dimanche 9 février 2025

Critique "le bon la brute et le truand" - 1968

 


Voici une critique du western italien Le bon la brute et le truand parue en Mai 1968 dans le numéro 126 de la revue "Cinéma 68". La critique est signée Guy Braucourt.


LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND

AVANTI LEONE !

Nous avons dit suffisamment de mal dans ces pages des pseudo-westerns à l’italienne (le plus souvent en les ignorant : au rythme d’une demi-douzaine sortant chaque mois sur les écrans parisiens, c’eût été de la place gâchée !), nous avons suffisamment rejeté le principe même du genre (faux, paresseux, nuisible au cinéma transalpin sauf bien sûr sur le plan commercial), pour reconnaître, puisque l’occasion s’en présente avec le dernier film de Sergio Leone, que le western made in Italia peut aboutir à une oeuvre accomplie, digne d’estime, constituant assurément le chef-d’œuvre du western non américain, valant mieux en tout cas que 90 % de la production hollywoodienne des dernières années (les réussites se comptant sur les doigts d’une seule main : Les Professionnels, El Dorado, Violence à Jéricho, The Shooting, présenté à la semaine de "Positif").

Au départ, un schéma très simple : trois hommes, tous un peu truands quoiqu'en dise un titre ironique, lancés sur la piste d’un fabuleux trésor. Trois tout aussi simples questions permettant de tenir le spectateur sous tension deux heures quarante durant : où, comment, qui. Et en ce qui concerne le décor, l’ambiance, les interprètes, pas de problèmes : on prend les mêmes et on recommence. Il y a donc les paysages familiers des Pouilles, les variations musicales guillerettes de Ennio Morricone sur le thème du premier volet de la trilogie léonienne (1), l’impassibilité « distanciatrice » (ou distanciée ?) de Clint Eastwood à qui l’on adjoint de nouveau l’étonnant faciès de Lee Van Cleef tout en faisant prendre du service à un troisième larron, l’Américain Eli Wallach chargé d’animer un peu l’action que le lymphatisme eastwoodien risquait fort de paralyser. Le ton, les effets, les tics sont les mêmes, eux aussi selon le principe d’une recette qui a fait ses preuves : violence exacerbée et sadisme triomphant, gros plans agressifs, gueules grimaçantes, lenteur étudiée jusqu’à l’exaspération pour appuyer quelques secondes explosives.

Pourtant, ce qui était dans les précédents (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus), contrefaçon grossière et trucage pénible (démarquage d’un genre importé plus inspiration inavouée de films de Kurosawa), éléments purement extérieurs et facilités spectaculaires, devient ici style d’auteur – ou quasiment – mode d’expression d’un univers personnel. Point de héros, point de causes nobles, point de « bons » dans cet univers impitoyable : seulement des débrouillards, des crapules sans scrupules qui se livrent une guerre privée dans le cadre d’une guerre nationale (Sécession) qu’ils ignorent, qui ne les concerne que dans la mesure où elle facilite ou gêne leurs petites affaires.

Dès lors, le parti pris de réalisme sordide, de vulgarité photographique, les tics, les trucs et les trognes sont pleinement justifiés : comme disait à peu près Godard, le gros plan est aussi affaire de morale. Et ces masques qui suent l’avidité, la violence, le sadisme, la peur, ces faces trop humaines, ce sont celles d’hommes vidés de tout héroïsme "de cinéma", de tout romantisme pseudo-historique ("ils étaient bons, ils étaient forts, ils étaient grands : ils ont fait l’Ouest" dit la légende). Le latin et méditerranéen Leone retrouve d’ailleurs dans son film le ton et la "morale" d’une genre littéraire spécifiquement latin (espagnol plus précisément) : le roman picaresque. Le Bon, la Brute et le Truand apparaît comme une épopée comique picaresque avec son étourdissante succession d'épreuves qui n’ont pour but que de mettre en valeur l’ingéniosité de ses "picaros" (des coquins), avec son naturalisme pittoresque, ses gags-combines qui sont autant de manifestations de la débrouillardise du "héros" (le prisonnier attaché par une chaîne au poignet de son gardien assommé, la brise en le plaçant sur un rail au passage d’un train), l’aptitude de personnages ni tout à fait bons ni tout à fait méchants, à s’en sortir par tous les moyens, au-delà de toute morale, mais en forçant toujours notre sympathie...

