage Leone.


«Libération - Revendiquez-vous la paternité du « spaghetti-western » ?
SERGIO LEONE. – Je vais d’abord vous dire une chose qui m’énerve depuis vingt-cinq ans. Ce mot de « spaghetti-western », c’est un des plus cons que j’ai entendu de toute ma vie. J’ai demandé un jour à Kubrick si Spartacus lui avait valu l’appellation d’ « hamburger-pizza ». Au début, j’ai cru très sincèrement que le mot avait été inventé, par dérision, par des étrangers s’imaginant qu’à la place du lasso, les films de cow-boys italiens utilisaient des kilomètres de spaghettis.


Libération – Quand sort, sur les écrans dans l’Italie de 1964, votre premier « western », Pour une poignée de dollars, ce n’est pas le premier du genre ?
S.L. – Certainement pas. Il y en a eu une bonne vingtaine auparavant. La mode est arrivée d’Allemagne en raison des bouquins de Karl May qui, bien que n’ayant jamais mis les pieds outre-Atlantique, connaissait les Etats-Unis géographiquement sur le bout des doigts. Il y a donc eu ces petits films de « Winnetou » avec Pierre Brice et Lex Barker qui ont bien marché…


Libération - … et que les producteurs italiens ont décidé de transplanter chez eux…
S.L. – A l’époque, la Titanus qui était la plus grande société de productions frôlait la faillite. En raison des coûts de fabrication insensés et des échecs désastreux du Guépard et de Sodome et Gomorrhe. Le péplum était mort. Le western le remplaça comme filon.


Libération – Le péplum, c’était l’histoire de Rome et de l’Italie. Mais le western, c’était piqué à une histoire qui n’était pas la vôtre ?
S.L. – En 1964, il y avait belle lurette que le western avait débordé le cadre des Etats-Unis pour toucher au mythe. Les Japonais en tournaient. J’ai conçu moi aussi l’idée de transposer un sujet américain en Italie. Et mon désir initial était de passer du drame à la comédie. Tout le monde dit beaucoup de conneries. Plus qu’au western, je pensais à Goldoni et à sa pièce Arlequin valet de deux maîtres. Je voulais mettre en scène, en fait, l’histoire d’un personnage se vendant à deux autres en même temps et les montant l’un contre l’autre.


Libération – Vous êtes sûr de n’avoir rien piqué à personne d’autre ?
S.L. – Si. A Homère qui fut, avant la lettre, le plus grand écrivain de western. Ne montrant que des individualistes forcenés. Et au néo-réalisme. Mon cinéma est né avec.


Libération – Vous avez débuté comme assistant de Carmine Gallone et de Vittorio de Sica…
S.L. – J’ai débuté dans le cinéma en 1947. A 18 ans. Comme assistant gratuit de Gallone sur des films d’opéra qui me rasaient. Ensuite, j’ai travaillé avec de Sica pour Le Voleur de bicyclette. Un jour, nous étions en panne car la pluie empêchait de tourner la scène écrite et prévue. Vittorio m’a demandé de trouver des vestes de curé, histoire de meubler le temps. C’est ainsi que j’ai fais un passage. C’est ainsi surtout que je me suis formé en apprenant mon métier sur le tas et sur le plateau des grands cinéastes italiens. J’ai fais près de 60 films avec Camerini, Blasetti, Comencini et je me suis empressé de faire le contraire de ce qui m’avait été appris.


Libération –Avant de tourner votre premier film, vous avez commencé par remplacer quelques réalisateurs…
S.L. – J’ai travaillé, parfois, avec de tels incompétents dont vous ne pourriez pas même imaginer la bêtise, qu’il fallait bien faire quelque chose. Mon premier vrai travail, ce fut les Derniers Jours de Pompéi. Le metteur en scène, Mario Bonnard tomba gravement malade pendant le tournage et je l’ai remplacé pour finir le film mais en respectant toutes ses indications, ce qui justifie pleinement le générique « un film de Mario Bonnard réalisé par Sergio Leone ». Mais cela ne m’intéressait guère. J’étais en 1960 l’assistant le plus cher et le mieux payé de Cinecitta.


