dimanche 10 juin 2007

Les petites choses dans Il était une fois la Révolution



Grisé par la chaleur, je récidive avec les petits détails que j’adore dans Il était une fois la Révolution.

Mais j’entends déjà les critiques : «Tep, tu te répètes», «Y’avait plus de sexe dans le deux!», «J’aimais mieux quand tu nous parlais de westerns que personne n'a vu, j’avais pas besoin de lire…».
Les petites choses dans Pour une poignée de dollars suivront donc quand le film sortira en DVD en 2029, les petites choses dans Il était une fois dans l’Ouest suivront quand j’aurais revu le film encore au moins dix fois pour être sûr d’avoir tout compris, les petites choses dans Mon Nom est Personne seront pondues quand Cdiscount le vendra à 4€99 et les petites choses dans Il était une fois en Amérique ne seront jamais évoquées, vu que rien que sur De Niro qui tourne sa cuillère dans son café pendant un quart d’heure je pourrais tenir cinq pages.

Juan qui urine sur les fourmis
Tout le monde a fait ça dans son enfance, à un ou à plusieurs, en rajoutant le contenu d’un arrosoir ou pas, et en terminant le travail à coup de pétards ou pas, sous l’œil vaguement désapprobateur, mais envieux, d’un adulte responsable. Sergio Leone montre donc à son public adulte responsable qu’il est toujours un enfant, il lui rappelle de bons souvenirs, il le chouchoute, dès le début, avec une scène mi-scato qui fait rire, mi nostalgique. Mais Juan Miranda a le regard ailleurs, les fourmis ne l’intéressent pas. Tout est donc clair, nous voilà prévenus : l’enfance est terminée !


La diligence énorme
Elle avance pesamment, pendant que la magnifique musique d’Ennio Morricone s’envole. Elle a beaucoup, beaucoup de chevaux pour la tirer, difficile à mouvoir, mais difficile à arrêter, comme en témoignent les dérisoires pierres utilisées par la bande de Juan pour la freiner. A l’intérieur, le luxe, la bouffe, le futile. A l’extérieur : la poussière, la misère, le soleil qui tape. La bourgeoisie vit et voyage dans son cocon protecteur qui ne demande qu’à être profané.


Le cache-poussière du cocher
Petite réminiscence d’Il était une fois dans l’Ouest, la fonction du cache poussière du cocher est cette fois ci purement utilitaire, tout comme la fonction du cache poussière de John. Il ne s’agit plus d’un accessoire de mode destiné à provoquer une « impression », ou un style. Les tenues des protagonistes sont moins extravagantes, moins recherchées que dans les premiers westerns de Leone. L’enfance est terminée.

Les cheveux collés de Juan
Quand il entre au sein de la diligence cossue, Juan a les cheveux tout collés par la sueur. Un détail, encore un détail, toujours un détail, qui ne signifie rien, sinon que l’acteur Rod Steiger a sans doute vraiment marché un kilomètre en plein soleil en répétant « ma mère est morte » comme l’indique Sir Christopher Frayling dans son excellent commentaire audio du film, très intéressant bien qu’un peu encombré par la paraphrase…


Les gros plans sur les bouches
Ces gros plans sur les bouches des bourgeois, c’est carrément magistral. Juan se fait traiter de tous les noms, lui et son peuple, et en particulier de « bête », pendant que ces gros plans incroyables sur ces bouches mâchant et déglutissant nous rappellent que tous les hommes, du pape au balayeur d’Orly, sont des bêtes devant le créateur, ou devant Darwin selon votre confession. Pourtant, Sergio Leone n’a pas réussi à faire aussi vulgairement dégueulasse que le chasseur de prime qui mange dans Le Grand Silence. Ou plutôt il n’a pas essayé, car si le chasseur de primes du Grand Silence est vraiment repoussant dans l’outrance, le haut le cœur dans cette scène de Il était une fois la Révolution vient surtout de l’effet du gros plan, la scène gardant malgré tout une forte crédibilité, contrairement à la scène du Corbucci.

Juan rabat la bourgeoise comme une vulgaire volaille vers le poulailler
Il utilise un bout de branchage qui traîne pour guider la femme en faisant un bruit genre « tip tip tip », comme quand on emmène les chèvres à l’étable. C’est véritablement ce qu’il y a de plus humiliant dans la scène, bien plus que le viol qui n’est que suggéré.