L’originalité profonde de Leone (tout au moins, répétons-le, dans son dernier film) tient non seulement à sa manière de pousser les outrances jusqu’au pur délire, vidant ainsi les situations dramatiques de leur potentiel tragique (le face à face de quatre individus à mine patibulaire dans la première séquence, filmé comme les traditionnels règlements de comptes mais qui débouche sur l’agression grotesquement ratée d’un cinquième homme en train de manger ; le périlleux équilibre du truand sur la croix d’une tombe et au bout d’une corde), mais surtout et inversement à réussir par un humour macabre à peine soutenable à re-dramatiser la farce (la combine du chasseur de primes et du candidat à la pendaison : drôle et sans danger car le tireur vise bien, mais que survienne un importun et le complice confiant reste accroché à sa corde ; dans le camp nordiste, l’orchestre de prisonniers qui crée l’ambiance et couvre les cris pendant qu’on torture – référence évidente aux camps de concentration nazis avec leurs orchestres juifs ; le capitaine alcoolique de l’armée nordiste qui ne rêve que de détruire le pont qu’il est chargé de défendre).

Ajoutons à cela pour faire bonne mesure des gags de "cartoons" : le pistolet gardé dans le bain, les nordistes pris de loin pour des sudistes tant leur uniforme bleu est couvert de poussière...

Non, vraiment, aucune raison de bouder ce western (qui aurait sans doute gagné à être moins étiré, et aurait vu son efficacité encore accrue sur deux heures de durée) ! La voie du Nouveau Monde est à présent ouverte à Leone qui va tourner aux Etats-Unis son prochain film. On attend avec intérêt et curiosité le résultat de ce mouvement d’import-export culturel avec retour à l’envoyeur...

Guy Braucourt

(1) Mais qu’on ne s’y trompe pas : Morricone n’est pas seulement le compositeur des Dollars, des Ringo et autres Ecossais au Texas. Quelques films italiens de marque lui doivent leur exceptionnelle réussite musicale : Prima Della Rivoluzione, Pugni in Tasca, Uccellacci e Uccellini. Excusez du peu !

IL BUONO, IL BRUTTO E IL CATTIVO
Italie : 1967.
Réalisation : Sergio Leone.
Scénario et dialogues : Age, Scarpelli, Luciano Vincenzoni et Sergio Leone.
Prises de vues : Tonino delli Colli.
Musique : Ennio Morricone.
Interprétation : Clint Eastwood, Eli Wallach, Lee Van Cleef, Mario Brega, Aldo Giuffre, Livio Lorenzon, Luigi Pistilli, Enzo Petito, John Bartha.
Techniscope - Technicolor.

Critique "Et pour quelques dollars de plus" - 1966

Voici une critique du western italien Et pour quelques dollars de plus parue en Novembre 1966 dans le numéro 110 de la revue "Cinéma 66". La critique est signée G.B, probablement Guy Braucourt.


ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS

Italie. Réal. : Sergio Leone. - Sc. : Vincenzoni, Morzella et Leone. - Ph. : M. Dallamano. - Mus. : Ennio Morricone. - Int. : Clint Eastwood, Lee Van Cleef, G.M. Volonté.

Ayant ramassé plus d’un milliard de lires sur le seul marché italien avec « une poignée de dollars », le malin Leone a dû se dire « que sera-ce donc avec quelques dollars de plus »! Il a crânement signé de son nom cette fois, a même tenté d’écrire un scénario original au lieu de l’emprunter à Kurosawa (notons toutefois qu’il conserve le personnage japonais du ronin vagabond, le Sanjuro du « Yojinbo » — le Mercenaire — de Kurosawa, et adapte très vaguement la seconde aventure du héros dans « Tsubaki Sanjuro » — « Sanjuro des Camélias »), enfin à Jack Palance comme protagoniste de son film (pour se rabattre finalement sur Lee Van Cleef qui n’est d’ailleurs pas mal)...

Hélas ! pour lui comme pour nous, ce calcul si évidemment, si mathématiquement logique et qui ne nécessitait qu’une simple cote des changes, s’est avéré d’autant plus faux que la monnaie utilisée était grossièrement contrefaite. Cette histoire de deux « bounty killers », de deux chasseurs de primes s’associant pour détruire une bande de quinze pilleurs de banque est aussi répugnante par sa « morale » que par son traitement scénique deux longues heures durant, à coups de gros plans de visages ricanant et suant, et avec beaucoup moins de vigueur, de sadisme, et surtout d’humour que le précédent.