Libération –Avec Le Colosse de Rhodes, votre premier film, vous avez bien fini par sauter le pas…
S.L. - Le Colosse de Rhodes fut pour moi une besogne alimentaire. En 1960, je me suis marié, j’avais besoin d’argent, j’ai accepté cette comédie sur le péplum et je me suis vraiment amusé. En faisant systématiquement le contraire de ce qu’il fallait faire. Même Georges Marchal et Léa Massari, c’était l’opposé de ce que je voulais. Mais le drame fut que le film marchât très fort. J’ai refusé tout ce qu’on me proposait pendant trois ans, à commencer par une floppée de Maciste. Pour écrire des scénarios.
Libération – En vous battant, entre-temps, avec Robert Aldrich pour Sodome et Gomorrhe que vous avez co-réalisé.
S.L. – J’étais, sur ce film, réalisateur de seconde équipe. Et j’ai effectivement passé mon temps, sur le plateau, à me batailler avec Aldrich qui était un vrai gangster. Il voulait produire le film. Lombardo, qui était le producteur italien, n’a pas voulu. Du coup, furax, Aldrich qui était payé à la semaine a fait durer le tournage pendant deux ans. J’ai, pour ma part, réalisé la bataille ainsi que les séquences du camp nomade et de la procession des Juifs. Avec mille cavaliers marocains à Ouarzazatte. En quinze jours. Pas plus pas moins. Le vrai film était « off ». J’ai d’ailleurs télégraphié à Lombardo en lui disant de venir avec une mitraillette. Ne parle pas, tire dans le tas, ils sont tous en train de te ruiner.


Libération – Un que vous n’avez pas ruiné, c’est le producteur de Pour une poignée de dollars…
S.L. – Lorsque j’ai entrepris le tournage de Pour une poignée de dollars, en 1964, c’était la crise totale dans le cinéma italien. J’avais écrit le scénario en six semaines en pensant à Arlequin et, bien sûr, au western hollywoodien.
Libération – A la différence près que, dans le vôtre, hormis la présence de la comédienne marianne Koch, il n’y a pas l’ombre d’une femme…
S.L. – L’idée de supprimer les femmes dans mon film m’est venue en voyant Règlements de comptes à OK Corral où je ne comprenais pas ce que venait foutre Rhonda Fleming. Quand le type partait, elle était à la fenêtre pour lui faire des signes. Quand il revenait, pareil. Chaque fois qu’on la voyait, cela foutait en l’air tout le rythme du film sans la moindre raison d’être. Je n’ai donc pas voulu de femme sinon Marianne Koch qui s’est trouvée propulsée là en raison de la coproduction avec l’Allemagne. Je lui avais dis qu’elle n’aurait qu’un petit rôle de trois jours mais qu’elle serait la seule femme de l’histoire. Elle a été un peu star en Allemagne.


Libération – Pourtant personne n’aurait misé la moindre lire sur vous…
S.L. Effectivement. Le plus grand exploitant de Sorrente qui gérait cinquante salles m’a dit : « Vous avez fait un chef-d’œuvre mais pourquoi ne pas avoir mis de femme là-dedans. Ce western ne fera pas un sou ! » Je lui ai dit que je n’en avais rien à foutre. Alors il l’a sorti dans une seule salle minable qui avait tout d’un couloir, en plein été, sans la moindre pub. Le premier vendredi, il a fait 500 000 lires de recettes, le samedi 700 000. Le dimanche 900 000. Et le lundi 1200 000. Ce qui établit un record dans l’histoire du cinéma italien. 40 milliards de lires aujourd’hui !


Libération – Le secret de sa réussite repose sur cette fascination détournée des mythes westerniens…
S.L. – Je suis né et j’ai été élevé dans une période où le fascisme à l’italienne régnait en maître. Et lorsque j’étais gosse, les films et les livres américains étaient interdits. Je ne pouvais donc lire Chandler ou Fitzgerald. Voir Ford ou Walsh. J’en ai conçu une image sublimée. Et lorsque j’ai eu l’idée de cette venue sur terre de l’archange Gabriel (ce qui est pour moi le vrai sujet de Pour une poignée de dollars) faisant justice et s’en allant, je l’ai naturellement habillé, si j’ose dire, à l’américaine. En tournant en Espagne, à l’exception de scènes d’intérieur en Italie.