James Coburn apparaît dans la poussière
Leone adore faire apparaître ou disparaître ses personnages dans la poussière : Clint Eastwood derrière la fumée de la dynamite dans Pour une poignée de dollars, Clint Eastwood et Eli Wallach derrière la poussière du bombardement dans Le Bon la Brute et le Truand, et maintenant James Coburn derrière la poussière soulevée par la nitroglycérine. Ça doit tenir à quelque chose comme la révélation divine, les personnages de Leone apparaissent et disparaissent comme des anges qui ont une mission à accomplir.

Le pouvoir dévastateur de la nitroglycérine
Une petite goutte qui tombe, boum, un grand trou par terre. Scène pompée si je ne m’abuse dans Le Salaire de la Peur et reprise à nouveau si je ne m’abuse dans son remake The Sorcerer/ Le Convoi de la peur. J’aimerais bien une démonstration identique dans la vie réelle, afin de vérifier si le pouvoir dévastateur de la nitroglycérine a été amplifié pour rajouter du piquant dans tous ces films, ou si la taille du trou est rigoureusement authentique.


Le tuyau de poêle dans le trou du toit de la diligence
James Coburn a fait un gros trou dans le toit de la diligence avec son eau bénite. Ce qui est marrant, c’est que la bande à Juan en profite pour mettre un poêle dans la diligence dont le tuyau passe par le trou en question. Franchement je me répète, mais des détails comme ça, on en voit plus dans les films populaires d’aujourd’hui.

Le docteur Villega
Ce bon docteur Villega confirme une légère évolution chez Sergio Leone déjà entamée avec Teuf Teuf dans Il était une fois dans l’Ouest. Jusqu’ici, les personnes au physique normal mais légèrement ingrat étaient cantonnées dans ses westerns aux rôles de petits lâches méprisables, tout juste bon à être humiliés ou à servir de faire valoir aux super héros que sont Blondin, Tuco et les autres – par exemple le marchand d’armes dans Le Bon la brute et le Truand, le patron de l’hôtel dans Et pour quelques dollars de plus ou le gros suant aux bretelles plus ceinture dans Il était une fois dans l’Ouest.
Les personnages de Coburn et Steiger sont encore inscrits au registre des super héros, ils tirent justes, John maîtrise la technique de la dynamite et Juan n’a peur de rien. Mais le docteur Villega est un homme un vrai, avec ses grandeurs et ses faiblesses. Il est un humain réel confronté à ses idéaux et à des choix, il n’est ni grand, ni beau, ni bon tireur, ni homme d’action. Mais il est réel, car l’enfance est terminée !
Tienes algo que pedir ?Cette phrase du gradé demandant leurs dernières volontés aux condamnés à mort reste en espagnol non sous-titré, pour rajouter une petite part d’authenticité au film. Est-ce que quelqu’un est assez calé pour me dire si l’authenticité est poussée au point que le gradé ait un accent mexicain, plutôt que castillan ou andalou ?
La blague de VillegaPendant la réunion secrète de l’armée révolutionnaire, Villega balance une blague sur l’état des poumons d’un des participants. Villega est un meneur d’homme qui connaît les techniques rhétoriques pour mettre une assemblée de son coté. Mais la blague sur l’homme qui ne va pas vivre longtemps s’il continue à fumer prend un sens sinistre quand on sait que la plupart des hommes présents dans cette arrière salle mourront dénoncés par Villega lui-même. Elle prend même un sens dérisoire au regard de la mortalité effarante qui baigne l’ensemble du film.

John Mallory n’est jamais pressé de faire sauter ses cibles
Le petit train est en place devant la porte de la banque depuis un moment, les soldats qui courent partout pourraient le déplacer ou se prendre les pieds dans le fil. Mais John/Sean Mallory est tranquille, il câble pépère son détonateur, et fait tout voler en fumée en prenant son temps.Plus tard, quand il fait sauter le pont, c’est encore pire : des soldats pourraient être en train de gravir la colline dans sa direction, un gars est peut-être en train de le mettre en joue, mais il met du coton dans ses oreilles sans se presser, et il fait sauter son pont, en bon spécialiste calme et sûr de lui.
Planquez vous connardsJe ne vais pas réitérer mon caca nerveux à propos de ce détail, mais le « Planquez vous connards ! » tonitruant lancé par Juan Miranda quand il fait sauter l’ultime porte de la banque a disparu de la VF de mon édition collector. Pas classe, car c’est un détail drôle qui montre l’influence de John sur Juan !


Coburn roupille
Coburn roupille le chapeau sur les yeux en attendant les troupes mexicaines. Ça ne vous rappelle rien ? James Coburn qui roupille le chapeau sur les yeux dans Les Sept Mercenaires bien sûr.