Alors, S.V.P., n’en jetez plus et la prochaine fois gardez la monnaie !

G.B.

Critique "Le dollar troué" - 1966


Voici une critique du western italien Le dollar troué parue en Novembre 1966 dans le numéro 110 de la revue "Cinéma 66". La critique n'est pas signée.


LE DOLLAR TROUÉ (Un dollaro bucato)

Italie. Réal. : Kelvin Jackson Paget. - Sc. : J. Finley et K.J.P. - Ph. : Tony Dry. - Mus. : Gianni Ferrio. - Int. : Montgomery Wood, Evelyn Stewart, Peter Cross, John Mac Douglas, Frank Farrel.


Après la Guerre de Sécession, deux frères sudistes partent vers l’Ouest pour faire fortune : ils sont mis face à face dans un duel à mort par un gentleman-gangster et le cadet est tué. Les aventures commencent... Encore un western italien réalisé sous un pseudonyme par un cinéaste dont nous n’avons pas réussi jusqu’ici à percer l’identité. Cela vaut peut-être mieux pour lui, car ce dollar, très correctement réalisé et interprété, n’est cependant que de la fausse monnaie.

dimanche 21 janvier 2024

La Chevauchée Des Sept Mercenaires

 


1972

The Magnificent Seven Ride

George McCowan

Avec : Lee Van Cleef

Quatrième film de la série des Sept Mercenaires, tous inspirés de l'indémodable matrice d'origine signée John Sturges, La Chevauchée Des Sept Mercenaires ne m'a guère donné envie d'explorer les opus deux et trois. Certes, on commence avec le sourire jusqu'aux oreilles lorsque démarre le générique avec l'emblématique musique d'Elmer Bernstein, mais on se rend rapidement compte que l'on est en présence d'un western de seconde zone. Les yeux saignent d'abord (mais ce n'est pas la faute du film) parce que la copie proposée par C8 est fade et délavée. Ce n'est pas un grand film restauré avec amour et c'est recadré, ce qui donne l'impression de regarder un téléfilm que l'INA aurait exhumé de ses placards. 

Mais même ce que l'on voit sur la pellicule ne soulève pas l'enthousiasme. Les décors sont minimalistes, les costumes font également penser à une série TV des années 60. A part Lee Van Cleef, toujours impeccable mais qui commence à montrer son âge, peu de gens sont connus, peu d'acteurs sortent du lot. L'histoire est basique. Chris - parce que oui, on doit accepter que le personnage joué par Lee Van Cleef est le même Chris que celui du premier film joué par Yul Brynner - est devenu un Shérif implacable et sévère. Il commence par refuser d'aller à nouveau aider des pauvres mexicains terrorisés par un bandido ("J'ai passé trois fois cette frontière pour combattre des bandits... Trois fois j'ai failli y rester...") , mais bien sûr, les évènements vont lui forcer la main.

En l'occurrence, les évènements sont constitués du rapt, du viol et du meurtre, par des jeunes désœuvrés, de la femme de notre pauvre Lee Van Cleef. C'est de sa faute aussi, pris d'un élan gauchiste incompréhensible, il avait été clément avec l'un des jeunes et l'avait libéré. Le laxisme de la justice est effrayant, on comprend pourquoi C8 diffuse ce film. Accompagné d'un journaliste qui est là pour imprimer la légende, Chris finit par retrouver sa femme morte dans un buisson. Refusant même de la regarder, Chris ne prend pas la peine de l'enterrer dignement et la laisse pourrir sous un tas de cailloux, parce qu'il faut vite qu'il tue les trois beatniks qui ont fait ça. Semblant se remettre de la mort de sa femme avec une étonnante rapidité, Chris, toujours flanqué de son journaliste, va rapidement faire la peau de deux des coupables sans prendre le temps de leur lire leurs droits. Puis ils vont se retrouver dans un village mexicain dont les hommes ont tous été tués, et les femmes toutes été violées, par le fameux bandido mexicain. Or le troisième coupable du meurtre de la femme de Chris a rejoint la bande du mexicain. La boucle est bouclée, Chris va donc pouvoir aider les femmes violées, recruter du monde et décimer la bande, youpi!