Libération – Vous avez découvert Clint Eastwood dans une série de télé à bon marché…
S.L. – A l’origine, je voulais James Coburn qui valait alors 25 000 dollars et que les producteurs m’ont refusé en voulant m’imposer Richard Harrison, un acteur de péplum. J’ai dit « jamais de la vie » et tenté d’obtenir Henry Fonda qui valait 50 000 dollars. Charles Bronson a refusé. Et j’ai vu une photo de Clint qui jouait dans Rawhide une série télé nulle dont il n’était pas le héros. Il avait 34 ans et ne me plaisait pas tellement. Son visage était celui d’un bébé. C’est pourquoi je l’ai affublé d’une barbe, d’un cigare et d’un poncho. Je m’étais décidé après l’avoir vu dans l’épisode de la série qui s’appelait le Mouton noir où il ne parlait jamais, se montrait très fatigué et ne marchait qu’avec paresse. Dans la vie, il était vraiment comme ça. Avec ses deux mètres, il faisait des siestes, pendant les pauses, dans une minuscule Fiat 500. Nous nous sommes un peu fâchés par la suite. Il râlait car j’avais engagé pour la suite Eli Wallach et pour le troisième re-Wallach et Lee Van Cleef. Je lui avais dit « tu es con, car ils t’apportent la soupe ! ». Il a fini par le reconnaître en venant me voir sur le tournage d’Il était une fois en Amérique.


Libération – Et Lee Van Cleef, vous l’avez complètement remis en selle…
S.L. – C’est une histoire incroyable. Je devais, pour le Bon, la Brute et le Truand avoir Lee Marvin. Nous devions tourner un lundi. Le vendredi qui précède, il ramasse l’oscar pour Cat Ballou et annule son contrat. Je pars immédiatement pour Los Angeles avec un annuaire de comédiens américains où je trouve une vieille photo de lui sur laquelle il avait l’air d’un coiffeur sicilien. Je me souvenais surtout de l’avoir vu dans Bravados et Le train sifflera trois fois. Je le voulais. A Hollywood, plus personne ne le connaissait. Son agent ne l’avait pas vu depuis deux ans, moment où il était entré en clinique de désintoxication. On l’a retrouvé le dimanche matin. Il était devenu peintre et ressemblait, plus vrai que nature, à Van Gogh. Il m’a raconté qu’il ne pouvait venir car il avait pour 300 dollars de tableaux à livrer. Je lui ai offert 15 000 dollars. Il a pris l’avion avec moi le soir même.


Libération – Il était une fois dans l’Ouest est un film que vous ne vouliez pas tourner…
S.L. – Je voulais faire Il était une fois en Amérique tout de suite après le Bon. On me l’a refusé et je me suis retrouvé embarqué dans l’Ouest où, pour me venger, j’avais décidé de réunir tous les lieux communs du western. La pute, le vengeur, l’homme d’affaires, le bandit romantique, le salaud. J’ai écris le scénario en dix jours. Et dans mon esprit, ce fut le début d’un autre triptyque qui, s’ouvrait avec le chariot de Cardinale brinquebalant dans Monument Valley, se poursuivait avec Il était une fois la Révolution, censé se dérouler trente ans après. Je voulais uniquement produire. Bogdanovitch devait réaliser mais ce type était tellement con que je l’ai fais remplacer par Sam Peckinpah mon copain. Dans Mon nom est Personne que j’ai produit, un des bandits porte son nom. Mais, hélas, Rod Steiger et James Coburn, qui avaient été engagés, ont demandé que je réalise. Ils ont même réduit leur cachet pour m’y obliger. De 750 000 dollars à 250 000. C’était une manœuvre d’United Artists. Je leur ai dit d’accord mais j’écrirai vos scènes la nuit et ne les donnerai qu’au matin. J’ai tenu parole.
Après il y a eu, pour clore ce second volet, Il était une fois en Amérique. Puis la Bataille de Lenningrad en projet. Mais ce sont de longues histoires dont l’une est encore à écrire. J’ai du temps devant moi et aussi les coudées franches. Ce sera le meilleur de mes films. Je ne l’espère pas : j’en suis sûr.


Propos recueillis par Henry-Jean SERVAT»

mercredi 20 juin 2007

Les deux cavaliers


John Ford c’est chiant et c’est toujours pareil. Venez vérifier comment cette affirmation polémique est fausse.