L’attaque du pont
L’attaque du pont est vraiment filmée d’un point de vue ludique, et axée sur le plaisir. Avant que Juan Miranda accepte de rester par pur orgueil de petit garçon qui veut prouver à John Mallory que lui aussi en a dans le pantalon, on sent tout de même une certaine tension, la peur de Juan est visible bien que traitée sous le mode comique.Mais quand débute l’attaque proprement dite, l’excitation de Juan est à son comble, et quand éclate le crépitement des mitrailleuses, les deux hommes s’en donnent à cœur joie, les soldats tombent comme des mouches, Coburn et Steiger ont un grand sourire aux lèvres et les yeux vifs de gamins qui s’amusent. Puis le pont explose, accompagnée par la musique lyrique et grandiose, comme une extase, comme un accomplissement magnifique. La mort et la violence sont glorifiées et esthétisées à outrance, tandis que l’explosion presque nucléaire est un orgasme jubilatoire. Leone fait plaisir aux bas instincts de son spectateur, qui en redemande. Mais tout plaisir a un prix, et le spectateur le paye dans la scène suivante, dans les grottes…

Le massacre dans les grottes
La scène dans la grotte demeure ma scène préférée tous Leone confondus. Steiger, hagard et moralement abattu, regarde dans le vide. Puis il arrache son crucifix et le jette par terre. Coburn, silencieux lui aussi, n’est pas très à l’aise. Steiger prend une mitrailleuse et sort de la grotte. A travers les yeux de Coburn, on découvre la masse étendue et désarticulée des cadavres des révolutionnaires, dont les six enfants de Juan. La caméra s’arrête sur le dernier, au visage d’ange du sud, aux yeux noirs, fixes et intenses. La durée de la scène, la musique de Morricone douce et mélancolique, le jeu de Steiger sobre mais exceptionnellement dense, le silence de Coburn et le bruit des armes au dehors, qui mime le massacre pendant que la caméra court sur les morts, font de cette scène une apothéose émotionnelle, un moment humainement riche où l’affectivité l’emporte sur la raison. Ma préférée donc, l’enfance a vraiment cessée.
Au sein de cette scène se dresse un autre petit détail curieux : Juan se rend compte qu’il avait six enfants ! Mais alors qui sont les autres membres de sa bande, dont il précise pourtant au début qu’ils sont tous ses enfants ? Ça n’a pas vraiment d’importance, il suffit de parler comme Sir Christopher Frayling d’ « extended family ». Ce qui est plus gênant, c’est de constater que la mort de l’homme qui saute à cause de la mèche courte au début du film, tout comme les quelques dommages collatéraux dans sa bande lors de l’attaque de la banque de Mesa Verde ne semblent avoir aucune espèce d’importance, alors que soudainement la mort des enfants est un choc irrémédiable. Toujours ce mélange de la « violence pour rire » du monde de l’enfance et de la « violence qui blesse » du monde des adultes. Dans Il était une fois en Amérique, la mutation est totalement achevée, toute la violence est « adulte ».On remarque bien sûr la mise en scène typiquement Leoniene de la mort, les cadavres sont enchevêtrés les uns sur les autres, l’immobilité est parfaite, les poses sont étudiées au millimètre. On apprend dans le commentaire audio que cet amoncellement de corps évoque à coup sûr un épisode douloureux de la seconde guerre mondiale en Italie, lorsque les nazis massacrèrent des centaines de personnes prises au hasard et les enterrèrent à la va-vite. Le plus curieux dans tout ça, c’est que cette scène m’a souvent fait penser à Oradour sur Glane, alors même que les conditions du massacre sont très différentes et que je ne connaissais pas ce lien avec cette atrocité nazie en Italie. La marque d’une scène forte !


La musique « Sean Sean » d’Ennio Morricone
Ce morceau d’Ennio Moriconne où la voix d’Edda del’Orro prend toute sa démesure faisait partie des moments les plus beaux de mon imaginaire Leonien. Puis, sans que je sache pourquoi, je me suis mis à aimer de moins en moins ce morceau. Trop sirupeux, trop de voix, trop de violons, et ces ‘Sean Sean’ qui me taperaient presque sur les nerfs. Aujourd’hui malheureusement, je ne le supporte presque plus, et mon admiration pour ce film s’en trouve amoindrie, les flash backs dans la voiture en Irlande en deviennent pénibles à suivre. Je suis très inquiet docteur…

Le 3 mai à Madrid
Pour la scène des exécutions nocturnes, Leone a été inspiré par la lumière particulière d'un tableau de Goya intitulé Le 3 mai à Madrid, que voici:


Gunther Reza actionne lui-même l’essuie glace
Toujours ces détails ! Ben alors, l’essuie glace est cassé ? Non, les essuie-glaces n’étaient pas motorisés à l’époque. En fait il semblerait que le premier essuie-glace (mécanique) ait été inventé en 1916, or le film est situé en 1913. Le premier essuie-glace automatique a vu le jour en 1921. Cela veut sans doute dire que le véhicule dans dequel se trouvent Gunther Reza et le Dr. Villega est anachronique, mais pas trop...