En plus d'être basé, bien sûr, sur le film d'origine, La Chevauchée Des Sept Mercenaires s'inspire également des Douze Salopards, ou, pour rester dans l'univers western, de La Poursuite Sauvage. Chris va recruter cinq bagnards qu'il a lui-même mis en prison pour faire le boulot. Astuce intéressante, il commence par les impliquer dans le kidnapping de la femme du bandido pour s'assurer de leur loyauté et les empêcher de passer dans l'autre camp. Le septième mercenaire n'est autre que le journaliste qui va troquer son rôle d'observateur impartial pour participer pleinement aux festivités. Scène surréaliste, à l'arrivée de la troupe dans le village, Chris va littéralement offrir une femme à chacun de ses nouveaux acolytes. Etrangement, celles-ci semblent accepter d'être affectées à un bandido americano avec le sourire, alors même que ceux-ci sont censés empêcher un probable futur viol de masse par les bandidos mexicanos. C'est pas très woke tout ça! 

Le reste du film se suit sans déplaisir. Entraînement aux armes, discussions sur la stratégie à adopter, papotages avec ces dames, mise en place des défenses du village, le film cherche à reproduire la recette du film de Sturges avec mention passable. On note que la thématique de la vengeance a tourné court vu que le troisième coupable est mort on ne sait pas trop comment. Mais c'est pas grave, Chris a trouvé une remplaçante à sa femme dans le village. On note aussi que contrairement à Calvera dans le film d'origine, le chef des bandits est totalement sans saveur et sans intérêt, à part que dans la précipitation il tue sa femme qu'il était venu libérer, c'est ballot. Les scènes de bataille sont bien menées, ça canarde dans tous les sens, c'est efficace. Allez en vrai ça fait le taff, on a passé une soirée honnête, et ça reste moins abrutissant que regarder BFM en continu.

Image : lasbugas sur western movies

jeudi 18 janvier 2024

L'Or de MacKenna


 MacKenna's gold

1968

Jack Lee Thompson

Avec: Gregory Peck, Omar Shariff, Eli Wallach, Telly Savalas

Gregory Peck se retrouve un peu malgré lui dépositaire d'une carte au trésor, et bien sûr, toute une troupe de gens pas très honnêtes vont se mettre à la recherche dudit trésor, comme dans un spagh de routine. Sauf que là, ils sont vraiment nombreux. Outre un Omar Sharif en grande forme, sa bande hétéroclite incluant Ted Cassidy en Apache patibulaire, on trouve Eli Wallach qui malheureusement ne tient pas dans ce film le rôle de sa vie, le chauve Telly Savalas en chef pas très honnête de la cavalerie, une indienne (Julie Newmar) qui se bat à oilpé sous l'eau, une blonde qui reste habillée (Camilla Sparv), un prêcheur, un épicier, un anglais et un vieillard aux yeux jadis brûlés par les Apaches. Ah oui, et des Apaches bien sûr, plein d'Apaches toujours là au mauvais moment.


Julie Newmar


On a du mal à suivre, mais ce n'est pas trop grave, car la plupart de ces gens meurent assez rapidement pour cause de dépassement de budget. Le film lorgne beaucoup vers le film d'aventures. On a droit à une descente en rapides, des chevauchées en accéléré, un pont de corde, une entrée de vallée indiquée par l'ombre d'un pic au lever du soleil et un tremblement de terre final qui a très mal vieilli mais qui devait produire son effet à l'époque. Rien de bien passionnant, la morale est sauve, le destin a fait que la montagne d'or ne profitera à personne. Mais signe des temps tout de même, les deux survivants finissent avec une sacoche pleine d'or sans même être au courant. 
Gregory Peck est tout de même assez fade, bien propret et bien sapé. Clint Eastwood avait été pressenti pour le rôle, et le film aurait sans doute une aura différente aujourd'hui. La musique est signée Quincy Jones, mais je ne l'ai pas trouvée particulièrement marquante. Si vous switchez de la VO à la VF, vous noterez que la chanson du générique est chantée par Johnny Halliday, mais de mon point de vue, ce n'est pas vraiment un atout supplémentaire au film. 