John Ford
1961
Two Rode Together
Avec James Stewart, Richard Widmark, Shirley Jones

Le lieutenant Jim Gary (Richard Widmark) parvient à grand peine à convaincre le cynique shérif Guthrie McCabe (James Stewart) de l’accompagner en territoire indien. Le but : récupérer chez les Indiens comanches tous les prisonniers blancs qu'ils ont capturés au cours des dix dernières années. Il s’agit d’enfants enlevés très jeunes dont les parents n’ont pas encore perdu espoir de retrouver la trace. Mais Guthrie McCabe sait bien qu’un blanc élevé chez les indiens devient un indien à part entière.

A force, il faut bien se faire une raison, les westerns de Ford ne sont pas des westerns d’action. Le réalisateur est plus intéressé par ses personnages que par le spectacle, bien qu’il ne rechigne pas à faire bouger tout son beau monde de temps en temps. Une fois ce postulat intégré, on peut savourer Les Deux Cavaliers comme il se doit, sachant que coté coups de feu, c’est l’un des Ford les plus avare qu’il m’ait été donné de voir. Heureusement, le film a d’autres atouts dans ses manches.
En premier lieu, c’est un film de James Stewart. Ce n’est pas le James Stewart sombre et fragile de Anthony Mann, c’est un James Stewart de comédie en roue libre totale, qui fait un numéro de cabotinage à s’en écarquiller les yeux de stupeur tellement c’est sidérant. - Ceux qui me rétorqueront avec mépris condescendant que James Stewart a déjà fait ce genre de show dans tel ou tel classique des années 50 que je ne connais pas sont invités à laisser leur mépris de coté et à m’indiquer les titres en questions, merci. – Ce « Stewart show » explose lors d’un bivouac au bord de l’eau où Widmark et Stewart mènent de front deux discussions imbriquées à n’en plus finir ; et lors d’un échange confondant de négativité entre Stewart et le commandant de la garnison. Stewart joue donc un aventurier vieillissant, antipathique mais drôle. Bien sûr, la force des évènements va faire évoluer le personnage dans le bon sens, mais jusqu’au bout il gardera son coté décalé, égoïste mais sympa quand même. A coté de ça, Widmark est Widmark, mais il a bien du mal à exister à coté de la tornade Stewart.
En deuxième lieu, Les Deux Cavaliers est un film qui fait mentir – encore - la réputation de vieux con d’extrême droite du maître Ford, par la complexité de son scénario qui évite la représentation caricaturale des indiens et qui pointe du doigt les faiblesses des blancs. Car ce qui frappe avant tout, c’est le pessimisme de l’œuvre. Une fois de plus, les indiens sont montrés comme un peuple humain, déchiré par des contradictions internes, et divisé entre les vieux sages et les jeunes va-t-en guerre qui montrent leurs muscles. Les blancs ne sont pas épargnés non plus, par le biais de la vente d’armes aux indiens, du non respect des traités et leur propension à la violence. Tout le monde est plus au moins mauvais, et quand quelques uns sont bons, comme ces pionniers qui vivent de l’espoir de retrouver leur progéniture, leur naïveté fait pitié. Entre ce pessimisme et le personnage drôle mais cynique de Stewart, les scènes de pure comédie, à base de baston pour se disputer une femme, ont bien du mal à faire mouche.
En troisième lieu, la progression du film de la comédie noire - Stewart déchaîné - au drame humain poignant - le lynchage de l’indien blanc incapable d’être un « blanc »- , même si elle crée un film bancal le cul entre deux chaises, témoigne de la richesse d’un cinéaste qui ose tout et ne se prive pas de surprendre à la fois ses admirateurs et ses détracteurs. Alors, s’il est clair que Les Deux Cavaliers n’offre pas la force enthousiasmante de La Prisonnière du Désert ni la pureté westernienne de La Chevauchée Fantastique, on ne regrette pas de s’être laissé porté par le brillant James Stewart au milieu d’une peinture peu glorieuse de l’humanité. Et ce n’est pas la fin sous forme de happy end - seulement vaguement happy - qui changera la perception de l’Homme qu’offre Ford à votre intellect.
Et merci Arte !!

L'homme aux colts d'or



Le miracle du western classique, c’est quand il n’est pas classique.

Warlock
1959
Edward Dmytryk
Avec : Henry Fonda, Richard Widmark, Anthony Quinn, Dorothy Malone

A Warlock, petite ville de froussards, une bande de hors-la loi fait régner la terreur. Les shérifs ne font pas long feu, et les habitants, excédés, font appel à un mercenaire pour rétablir l’ordre. Il s’agit de Clay Blaisdell, l’homme aux colts d’or, accompagné du boîteux Tom Morgan.

