samedi 24 mai 2008

Les cruels




I crudeli
1966
Sergio Corbucci
Avec : Joseph Cotten, Norma Bengell, Julian Mateoas

Tout tourne autour d’un cercueil. Jonas, officier de l’ex-armée confédérée rêve de reprendre la lutte. Pour cela, aidé de ses trois fils et de deux acolytes, il massacre dans la joie et l’allégresse un détachement Yankee qui convoyait des dollars. L’eau du fleuve devient rouge sang, les armes à feu chantent et produisent leur écho spaghetti style. Les deux acolytes y passent aussi, car ils n’ont pas la foi. C’est la spaghetti attitude, pas de modérés, quelques hommes suffisent à anéantir un bataillon, le nombre de morts époustouflant est une convention comme l’était l’exagération du nombre de combattants dans les chroniques médiévales. La petite famille sudiste cache l’argent dans un cercueil afin de l’acheminer tranquillement à bon port et reprendre la lutte. Cacher quelque chose dans un cercueil, que ce soit de l’argent ou un homme en fuite n’est jamais une bonne idée, il y aura toujours un moment ou un représentant de l’ordre zélé demandera à l’ouvrir. Pour éviter ce genre de déconvenue, Jonas a pensé à tout : il a engagé une femme pour tenir le rôle de la veuve du virtuel macchabé. Mais ça ne suffira pas à prévenir les péripéties multiples, la folie des hommes et le sens tragique de la spaghetti attitude.

Thème connu de la revanche du Sud, autorité familiale (Joseph Cotten, regard fanatique impeccable), déchirements familiaux, frère un brin psychopathe (adepte de la baïonette) que l’on protège malgré tout, tout est connu dans ce western, mais tout est différent. D’abord parce qu’il n’y a pas de héros au sens propre (ou sale d’ailleurs) : le petit groupe est le personnage du film, tous sont des crapules, sauf l’un des frères qui semble un peu moins salaud que les autres. Pas de pistolero qui, bien que bourru, représente le bien. La deuxième veuve (la première, alcoolique y passe assez vite) est un personnage moral, qui comme dans les westerns classiques, essaye de faire ce qu’elle peut pour empêcher les hommes de s’entretuer. Elle y arrivera presque d’ailleurs, lors d’un petit twist scénaristique très bien vu dans un fort Yankee. Mais la spaghetti attitude veut que le destin des hommes les rattrape quoi qu’il arrive, dans un final baroque boursouflé. Jonas rampe dans la boue séchée et craquelée, normal, on est dans un Sergio Corbucci.
C’est un Corbucci, mais pas un Corbucci comme les autres, et c’est aussi pour ça que ce film est différent. Jean-François Giré indique dans son livre (L’excellent Il était une fois le western européen, à re-paraître prochainement) qu’il s’agit probablement d’un western de commande. Ceci donne un cachet « classique » au film, c'est-à-dire que si on retrouve bien la noirceur des autres films « sérieux » du bonhomme, c’est par petites touches, presque invisibles pour les néophytes. La linéarité du scénario et l’absence d’exagération font que le film se suit comme un petit western tranquilou avec ses péripéties ad-hoc et ses retournements de situation appropriés, mais sans en avoir l’air, Corbucci nous fait quand même du Corbucci. Et curieusement, on y prendrait presque autant de plaisir que dans ses films réputés (Le Grand Silence et Django en tête) ou la noirceur, le pessimisme, l’hiératisme et le climat (boue, neige) atteignent un degré tel que ces films tournent à l’exercice de style déshumanisé. Dans Les cruels, la noirceur et le pessimisme sont là, mais ils ne sont pas assénés à coup de crosse, les personnages ne prennent pas la pose d’oiseaux vengeurs désincarnés malgré leur destinée qui les mène droit au cimetière, le désert minéral participe à l’ambiance morbide, mais de façon moins appuyée que la boue ou la neige. Tout ceci fait que le film se suit le cœur beaucoup plus léger que Django ou Le Grand Silence, mais que l’émotion ressentie lors du final n’en est que plus réjouissante. Moins de Corbucci dans un Corbucci permet donc parfois d’apprécier d’autant plus le style Corbucci.