Gregory Peck

Au final, le véritable atout du film, ce sont ses décors. Tourné aux Etats-Unis et non pas en Espagne comme c'était souvent le cas pour les westerns américains à l'époque, la scène d'introduction est une merveille, d'autant que la version diffusée par Arte a été bien restaurée. Tout le reste du film est parsemé de vues magnifiques sur des lieux emblématiques de l'Arizona et de l'Utah, dont la fameuse Monument Valley, qui donnent envie de prendre un vol direct sur un Boeing malgré les risques. A noter tout de même que selon Allociné, "le lieu central du film, le fameux Canyon del Oro, fut acheté pour les besoins du film. Cette démarche était nécessaire dans la mesure où celui-ci, d'ailleurs déjà classé comme zone à risque, fut réduit en poussière pour les besoins de la fin du film." Ce serait donc pour cela, que dans la profusion de gros plans assez datés du tremblement de terre final, certains plans d'ensemble sont tout à fait réalistes et ne semblent vraiment pas être des maquettes. Il semble incroyable avec nos yeux d'aujourd'hui qu'on ait pu détruire un lieu aussi magnifique pour un film qui n'a pas vraiment fait date dans l'histoire du cinéma.





dimanche 14 janvier 2024

Autant en emporte le vent



1939

Victor Flemming

Avec : Clark Gable, Vivien Leigh, Olivia de Havilland

Vu assez jeune, je me souviens que paradoxalement j'avais assez aimé ce film, malgré sa longueur, son manque d'action et son côté larmoyant. Pourtant, je repoussais encore et toujours la revoyure de ce film, craignant l'ennui, le romantisme dégoulinant suggéré par l'affiche montrant Clark Gable sur le point d'embrasser Vivien Leigh, et la musique affreusement hollywoodienne. Si je ne me trompais pas sur ce dernier point, j'ai pourtant été à de nombreuses reprises estomaqué par ce film de 85 ans. 

Tout d'abord, loin de montrer une romance entre un héros pur et dur et une noble et innocente sudiste, le film dépeint avant tout deux êtres foncièrement antipathiques. Rhett Butler (Clark Gable), arriviste, opportuniste, homme à bordel, profiteur, et Scarlett O'Hara (Vivien Leigh), calculatrice, égoïste, prête à tout pour arriver à ses fins. Leur amour semble toujours de mauvaise foi, leurs relations souvent venimeuses et hypocrites. Scarlett se mariera trois fois à un homme qu'elle n'aime pas, deux de ses maris mourront. Ces deux personnages, que l'on aurait peine à qualifier de "héros" du film, confèrent à Autant en emporte le vent une indéniable modernité. 

Ensuite, si la vie et les affres d'une jeune sudiste avant, pendant, et après la guerre de Sécession pourraient de prime abord sembler des sujets qui ne soulèvent pas l'enthousiasme, le contexte de l'histoire et l'énorme budget du film offrent des échappées spectaculaires au caractère intimiste du film. On pense bien sûr aux scènes de guerre à Atlanta, aux mouvements de troupes que Sergio Leone avait sûrement en mémoire pour Le Bon, La Brute et le Truand, à cet immense hôpital à ciel ouvert qui impressionne d'autant plus qu'aujourd'hui tout cela serait fait en numérique, et bien sûr à l'incendie de la ville elle-même. Je pense également à cette magnifique scène de l'attelage de Scarlett, caché sous un pont, Scarlett les pieds dans l'eau essayant de faire taire son cheval, Mélanie (Olivia de Havilland) avec son bébé dans le coupé, tandis que les troupes nordistes traversent le pont au-dessus de tout ce petit monde. Le film n'est pas avare en tableaux marquants de ce type, parfois avec un ciel flamboyant en arrière plan, les personnages déterminés et implacables. 

Les scènes intimistes ne manquent pas non plus de théâtralité. Lors de la troisième partie, la moins passionnante des trois, la mort de la fille de Scarlett et Rhett semble jouée d'avance, comme si Scarlett avait une prémonition du scénario qui a été écrit pour elle. La folie de Rhett après sa mort n'est pas montrée, elle est racontée par la domestique noire Mamma (Hattie McDaniel, première actrice noire à obtenir un oscar) dans un plan extraordinaire et éprouvant, Mamma racontant crescendo les derniers évènements à une Mélanie de plus en plus consternée. Les rôles secondaires ne sont pas épargnés non plus par un destin cruel et retors, beaucoup meurent en même temps que le vieux Sud chéri par Scarlett. 