Le mercenaire, c’est le grand Henry Fonda. Magnifiquement froid et ambigu, humain mais condamné à suivre son destin, il suffirait à lui seul à faire de L’homme aux colts d’or un grand Western, un de ces westerns intellectuels dont raffolait la critique européenne, un de ceux qui peuvent faire dire des trucs tapageurs comme « Le western est l’essence même du cinéma ! ». Pourtant Henry Fonda n’est pas seul, il est soutenu par Anthony Quinn – le mentor et associé du mercenaire, calculateur et inquiétant – et il affronte Richard Widmark en ex-bandit qui se rend compte de la fourberie de son patron et qui devient le nouveau Shérif de la ville, qui ne respecte que la loi et rien que la loi.
Trois stars, rien que ça, pour un western au scénario maîtrisé au millimètre et dont l’issue se laisse difficilement deviner. La légende du western est tout de suite démontée au profit d’une réalité peu séduisante : les colts d’or ne sont que des armes d’apparat, Clay Blaisdell ne s’en sert que pour construire sa renommée. De même, sa rapidité légendaire, bien que peu exagérée, ne lui suffit pas pour être le plus fort. Il ne survit que grâce à Tom Morgan qui abat les fourbes qui essaient de lui placer une balle dans le dos. Le couple est une mécanique bien huilé qui fait son business sur l’absence de loi dans l’Ouest, mais Clay Blaisdell est en fait manipulé par Tom Morgan qui fait tout pour que leur style de vie perdure, alors que Clay Blaisdell préfèrerait mener une petite vie pénard avec la femme qu’il aime. Au milieu de tout ça, Johnny Gannon (Richard Widmark) est un homme qui découvre peu à peu sa voie. Il devient shérif et doit s’opposer à ses anciens complices et amis, mais aussi à Clay Blaisdell, pour qui un shérif est synonyme de perte de profit.Si vous m’avez suivi jusqu’ici vous conviendrez que ce western relève peu du manichéisme que les sots reprochent toujours au western. Pas de bons, pas de méchants, pas de héros, pas de durs à cuir qui n’ont peur de rien. Uniquement des êtres humains, riches, profonds, illisibles, imprévisibles, au comportement évolutif. Ces êtres humains vivent de passions exacerbées, craignent l’avenir et la mort. Aucun n’est un justicier dont on ne sait d’où ils viennent ni d’où ils vont. Sur une trame scénaristique assez convenue (la ville de pleutres, les bandits, le mercenaire : voir Une balle signée X), Edward Dymitrik brosse des portraits d’hommes confrontés à des choix de carrière et de vie comme n’importe qui en fait dans la vie courante. Le mythe de l’Ouest et la splendeur des paysages n’ont aucune prise sur les personnages et pour cette raison L’homme aux colts d’or pourrait bien faire figure de « western crépusculaire » si tant est que cette appellation ait vraiment un sens.
Les scènes d’action privilégient la lenteur, l’attente, la tension et la peur d’être tué. Il y a cette scène inoubliable au début où le shérif en poste part affronter la mort, et qui au dernier moment, fait ce que beaucoup d’hommes feraient : prendre la fuite malgré l’humiliation. Il y a cette superbe scène de bluff nerveux, où Blaisdell s’oppose aux bandits dans le saloon, épaulé par Morgan, et un grand gars costaud, assis sur une chaise haute, le fusil double-canon sur le bras, impassible et concentré. Il y a Johnny Gannon, la main salement amochée comme s’il sortait d’un western spaghetti, qui s’en va mourir entêté face aux bandits, mais qui lui ne se dégonfle pas. Il y a la mort de Morgan, outrée et désespérée, et la folie de Blaisdell qui s’ensuit, dévastatrice. Il y a enfin le duel final, entre Johnny Gannon et Clay Blaisdell, dont l’issue inattendue réveille le spectateur qui croyait l’affaire pliée. Tout comme l'histoire d'amour, qui ne mène nullement à l'issue hollywoodienne logique! Le western n’est jamais meilleur que quand il n’est pas vraiment un western !Un film à voir, parce qu’il est un grand film, mais aussi pour les spaghettophiles parce qu’il est l’une des influences connues de Sergio Leone. Le personnage ambigu joué par Henry Fonda ressemble par certains de ses cotés les plus noirs au personnage de Frank dans Il était une fois dans l’Ouest : cynisme, apparence vestimentaire, démarche. Et j’ai été tout surpris de le voir faire tomber un type en béquille, exactement comme il le fait dans le film de Leone. Et je sais bien que tous les spécialistes connaissent tout ça par coeur, alors, parfois, j’enrage de découvrir tous ces détails à rebours. Parfois je voudrais avoir eu 20 ans dans les années 50, pour avoir été en mesure de découvrir tout ce panorama du western dans l’ordre, et sur grand écran.