Au rayon des petits plaisirs purement dans la tradition du western spaghetti, on a des gros plans sympas (comme ce chardon en avant-plan), l’attention portée au détail (le convoi des Tuniques bleues qui traversent un cours d’eau, avec un soldat qui mouille sa chemise pour guider les bêtes, la partie de poker qui se suit comme un mini-récit), les petites attentions gothiques (le cimetière avec ses croix bigarrées et penchées un soir d’orage) et bien sûr une foultitude de seconds rôles pour jouer au « qui qui joue qui ». A ce jeu là, on a donc Aldo Sambrell qui vient montrer son grand sourire deux minutes avant de finir au bout d’une corde, Al Mulloch (le tout premier visage du Bon la brute et le truand) qui vient faire le pitre deux minutes avant de finir embroché et Benito Stefanelli que j'ai eu du mal à reconnaître en joueur de cartes avec des lunettes (je ne suis pas très fort au « qui qui joue qui »). Un bon petit western spaghetti donc, avec une bonne petite musique d’Ennio Morricone (déjà entendue sur Le jour du jugement) qui permet à ce western méconnu en France (car inédit jusqu’alors) de s’envoler jusqu’au nichoir des « pas le film du siècle, mais incontournable pour les fans du genre ».



Où le voir. Je me suis visionné la version anglaise d’excellente qualité (anglais bien compréhensible). Mais il y a une VF qui a été déjà diffusée sur les chaînes satellitaires, et le DVD Studio Canal avec VF is due in July 2008. Si cela sort vraiment en juillet, je risque bien de me l’acheter, mais pour l’instant, il est tout aussi possible qu’il ne sorte jamais.
[Edition Août 2008]: le DVD Studio Canal avec VF est bien sorti, j'en parle ici

11 commentaires:

  1. Je rêve de voir ce film depuis plus de vingt ans, quand j'avais lu les pages enthousiastes de L. Staig et T. Williams dans leur bouquin sur le western italien. Ils le tenaient pour le meilleur des Corbucci !
    Ton texte renforce mon envie de le découvrir. J'espère donc que la sortie prévue cet été se concrétisera. Je croise les doigts.

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  2. J.F. Giré indique que ce film est très réputé chez les anglo-saxons, précisant que c'est sans doute parce qu'ils apprécient assez peu les outrances habituelles de Corbucci. Le film semble autant devoir à son producteur Albert Band qu'à Corbucci, ce qui en fait une oeuvre assez curieuse.

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  3. Peut être étaient ils plus sensibles à la thématique de la défaite du sud...
    J'ai vu que Albert Band et Cotten avaient déjà fait un film similaire un an avant, "Les forcenés". Tu connais ?

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  4. Je ne l'ai pas vu, mais certains sur le forum l'ont vu: http://forum.westernmovies.fr/viewtopic.php?f=10&t=4717&p=55860&hilit=forcen%C3%A9s#p55860

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  5. Avec ce I Crudeli, j'ai presque envie de dire : enfin un western dans lequel une femme joue un rôle capital.

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  6. je relève 3 fautes :
    - Mr (mister) au lieu de M. (monsieur) mais c'est probablement une faute de style plus que de goût ;
    - Flingoblis au lieu de Flingobis mais ce doit être de la dyslexie plus que de l'ironie ;
    - "on peuT lui péter au nez" mais non, on ne peuX pas lui péter au nez ;
    - "qu'on doive" et non pas "qu'on doiveNT" ; l'emploi du subjonctif est louable mais la construction de la phrase aurait gagné à être : "Avez-vous un tel statut que la moindre de vos remarques doive susciter l'intérêt ?"