Néanmoins le film est long, très long. Passé l'étonnement de la modernité des personnages, passés l'émerveillement des décors, des costumes, de l'innombrable figuration, on peine à saisir la finalité du destin de Scarlett. Le vieux Sud idéalisé n'est plus, la corruption Yankee a balayé les rapports cordiaux qui existaient entre les maîtres et leurs esclaves. A ce sujet, Arte croit bon de placarder un avertissement au début du film, pour prévenir les spectateurs qu'un tel film doit être remis dans son contexte et patati et patata. Je veux bien. Mais il faudrait mettre le même avertissement devant Le Professionnel de George Lautner. Oui oui, j'ai revu ce sympathique Bébel récemment, et il regorge de blagues ou remarques racistes qui ne passeraient plus aujourd'hui. Il faudrait mettre le même avertissement à l'entrée du Puy du Fou, qui cherche à nous faire croire que l'Ancien Régime était un havre de paix et de concorde entre les Nobles et le Tiers Etat. Une fresque murale d'un cinéma de province a récemment été critiquée à cause du film choisi. Il s'agit des Tontons flingueurs (Georges Lautner encore tiens...), dénoncé comme étant un cinéma de papa qui donne une mauvaise image de la femme. A ce rythme il faudra bientôt mettre un avertissement à tout film tourné avant 2015. En bref, le paternalisme gentillet des blancs d'Autant en emporte le vent à l'encontre de leurs esclaves dévoués ne pose pas vraiment plus de problème que le mot nègre dans le plus fameux roman d'Agatha Christie, mais c'est l'air du temps. 

Je préfère pour ma part garder un bon souvenir de ce film et m'appesantir sur des petits détails. Savez vous par exemple qui double Clark Gable dans la scène où il tire la charrette dans Atlanta qui brûle? Et bien d'après Wikipedia, ce n'est autre que Yakima Canutt, dont on parle à plusieurs reprises dans ce blog. Il est aussi l'un des hommes qui agressent Scarlett sur le pont dans la troisième partie. Curieusement, cette info m'intéresse plus que d'ergoter des heures sur le fait qu'un film de 85 ans puisse être raciste et s'il devrait pour cela être assorti de tout un tas d'avertissements.



mercredi 10 janvier 2024

Le brigand bien-aimé



1957

The true story of Jesse James

Nicholas Ray

Avec : Robert Wagner, Jeffrey Hunter, Hope Lange

A ne pas confondre avec le Brigand bien-aimé de Henry King tourné en 1939, ce Jesse James ci a la prétention de nous montrer la vraie histoire du fameux hors la loi. Au début j'y ai cru à ce film, parce que c'est signé Nicholas Ray, parce que ça canarde dès le début, dans un hold up raté qui préfigure l'inaugural carnage de la Horde Sauvage, parce qu'on voit deux fugitifs faire un plongeon vertigineux, à cheval, dans un lac et parce que le montage tout en flash backs donne une touche de modernité étonnante au film.

Mais très vite, trop vite, mon attention a été accaparée par une notification de mon téléphone, signe tout de même, que je n'étais pas follement captivé par ce que je voyais. Bouuh les méchants Yankees qui font rien qu'à embêter les gentils fermiers sudistes qui n'ont jamais été esclavagistes et qui veulent vivre dignement! Qu'à cela ne tienne, braquons une banque! Ben oui! Passée cette explication sociologique un brin forcée, le film, finalement, n'est pas aidé par ce procédé des flash backs à répétition qui deviennent vite lourdingues. Il n'est pas aidé non plus par les acteurs principaux, trop beaux gosses, lisses, assez peu expressifs, à part peut-être lorsque Robert Wagner tue un fermier dans le dos. La tension qui s'accentue petit à petit entre les deux frères, l'un cherchant réellement à s'en sortir quand l'autre prend goût au banditisme et au meurtre est traitée avec de trop rares fulgurances. Les personnages féminins sont fades au possible, on a du mal à croire que Nicholas Ray a signé Johnny Guitar trois ans plus tôt. Où est la flamboyance, où est la démesure? Il paraît que Nicholas Ray n'a pas pu faire le film qu'il voulait, que le producteur Buddy Adler lui a mis de sacrés bâtons dans les roues. Il paraît qu'il y a quelque part une version plus personnelle mais jamais montrée, comme pour tous les films mineurs des grands auteurs. Cependant, nous avons passé l'âge de fantasmer sur ce qu'auraient pu être les mauvais films dont on aurait voulu qu'ils soient bons n'est ce pas? Prenons les films comme ils sont. Celui-ci, malgré quelques bonnes scènes, rate sa cible. Ni histoire "véritable" et factuelle de Jesse James, ni ode au bandit au grand cœur, ni western maudit de son auteur, The True Story of Jesse James peut être laissé de côté si vous le trouvez à la médiathèque du quartier.

Image: Metek sur Western Movies