mercredi 20 juin 2007

L'homme aux colts d'or



Le miracle du western classique, c’est quand il n’est pas classique.

Warlock
1959
Edward Dmytryk
Avec : Henry Fonda, Richard Widmark, Anthony Quinn, Dorothy Malone

A Warlock, petite ville de froussards, une bande de hors-la loi fait régner la terreur. Les shérifs ne font pas long feu, et les habitants, excédés, font appel à un mercenaire pour rétablir l’ordre. Il s’agit de Clay Blaisdell, l’homme aux colts d’or, accompagné du boîteux Tom Morgan.

Le mercenaire, c’est le grand Henry Fonda. Magnifiquement froid et ambigu, humain mais condamné à suivre son destin, il suffirait à lui seul à faire de L’homme aux colts d’or un grand Western, un de ces westerns intellectuels dont raffolait la critique européenne, un de ceux qui peuvent faire dire des trucs tapageurs comme « Le western est l’essence même du cinéma ! ». Pourtant Henry Fonda n’est pas seul, il est soutenu par Anthony Quinn – le mentor et associé du mercenaire, calculateur et inquiétant – et il affronte Richard Widmark en ex-bandit qui se rend compte de la fourberie de son patron et qui devient le nouveau Shérif de la ville, qui ne respecte que la loi et rien que la loi.
Trois stars, rien que ça, pour un western au scénario maîtrisé au millimètre et dont l’issue se laisse difficilement deviner. La légende du western est tout de suite démontée au profit d’une réalité peu séduisante : les colts d’or ne sont que des armes d’apparat, Clay Blaisdell ne s’en sert que pour construire sa renommée. De même, sa rapidité légendaire, bien que peu exagérée, ne lui suffit pas pour être le plus fort. Il ne survit que grâce à Tom Morgan qui abat les fourbes qui essaient de lui placer une balle dans le dos. Le couple est une mécanique bien huilé qui fait son business sur l’absence de loi dans l’Ouest, mais Clay Blaisdell est en fait manipulé par Tom Morgan qui fait tout pour que leur style de vie perdure, alors que Clay Blaisdell préfèrerait mener une petite vie pénard avec la femme qu’il aime. Au milieu de tout ça, Johnny Gannon (Richard Widmark) est un homme qui découvre peu à peu sa voie. Il devient shérif et doit s’opposer à ses anciens complices et amis, mais aussi à Clay Blaisdell, pour qui un shérif est synonyme de perte de profit.Si vous m’avez suivi jusqu’ici vous conviendrez que ce western relève peu du manichéisme que les sots reprochent toujours au western. Pas de bons, pas de méchants, pas de héros, pas de durs à cuir qui n’ont peur de rien. Uniquement des êtres humains, riches, profonds, illisibles, imprévisibles, au comportement évolutif. Ces êtres humains vivent de passions exacerbées, craignent l’avenir et la mort. Aucun n’est un justicier dont on ne sait d’où ils viennent ni d’où ils vont. Sur une trame scénaristique assez convenue (la ville de pleutres, les bandits, le mercenaire : voir Une balle signée X), Edward Dymitrik brosse des portraits d’hommes confrontés à des choix de carrière et de vie comme n’importe qui en fait dans la vie courante. Le mythe de l’Ouest et la splendeur des paysages n’ont aucune prise sur les personnages et pour cette raison L’homme aux colts d’or pourrait bien faire figure de « western crépusculaire » si tant est que cette appellation ait vraiment un sens.
Les scènes d’action privilégient la lenteur, l’attente, la tension et la peur d’être tué. Il y a cette scène inoubliable au début où le shérif en poste part affronter la mort, et qui au dernier moment, fait ce que beaucoup d’hommes feraient : prendre la fuite malgré l’humiliation. Il y a cette superbe scène de bluff nerveux, où Blaisdell s’oppose aux bandits dans le saloon, épaulé par Morgan, et un grand gars costaud, assis sur une chaise haute, le fusil double-canon sur le bras, impassible et concentré. Il y a Johnny Gannon, la main salement amochée comme s’il sortait d’un western spaghetti, qui s’en va mourir entêté face aux bandits, mais qui lui ne se dégonfle pas. Il y a la mort de Morgan, outrée et désespérée, et la folie de Blaisdell qui s’ensuit, dévastatrice. Il y a enfin le duel final, entre Johnny Gannon et Clay Blaisdell, dont l’issue inattendue réveille le spectateur qui croyait l’affaire pliée. Tout comme l'histoire d'amour, qui ne mène nullement à l'issue hollywoodienne logique! Le western n’est jamais meilleur que quand il n’est pas vraiment un western !Un film à voir, parce qu’il est un grand film, mais aussi pour les spaghettophiles parce qu’il est l’une des influences connues de Sergio Leone. Le personnage ambigu joué par Henry Fonda ressemble par certains de ses cotés les plus noirs au personnage de Frank dans Il était une fois dans l’Ouest : cynisme, apparence vestimentaire, démarche. Et j’ai été tout surpris de le voir faire tomber un type en béquille, exactement comme il le fait dans le film de Leone. Et je sais bien que tous les spécialistes connaissent tout ça par coeur, alors, parfois, j’enrage de découvrir tous ces détails à rebours. Parfois je voudrais avoir eu 20 ans dans les années 50, pour avoir été en mesure de découvrir tout ce panorama du western dans l’ordre, et sur grand écran.

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