dimanche 3 juin 2007

On continue à l'appeler Trinita




Plus de crasse, plus de baffes, plus de fayots. Existe-t-il plus con au monde que On l’appelle Trinita ? La réponse est dans le titre. Tremblez, chantres du bon goût, fuyez suppôts de l’hygiène bien pensante, l’homme aux baffes d’or est de retour.


...continuavano a chiamarlo Trinità
1971
Enzo Barboni

 
Le prologue sonne l’alerte. Déjà c’est un copié/collé du début de On l’appelle Trinita. D’emblée Enzo Barboni réussit le tour de force de faire fuir l’intégralité de la critique BCBG de gauche, et de droite, à l’aide d’un cheval, d’un hamac en lambeaux noirâtres et d’un mec sale dedans ! John Ford (cité dans le film) faisait l’unanimité critique, Barboni la fait aussi, mais dans l’autre sens! On peut toujours tergiverser et abonder dans le grossier sens commun qui voudrait qu’une suite soit plus nulle que le film initial, ça serait en pure perte. Car regarder un Trinita, c’est faire sienne la logique Shadock : si c’est encore plus nul, c’est encore plus mieux ! Donc, la scène est identique à l’intro de On l’appelle Trinita, en plus sale, plus stupide, plus con. Il y a des bouts de pain suspects aux pieds immondes de Trinita, il y a une chanson cheesy à mourir de rire, il y a une poêle poussiéreuse et pleine de cailloux à la traîne, toute une foultitude de détails cocasses, qui, si on prend la peine de les voir - au lieu de rouler des yeux au plafond comme un expert comptable – prennent tout leur sens comique.
Bien sûr, même si nous sommes déjà là très près du nirvana ultime de la comédie bonne enfant, il aurait été dommage de s’en tenir là. La séquence suivante où Trinita force trois abrutis à se mettre sur la gueule pendant qu’il mange leurs fayots fait monter d’un cran la joyeuse connerie de l’ensemble. Là aussi, le détail primordial tue, du cheval qui bouffe sa part dans la poêle, au type sonné qui ne prend pas part à l’action, en passant par le vent - très important le vent - qui rappelle, comme un lointain souvenir…le western spaghetti !
Parce qu’on aurait vite tendance à l’oublier, mais On Continue à l’appeler Trinita est un western spaghetti, c'est-à-dire un western qui détourne les conventions du western classique. Tous les grands westerns américains (par exemple La petite maison dans la prairie) montrent la famille sous son plus beau jour, comme un rempart contre la nature sauvage. Chez les Trinita, c’est tout le contraire, tout le monde se déteste, l’idéal de vie est un cheval volé, la crasse sert de signe de reconnaissance et la maison tombe en ruine. La scène du repas, où toute la familia rote et baffre comme un quatuor de cochons fourbus, est d’ANTHOLOGIE ! Plus drôle qu’une réunion de famille chez Leatherface, plus horrible qu’un dîner chez la famille Adams, un véritable cauchemar pour les ayatollahs de la propreté et de l’hygiène. Mangez avec vos doigts, ça en fait plus à bouffer !
Et pourquoi s’arrêter là ? Ensuite c’est tout naturellement au tour de la traditionnelle partie de poker de servir de défouloir ! Non content d’utiliser des trucs qui défient les lois de la gravité pour mélanger les cartes, Trinita remet la pile qui vient d’être coupée à sa place initiale, pendant que Bambino a dans son jeu deux rois et deux reines, ce qui fait bien sûr KKQQ, ou encore caca cucul. Même les blagues non prévues en vf sont drôles, arrivé à ce stade de perfection comique, c’en est trop ! Et pourtant Barboni filme sa partie dans les règles de l’art, la tension dramatique monte, et tandis que Bambino tire une troisième reine (ce qui fait cul, caca, cucul), le gentleman killer annonce un pédant : « il y a un tricheur ici » qui se termine en paire de baffes accélérées dans une séquence repompée sans honte 2 ans plus tard par Valerii dans son Mon nom est Personne.

Mais foin de paraphrase, tout western spaghetti qui se respecte a une consonance sociale. La scène du restaurant chic, en plus d’assouvir le fantasme de tout un chacun de se comporter n’importe comment en haute société et de roter à la face des dames, montre l’irrésistible ascension de la civilisation dans l’ouest. Nos deux pèquenots sont totalement déphasés dans un monde qui n’est plus le leur. Mais contrairement à un western désenchanté où le héros perd peu à peu sa place (Coup de feux dans la Sierra, La Horde Sauvage, Docteur Queen Femme Médecin), Trinita et Bambino incarnent la force tranquille, la révolte bon enfant, l’espoir de millions de gens qui ont envie de mettre les coudes sur la table et de manger leurs crottes de nez avec bonne conscience ! A l’instar de Tais toi quand tu parles, On Continue A l’Appeler Trinita est donc une œuvre qui dérange, et pas seulement à cause des gaz !


- Le seigneur est avec vous !
- Nan, nous on est tout seuls !
Toutes les péripéties narrées ci-dessus n’étaient qu’une mise en bouche, y compris la bagarre somme tout banale dans le saloon. Le film ne démarre vraiment qu’avec l’entrée dans la mission, et toutes les blagues gentiment anti-catholiques qui vont avec (Lucie Fer, tu la connais ?). Et bien sûr, la méga baston finale, loin de n’être qu’une énorme défoulade de cour de récré, permet de donner son sens dichotomique au film. Le prétexte béotien pour écarter toutes les armes de l’enceinte de la mission revient en effet à nier l’essence même du western, et au prix où est l’essence au Leclerc d'à coté, on ne peut qu’applaudir. Tout ça pour dire quoi finalement ? Que si l’homme pouvait continuer à jouer à se battre comme dans son enfance, plutôt que de s’entretuer pour de vrai, la vie aurait moins de piquants. On continue à l’appeler Trinita est bien un grand film pacifique, comme le furent vingt ans plus tard Robocop 2 et Terminator 2 . Et si l’enchaînement des péripéties rocambolesques pourrait faire croire à l’absence totale de scénario, détrompez vous ! L’histoire du film existe, écartez deux ou trois platée de fayots, déblayez les mecs assommés qui jonchent la terre battue, et vous découvrirez, miracle, une intrigue qui se tient ! Bambino doit chaperonner Trinita et en faire un bandit, mais c’est le contraire qui arrive. Trinita manipule son frangin et en fait un honnête homme malgré lui. Un vertige scénaristique et moral, digne des meilleurs réalisateurs, tels que Francis Ford Coppola, Brian De Palma ou Demofilo Fidani. Un chef d’œuvre qui se hisse sur la pointe des pets à la hauteur des œuvres intemporelles que sont Citizen Kane, Lawrence d’Arabie et Police Academy 7.
A ne surtout pas manquer lors de sa 1373e rediffusion cet été sur M6.

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