Gunther Reza gobe un œuf et se brosse les dents
Comme le décrit finement Gotlib dans ses planches sur le western Spaghetti « Le scénario fourmille de détails pittoresques tirés de la vie quotidienne ». Et Gotlib montre un Mexicain en train de se couper les ongles des pieds. C’est tout à fait ça ici ! Après avoir gobé son œuf, Gunther Reza à du jaune qui a dégouliné sur la joue. Quand il se brosse les dents, ce n’est pas en dix secondes bouche fermée, c’est en raclant bien dans les coins et en crachant consciencieusement dans l’écuelle portée par un soldat. Pourquoi on voit pas Wolverine se brosser les lames dans X-Men ?

Les dents de James Coburn
Restons dans le domaine bucco-dentaire pour rendre hommage à la magnifique dentition de James Coburn quand il rit, que Leone ne pouvait pas ne pas exploiter.

La vengeance mélancolique de Juan
Juan descend le dictateur et se venge de la mort de ses enfants. Mais c’est une vengeance sans plaisir, presque par réflexe parce que le chef d’état déchu essaie de s’enfuir. L’argent ne l’intéresse plus non plus, à cet instant Juan Miranda est un homme anéanti, que John Mallory ne parvient pas à requinquer avec ses rêves d’Amérique.
Le discours de VillegaVillega se justifie d’avoir trahi sous la torture, puis d’avoir repris la lutte comme si rien ne s’était passé. Villega se heurte à la conception romantique que Mallory a de la lutte contre la dictature. Pourtant, les explications de Villega sont pertinentes : peu de personnes sont capables de résister à la torture, est ce une raison pour ne pas se battre pour les idéaux auxquels on croit ? Le personnage de Villega pose bien sûr à chacun la question du choix qu’il aurait fait sous l’occupation allemande. Résistance active, collaboration passive ou collaboration active ? Villega a fait son choix et il s’y tient malgré ses faiblesses. Si j’avais eu 20 ans en 1940, j’espère que j’aurais fais le même choix, même si je suis sans doute incapable de résister longtemps à la torture. Et en ce sens, Villega est un héros, malgré sa trahison, parce que au final très peu de gens ont fait ce choix là…

Le bouton sur le front
L’ancien ami de Mallory, celui avec qui il partage la fille (qui représente La Révolution dixit Leone dans Conversations avec Sergio Leone de Noël Simsolo) est joué par David Warbeck. Il a un gros bouton rouge bordeaux sur le front. Pendant les flash backs dans le pub irlandais, Mallory attend, un fusil caché dans un journal, de voir si son ami va le trahir. Quand celui-ci opine devant l’officier britannique, Mallory fait volte-face et tue les deux soldats. Puis il hésite longuement et loge une balle dans le front de son ancien ami, pile là où il avait un bouton. Le bouton est littéralement remplacé par l’impact de la balle. Et la tête qui chancelle, lentement, au ralenti.Quand on a repéré ça, impossible de l’ignorer quand on revoit la scène. Le bouton représente une sorte de point de visée fictif, et la scène est longue, très longue, et on attend que ce fichu bouton se transforme en impact de balle. Et quand cela arrive, on ressent une sorte de libération. Ce bouton est l’endroit où se cristallise l’hésitation atroce de Mallory et l’attente désespérée de son ami qui espère ne pas être tué. Et il permet aussi au spectateur de ressentir presque physiquement cette attente en déplaçant l’objet de l’attente, qui nous est étrangère en tant que spectateur, sur un détail trivial qui attise notre impatience.
Ce n’est sans doute pas voulu, mais ça marche !

3 commentaires:

  1. Masacres napoleónicas en España

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  2. Sûrement mon Leone préféré.
    En particulier la scène de la grotte.
    Moi aussi, la musique du morceau principal me lasse un peu... mais les autres morceaux (Dopo l'esplosione ou Mesa Verde (qu'on entend lors de la scène de la grotte...) sont vraiment très beaux.

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  3. C'est vrai, tous les autres morceaux sont extraordinaires.

    Tiens, Breccio a vérifié sur son DVD, il manque aussi le "Planquez-vous connards!" dont je parlais! C'est vraiment bête, cette belle réplique va peut-être disparaître à jamais désormais de la VF de ce beau film...

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