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  7. C'est bien gentil monsieur le Conjugator de venir corriger les fautes des intervenants ici, mais tout de même, bien que tout le monde soye perfectible, vous conviendrez que le niveau en orthographe ici n'empêche pas une lecture harmonieuse et fluide des commentaires. Allez faire un tour sur le forum de Lorie (par exemple), la tâche sera très ardue et plus utile. :)

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  8. Hormis Tepepa, je note la pertinence des autres réactions à ma remarque, qui ne sont centrées qu'autour des fautes de frappe (et d'étourderies !) que j'ai commises. Elles sont dues au fait que j'ai tapé cela au réveil, sans même avoir avalé un café. Je sais, je suis un accro à l'ordinateur...
    J'emmerde le conjugueur, donc.

    Pour ce qui est de l'erreur de pseudonyme, j'estime que quand on m'appelle Fergucon, je peux écrire Flingoblis lol

    Cher Tepepa, il est vrai que votre style fait le bonheur des blogueurs. Néanmoins votre analyse est souvent très "Cahiers du cinéma", sous une enveloppe de désinvolture évidemment feinte.
    Lorsque l'on critique un film, comment éviter de parler de l'aspect "technique" du film, qui fait très vite d'un avis sur un film une "critique officielle", comme vous dites ?...

    La frontière est ténue : critiquer un film en profondeur -comme vous le faites très bien- implique des références, de la précision, d'où le rapprochement avec la critique officielle. Une critique cinéma singe obligatoirement les critiques officielles, même si l'emballage est différent (et le votre, je me répète, est bien fait), le contenu est fatalement celui d'un critique en tant que tel.

    Votre avis ?
    Ferguson

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  9. Effectivemment, s'il n'y avait que le style et la désinvolture feinte pour dire la même chose que les autres, ça n'en vaudrait pas la peine. Néanmoins, ce qu'un bloggueur "libre" peut revendiquer par rapport à la critique officielle, c'est le droit de dire que La Poursuite infernale ou Rio Grande ne sont pas de bons films, alors que tout le monde dit le contraire sous prétexte que Ford les a réalisés. Derrière ça, je n'ai évidemment aucune légitimité pour imposer de si énormes sacrilèges, mais peut-être que critiques de plus en plus nombreuses sur les blogs feront évoluer les critiques "officielles" qui donneront alors plus souvent un avis qui leur est propre plutôt que de suivre le mouvement.

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  10. "les avis, c'est comme les trou du cul, tout le monde en a un" disait l'inspecteur Harry. C'est bien parce que l'on ne se contente pas de ça que l'on commence à parler de cinéma et que cela peut présenter très éventuellement un intérêt. Et ici l'intérêt existe. Oh oui ! Et ainsi, même si je n'en ai pas l'air j'apprécie ce qu'apporte la vision d'un Flingobis.
    La différence entre un critique officiel et un non officiel, c'est que le premier est payé pour son texte et qu'il a un rédacteur en chef aux fesses pour lui dire sur quoi écrire. Aujourd'hui, je me réjouis chaque jour que les blogs permettent aux non officiels d'être lus autant si ce n'est plus que les officiels. Et puis il y a des critiques officiels qui écrivent bien, avec leurs tripes et leur coeur. Cette manie de compartimenter les gens...
    juste une chose, Tepepa, je ne crois pas non plus que se démarquer passe forcément par la critique des classiques. Ca peut. Mais pour "Rio Grande", la critique "officielle" ne l'estime pas beaucoup, et du coup, c'est moi, le défenseur acharné des sons of the pionniers, qui fait office de bloggeur libre, avant garde éclairée, les cheveux aux vents et le regard clair tourné vers les cîmes de Monument Valley sur lesquelles le soleil ne se couche jamais. Et toc.

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  11. Oui c'est vrai, il ne s'agit pas non plus de se démarquer pour le plaisir de se démarquer. Ce qu'il faut, c'est être honnête avec soi même. Sur Rio Grande, je pense qu'on se démarque tous les deux, puisque en général le discours est "un Ford mineur, ça reste quand même un bon film". Moi je dis, c'est un mauvais film, toi tu dis, c'est un excellent film (malgré les sons of the pionniers, :)).
    Bon, faut vraiment que je le revois :)

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