dimanche 17 juin 2007

Rio Grande


Puriste de John Ford, passe ton chemin, ceci est une critique lapidaire, complètement non documentée, limite insultante, qui ne va pas te plaire…

Rio Grande
John Ford
1950
Avec : John Wayne, Maureen O’Hara, Ben Johnson, Harry Carrey Jr., Claude Jarman Jr.
John Wayne est le commandant d’un petit fort reculé pas loin du Rio Grande. Les Apaches lui mènent la vie dure, et le plus rageant c’est qu’ils traversent le Rio Grande pour se réfugier au Mexique où la cavalerie américaine n’a pas le droit de pénétrer. Comme si cela ne suffisait pas, le fils du Duke (Claude Jarman Jr ) vient d’être affecté dans sa garnison. Et vla ti pas en plus que la mère du garçon (Maureen O’Hara ) rapplique, bien décidée à sortir le fiston de la rigueur militaire.

On prend les mêmes et on recommence. Troisième film de Ford sur la cavalerie américaine (après Le Massacre de Fort Apache et La Charge Héroïque), Rio Grande reprend un casting très proche de La Charge Héroïque, dans une tentative de retrouver la bonne humeur et l’émotion de ce grand film. Mais là où La Charge Héroïque faisait souffler le souffle épique de l’épopée (attention, double pléonasme), Rio Grande se contente d’une intrigue somme toute mineure où l’action manque encore plus cruellement de nervosité que dans le film au ruban jaune. Là où La Charge Héroïque faisait pleurer le boy scout de moins de vingt ans par la grâce d’une seule chanson (She wore a yellow ribbon), Rio Grande enchaîne les chansons country du groupe « Sons of the pioneers ». On aime ou on n’aime pas, c’est un fait, mais en ce qui me concerne, la musique doit accompagner l’action et l’émotion, et non pas les ralentir ! Là où La Charge Héroïque faisait rêver en technicolor sur fond de Monument Valley, Rio Grande peine à faire exister l’espace en noir et blanc, et à rendre palpable cette rivière mythique qui sépare le Texas du Mexique. Là où La charge Héroïque parvenait à émouvoir par la nostalgie de ce vieux capitaine en pré-retraite, Rio Grande n’éveille qu’un intérêt poli avec cette histoire de réserve paternelle qui finit par se fissurer sous les coups de boutoir de la fibre maternelle de Maureen O’Hara.
On n’est pas loin du ratage complet, et seule une certaine réserve à l’égard du maître Ford vénérés de tous m’empêche de dire que le film est totalement chiant et sans intérêt. D’ailleurs ce serait faux, puisque malgré l’ennui qui plombe le film, on remarque tout de même forcément John Wayne qui assure, comme toujours, et surtout dans les scènes comiques. On cause souvent à foison sur John Wayne, le Cowboy réactionnaire dur à cuire, mais on évoque rarement son talent pour la comédie, qui explose pourtant littéralement dans certains films comme L’homme tranquille ou Rio Bravo. Face à la femme, John Wayne est toujours drôle, et dans Rio Grande il ne déroge pas à la règle. Mais honnêtement, il vaut mieux le revoir dans L’homme tranquille ou La Charge héroïque que dans ce film mineur où le talent de Ford n’apparaît qu’en demi-teinte.
Même pour Victor McLaglen qui fait son numéro habituel, même pour cette belle bataille finale dans un pueblo mexicain où la cavalerie arrive juste avant que les carottes soient cuites et qui voit le Duke recevoir une flèche en pleine poitrine, avant de repartir au final avec une simple écharpe sous le bras, je recommande beaucoup plus chaudement La Charge Héroïque, plus humain, plus drôle, plus attachant. Rio Grande montre bien que même les plus grands réalisateurs ne maitrisaient pas toujours la recette particulière de leur réussite.